Voici un tableau qui a toute chance d’être réaliste quant au diagnostic et dans lequel est révélé non seulement ce qu’est l’UE, mais le sort de la France qui ressemble plus à celui de la Grèce en proie à ses créanciers et aux politiques néo-libérales qu’à la France que nous imaginons encore. Est-ce que les Français mesurent bien l’état réel dans lequel des gouvernements successifs, en particulier depuis Mitterrand ont laissé la France. Désindustrialisation, toujours dans une quelconque expédition militaire sous des prétextes humanitaires en fait avec la bande de pillards habituels, l’UE désormais c’est l’Allemagne. Ce texte nous vient d’Amérique latine sous la pression d’une utopie “internationale progressiste” qui rassemblerait les pays du sud avec Varoufakis. Le diagnostic est malheureusement juste, mais comme il évite soigneusement toute issue nationale pour offrir à la social-démocratie son ultime avatar, la chute ne mène pas très loin (note et traduction de Danielle Bleitrach).
Mardi 9 juin 2020 par CEPRID
Alberto Cruz
CEPRID
Un trimestre, trois mois, 90 jours. Cela fait combien de temps que la pandémie COVID-19 ravage l’Europe. Pendant tout ce temps, l’UE a témoigné de sa mort cérébrale, sans aucune possibilité de changement ou de réforme. Trois mois de désespoir car les pays du Nord ont montré qui est en charge et sous quels paramètres. Trois mois au cours desquels le rêve d’une “Europe de solidarité” a disparu du paysage. Trois mois au cours desquels il a été démontré qu’il n’y a pas d’Union européenne, mais trois (ou quatre). Et quand tout a semblé perdu, l’UE a fait un mouvement comparable au râle terminal des mourants et a proposé des prêts, qui doivent être remboursés avec leurs intérêts respectifs (revendication principale des pays du Nord), et des subventions (revendication principale des pays méditerranéens).
Et l’euphorie est déclenchée par le chœur habituel : les rapports enthousiastes sur la grande quantité d’argent, ça y est l’UE est en train de se racheter. Mais il n’en est rien. C’est de cela que parlera cet article.
Ce n’est que le 27 mai que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé une proposition visant à “revitaliser les économies européennes” touchées par la pandémie. Mais ce n’est rien de plus qu’un programme “temporaire et transitoire”, comme elle l’a dit elle-même, et qui n’a pas encore été examiné par le Parlement et le Conseil européen. Traduisez: dans le cas le plus optimiste, il y en a encore pour trois mois.
Par conséquent, parler de quantités est incorrect ou, du moins, incertain parce que la portée finale de cet acte fait toujours l’objet de négociations dans lesquelles tous les pays, et en particulier ceux du nord, ont le couteau entre les dents. En tout état de cause, dans sa formulation actuelle, qui ne sera pas définitive, la Commission européenne est autorisée à emprunter sur les marchés pour un montant total de 750 000 millions d’euros, dont 500 000 devraient être transférés aux pays en fonds non remboursable et les 250 000 restants sous forme de prêts à rembourser. Mais ces deux ressources, sous quelle que forme qu’elles soient approuvées, ne seront disponibles qu’en avril 2021 et seulement pour une période de trois ans bien que, oui, une période de 30 ans soit accordée pour leur remboursement. En d’autres termes, une génération sera redevable à vie.
Face à ce plan, un plan beaucoup plus ambitieux a émergé de la Banque centrale européenne offrant 1,35 billion d’euros.
En tout cas, par rapport à ce qui est proposé, il y a un très long chemin à parcourir et la crise est déjà là et tout ce temps elle laisse déjà des corps dans les civières, au propre comme au figuré. Surtout parce que, du fait de la fracture de l’UE, la confrontation entre le nord et le sud de l’Europe s’intensifie déchiré par des extrêmes qui mettent en doute son avenir, s’il en avait un maintenant.
Trois Europes (ou quatre)
Ces trois mois, nous avons assisté non pas à un différend idéologique entre gouvernements, mais à un simple différend monétaire entre ceux qui veulent maintenir les anciennes règles pour continuer à avoir une position privilégiée qui leur a permis de faire des profits aux dépens des pays du sud, et qui ont imposé leurs critères, et ceux qui recherchent la compréhension et la solidarité. Et c’est ici que l’on a vu qu’il y a trois Europes: la nordique ou allemande, la méditerranéenne et le Visegrád. Ou quatre, si l’on tient compte du traité franco-allemand.
1.- Europe nordique ou mieux l’Europe allemande (Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Danemark et Finlande) insistant sur le mécanisme européen de solidarité pour qu’aucun pays n’échappe à la troïka (comme la Grèce). Bien que le discours qui a été transmis insiste sur le fait que le cas grec ne sera pas répété, qu’il n’y aura pas d ‘”hommes en noir” qui imposeront des politiques austères, il y aura des “hommes en gris” qui surveilleront les dépenses et ceci dans quelle règle du jeu bien que, apparemment, en laissant de côté les dépenses sanitaires. Mais cela reste à voir. Des tentatives sont faites pour éviter l’impression que les fameuses primes de risque sont restituées, mais c’est quelque chose qui sera inévitable. Il y a donc très peu de solidarité. Les Pays très endettés (Italie, Espagne, Portugal, Irlande et Grèce, même la France) auront des difficultés car ils devront restituer des sommes importantes. C’est-à-dire, encore une fois, des “coupes”, même si elles ne seront pas immédiates exigées comme pour la Grèce mais espacées dans le temps car les pays d’Europe nordique ou allemande refusent catégoriquement de partager les bénéfices des émissions communes.
2.- L’Europe méditerranéenne (Portugal, Irlande, Italie, Grèce, Espagne, Belgique, Chypre, Luxembourg et France; c’est-à-dire les fameux et par dénigrement dénommé PIIGS). Elle est la plus touchée et celle qui a le plus fait pression pour une initiative financière commune de lutte contre la pandémie, en essayant la formule des «coronabons» et non celle du mécanisme européen de solidarité. Il a été seulement réussi à faire en sorte que l’aide sanitaire ne soit pas sous le contrôle de la troïka.
3.- Visegrad Europe (Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, Lituanie, Estonie et Lettonie), un groupe viscéralement antirusse et le grand coin des États-Unis pour affaiblir l’UE car, en même temps, il isole l’Allemagne dans ses prétentions à assouplir les relations avec la Russie (voir, par exemple, sa position sur le pipeline “North Stream 2”). Bien qu’ils aient eu une position nuancée dans cette crise, ils n’ont permis l’assouplissement des conditions que pour agacer l’Allemagne et les “Nordiques”.
4.- Le traité franco-allemand. La France est le maillon faible de l’Europe méditerranéenne car elle a toujours l’ambition de devenir le pivot de presque tout. D’une part, elle parie et maintient les mêmes exigences et demandes que l’Europe méditerranéenne mais, d’autre part, elle ne renonce pas sa tentative de devenir l’autre pôle de l’Europe avec l’Allemagne. En fait, en janvier 2019, elle a signé un traité avec l’Allemagne pour «revitaliser l’UE» et pouvoir concurrencer les États-Unis et la Chine. Pour cette raison, les deux pays sont parvenus à un accord qui visait à sortir l’UE de la mélasse en proposant 500 000 millions d’euros, ce qui, s’il a eu un quelconque mérite, a été d’ouvrir la possibilité de dépasser le montant total que la Commission européenne avait initialement proposé (350 000 millions), le dépassent désormais avec la quantité offerte de 750.
En d’autres termes, sur les 27 pays qui composent l’UE, 21 au total sont déjà alignés sur l’un ou l’autre, et les autres optent pour l’un ou l’autre selon les circonstances. L’Union européenne est alors très contestable car elle n’est que de forme et non de fond.
Si l’UE a clairement fait comprendre quelque chose en ce moment, c’est qu’il n’y a pas d ‘”union” solidaire, que tout est conditionné et que tout repose sur certains intérêts. La défaite de l’Europe méditerranéenne est claire, malgré les nuances, car ceux qui ont bénéficié du design européen pendant des décennies ne vont pas y renoncer volontairement et l’ont à nouveau très clairement expliqué. Et que personne ne donne de l’argent gratuit, donc sous l’apparence de “solidarité” un nouveau paquet de “réformes” est caché car en même temps il est offert que l’aide, il est souligné qu’il faut reprendre les affaires comme d’habitude, bien que par d’autres moyens: “Un processus soudain de réduction de la dette est nécessaire, modifiant les priorités de dépenses afin qu’il y ait de la place pour des investissements supplémentaires.” Traduction du langage technocratique,
Nous sommes confrontés à un monde d’apparences car dans une lettre (1) que le directeur du mécanisme de solidarité européen, l’allemand Klaus Regling, a envoyé dans les pays européens il est dit que “la Commission européenne clarifiera le suivi et la surveillance” des fonds c’est-à-dire qu’ils essaient de dire, sans le dire, que ce qui va se passer en Grèce ne se produira pas et qu’il y aura une “vigilance accrue”, comme il sera dit plus tard, “par la Commission [européenne] et la Banque centrale européenne ” Ces deux instances, avec le FMI, sont la célèbre troïka qui a détruit la Grèce en 2015. Dès que le FMI apparaîtra quelque part, et il apparaîtra, la situation sera la même, exactement la même que celle de la Grèce en 2015. Maintenant, ils se cachent dans cela, dans lequel le FMI ne doit pas dire formellement que la situation ne sera pas comme elle l’était alors avec la Grèce.
Mais que signifie «surveillance renforcée»? Eh bien, ce n’est rien de plus qu’un contrôle plus strict des dépenses publiques, c’est pourquoi aux Pays-Bas, correveidile allemand, on a dit que les prêts devaient être payés et que de “nouvelles” coupes “n’étaient pas exclues” c’est-à-dire, plus de destruction du public au profit du privé. C’est, plus ou moins la même chose.
La seule chose qui peut être signalée est que la lettre en question précise que les conditionnalités, le paiement du prêt, ne seraient pas automatiquement activées mais se feront selon les termes fixés dans la négociation. Ces délais fixés par la Commission européenne décrits ci-dessus.
Règles de l’Allemagne
Au milieu de tout ce tourbillon de paroles, où chacun dit ce qui lui plait, je propose, un autre propose, il y a deux choses à prendre en compte: la première, c’est que l’Allemagne fait et défait en Europe. Elle est celle qui commande, ordonne, décide et tue; la seconde, qu’il y ait soit rébellion, soit soumission, ça sera comme ça.
Le 6 mai, la Cour suprême allemande a de nouveau précisé très clairement: c’est elle qui décide de ce qui est légal et ce qui ne l’est pas. Parce que dans une phrase rendue publique, la décision a été lue à la Banque centrale européenne pour l’achat massif d’obligations en 2015 avec lequel elle a sauvé les États (celui de “nous ferons ce qu’il faut pour sauver l’euro”) d’une autre crise telle que la 2008. Selon le traité de Maastrich (1992), entériné à Lisbonne (2007) avec des modifications censées “améliorer le fonctionnement des institutions européennes et renforcer les politiques communes”, ce sont les instances européennes qui prévalent sur les instances nationales. Eh bien, non, l’Allemagne a encore une fois précisé son hégémonie.
Le TS allemand se permet le luxe de demander des “clarifications immédiates” à la BCE – et lui donne un délai de trois mois pour le faire – sur sa politique monétaire à un moment où aucune mesure n’a encore été prise pour combattre sanitairement ou financièrement la pandémie. On a parlé, on a proposé, mais il n’y a toujours rien de concret. C’est le vide dont le TS allemand profite pour attaquer la même idée de l’UE disant, en cas de doute, que si elle n’apporte pas de réponse, la Banque centrale d’Allemagne ne participera pas aux programmes de la BCE.
Qu’y a-t-il derrière? Eh bien, rien de plus ni de moins que la constatation que “l’argent allemand” ne doit pas aller aux pays les plus faibles s’ils “ajustent” leurs instruments fiscaux. En d’autres termes, s’ils n’augmentent pas leurs politiques publiquement destructrices et n’ “ajustent” pas leurs budgets pour les rendre plus austères. Encore plus.
Dans la pratique, ce que le TS allemand a fait a été de lancer un ultimatum: soit vous jouez comme je le dis, soit l’histoire se termine là. L’Allemagne a déjà refusé les coronabonds, imposé le mécanisme européen de solidarité (qui sont des prêts qui doivent être remboursés) et le renforce désormais par ce chantage clair, démontrant qu’il s’agit de la seule véritable puissance “communautaire”.
Car au rapavolvo à la BCE il faut ajouter celui qu’il donne à la Cour de justice de l’UE, qui avait entériné la position de la BCE. Et la CJUE est censée être la plus haute autorité judiciaire de l’UE. Eh bien non, c’est beaucoup moins.
Le TS allemand a annulé la hiérarchie des pouvoirs, tant judiciaires qu’économiques, sur laquelle l’UE serait fondée. Ceci est censé être, et doit être supposé, l’essence de Maastricht et de Lisbonne. Autrement dit, il a été mis en noir sur blanc que les traités européens sont définitivement subordonnés à l’intérêt allemand.
Une petite émeute
La décision du TS allemand a déclenché toutes les alarmes dans le peu qui reste de la dignité européenne et l’Allemagne a rappelé que la réglementation européenne stipule que si un pays ne respecte pas les règles (comme cela a été le cas en Allemagne avec cette décision), l’UE d’abord émet un “avertissement” et va ensuite devant le tribunal. En d’autres termes, la Cour supérieure de justice de l’UE et de l’Allemagne devrait être officiellement dénoncée pour non-respect des règles. Mais cela a été fait du bout des lèvres, émettant une simple menace verbale sans passer à l’étape formelle de l ‘”avertissement”. La différence est significative et non banale. Premièrement, parce que la menace est bien réélle, une menace. Deuxièmement, parce que prendre la mesure légale de «mise en garde» signifie une guerre ouverte avec la grande puissance allemande. Et personne ne va faire ça en Europe.
L’UE est à la croisée des chemins: elle ne peut pas juger la Cour suprême allemande car elle ignore la CJUE et cela signifierait le dynamitage total de l’UE. Par conséquent, l’UE est obligée de s’aligner même si c’est dans la situation du chien qui aboie mais ne mord pas. Et voilà qu’apparaît Cristine Lagarde, ancienne directrice du FMI et désormais directrice de la Banque centrale européenne, lançant une balle et disant que la BCE n’est pas du ressort de la CJUE mais du Parlement européen et c’est pourquoi elle continuera à agir de la même manière que maintenant. Bon discours, non? Cela dépend de la façon dont vous le voyez, car immédiatement après elle a ajouté: “J’espère qu’une bonne solution va être trouvée au conflit qui respecte l’indépendance de la BCE, la primauté du droit européen et la validité de l’arrêt” (2). En d’autres termes, même Salomon n’aurait pas pu faire mieux pour plaire à tout le monde.
C’est dans ce contexte trouble que la France semble vouloir conclure un accord avec l’Allemagne et la BCE offrant le triple de ce que la Commission européenne a proposé. L’enjeu est, ni plus ni moins, que l’avenir de l’UE et même si celle-ci s’ en sort, elle est tellement touché qu’elle ne supportera guère un nouvel assaut. Malgré les apparences, l’UE est beaucoup plus affaiblie qu’il n’y paraît et a atteint une situation où elle ne peut que se maintenir, et avec elle, sa monnaie, de deux manières: pour renforcer encore la subordination à l’Allemagne (en inclinant son TS) ou d’assumer quelque accord solomonique comme ceux qui apparaissent maintenant qui, de toute façon, ne signifieront qu’une trêve temporaire sans le moindre doute.
L’alternative
Y a-t-il une alternative à tout cela? Il pourrait y avoir, conditionnel. Six pays d’Europe méditerranéenne (France, Italie, Espagne, Portugal, Grèce et Chypre) ont officiellement demandé à la mi-mai un fonds de relance de 1,5 milliard d’euros, soit à peu près le montant que vient de proposer la Banque centrale européenne . Ils n’ont pas osé repenser la question des Coronabons, mais ils ont demandé une plus grande rapidité dans la prise de décisions et avec cela ils ont fait pression sur le reste des pays, en particulier l’Europe nordique ou allemande pour voir si à la fin de ce mois ou début juin il y avait quelque chose.
C’est au début du mois de juin que la BCE a répondu avec son offre, ce qui a sans aucun doute renforcé quelque peu la position de ces pays au sein de l’UE. Si la démarche de l’Europe méditerranéenne ne s’arrête pas là, ce serait une formule intermédiaire parfaite pour proposer une alternative à la catastrophe que nous voyons dans l’UE. Parce que l’UE est morte et ne jouit plus que d’un semblant de vie et peut-être qu’il y a une Europe fragmentaire; une Europe méditerranéenne, par exemple.
Alberto Cruz est journaliste, politologue et écrivain. Son nouveau livre est «Les sorcières de la nuit. Le 46e “Taman” Régiment d’aviateurs soviétiques de la Seconde Guerre mondiale “, édité par La Caída avec la collaboration du CEPRID et qui en est maintenant à sa troisième édition. Les commandes peuvent être passées à books.lacaida@gmail.com ou à ceprid@nodo50.orgOn le trouve également dans les librairies.
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une seule solution passer au socialisme avec ou sans l’U E.