Quand le président De gaulle s’en alla, selon Duclos dans ses mémoires – parce qu’il était gêné de devoir gouverner avec une assemblée ayant des pouvoirs alors qu’il avait jusqu’ici assumé un pouvoir personnel et qu’il espérait un sursaut français, un coup d’Etat qu’il obtiendra en 1958, avec la dramatisation de la guerre d’Algérie et en utilisant les généraux rebelles et déjà Bidault. On peut également mettre au crédit du général son sens de la souveraineté française et le refus de ce que représentait la politique des Etats-Unis divisant l’Europe et soutenant de fait contre l’URSS de toutes les forces réactionnaires qui étaient derrière Hitler pour aller vers l’OTAN. Face à cette politique de Degaulle et ses ambiguités que l’on retrouve aujourd’hui dans le positionnement d’un Henri Guanio, il faut comprendre ce que décrit encore Duclos dans le tome IV de ses mémoires (1945-1952) (1) à savoir l’entente entre le parti socialiste et le MRP, pour empêcher que le premier parti de France, le PCF, qui sortait auréolé du combat de la Résistance et de la victoire de l’URSS sur l’Allemagne nazie soit en la personne de Maurice Thorez nommé à la tête du gouvernement. Le parti socialiste, par la bouche de Daniel Mayer avait subordonné son assentiment à l’accord du MRP. Alors que tous savaient que le dit Bidault avait fait savoir que c’était hors de question. Il y avait eu enente préalable entre le MRP et les socialistes pour cette interdiction non démocratique (p 69). On peut dire que Marseille fut le laboratoire de cette entente pour empêcher l’accés des communistes non seulement au poste de chef du gouvernement mais à celui de maire de Marseille (2) . C’est une fois de plus cette double trahison, celle d’une bourgeoisie nationaliste ou qui se veut telle et celle d’une sociaal démocratie anticommuniste qui se range dans le camp atlantiste qui est à l’origine de ce qui va advenir logiquement, les ministres communistes dont Maurice Thorez et Ambroise Croizat chassés du gouvernement et avec eux le programme de la Résistance.

le 4 mars 1947, georges bidault signe un pacte d’alliance d’une durée de 50 ans avec le ministre travailliste Bevin pour à travers le contrôle des zones d’occupation (en particulier la Rhur et ses charbons par la Grande Bretagne ») transformer une zone d’occupation en Etat à part entière. Dans le même temps où se préparait ce partage de l’Europe, le gouvernement ramadier inaugurait les répressions coloniales avec le massacre des Magaches opérés par « les tirailleurs sénégalais »qui s’ajoute à la guerre en Indochine et qui provoque le premier grand conflit avec les communistes encore au gouvernement.
Dans le même temps, le 25 avril et le 28 avril, dans les ateliers des usines Renault, 10.000 ouvriers se mettaient en grève contre le blocage des salaires, le 30 avril au Conseil des ministres les communistes soutiennent les révendications des grevistes comme ils le font des peuples colonisés. Ramadier et le ministre des Finances Robert Schuman qui s’étaient réjouis de la grève qui pensaient-ils mettaient en porte à faux la CGT et le PCF au gouvernement, devant l’extension refusent le déblocage des salaires et commencent à choisir l’épreuve de forces. Le défilé du premier mai 1947 fut immense mais Ramadier qui avait échoué avec la politique de « déflation » commença à argumenter sur l’impossibilité d’augmenter les salaires sans augmenter les prix et l’impossibilité donc de s’attaquer aux profits.
Le débat tel qu’il se déroulait et qui est encore d’actualité est de savoir à quelles conditions il est possible de rompre avec cette spirale supposée des prix et des salaires avec les profits. Outre les événements de Marseille qualifiés d’insurrectionnels (3) il y eut un vote de la confiance au gouvernement par l’assemblée nationale où il fut mis en minorité. logiquement c’est tout le gouvernement qui aurait dû démissionner puisque même le comité directeur du parti socialiste s’était prononcé pour la démisson, mais Ramadier les démissionna et nomma Jules Moch, ministre de la Défense Nationale à la place de françois billoux et robert lacoste à la place du ministre du travail Ambroise Croizat.
Donc le 5 mai 1947 Ambroise Croizat est évincé du gouvernement avec les autres ministres communistes. C’en est fini de l’invention sociale et des jours heureux. Le lendemain devant la foule des ouvriers de st Denis, il déclare:
“Ma présence au ministère du Travail ne m’a jamais fait oublier mon origine et mon appartenance à la CGT. Je ne mériterais pas votre confiance si, par malheur, je m’étais laissé aller, au cours de mon activité gouvernementale, à oublier vos souffrances, vos difficultés. En un mot, à sacrifier purement et simplement vos intérêts. Ces derniers se confondent trop avec ceux de la Nation pour qu’un ministre communiste puisse les oublier. C’est pour avoir observé cette fidélité envers vous-mêmes, cette solidarité pour vos justes et raisonnables revendications, que je fus atteint, ainsi que mes amis, d’une sanction grave : celle de la révocation pure et simple. Nous étions devenus des êtres gênants, des “empêcheurs de danser en rond”, des hommes qui, trop souvent, affichaient des “intérêts sordides”. Ils sont maintenant entre eux et pourront régler avec plus de tranquillité certains problèmes, dont quelques-uns ne sont pas sans dangers pour l’avenir de la France. Comme je le rappelais il y a quelques jours, la lutte continue pour la renaissance française, l’indépendance nationale et l’instauration d’un bien-être pour tous. Il n’y a rien de changé.”
A. CROIZAT
Toute la vie d’Ambroise Croizat fut celle d’un combattant au premier rang des luttes ouvrières, sur le terrain, et il est clair que certains des censeurs d’aujourd’hui peuvent en faire un stalinien, ce qui l’aurait rempli de fierté , sur ce plan il faut consulter le témoignage des militants de la CGT du Rhône Alpes :
https://www.cgt-aura.org/initiative-ambroise-croizat-presentation-de-bernard-lamirand
Le Front populaire ne va vivre que peu de temps, les divisions apparaissent et sans entrer dans le détail de cette période, les pressions patronales et les menaces de guerre entrainent la remise en cause des lois du Front Populaire, une grande grève sera réprimée en 1938 et derrière cette grève le climat se tend dans la CGT et les accords de Munich puis le pacte germano-soviétique permettront à tous les anti-unitaires de remettre en cause l’unité de la CGT et ce sera l’expulsion de la CGT des dirigeants unitaires et des syndicats qui ne font pas allégeance et donc au retour de la CGT Confédérée dirigée par ceux qui n’avaient pas accepté de gaieté de cœur l’Union.
LA PRISON POUR CROIZAT ET SES CAMARADES
Des militant et dirigeants sont alors arrêtés et comme vous le savez Croizat et ses camarades seront emprisonnés et d’autres seront comme Gautier et Timbaud victimes du nazisme et de la collaboration, notamment par des dirigeants CGT confédérés de la métallurgie qui se renièrent jusqu’au point de devenir les pires collaborateurs de Vichy par la charte du travail, auquelle ils vont contribuer avec l’UIMM, comme ils contribueront pendant toute la guerre à la dénonciation des camarades en résistance mais là, je m’éloigne à nouveau de mon thème imparti. Croizat sera emprisonné Maison Carrée à Alger, le livre des 27 du chemin de l’honneur, nous livre ce que fut le calvaire de ces militants syndicaux et politiques dans cette prison et les témoignages ne manquent pas sur le rôle joué par Croizat dans ces moments difficiles. (4)
l faut encore pour que ces trahisons de la classe ouvrière et de la France prennent sens comprendre le contexte international hier comme aujourd’hui . Là encore Jacques Duclos décrit admira blement le contexte celui du plan Marshall, la carotte pour diviser l’Europe en deux zones antagonistes en sollicitant par des fonds secrets la constitution de groupes de pression au sein des gouvernements comme des secteurs d’influence comme la presse, les publications, les « élites », etc…
mais il faut aussi retenir ce qu’en tire comme leçon politique Jacques Duclos à propos de « l’unité »

Certains disent en parlant de nos adversaires : « tous sont unis contre nous. Rien à faire avec aucun d’eux » C’est là une vue simpliste des choses. La vie est infiniment plus compliquée. Et dans notre societé où s’expriment des oppositions d’intérêts de classe, la tendance à l’union de tous contre les communistes ne fait pas disparaître les antagonismes et les heurts de nos adversaires. De ces antagonismes et de ces heurts nous devons savoir saisir à temps l’importance et la portée, nous devons savoir déceler les possibilités d’utilisation qui nous sont offertes, dans l’intérêt de la démocratie, dans l’intérêt de la classe ouvrière « . (p.215)
Qu’il nous soit permis de plaider une fois de plus pour que les communistes et la France se réapproprient leur histoire non seulement pour célébrer les véritables héros mais bien pour en tirer des leçons et cette conclusion de Duclos à propos de la trahison qu’a été l’éviction des ministres communistes et le processus continu qui a suivi de leur marginalisation et stigmatisation injuste. Il ne s’agit pas de s’enfermer dans l’échec de la désunion mais au contraire de savoir déceler les possibilités qui naissent, c’est le sens de notre livre: quand la France s’éveillera à la Chine, la longue marche vers un monde multipolaire ». Nous sommes dans un moment où le désaveu de ceux qui nous gouvernent est total mais si nous laissons agir ce qui nous a conduit là les politiques impérialistes de droite ou de gauche, le sacrifice du monde prolétarien, de la production, de la recherche, de la formation, par le capital, et la soumission à ceux qui ont accepté cela nous n’aurons comme résultat que le fascisme. Il faut une autre politique, une rupture et mesurer en quoi le monde qui est déjà là nous aide à construire cette perspective.
danielle Bleitrach
(1) Jacques Duclos sur ces épisodes lire le tome IV des mémoires de Jacques Duclos -1945-1952 ou les débuts de la IVe république, mais c’est l’ensemble de ces mémoires qu’il faut lire et relire pour avoir une véritable histoire du parti communiste français et de la « France contemporaine »..
(2) nous avons écrit deux ouvrages sur l’histoire de Marseille qui traitent de ces épisodes et en particulier du rôle joué par la rébellion marseillaise sur l’éviction du parti communiste. je publie à l’intérieur une lettre que Gaston Deferre adresse quasiment aux services secrets des USA pour les mettre en garde contre certains de leurs emissaires qui sont des voyous, il conseille de le laisser évincer les communistes ce qu’il fera mieux que personne. Ces deux livres sont :
- L’usine et la vie : luttes régionales, Marseille et Fos, avec Alain Chenu, Maspero éditeur, 1979 :
Il s’agissait à partir d’une enquête concernant plus de 5 000 ouvriers de la zone de Fos-sur-Mer et de nombreuses entreprises (sidérurgie, pétrole, métallurgie, etc.) de comprendre comment les modes de vie contribuaient à créer des types différenciés d’ouvriers ;
- Classe ouvrière et social démocratie : Lille et Marseille, avec Jean Lojkine, Ernst Oary (Alain Chenu), Christian Delacroix et Alain Maheu, Éditions sociales, 1981 :
Étude comparative de deux modes de gestion municipale ouvrière. Dans les deux cas il s’agit d’analyser les modes d’hégémonie ouvrière, comment l’organisation, son idéologie a réussi à développer des formes originales de solidarité ;
(3) la référence historique incontournable sur ces « évenements marseillais » demeure l’ouvrage écrit par Maurice Aghulon en collaboration avec l’un des acteurs : CRS à Marseille, « la police au service du peuple » 1944-1947, en collaboration avec Fernand Barrat, Paris, Armand Colin, 1971.
(4) Le chemin de l’honneur
![]() | Florimond Bonte Editions » Hier et Aujourd’hui » 1949 De août à septembre 1939 le gouvernement Daladier prend un certain nombre de dispositions interdisant la presse communiste et l’existence même du Parti Communiste. Les communistes sont poursuivis, la dénonciation est sollicitée. Arrêtés, emprisonnés, déportés dans des camps de concentration français les communistes et leurs sympathisants sont les ennemis désignés. Les députés n’y échappent pas. Traqués, emprisonnés, leur immunité parlementaire est levée. Poursuivis sur la base d’un faux ils sont jugés à huit clos par un tribunal militaire. C’est cette partie souvent méconnue de notre histoire qu’aborde Florimond Bonte dans cet ouvrage sous-titré : « De la Chambre des Députés aux prisons de France et au bagne d’Afrique. » Il apporte la preuve évidente d’une collaboration étroite de la France avec l’Allemagne nazie et ce, bien avant juin 1940. |
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