Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Un jeune chinois perspicace juge les Etats-Unis en 1988

Une des leçons essentielles que nous devrions nous Français avoir le courage d’envisager est le fait que non seulement des peuples entiers auquel l’occident avait volé leur histoire avec leurs ressources se la réapproprient mais qu’à leur tour ils portent un regard critique sur l’histoire de l’occident. Nous devons apprendre à vivre dans ces regards croisés qui sont une grande richesse (note et traduction de danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

En 1988, un jeune universitaire chinois a visité les États-Unis. Trente ans plus tard, il deviendrait le quatrième dirigeant au plus haut niveau politique en Chine.

Cet universitaire était Wang Huning.

Pendant son séjour, il a parcouru plus de 30 villes américaines et visité plus de 20 institutions, parmi des universités, des think tanks et des centres de pouvoir intellectuel. Il est arrivé aux États-Unis à son moment de splendeur historique.

Cependant, loin d’être ébloui par les gratte-ciel de New York ou le spectacle de Los Angeles, il a observé des contradictions sociales profondes, structurelles et sans solution au sein du capitalisme américain.

Les conclusions de ce voyage ont été traduites dans son livre America Against America. Wang Huning y identifie une série de conflits fondamentaux :

Premièrement, la contradiction entre les grands idéaux proclamés – « liberté, égalité et démocratie » – et la réalité historique du pays, marquée par l’inégalité structurelle, la discrimination raciale et la domination des groupes d’intérêt. La distance entre le récit de la « ville brillante sur la colline » et les vrais problèmes sociaux engendre la dissonance cognitive, les frictions sociales et les crises périodiques de légitimité politique.

Deuxièmement, le choc entre individualisme extrême et vie communautaire. Cette contradiction se manifeste par des filets de protection sociale faibles, d’énormes difficultés à construire un consensus public et une incapacité chronique à mobiliser la société autour d’objectifs collectifs qui transcendent l’intérêt individuel immédiat.

Troisièmement, la tension entre diversité culturelle et unité nationale. Les États-Unis se présentent comme un creuset de peuples, d’immigrants et de sous-cultures, mais cette même diversité devient une faiblesse structurelle lorsque le système est incapable de construire une identité politique commune et cohésion.

Quatrièmement, le conflit entre égalité politique formelle et inéquité économique réelle. Le principe « une personne, une voix » cohabite avec des inégalités patrimoniales énormes, souvent héritées par des générations. Dans le capitalisme, le pouvoir économique se transforme inévitablement en pouvoir politique par le financement de campagnes, le lobby des entreprises et le contrôle des médias, vidant ainsi la démocratie libérale de contenu réel.

Cinquièmement, les contraintes structurelles du système démocratique américain. Le modèle de contrepoids, de fédéralisme et de « parti à deux factions » a été conçu pour éviter la concentration du pouvoir. Cependant, elle entraîne également la paralysie, la bureaucratisation et l’incapacité à résoudre des problèmes systémiques à long terme. Le processus devient plus important que les résultats. C’est le problème classique d’une démocratie procédurale sans démocratie substantielle.

Sixièmement, le poids de la religion dans un État formellement laïque. La séparation entre l’Église et l’État coexiste avec une société profondément religieuse, où la foi influence décisive la politique publique. Déjà en 1988, Wang identifiait les conflits centraux sur des sujets tels que l’éducation, l’avortement et les valeurs familiales, anticipant des décennies de confrontation idéologique.

Septièmement, la contradiction entre conformisme social et promesse de liberté individuelle. Par le biais du consumérisme et des médias de masse, la société américaine produit l’homogénéisation et la discipline culturelle, même si elle se présente comme un espace de choix libre. La « liberté » se résume à des options commerciales standardisées, ce qui culmine dans la fausse pluralité du système démocrate-républicain.

Huitièmement, la tension entre changement et tradition. Les États-Unis glorifient le progrès, l’innovation et le nouveau, tout en s’accrochant à une constitution du XVIIIe siècle, à des valeurs conservatrices et à des structures institutionnelles rigides. Cette contradiction alimente à la fois leur dynamisme et leurs profondes guerres culturelles et générationnelles.

Il est remarquable qu’un jeune universitaire chinois des années 80, originaire d’un pays alors beaucoup moins développé, ne se soit pas laissé tromper par l’éclat superficiel de Manhattan et ait réussi à identifier avec précision les fissures structurelles du système américain, anticipant des conflits aujourd’hui impossible à dissimuler.

La dernière question est inconfortable mais nécessaire :

Existe-t-il aux États-Unis quelqu’un ayant un niveau comparable de compréhension approfondie de la Chine, de son système politique et de son parcours historique ?

La réponse est claire : non.

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