La Chine domine l’économie, l’Amérique la technologie, la Russie la géographie. Sans entrer dans ces catégories que je juge fausses, si l’on considère qu’elles évacuent la contradiction principale de la mise en mouvement la relation forces productives rapports de production, mais en reprenant celle des cadres sociaux de la mémoire collective, la réflexion est heuristique. Le petit opuscule de 150 pages environ que je viens d’écrire porte là-dessus sans prétendre à une quelconque vulgarisation puisqu’il n’y a plus de « prince » à conseiller y compris dans son avatar gramscien : le parti communiste. Il s’agit de partir du constat au moins temporaire que l’on a décérébré le peuple français en détruisant ce parti et tout ce qu’il représentait de mise en mouvement de l’intervention populaire. Non seulement le PCF a une mémoire de poisson rouge, incapable de se fixer sur une démonstration qui excède trois lignes, mais ne sachant plus ce qu’est l’espace et le temps. Notre proposition d’adhérer aux BRICS, de jouer sur une dynamique actuelle se heurte à l’électoralisme dénué de perspective réelle, à la concurrence imbécile, et à la censure déjà militaire dans laquelle les plus actifs sont ceux qui ont tout à perdre de cette amputation volontaire. L’histoire s’accélère, la sidérurgie lance le combat de la nationalisation contre le départ d’Arcelor Mittal, il y a effectivement opportunité y compris dans leur cirque militariste même, qui se contente de recruter de la chair à canon sous une menace « hypothétique » pour donner aux marchands de canons, peut-être que ce qui bloque va sauter, cela n’en prend pas le chemin dans l’immédiat tant qu’il y aura le plan de ces gens là pour définir « la modernité » ! il faut attendre et continuer à parler comme si on était entendu. A ce propos, ne me faites pas dire que je partage une optique uniquement « civilisationnelle » dans laquelle s’enferme la petite et grande bourgeoisie lucide sur le basculement, mais qui refuse de considérer l’ampleur de la révolution vers le socialisme. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
par Ravi Kant 27 novembre 2025

Avec la fin de la Guerre froide, l’idéologie a perdu son rôle organisateur. On est passé du débat capitalisme contre socialisme à un monde unipolaire dominé par un système international centré sur les États-Unis. Aujourd’hui, l’histoire se répète, non pas comme une tragédie ou une farce, mais comme une redéfinition stratégique. Une nation en particulier a discrètement perfectionné les fondements de la puissance mondiale au XXIe siècle – et ce n’est pas la Chine.
Le principal atout de la Russie à l’exportation n’est ni le pétrole ni les armes. C’est un nouveau vocabulaire politique. Les cercles de réflexion stratégiques de Moscou parlent désormais d’un « monde civilisationnel ».
Pour les pays du Sud, cette perspective est libératrice. L’idée d’un pluralisme culturel opposé à l’universalisme occidental est libératrice pour les pays du Sud, où chaque pôle – qu’il s’agisse du libéralisme occidental, du techno-autoritarisme chinois, du conservatisme islamique ou de l’eurasisme russe – représente un modèle historico-culturel unique.
Ce concept de respect des valeurs des diverses civilisations confère à la multipolarité une profondeur morale. Aujourd’hui, la multipolarité n’est plus une aspiration, mais une réalité opérationnelle.
Pour l’Occident, c’est déroutant. Mais pour Moscou, c’est une stratégie astucieuse pour freiner l’ascension hégémonique de la Chine et empêcher le rétablissement de la primauté américaine. Un virage stratégique pour revendiquer un leadership moral pour les pays du Sud sans revendiquer d’empire.
Moscou a transformé la multipolarité, d’une théorie académique, en un système d’exploitation géopolitique. Alors que la plupart des nations considèrent la multipolarité comme inévitable, la Russie la perçoit comme un processus maîtrisé. Le Kremlin a bien compris que le combat déterminant du XXIe siècle n’oppose pas démocratie et autocratie, mais le contrôle de l’interdépendance.
Un acteur influent dans l’interdépendance régionale
L’interdépendance est devenue l’un des facteurs les plus déterminants de la géopolitique actuelle. Au XXIe siècle, la puissance ne se définit plus par la force militaire, le poids économique et la sophistication technologique. Mais une nation qui comprend les dynamiques régionales peut ancrer sa présence de manière si structurelle qu’aucune décision majeure ne peut être prise sans son accord.
C’est ce qui s’est produit en 2022 lorsque, sur la question ukrainienne, les pays occidentaux ont imposé des sanctions visant à paralyser la Russie. Ils étaient loin d’imaginer que cela transformerait une théorie (la multipolarité) en réalité, entraînant un bouleversement de l’ordre mondial actuel.
En 2025, plus de 70 % du commerce russe s’était réorienté vers l’Asie et les pays du Sud. Moscou a transformé son isolement économique en atout. La Russie se situe à la frontière entre une Asie en pleine croissance et une Eurasie soucieuse de sa sécurité. Elle ne cherche donc pas à dominer le monde, mais elle est simplement devenue un acteur incontournable.
Pour Pékin, la Russie est essentielle car elle fournit de l’énergie et contribue à sécuriser la frontière nord de la Chine. Pour New Delhi, elle sert de pont diplomatique entre l’Inde et la Chine, une grande puissance en qui les deux pays ont confiance. Pour les nations du Moyen-Orient, elle fournit des armes, contribue à stabiliser les prix de l’énergie et offre un droit de veto sur la sécurité au sein des Nations Unies. Pour l’Europe, la Russie demeure une source d’énergie majeure malgré l’hostilité politique.
La géographie confère à la Russie un avantage en faisant d’elle un pays transcontinental reliant l’Asie et l’Europe, tout en partageant des frontières terrestres avec 14 pays souverains.
Aujourd’hui, Moscou est devenu un acteur incontournable dans toutes les dynamiques régionales. Presque tous les acteurs régionaux – qu’il s’agisse de la Chine, de l’Inde, de l’Iran, de l’Allemagne ou même du Venezuela – ont besoin de la Russie pour quelque chose : énergie, armement ou soutien politique.
Un pays prospère dans l’instabilité
Car la Russie prospère grâce à sa résilience systémique. Lorsque ses systèmes sont mis à rude épreuve, elle s’adapte et trouve les moyens de rester pertinente et forte. Tandis que d’autres pays peinent à résister aux pressions mondiales, la Russie ne bronche même pas.
Face aux sanctions économiques occidentales, la Russie a contourné le système SWIFT et développé sa propre infrastructure financière, notamment SPFS et MIR Payment. Soumise aux sanctions énergétiques occidentales, elle s’est tournée vers de nouveaux partenaires tels que la Chine et l’Inde.
Un exemple récent s’est produit lorsque le conflit ukrainien a contraint les États-Unis à envisager la fourniture de missiles de croisière Tomahawk à longue portée. L’annonce par Poutine du succès des essais du missile de croisière nucléaire Burevestnik et du Poseidon, un drone sous-marin sans pilote à propulsion nucléaire, dépassait le simple cadre d’une démonstration de force technologique. Elle a remis la nouveauté nucléaire au cœur des négociations.
À l’ère des systèmes de défense antimissile, des intercepteurs hypersoniques et de la guerre électronique, le message de la Russie est clair : aucune défense n’est absolue. Conséquence ? Un retour à l’humilité stratégique. Les États-Unis et l’OTAN, jadis sûrs de leur suprématie en matière de dissuasion, sont contraints au dialogue. La Russie exerce son influence militaire avec une précision chirurgicale. Elle prospère non pas dans la stabilité, mais dans la gestion de l’instabilité.
Aujourd’hui, la Russie se positionne comme l’amortisseur indispensable du monde multipolaire. De fait, elle a fait de l’endurance une arme : elle ne recherche pas la stabilité, mais prospère en gérant l’instabilité.
D’ici 2030, la puissance mondiale sera définie par les systèmes suivants : corridors énergétiques, systèmes monétaires (dollar contre BRICS) et réseaux d’information, médias et intelligence artificielle. La grande stratégie de la Russie est d’être une puissance charnière dans chacun de ces domaines.
L’objectif ultime de Moscou n’est pas de dominer le monde, mais de le rendre ingouvernable par quiconque. Paradoxalement, cela pourrait bien être la véritable définition de la multipolarité au XXIe siècle. Si les États-Unis ont été les architectes du monde unipolaire, la Russie est sans conteste la véritable architecte de l’ordre mondial multipolaire.
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