Les mauvaises langues pourraient dire que la Russie renforce son partenariat avec l’Afrique afin de nuire à l’Occident. Ce n’est pas totalement faux, car la confrontation impérialisme/pays émergents concerne le monde entier, mais c’est loin d’être l’essentiel. En réalité, cette coopération obéit à une logique à l’opposé du néocolonialisme. Comme le souligne l’article, de la très officielle agence Ria-novosti, « le colonialisme a cédé la place à l’exploitation prédatrice postcoloniale du continent par les multinationales. Fortes de leur idéologie néolibérale, celles-ci utilisent leur supériorité technologique pour mettre en œuvre des projets d’extraction de matières premières désavantageux pour l’Afrique« . Cependant, pour l’Afrique, « il est tout à fait approprié de recourir à l’aide d’amis qui ne se sont pas souillés par des aspirations coloniales et qui traitent les Africains non pas avec condescendance, mais comme des égaux« . Cette remarque vaut également pour la Chine, avec la multiplication sur le continent africain des Ateliers Luban (note et traduction de Marianne Dunlop pour histoire et société).
https://ria.ru/20251216/partnerstvo-2062219232.html
Du 19 au 20 décembre, les ministres des Affaires étrangères des pays africains et Sergueï Lavrov se réuniront au Caire. Une délégation de l’Université des mines de Saint-Pétersbourg est également invitée à cette réunion. L’université joue un rôle de premier plan dans la coopération éducative avec l’Afrique, par l’intermédiaire du consortium « Nedra Afriki » (Les ressources minérales de l’Afrique) et du Centre international de compétences en matière d’enseignement minier sous l’égide de l’UNESCO. L’amélioration de la qualité de la formation des spécialistes dans le domaine de l’exploitation des ressources minérales est la question numéro un pour le continent le plus prometteur en termes de ressources minérales.
L’Afrique est à la fois la région la plus riche et la plus pauvre du monde. Ses richesses colossales sont concentrées dans ses sous-sols. Ainsi, le Congo détient environ 50 % des réserves mondiales de cobalt et de lithium. L’Afrique du Sud représente plus de 80 % des réserves mondiales de platine et de palladium et environ 40 % des réserves de chrome. L’Afrique du Sud, le Gabon et le Ghana détiennent à eux trois 70 % des réserves mondiales de magnésium. Et ces estimations pourraient bien être largement sous-évaluées, car l’exploration géologique en Afrique est clairement insuffisante. Quoi qu’il en soit, en termes de ressources naturelles, chaque habitant du continent peut être considéré comme 15 fois plus riche qu’un Européen ou un Américain.
La conjoncture mondiale des marchés des matières premières est également favorable à l’Afrique. En 2025, par exemple, les prix des métaux de la famille du platine ont considérablement augmenté, en particulier ceux de l’or qui, dans un contexte de forte incertitude géopolitique, acquiert un statut particulier d’« actif refuge ».
Dans les années à venir, il faut s’attendre à une augmentation significative de la demande d’autres minéraux utiles provenant du « coffre-fort » africain, en particulier le lithium, le cobalt, le graphite, le nickel et cuivre, car ces matériaux sont indispensables à la production de réseaux électriques et de lignes à haute tension, de batteries, ainsi qu’aux énergies renouvelables, en particulier aux éoliennes.
Même l’Agence internationale de l’énergie a aujourd’hui radicalement revu ses prévisions concernant le pic attendu de la demande en ressources minérales, y compris les combustibles fossiles. On estime désormais que la demande mondiale dans ce segment du marché ne fera qu’augmenter jusqu’en 2050 au moins.
Contrairement à l’Europe, par exemple, l’Afrique ne connaît pas de problèmes démographiques : la forte proportion de jeunes en âge de travailler permet de développer l’économie et le secteur social. Selon les dernières données de l’agence d’analyse S&P Global, environ 12 % de la population mondiale en âge de travailler (de 15 à 64 ans) vit dans la partie du continent située au sud du Sahara. D’ici 2030, ce chiffre passera à 15 %, et d’ici 2050, à 25 %.
Les ressources naturelles et humaines de l’Afrique sont énormes, mais elles ne permettent pas d’assurer aux Africains un niveau de vie même moyen par rapport aux normes mondiales. On trouve ici 19 des 20 pays les plus pauvres du monde. Même dans les économies les plus développées du continent — Afrique du Sud (6 100 dollars américains), Égypte (3 000 dollars), Algérie (4 000 dollars), Maroc (3 300 dollars) — le PIB par habitant est 10 à 20 fois inférieur à celui des leaders mondiaux : la Suisse (90 000 dollars), Singapour (68 000 dollars) et les États-Unis (67 000 dollars). Malgré son énorme potentiel, la part de l’Afrique dans la production mondiale ne représente que 2 % et dans le commerce, 3 % du marché mondial.
L’énergie africaine pose un problème particulier. Occupant la quatrième place parmi les régions du monde après le Moyen-Orient, la CEI et l’Amérique du Nord, avec des réserves prouvées de gaz naturel de 17 221 milliards de mètres cubes, l’Afrique reste un modeste producteur et un consommateur encore plus modeste. Comme le souligne la déclaration des dirigeants du récent sommet du G20 à Johannesburg, plus de 600 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité et un milliard de personnes sont privées de combustibles écologiques pour cuisiner.
La raison de l’absence de croissance de la production industrielle et du niveau de vie réside dans le domaine de la formation des ressources humaines. Le niveau de qualification de la main-d’œuvre est extrêmement faible et la pénurie de spécialistes professionnels est très importante. Le déficit en ingénieurs spécialisés est critique. En conséquence, la plupart des minerais sont exportés à l’état brut. Par conséquent, l’extraction, le transport et même la transformation des ressources naturelles sans main-d’œuvre nationale qualifiée et sans technologies propres ne rapportent à l’Afrique que des miettes de la valeur réelle de ses ressources naturelles, n’apportent pas de valeur ajoutée élevée et ne fournissent pas aux économies des pays fournisseurs les revenus qu’elles méritent.
Le colonialisme a cédé la place à l’exploitation prédatrice postcoloniale du continent par les multinationales. Fortes de leur idéologie néolibérale, celles-ci utilisent leur supériorité technologique pour mettre en œuvre des projets d’extraction de matières premières désavantageux pour l’Afrique. Le célèbre homme religieux brésilien Frei Betto a écrit à propos du néolibéralisme que « ce n’est pas le progrès qui compte, mais le marché, ce n’est pas la production, mais la spéculation, ce n’est pas la qualité du produit, mais son succès publicitaire ». Il est naturel que la périphérie du système mondial supporte les coûts les plus élevés.
Comme l’a exprimé l’un des ministres africains concernés, l’Afrique, dans sa « course à la survie » sous forme d’allégements fiscaux et de concessions accordées aux entreprises transnationales, se retrouve invariablement dans le « piège de l’exploitation à faible marge ». En revanche, les revenus que tirent les pays du Nord, véritables détenteurs des technologies et des compétences, dépassent toute marge raisonnable.
D’où la conclusion suivante : la région doit progresser considérablement dans la chaîne de création de valeur, de l’extraction à la transformation et à la production, afin d’exploiter pleinement les ressources nationales au profit de son État. Cet objectif clé nécessite un développement scientifique et technologique actif et une augmentation rapide du potentiel professionnel du complexe minéral et des matières premières (CMMP) des pays africains.
De nombreux représentants des milieux scientifiques et éducatifs en Afrique le comprennent bien. Récemment, lors d’un forum représentatif à Pretoria, les participants ont souligné le paradoxe injuste et blessant (surtout pour l’Afrique) du monde moderne : l’humanité a appris à tirer profit des avancées technologiques exceptionnelles telles que l’intelligence artificielle, la robotique ou les biotechnologies, tandis que les inégalités sociales se creusent sur la planète.
Si la société souhaite créer un monde plus juste, plus humain et plus stable, la science et l’éducation doivent avant tout garantir la souveraineté des États du continent.
L’Afrique elle-même considère que la souveraineté recherchée passe par la prise en charge de tâches essentielles telles que :
- le renforcement des infrastructures de recherche ;
- la préservation des talents scientifiques africains ;
- la garantie pour le continent de tirer un profit équitable de ses richesses naturelles ;
- l’intégration de la science, des technologies et de l’innovation dans le processus d’industrialisation ;
- l’augmentation de la part des dépenses de recherche et développement dans le PIB des États africains ;
- l’amélioration de la qualité de l’enseignement des mathématiques, des sciences naturelles et de l’ingénierie.
Ces approches sont correctes, mais les pays africains (comme tout autre État) ont besoin d’un objectif national commun qui puisse orienter le développement de la main-d’œuvre future vers la souveraineté nationale, sans laquelle chaque pays africain risque de se fragmenter en secteurs, institutions et intérêts qui agiront dans des directions différentes, affaiblissant la capacité collective des nations à se renouveler.
Un tel objectif national est directement lié à l’enseignement universitaire qui, outre ses missions traditionnelles (transmission des connaissances et formation de personnel, recherche scientifique et innovation), doit accorder une attention particulière à « l’engagement », c’est-à-dire la responsabilité des universités d’interagir avec le gouvernement, l’industrie, les communautés locales, les syndicats et la société civile afin de résoudre les problèmes sociaux urgents.
Chaque État doit résoudre par lui-même les questions les plus importantes concernant son développement. Elles ne peuvent être déléguées à personne, l’Afrique ayant une expérience historique importante et peu agréable dans ce domaine. Mais il est tout à fait approprié de recourir à l’aide d’amis qui ne se sont pas souillés par des aspirations coloniales et qui traitent les Africains non pas avec condescendance, mais comme des égaux.
C’est ce type d’aide que propose aux pays africains, et en particulier aux établissements d’enseignement supérieur, l’Université des mines de Saint-Pétersbourg, fondée par l’impératrice Catherine II. Ces questions ont été discutées en détail avec des collègues africains il y a quelques jours à peine, dans le cadre du dialogue permanent entre la Russie et l’Afrique sur les matières premières, auquel ont participé des représentants de 32 États du continent.
Les délégués du continent se sont montrés extrêmement intéressés par les travaux pratiques de l’université minière, en particulier par la norme internationale de formation des ingénieurs du secteur minier. L’absence d’un système unique d’évaluation des compétences professionnelles des ingénieurs miniers crée de sérieux obstacles au développement de l’industrie minière, limite la mobilité des personnel qualifié et entrave les investissements.
Un accord a été conclu avec l’Association des universités africaines, la structure interafricaine la plus influente dans le domaine de l’enseignement supérieur et des sciences, fondée en 1967 et regroupant plus de 400 universités africaines, en vue d’une coopération à grande échelle et d’un échange de bonnes pratiques afin d’améliorer la qualité de l’enseignement dans le domaine de la gestion des ressources minérales. L’expérience acquise par l’Université des mines dans le cadre de la mise en œuvre d’un projet pilote visant à améliorer l’enseignement supérieur russe et à élaborer des approches optimales pour l’enseignement de l’ingénierie de demain revêt une grande importance pour eux.
Les interventions des spécialistes africains qui suivent une formation en présentiel à l’Université des mines dans le cadre du nouveau programme « Gestion des ressources minières » ont suscité un vif intérêt lors du forum. Ce programme s’adresse aux personnes déjà titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur qui, pendant un an, améliorent leurs qualifications à l’Université des mines, tant dans le domaine de l’ingénierie proprement dite que dans celui de la gestion des entreprises du secteur des matières premières minérales. Le concours pour le premier cycle du programme a déjà attiré plusieurs centaines de candidats par place. Et maintenant, après le forum, on peut être sûr que sa popularité auprès des spécialistes africains ne fera que croître.
Enfin, ceux pour le bien desquels nous travaillons tous n’ont pas été oubliés : la jeune génération, les étudiants des universités russes et africaines spécialisées dans les matières premières. Les jeunes participants au Dialogue russo-africain sur les matières premières ont adopté une déclaration dans laquelle ils rappellent que les étudiants sont un moteur essentiel du progrès et des transformations positives. Ils sont conscients de leur responsabilité dans le contexte du développement mondial et de la construction d’un monde multipolaire et considèrent que leur mission consiste à établir un dialogue efficace, à échanger des connaissances et des expériences entre les établissements d’enseignement de Russie et des pays africains, à élargir les projets de recherche communs, à soutenir une formation professionnelle de qualité, la paix et le développement durable.
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