Si, comme moi, vous ne pouvez pas vous passer du cinéma, la salle obscure, le grand écran, ce lieu mystérieux, cette agora des émotions partagées dans le silence de la nuit jadis trouée par les projecteurs, mais si vous tentez d’éviter le dernier Ozon (l’étranger) ou pire encore le sépulcral anti-stalinien du mois, « les procureurs »(1), je vous conseille ce moment de plaisir délicat qu' » : l’incroyable femme des neiges de Sebastien Betbeder.
Si je vous raconte l’histoire, a priori le scénario – qui combine fin de vie, ravage intime et climatiques confondus chez une exploratrice bipolaire (le mot est dans le film) qui passe des montagnes du Jura au Groenland- vous ne serez peut-être pas spontanément attiré. Et encore moins si je vous dis que le propos tourne autour d’une fin de vie apaisée et qui ait du sens. Mais ne vous y fiez pas, le drame, la tragédie est à peine esquissée et les larme retenue dans un sourire, ce qui domine est la cocasserie , le parfum d’enfance d’un film entre le zéro de conduite de Jean Vigo et une bande dessinée sur les aventuriers de l’arche perdue avec une Harrisson Ford femelle coiffée d’une chapka : « vous êtes madame d’une résistance et d’une force incroyable » dit le médecin inuit en ajoutant « vous en avez au plus pour une semaine » et toujours ravi, il enchaine sur une improbable interprétation de la chanson « Champs Elysées »…
L’exploratrice, Blanche Gardin trouve là un rôle en or et elle le sert avec gourmandise, que ce soit en France ou au Groenland elle assure. Le geste et la parole ont d’irrésistibles décalages. Le monde inuit, celui où la sagesse primitive s’exprime sans dogmatisme se moque de lui-même avec des clins d’œil à Hergé, comme lors de la découverte de l’exploratrice congelée et l’invraisemblable dialogue entre les deux Dupont et Dupond eskimos sur ce qu’il convient de faire du cadavre supposé i l’on est un tantinet civilisé…
A la différence prés en matière de civilisation que les inuits ont un récit, un mythe fondateur la quête du Qivitoq yeti et l’exploratrice s’est totalement déconsidérée dans la nôtre en partant à sa recherche. D’ailleurs cette femme aux passions scientifiques peu ordinaires, engendre chez nous la peur,. Condamnée à une mort proche, mais n’ayant pas l’habitude de larmoyer sur son sort, elle veut ouvrir des débats sur le fond, sans perdre de temps, oser parler du sens devient signe de folie dans nos territoire. Quant au yeti auquel elle est seule à croire c’est une métaphore de la mort proche, elle défend simplement le chemin d’une fin de vie apaisée. l’agonie et sa tentative de réconciliation universelle tourne au désastre, elle est larguée par son compagnon, virée de son boulot pour avoir défendu la réalité fut-ce métaphysique du Yeti, elle se rebelle devant les incompréhensions jusqu’à la violence comme quand elle s’accroche en le mordant au flic appelé par son ancien amoureux et la compagne de celui-ci .
Mais dans le genre, un des meilleurs moments dans le crescendo maitrisé du malentendu civilisationnel, se situe dans une école primaire du jura, niveau maternelle, où l’exposé de l’exploratrice anthropologue, au départ passionné mais totalement hermétique devient de plus en plus terrible dans la description trash de la rencontre avec un ours. Les bambins qui, au départ sont interloqués et dubitatifs, sont peu à peu plongés dans une hystérie collective et l’instituteur qui a imprudemment, et dans un état de lâche panique au souvenir d’une rupture, accepté qu’elle vienne expliquer la fonte de la banquise, doit calmer sa classe et surtout les parents. D’ailleurs tout ce que tente en matière de sociabilité, l’incroyable femme des neiges se transforme en psychodrame plus ou moins sanglant.. mais c’est parce que ce monde là n’a plus de récit fondateur pour donner sens à la vie et à la mort que cette intrusion l’effraie. Champ, contrechamp, d’abord le Jura un monde qui ne tient qu’en surface. les deux frères, en suivant les pérégrination de l’intrépide grande soeur, se retrouvent cloués par le vertige sur une paroi à pic ou dans un télésiège arrêté au dessus de l’abime, tandis Bastien Bouillon, le petit frère et Philippe Katherine l’aîné un pierrot lunaire, excellent , ne peuvent pas résister à la puissance et à la fascination de l’aventure.
le film est à la fois désordre, accumulation dans le chalet familial, une histoire jamais digérée, mais aussi abstraction de la quête dans la neige dans le monde inuit pour aller vers l’essentiel… C’est un propos tendre et délicat, mais qui joue le burlesque. IL y la filmographie de Betbeder(le voyage au Groenland et Debout sur la montagne entre documentaire et fiction, là c’est la fiction qui devient le guide,. Il est passé de Nanouk l’Esquimau (Nanook of the North)de Robert Flaherty, à Nicolas Ray et pas seulement à cause du monde premier inuit des Dents du diable, avec sa dimension écologique, mais parce qu’il y comme dans Johnny Guitar un rôle profondément novateur donné à l’héroïne. La femme est la force, elle est l’aventurière, dans l’art d’encaisser le coup de poêle sur la tête, par son recours à ‘alcool pour se désinhiber, le mutisme, le rôle protecteur elle assume désir et débâcle. C’est une image de la féminité qui nous change de la victimisation..
Franchement, il y a là tous les registres du spectacle, ceux qui nous ont fait aimer le cinéma dès ses origines, le comique au coeur de ce qui pourrait être une tragédie.. à la Chaplin, la chute toujours plus haut et l’humaine condition…
exactement ce dont j’avais besoin en ce moment sans envergure, pas d’emphase, intrépide, rationnel, bougez-vous ! débarrassons nous du fatras… et rions avant que d’en pleurer…
danielle Bleitrach
‘(1) j’espère que la mise hors d’état de nuire pour un temps de Mindich en tant que copropriétaire, avec le président ukrainien, de Kvartal 95 Studio, va suspendre le flot des publications dites antistaliniens et qui a entraîné chez les stipendiés de la CIA habituel un flot de critiques pleine de louanges immérités pour une série de navets… .
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