Il y a quelque chose de bizarre dans cette euphorie qui m’a prise et ne me lâche pas, tant que je me protège et que je reste sur le fondamental. c’st comme dans ce tableau de Courbet qui illustre l’article: est-ce un hasard si pour peindre l’immensité de son désir le peintre avait choisi un petit format ?
J’ai toujours fait de la politique par devoir, parce que je le devais aux soviétiques et aux communistes qui m’avaient sauvée, parce que je le devais à ceux qui n’avaient pas eu ma chance d’avoir un métier intellectuel et dont je pensais qu’ils bossaient pour me faire vivre (alors qu’ils bossaient pour se faire vivre eux). Comme je ne tenais à rien, je donnais sans compter: Tu veux ça prends-le… Tu veux ma vie, le sacrifice de ma carrière, prends la je ne gardais rien pour demain, j’étais éternelle..
Récemment, aux alentours de l’anniversaire de ma 82e année, j’ai découvert ma totale inutilité politique… Et ce n’était pas seulement la vieillesse même si elle n’arrangeait rien… J’ai eu une véritable révélation, depuis toujours c’était comme ça, moi je le savais mais la plupart des gens continuaient à faire comme s’ils l’ignoraient. Bref, je me forçais pour rien…J’avais même écrit mes mémoires pour aider les miens à prendre conscience et tout cela était vain. C’était moi ce que je représentais mais plus encore le malentendu, ce à quoi on me pensait appropriée.
J’avais déjà subodoré quelque chose de cet ordre à propos du Comité central. André still m’avait expliqué que ne plus être membre du CC était douloureux. Cela m’avait étonné, moi dès mon entrée en fonction je savais que partir serait un soulagement.
Et ça c’est vérifié. Quand le temps et le désaccord firent leur oeuvre, mon premier réflexe a été : quelle chance je ne prendrai plus le soleil dans la gueule à jouer les pots de fleurs sur les estrades durant les meetings. La seconde découverte fut encore plus divine, cela faisait quinze ans qu’un camarade aixois venait à chaque élection m’expliquer qu’il ne voulait pas voter pour le PS. Et moi je me contentais avec patience de lui répéter les conclusions du dernier comité central… et ça durait, ça durait… et invariablement il me disait “bon mais c’est la dernière fois!” Quand je n’ai plus été membre du comité central, il est revenu à la charge et là je me suis libérée: “mon camarade, tu fais un peu comme tu veux! “
Et pour fêter cette liberté retrouvée, j’ai entamé une carrière de globetrotter à travers la planète… Ce qui m’a confortée dans l’idée que ni moi, ni mon pays n’étions au centre de ce devenir : socialisme ou barbarie. Pourquoi est-ce que je me suis obstinée? Dieu seul le sait.
Il y a eu en cet anniversaire de mes 82 ans quelque chose de bien médiocre, de sans le moindre intérêt, le coup de pied de l’âne en quelque sorte… qui m’a révélé mon inutilité et j’ai pensé: le temps qui reste je ne le passerai pas dans de telles conditions.
La joie comme augmentation de la «force d’exister» est une des propositions centrales de l’Éthique de Spinoza. La réponse à l’herem, au bannissement de la synagogue, n’est pas dans la conversion., la vérité n’est dans aucune église, mais dans cet exister, le mien et celui de l’humanité : je vais pouvoir m’intéresser à ce qui m’a toujours passionné en tant que chercheur : la civilisation communiste, ce qui caractérise une civilisation est sa portée historique et culturelle… je vais penser en marchant au bord de la mer et je vais entretenir ma propension à ne pas chercher audience ou influence, mais ce qui me paraît réellement important et surtout l’écriture puisque c’est ce fil de l’existence comme une bouteille à la mer, j’essayerai d’apporter ce que je croit être le meilleur, le juste, si je me trompe,je me serai d’abord trompée moi-même.
Il y a ce caractère chinois : crise à la fois le danger avec opportunité qui dit tout et je me sens lisse comme un galet pour le temps qui reste, celui comme un morceau de pain , il faut que j’en garde pour demain…
A bientôt…
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lemoine001
Est-ce que la vague qui attaque la falaise est inutile ?
Yannick H
Merci Danielle pour ces réflexions matinales toujours parfaitement illustrées.
J’espère que tu ne nous feras pas languir comme un certain Robert Zimmerman pour la sortie du tome 2 de tes mémoires 😉
JC Boulet
Galet et pain … étrange paragraphe qui tranche avec le reste. Telle il semble étranger que c’est peut-être celui qui éclaire vraiment.
La vague n’attaque pas la falaise, sinon pour uniformiser et liquéfier le monde … heureux les poissons.
Vos illustrations, je les apprécie souvent, si ce n’était d’elles, il y a longtemps que j’aurais décroché de vos propos.
Bon anniversaire, il semble que vous soyez en bonne santé.
p.s. Pour ce qui est de votre site, vous pourriez décrocher de googleads et de doubleclick ce serait gentil pour vos visiteurs..
Danielle Bleitrach
bref c’est ce qu’on appelle le charme… qui vous tient alors que vous désapprouvez cette folle créature… mon dieu monsieur que tout cela est convenu…Parce que vous ayez été tenu par une illustration qui est tout au début jusqu’à la dernière ligne prouve que l’écriture vous a parlé d’autre chose que les sarcasmes dont vous prétendez plus ou moins l’accabler, gourmander, redresser et quoi encore… Parce que cette histoire est peut-être comme celle de Shwann dont Proust nous décrit l’obsession amoureuse pendant tout un volume de la recherche du temps perdu et qui se réveille en se demandant pourquoi il a tant resté enchaîné à une “femme qui n’était même pas son type”… Parce que voyez-vous ce que dit ce texte et qui parlera à certains communistes c’est l’idée d’une histoire d’amour fou…
c’est aussi la joie que Spinoza propose : l’amour… C’est semble-t-il ce que Einstein voit comme l’essentiel après s’être reclus tant les êtres humains sont capable du pire dans l’infiniment grand, la guerre, comme dans l’infiniment petit, les relations quotidiennes…
Donc le pain c’est le pain quotidien, celui du travail, du labeur, mais aussi de ces relations qui n’engendrent que souffrance et dont vous tentez de vous protéger en faisant de l’herem une opportunité… le galet c’est la mer mais c’est aussi le secret qui n’est pas dit: celui de toutes les douleurs personnelles, les deuils qui ont fait de ces temps une terrible épreuve, en écrivant le galet lisse j’ai devant les yeux cette image de la mère mythique, Niobé, perdant ses cinquante fils en une seule heure et dont par pitié les dieux la pétrifièrent, elle était comme une pierre cuisant sa douleur… Fille de Tantale, l’éternel inassouvi dont elle partageait l’orgueil…Cet orgueil de ne laisser rien paraître sous les coups, mais qui devint un rocher dont coula une source… jusqu’à la er et la mer n’est point remplie;.. d’image en image cela se tait et se dit… le miracle de l’écriture… voilà une explication de texte des dits et non-dits d’une histoire d’amour fou…