Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le sommet de Tianjin et l’espoir d’un ordre international plus juste face à Chicapocalypse…

5 septembre 2025

L’incapacité de tous nos médias et de toutes nos « élites » à se situer ne serait-ce qu’au niveau d’un simple compte-rendu de ce qu’ont été les propositions du président chinois. L’incapacité à percevoir non seulement les nouvelles institutions comme les BRICS mais la revitalisation de l’ONU, pour qu’elle soit plus représentative du sud, de toutes les nations souveraines. C’est un vaste chantier institutionnel auquel toutes les nations peuvent contribuer et qui auront des incidences sur leur propre conception de leur place dans le monde, dans les régions, dans les relations bilatérales comme avec d’autres continents, une occasion de revitaliser le meilleur de leur propre histoire. Face à cet espoir, ce vaste chantier, quelle est la réaction quasi unanime du cirque politico-médiatique français, c’est la médiocrité des interprétations partisanes, les phrases tronquées pour alimenter la paranoïa, le consensus atlantist-UE-otanesque sur lequel reposent « l’austérité » imposée comme une nécessité, les maquignonnages politiciens de la « représentation nationale ». L’électoralisme timoré qui alors se condamne à suivre Macron et ses folies bellicistes, donne une voie royale et pour le moment irrésistible au Rassemblement national qui devient la seule force d’opposition d’un tel aveuglement organisé autour de la paix et de la sécurité. (note et traduction d’histoireetsociete)

C’est Trump lui même qui s’est représenté ainsi : samedi 7 septembre, il a partagé une image créée par IA le représentant devant les gratte-ciels de la troisième ville des Etats-Unis avec des hélicoptères, des flammes et l’inscription « Chipocalypse Now ». Référence au film Apocalypse Now, de Coppola 1979 qui dépeint la guerre de l’Amérique au Vietnam. Notez que la guerre peut ainsi se décliner entre Chi(la Chine) et Chi (Chicago). Nous sommes bien dans un système dans lequel la guerre civile et la guerre impérialiste se confondent et dans lequel nos propres dirigeants « européens » veulent nous entraîner parce qu’ils ont peur de ce que leur propre peuple leur réserve quand l’empire les aura laissé tomber comme de vulgaires boat people. Ce à quoi le dessin bon enfant ci-dessous répond : n’ayez pas peur de nous, nous représentons l’ordre, la sécurité.. le monde multipolaire…

Alfred de Zayas

Le sommet de Tianjin et l’espoir d’un ordre international plus juste

Genève.

Le 1er septembre 2025, à Tianjin, en Chine, l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) a conclu son 25e sommet, avec la participation du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, de nombreux chefs d’organisations internationales, du secrétaire général de l’ASEAN, Kao Kim Hourn, du secrétaire général de la Communauté des États indépendants, Sergueï Lebedev, et des présidents ou premiers ministres de 24 États, dont l’Égypte, l’Inde, l’Indonésie, le Pakistan et la Turquie. 

Le point culminant du sommet a été l’Initiative pour la gouvernance mondiale (GGI) présentée par le président chinois Xi Jinping, réaffirmant les aspirations de la « majorité mondiale » pour un ordre mondial inclusif et équilibré basé sur la validité continue de la Charte des Nations Unies. Les cinq principes du président Xi Jinping pour une gouvernance mondiale juste et équitable visent à garantir une architecture de sécurité pour tous, un cadre multilatéral pour promouvoir la paix et la prospérité dans le monde pour les générations futures. En bref, « Premièrement, nous devons adhérer à l’égalité souveraine. Deuxièmement, nous devons respecter la primauté du droit international. Troisièmement, nous devons pratiquer le multilatéralisme. Quatrièmement, nous devrions préconiser une approche axée sur les êtres humains. Cinquièmement, nous devrions nous concentrer sur la prise de mesures concrètes ».

 À tout le moins, ce sommet a prouvé que le monde unipolaire défendu par les États-Unis, les habitudes néocoloniales des Européens, l’état d’esprit associé au « fardeau de l’homme blanc » de Rudyard Kipling, n’ont pas d’avenir. La réalité confirme que nous sommes entrés dans un scénario multipolaire où les questions mondiales devront être abordées de manière multilatérale.

80 ans des Nations Unies

En l’an 2025, quatre-vingts ans après l’adoption de la Charte des Nations Unies, la communauté internationale est confrontée à des défis de taille en matière de gouvernance mondiale. L’érosion de l’autorité des Nations Unies, son incapacité à prévenir les guerres, à arrêter le génocide à Gaza, à gérer efficacement les défis du changement climatique, manifestent la nécessité de renforcer les pouvoirs d’application de l’ONU. Non seulement l’ONU elle-même, mais d’autres agences de l’ONU et organisations associées, y compris l’Organisation mondiale du commerce, souffrent d’un manque de mécanismes d’application. Parce que le monde de 2025 n’est pas le monde de 1945, il est évident que les Nations Unies et leurs agences doivent devenir plus représentatives du monde d’aujourd’hui et que les pays en développement, ce que nous pouvons appeler la « majorité mondiale », doivent avoir une voix décisive dans la gouvernance mondiale. L’ONU, et en particulier le Conseil de sécurité de l’ONU, doit être réformée pour assurer une représentation équitable de tous les États membres.

La gouvernance mondiale exige des règles uniformes, pas un « droit international à la carte », mais un ordre fondé sur des règles — déjà énoncé dans la Charte des Nations Unies, la Convention de Vienne sur le droit des traités, la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, les Conventions de la Croix-Rouge de Genève, la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et des centaines d’autres conventions, protocoles et déclarations. Les Nations Unies ont fait un travail exceptionnel d’établissement de normes, ont mis en place des mécanismes de surveillance, des comités d’experts, des procédures spéciales et des instances judiciaires internationales. Hélas, il y a un manque flagrant de mise en œuvre, car les rédacteurs de la Charte des Nations Unies n’ont pas établi de système pour l’application effective des normes internationales.

Autorité et crédibilité de l’ONU

L’autorité et la crédibilité de l’Organisation des Nations Unies ont été considérablement affaiblies par les violations flagrantes de la Charte des Nations Unies commises par les États membres de l’ONU, y compris les membres permanents du Conseil de sécurité. Les arrêts, ordonnances et avis consultatifs de la Cour internationale de Justice sont ignorés par de nombreux pays, notamment les États-Unis et les pays européens. Des mesures coercitives unilatérales sont imposées aux juges de la Cour pénale internationale en total désaccord avec contre l’éthique judiciaire internationale. Parmi les autres violations flagrantes du droit international, citons le bombardement de la Yougoslavie en 1999 par les pays de l’OTAN, en violation de l’article 2(4) de la Charte des Nations Unies. Bien que l’affaire ait été portée devant la Cour internationale de justice par la Serbie-et-Monténégro, la CIJ n’a pas exercé sa compétence et n’a pas clairement conclu que les bombardements de l’OTAN sans l’approbation de l’ONU constituaient des « faits internationalement illicites » au sens du projet de code de 2001 sur la responsabilité de l’État. De plus, les victimes avaient droit à un recours et à une réparation, selon le principe ubi IIS, IBI remedium. La souveraineté et l’intégrité territoriale de la Yougoslavie ont été délibérément démantelées. La CIJ a échoué non seulement pour le peuple yougoslave, mais aussi pour l’humanité dans son ensemble, parce qu’un « précédent de licéité » fatal a été établi, une culture de l’impunité qui a facilité les agressions et les crimes ultérieurs de l’OTAN en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie, etc. L’invasion et la dévastation de l’Irak en 2003 par les États-Unis et la « coalition des volontaires » ont été dûment qualifiées par le secrétaire général de l’ONU de l’époque, Kofi Annan, de « guerre illégale ». Mais personne n’a jamais été tenu responsable, et les médias dominants occidentaux ont largement approuvé et applaudi l’interdiction de la « coalition des volontaires ». 

Il s’agissait, dans un sens très réel, d’une révolte contre le droit international et la morale internationale, commise non pas par « les suspects habituels », mais par les États qui se proclament les défenseurs de l’État de droit et des droits de l’homme. Parmi les hors-la-loi figuraient les dirigeants des États-Unis, de l’Australie, du Canada, du Royaume-Uni, de l’Espagne et de l’Italie. Au lieu de défendre la paix et de réaffirmer l’égalité souveraine des États, les pays de l’OTAN ont adopté le modus impérialiste du « changement de régime » et ont proclamé effrontément la vision triomphaliste de Francis Fukuyama de la fin de l’histoire et de la « victoire » de l’Occident sur le reste du monde.  

Cette Pax Americana était et est totalement incompatible avec la Charte des Nations Unies, qui promeut le multilatéralisme et rejette l’animus dominandi néocolonial, la prétention à une domination totale sur le monde. Bien sûr, l’ordre mondial américain est dans la tradition de l’impérialisme britannique, des deux guerres de l’opium du 19ème siècle (que les Chinois n’ont jamais oubliées ni pardonnées), de l’exploitation criminelle et de la spoliation de l’Afrique et de l’Asie par les puissances coloniales européennes. Dans l’ordre mondial américain et européen, il n’y a pas de place pour des excuses et des réparations pour les crimes commis au nom de la « civilisation ». Jusqu’à présent, l’ordre mondial imposé par les États-Unis au reste du monde s’est appuyé sur la force brutale, l’intimidation et le chantage. Le mantra dominant reste « la force est la loi » – et ce que les Romains appelaient vae victis. C’est cet état d’esprit impérial qui conduit aux tragédies de la Libye, de la Syrie, de l’Ukraine et de la Palestine. C’est une autre raison pour laquelle l’Initiative alternative chinoise pour la gouvernance mondiale semble si attrayante.

Gouvernance mondiale équitable

Une gouvernance mondiale juste et équitable rapprocherait de la réalité l’aspiration de tous les êtres humains à vivre ensemble en paix. Il mettrait en avant le slogan du Bureau international de la paix « Désarmement pour le développement » et permettrait la réalisation des objectifs de développement durable. Une gouvernance mondiale équitable signifierait la reconnaissance et l’acceptation de l’égale dignité de tous les membres de la famille humaine, la célébration de la riche diversité des civilisations du monde au sens de l’Acte constitutif de l’UNESCO. 

Personnellement, j’ai toujours cru que le droit était une expression de la civilisation, une condition à l’exercice des droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux. La Charte des Nations Unies est le seul ordre fondé sur des règles internationalement reconnu, et elle reste un guide indispensable pour les 193 États membres de l’ONU, ainsi que pour les États observateurs et les peuples qui aspirent à y adhérer. 

À l’heure actuelle, de nombreuses commissions et comités examinent divers modèles de réforme de l’ONU. En ma qualité d’expert indépendant de l’ONU sur l’ordre international (2012-2018), j’ai produit 14 rapports pour l’Assemblée générale de l’ONU et le Conseil des droits de l’homme et formulé 25 principes d’ordre international. J’ai formulé des recommandations concrètes, pragmatiques et réalisables pour réformer le système des Nations Unies, mais jusqu’à présent, il n’y a pas eu de suivi. J’ai développé mes préoccupations dans ma « trilogie des droits de l’homme » – trois livres consacrés à l’avancement de la cause du droit international, des droits de l’homme et du droit à la solidarité internationale.

La fonction la plus noble de l’ONU reste la prévention des conflits et le maintien de la paix. Hélas, au cours des trente dernières années, nous assistons à une attaque incessante contre les principes fondamentaux du droit international, à la violation délibérée des traités internationaux (pacta sunt servanda, Convention de Vienne sur le droit des traités, art. 26), à la violation d’ordonnances contraignantes de la Cour internationale de Justice, à l’imposition de mesures coercitives unilatérales aux membres de la Cour pénale internationale. Les principes les plus importants du droit international sont violés par des pays appartenant à « l’Occident collectif » qui prétendent imposer leur volonté au reste du monde, notamment en imposant des mesures coercitives unilatérales illégales – et mortelles – et en imposant des tarifs qui violent l’essence même de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce et du traité de l’OMC.

Cette rébellion contre le droit international et la morale est de mauvais augure pour la paix, la stabilité et la prospérité mondiales. Le monde n’est pas en paix – nous assistons à un génocide en cours contre le peuple de Palestine, nous assistons au bombardement brutal de cibles civiles, d’hôpitaux, d’écoles, de mosquées, à la famine délibérée de la population de Gaza. Jusqu’à présent, l’ONU et la Cour internationale de Justice n’ont pas été en mesure d’arrêter le génocide, n’ont pas été en mesure de fournir une aide significative au peuple palestinien affamé. La doctrine de la « responsabilité de protéger » (résolution 60/1 de l’Assemblée générale, paragraphes 138 et 139) a été abandonnée par les États mêmes qui l’ont lancée. En effet, s’il y avait un cas pour la R2P, c’est la protection des Palestiniens !

L’évolution géopolitique de la Chine

Ces dernières années, la Chine a mis en avant une série de nouvelles idées et initiatives dans le domaine de la gouvernance mondiale, notamment la vision d’une consultation approfondie, d’une contribution conjointe et d’avantages partagés, du multilatéralisme et du strict respect du caractère sacré des traités et de la primauté du droit international

Que nos think tanks le reconnaissent ou non, la Chine est devenue un acteur majeur dans les affaires internationales et jouit d’un niveau de confiance et de crédibilité que les États-Unis ont gaspillé au cours des dernières décennies. Les contributions de la Chine dans le domaine de la gouvernance mondiale sont prises au sérieux par de nombreux universitaires et font l’objet de débats dans de nombreuses universités. Hélas, les « élites » gouvernementales occidentales ont une peur irrationnelle de la Chine et lui ont attribué le rôle d’« ennemi ». La diabolisation incessante de la Chine et de ses dirigeants nous fait plus de mal qu’à la Chine elle-même et constitue en fait une forme de « discours de haine », en violation de l’article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Les initiatives de la Chine en faveur de la paix en Ukraine étaient neutres, justes et réalistes. Pourtant, dans un monde où l’hégémon américain ne veut pas partager le pouvoir, les propositions chinoise et africaine sont tombées dans l’oreille d’un sourd. Je me suis également efforcé d’élaborer un plan pour la paix en Ukraine, qui a été largement ignoré.

Le Sommet de Tianjin a une fois de plus démontré que la Chine et la « majorité mondiale » veulent la paix et une démocratisation des Nations Unies afin de pouvoir parvenir à une gouvernance mondiale équitable. Le sommet de Tianjin fait suite aux déclarations des BRICS, notamment la déclaration de Kazan de 2024 et la déclaration de Rio de Janeiro de 2025. Les BRICS représentent le meilleur espoir pour l’humanité, c’est-à-dire l’élaboration d’un système multilatéral pour une coopération gagnant-gagnant au lieu d’une confrontation perdant-perdant. En septembre 2025, le groupement des BRICS représentait plus de 45 % du PIB mondial (nominal) et plus de 50 % en PPA. Les BRICS représentent plus de la moitié de la population mondiale et contrôlent des parts importantes des réserves énergétiques mondiales, de la capacité industrielle et des ressources minérales critiques. L’initiative chinoise « la Ceinture et la Route » est également très prometteuse pour l’avenir de l’Asie, de l’Afrique – et peut-être aussi de l’Europe.

Il convient également de mentionner qu’en novembre 2025, le deuxième Sommet pour le développement durable se tiendra à Doha, au Qatar. On s’attend à ce que la Chine, l’Inde et les pays en développement contribuent de manière significative à son succès. Hélas, le précédent Sommet de l’ONU sur l’avenir et le Pacte de l’ONU pour l’avenir semblent être une collection aléatoire d’objectifs pieux qui ne pourraient apporter la paix et la justice que s’ils étaient équipés de mécanismes d’application crédibles.

En tant que professeur de droit international, je prends au sérieux l’Initiative pour la gouvernance mondiale (GGI) proposée par le président Xi Jinping lors de la réunion « Shanghai Cooperation Organization Plus » à Tianjin. En effet, il est crucial de continuer à travailler avec tous les pays pour un système de gouvernance mondiale plus juste et équitable afin de progresser vers une communauté de destin pour l’humanité. 

Alfred de Zayas est professeur de droit à l’École de diplomatie de Genève et a été expert indépendant des Nations Unies sur l’ordre international de 2012 à 2018. Il est l’auteur de douze livres, dont « Building a Just World Order » (2021), « Countering Mainstream Narratives » 2022 et « The Human Rights Industry » (Clarity Press, 2021).

Rien n’a changé, l’ordre européen et atlantiste est celui de la civilisation contre la « barbarie » même quand la civilisation est celle qui produit Auschwitz, Hiroshima, Gaza et l’ordre impérialiste qui est trafic de la mémoire…

Views: 57

Suite de l'article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.