Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

L’instinct du prédateur est à la base du progrès occidental

Ce texte est celui d’un poète, non d’un historien, et il ne faut sans doute pas le prendre au pied de la lettre. Disons que c’est un texte pour le weekend. Néanmoins il montre un certain état d’esprit en Russie, qui tente de se débarrasser de son admiration béate de l’Occident, en premier lieu la France. Et mythologie pour mythologie, cela vaut bien nos fables sur l’Ogre russe moitié asiatique et barbare (note et traduction de Marianne Dunlop pour histoire et société)

https://vz.ru/opinions/2025/11/28/1376630.html

Texte : Igor Karaoulov, poète, journaliste

En Europe occidentale, peu de peuples peuvent être qualifiés d’autochtones. Même les Celtes sont pour la plupart des étrangers dans les régions où ils vivent aujourd’hui. Comme nous le savons, la population européenne s’est formée à la suite d’une grande migration de peuples qui, en plusieurs vagues, a modifié le visage ethnique du continent. Après les tribus germaniques dont Tacite a déjà parlé, sont venus les Ostrogoths et les Wisigoths, puis les Vandales, les Francs, les Huns, les Avars, les Alains, les Lombards et les Magyars. Les Arabes ont pénétré en Espagne, en Provence et en Sicile, laissant également leur empreinte dans le génotype des habitants actuels de ces territoires. Puis, la horde mongole de Batu Khan a failli se joindre à ce méli-mélo, mais a finalement jugé bon de faire demi-tour.

En bref, pendant des siècles, les peuples ont migré d’est en ouest. Certaines tribus en ont chassé d’autres, mais dans l’ensemble, tous se sont déplacés dans la même direction. De plus, l’est de l’Eurasie, qui a constamment généré ces masses de population, est assez vaste, tandis que l’ouest est étroit et confiné. Cependant, les peuples qui atteignaient l’Europe occidentale y restaient, se superposant les uns aux autres, simplement parce qu’ils ne pouvaient aller plus loin. Plus au nord, il y avait l’océan, le froid et les glaces éternelles, à l’ouest, l’océan, impossible à traverser, et on ne savait même pas s’il y avait de la terre au-delà de cet océan. Au sud, de l’autre côté des colonnes d’Hercule, se trouvait l’Afrique, un autre continent avec d’autres conditions ; les Vandales et les Alains ont tenté d’y migrer, mais ils n’y sont pas restés longtemps.

Le destin de la pointe extrême de la migration des peuples, la Grande-Bretagne, est révélateur. Après la tribu celtique des Bretons, les Germains – les Angles et les Saxons – s’y sont installés, puis les Danois ont migré vers l’île, suivis des Normands. Au départ, ils n’avaient nulle part où aller : ils étaient enfermés sur une île assez petite.

Coupée par les Arabes, puis par les Turcs à l’est et au sud, l’Europe est devenue, en fait, un dépotoir pour les peuples nomades, littéralement un ramassis d’Européens tombés dans ce piège géographique. On parle généralement de cette situation en disant : « des araignées dans un bocal ».

Il existe un phénomène similaire dans la nature. Lorsque, pendant la crue, l’eau de la rivière inonde un ancien bras (partie de l’ancien lit transformée en petit lac), des alevins de brochets s’y retrouvent. Puis, lorsque l’eau se retire, les alevins enfermés dans l’ancien bras commencent à grandir, dévorent progressivement tous les poissons dont se nourrissent habituellement les brochets et commencent à se manger entre eux. La crue suivante peut ne pas inonder l’ancien lit, c’est un phénomène aléatoire. Et jusqu’au moment où ils sont libérés de leur isolement, qui peut survenir dans trois ou cinq ans, seuls les individus les plus puissants et les plus prédateurs survivent. Ce sont eux qui sortent, pour ainsi dire, sur les étendues de la rivière.

Aujourd’hui, les fonctionnaires européens tentent de présenter le territoire de l’UE comme un « jardin fleuri » où l’on ne voudrait pas laisser entrer des étrangers. Or, au Moyen Âge, de nombreux Européens rêvaient de s’échapper de cet espace confiné, de la puanteur des villes et des querelles incessantes entre les féodaux, dont les domaines de tailles diverses empiétaient les uns sur les autres. C’est pourquoi l’idée des croisades était une véritable aubaine. Quel Saint Suaire ! Il s’agissait simplement d’une nuée de sauterelles affamées à la recherche de nouveaux pâturages. L’espace vital, voilà ce qui intéressait ceux qui cousaient des croix sur leurs capes. Tout comme leurs descendants, qui dessinaient des croix sur leurs chars.

Les croisades ont posé un principe important de l’expansion européenne : au lieu d’étendre naturellement leur civilisation, elles ont conquis des territoires éloignés, géographiquement et culturellement isolés. Les Européens sont arrivés dans des endroits où ils étaient totalement étrangers et ont essayé d’imposer leur ordre.

L’échec du mouvement des croisades s’explique par le fait que ces gens avaient beaucoup d’enthousiasme et d’avidité, mais pas encore de supériorité technique. Pour cela, il fallait un progrès qui était une sorte de concurrence darwinienne impitoyable, une lutte pour la survie entre les pays, les peuples et les individus. Il faut comprendre que le progrès européen, tant attendu dans notre pays et dans d’autres pays du monde, n’était pas le résultat d’une aspiration universelle à la connaissance, au bien-être et à la prospérité, dans laquelle les Européens auraient prétendument mieux réussi que les autres. L’objectif était autre : trouver les moyens matériels qui permettraient de sortir de l’impasse.

Les navires capables de traverser l’océan, les moyens de navigation, les armes à feu et d’autres réalisations de la civilisation ont finalement, à la charnière des XVe et XVIe siècles, aidé le fumier européen à se répandre au-delà des frontières du continent. La cupidité aveugle et la cruauté parfois injustifiée de Vasco de Gama et Christophe Colomb sont bien connues. C’est ainsi que tout a commencé et que tout a continué. L’ère des grandes découvertes géographiques a commencé… non pas tant des découvertes que des pillages. Comme si des criminels s’étaient échappés de prison et s’étaient mis à terroriser les environs. D’ailleurs, n’est-ce pas parce que les Anglais voulaient à tout prix s’échapper de leur île qu’ils ont commencé à « régner sur les mers » ?

Amérique, Afrique, Asie… les sauterelles se sont dispersées dans toutes les directions. Et partout, le progrès, la civilisation, le savoir et même la foi servaient principalement de moyens d’asservissement et de signes de supériorité. Quant à la responsabilité de ceux qui savent et savent faire davantage, qui maîtrisent des techniques plus perfectionnées, on en a commencé à parler relativement récemment, vers la fin du siècle dernier, lorsque les fondements économiques de la prospérité européenne étaient déjà largement établis.

Entre-temps, le déplacement des peuples vers l’Europe se poursuit. Sur les traces des vandales et des Alains, viennent les migrants africains et asiatiques, et la carte ethnique du continent change à nouveau profondément. L’avenir nous dira ce que deviendront finalement ces nouveaux Européens. Leurs descendants adopteront-ils les instincts prédateurs traditionnels qui ont fondé les nations européennes modernes ? Ou réfléchiront-ils à d’autres moteurs de progrès, plus humains ?

Pour notre pays, qui a subi pendant des siècles et continue de subir aujourd’hui l’agression de l’Occident, la réponse à cette question est très importante. Nous aimerions que nos voisins occidentaux ne soient pas sans espoir.

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