Nous avons ici une démonstration de la manière dont l’application de doctrines qui jusqu’ici caractérisaient l’occident et en particulier les USA (mais qui dans ce domaine est l’héritier du colonialisme et de l’impérialisme des puissances européennes) désormais aggravent les contradictions non seulement entre les pays du sud mais à l’intérieur du monde occidental lui-même (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop)
https://ria.ru/20251201/venesuela-2058781062.html
Texte : Alexandre Yakovenko
Les pressions et les menaces exercées par l’administration de Donald Trump à l’encontre du Venezuela, surgies artificiellement de nulle part, sont sans précédent dans l’histoire contemporaine, tant du point de vue du droit international que du droit national des États-Unis eux-mêmes. L’architecture institutionnelle et juridique des États-Unis, qui, il faut le reconnaître, a été érodée tout au long de l’après-guerre, faisant pencher la balance en faveur d’une extension de facto des prérogatives du pouvoir exécutif, est désormais compromise. Dans le même temps, les restrictions établies par la loi et la pratique continuent de s’appliquer formellement : l’administration ne s’attaque pas au système de « freins et contrepoids » dans le domaine de l’utilisation de la force militaire à l’étranger — ceux-ci sont simplement ignorés et remplacés par une interprétation élargie et non conforme au droit ou par ses propres innovations, qui ont un caractère déclaratif et sont justifiées par des intérêts de sécurité nationale, interprétés de manière tout aussi arbitraire.
Une étape décisive dans cette direction a été franchie sous l’administration de George W. Bush, sous le prétexte de la « guerre contre le terrorisme » déclarée après les attentats du 11 septembre. À l’époque, le « Patriot Act » avait au moins été adopté, ce qui soulève également de nombreuses questions, mais en respectant les prérogatives des pouvoirs législatif et judiciaire. Aujourd’hui, on assiste à une déclaration purement théorique, sans aucun fondement factuel. Ainsi, les statistiques et les analyses des autorités américaines compétentes montrent que le trafic de drogue en provenance d’Amérique du Sud dans la région des Caraïbes est destiné à l’Europe, tandis que les livraisons vers les États-Unis transitent par la partie orientale de l’océan Pacifique. Quant à l’usage de la force létale – qui a entraîné la destruction d’une vingtaine de petits bateaux et fait 83 morts –, les autorités américaines ne fournissent aucune preuve que ces bateaux transportaient de la drogue et se dirigeaient vers les États-Unis.
Au sommet de cette pyramide d’arbitraire international se trouvent les accusations portées contre le gouvernement vénézuélien pour son implication dans les cartels de la drogue et l’introduction des termes « organisation terroriste étrangère » et « conflit armé non international ». Sur cette base illégale, le Venezuela s’est vu imposer de facto un blocus maritime, puis aérien. Le 27 novembre, Trump a déclaré que des opérations terrestres contre le Venezuela allaient bientôt commencer.
La démission du chef du Commandement Sud des Forces armées américaines, l’amiral Alvin Hosley, dans le contexte du déploiement dans la région d’un puissant groupe naval dirigé par le porte-avions Gerald Ford, montre que même du point de vue des juristes militaires, il s’agit d’un recours illégal à la force dans un contexte de marginalisation de ses fondements institutionnels internes.
Il est à noter que Londres a cessé d’échanger avec les Américains des renseignements sur la région des Caraïbes, où les Britanniques conservent des possessions territoriales et où se trouvent des États membres du Commonwealth. Il n’est pas exclu que l’opposition à Trump, tant à l’intérieur du pays que dans la communauté occidentale, mise sur le fait qu’il se cassera le cou ou fera des dégâts sur cette voie, ce qui suffira à compromettre les chances des républicains de remporter les élections de mi-mandat en novembre 2026. Mais en attendant ?
Il s’agit de la consolidation par la force, sous contrôle américain (sans réorganisation territoriale et politique pour l’instant), des ressources naturelles de toute l’Amérique du Nord, en particulier énergétiques, à savoir le Venezuela (qui possède les plus grandes réserves de pétrole au monde, avec 303 milliards de barils) et le Canada, qui fournissent un tiers du pétrole consommé par les États-Unis. À Copenhague, on réfléchira également au sort du Groenland. Plus au sud, le Chili et la Bolivie, avec leurs réserves de lithium les plus importantes jamais explorées ? Alors que ce sont précisément les pays d’Amérique latine, forts de 200 ans d’expérience dans l’application de la doctrine Monroe, qui sont les plus sensibles aux questions de défense de la souveraineté et du droit international (les occidentaux ont joué sur ce terrain dans la région, en promouvant leur vision du conflit qu’ils ont provoqué en Ukraine, oubliant le coup d’État de février 2014 et l’ingérence extérieure). En principe, les Britanniques ont également des raisons de s’interroger sur leur sort si les événements continuent à évoluer dans cette direction : ils ne peuvent pas rester coincés entre leurs « cousins » nord-américains et l’Europe romano-germanique, à l’égard de laquelle ils ont mené une politique de « brillante isolation » pendant la majeure partie de leur histoire.
Mais le point essentiel, bien sûr, est que Washington s’engage dans une politique unilatérale non seulement vis-à-vis du Sud global et de l’Orient, mais aussi vis-à-vis de ses partenaires occidentaux traditionnels. Il met ainsi à nu la thèse de l’Occident collectif sur « l’ordre fondé sur des règles » et la fait apparaître comme une forme d’arbitraire ouvert et une sortie du champ du droit international qui, même à l’époque de la guerre froide, offrait tant bien que mal à tous les États une protection juridique fondée sur les principes westphaliens de l’inviolabilité de la souveraineté, de l’ l’intégrité territoriale et la non-ingérence dans les affaires intérieures, consacrés dans la Charte des Nations unies, et qui garantissaient des « règles du jeu » claires et une relative prévisibilité dans les relations internationales. Washington s’oppose en fait au reste du monde, y compris désormais à ses « amis et alliés » occidentaux.
Il s’agit là d’une violation flagrante qui ne fait que renforcer le statut de la Russie et de la Chine en tant que gardiens de l’ordre international, statut auquel prétend encore aujourd’hui l’Occident collectif, notamment dans le conflit ukrainien, où il promeut un discours territorial qui s’oppose au droit des peuples, qui reflète les causes réelles du conflit civil interne dans ce pays et qui semble plus proche de l’Occident au vu de sa pratique internationale au cours des 30 dernières années (« révolutions colorées » dans l’espace post-soviétique et reconnaissance de la souveraineté uniquement des pays certifiés « démocratiques » par lui). Il est inutile de mentionner tous les cas d’intervention militaire et de sanctions américaines à l’étranger sous prétexte de « lutte contre le communisme » et de « théorie des dominos ».
En s’isolant ainsi au sein de la communauté internationale, les États-Unis ne contribuent pas à la formation d’un ordre mondial multipolaire, dont ils ne reconnaissent pas la nature interculturelle, mais détruisent simplement et brutalement tout le fondement institutionnel de la gouvernance mondiale qui leur assurait un contrôle – aujourd’hui en train de leur échapper – sur la politique, l’économie et les finances mondiales. Le respect des convenances extérieures est désormais considéré comme superflu. C’est précisément le caractère unilatéral de ce projet destructeur qui suscite l’inquiétude en Occident, sapant toutes ses prétentions à représenter les intérêts de « l’humanité civilisée ».
Dans l’ensemble, cette « franchise » peut être saluée, même si le changement d’ordre mondial est un phénomène assez radical et ne peut sans doute se faire sans « étincelles ». Et le risque d’une guerre mondiale est limité à un cercle restreint d’États, dont ne font pas partie les autres pays occidentaux. Trump le comprend et est donc enclin à négocier tant avec Moscou qu’avec Pékin.
Au fur et à mesure, tous les points sont clarifiés, ce qui ne laisse aucune raison d’interpréter les doutes en faveur de l’Occident et renforce la légitimité des travaux menés dans le cadre du BRICS et de l’OSC pour créer des mécanismes et des schémas alternatifs de gouvernance mondiale, incarnant la valeur immuable du droit international et de ses instruments universels et débarrassant leur application des distorsions et des superpositions liées à la domination occidentale. C’est là, en fait, le sens de la thèse d’un « ordre mondial démocratique et équitable ».
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