En ce moment dans le petit opuscule que je suis en train d’écrire et qui pourrait s’intituler « Comment sommes-nous tombés si bas? mais peut-être n’est ce pas aussi grave que cela parait ? » les années mille neuf cent quatre-vingt, celles qui précèdent la contre révolution de mille neuf cent quatre-vingt-onze – cette pseudo fin de l’histoire de laquelle nous sommes en train d’émerger au plan international – jouent un grand rôle, en particulier dans le laminage du mouvement ouvrier. A la même époque, il y a l’élaboration d’une autre stratégie vers les non alignés auxquels s’identifie Fidel Castro qui en même temps tire le sud vers l’alternative socialiste. Il y a eu l’échec du Chili, l’incapacité depuis 1959 de réellement aboutir à un nouvel élan du socialisme, l’assassinat des leaders socialistes, les répressions atroces, le tout sous une campagne qui dénonçait l’autoritarisme et l’absence de « démocratie » dans les pays socialistes. Une justification hypocrite des crimes bien réels de l’impérialisme avec l’autoflagellation de l’eurocommunisme et de la gauche qui y a perdu son audience, ses buts et l’adhésion populaire. Tout cela aujourd’hui avec le monde multipolaire, le leadership de la Chine socialiste, le partenariat stratégique de celle-ci avec la Russie et le poids reconnu à l’indépendance nationale dans l’internationalisme de paix et de développement, nous oblige à sortir des cadres les plus figés. Il s’avère simplement que de par mon âge et mon périple singulier il m’est devenu très difficile de partager les interprétations de mes contemporains. Donc je tente le pari de la solitude non comme un ressentiment mais pour ne pas être entravée par des objectifs qui ne sont pas les miens dans l’immédiat du moins. Ce choix n’est en aucun cas une dénonciation des diverses routes qui s’offrent à la volonté de transformation, elle est simplement nécessaire distance définitive (vu mon âge) ou temporaire. parce qu’il y a une accélération de l’histoire qui nous interdit toute posture de l’instant évènementiel.
Fidel Castro a été à cette époque un des rares, peut-être le seul à percevoir la nature de l’ébranlement en accordant un poids fondamental aux futurs rapports sud-sud, en déplorant la crise URSS- Chine et en tentant par tous les moyens d’en limiter la portée(1). Mais ce qui est le plus fascinant dans le positionnement de Fidel Castro et de ceux comme Thomas Sankara qui étaient alors ses compagnons de lutte et d’idéal, c’est l’aspect chevaleresque de cette lutte. Fidel Castro n’a jamais été pris en position de bassesse, il est toujours resté le lutteur au nom des faibles, des spoliés. Dans ces années qui ont vu l’asphyxie du mouvement ouvrier il y a eu la poursuite de la montée des peuples dits du Tiers-monde malgré l’intolérable pression du FMI, les sanctions, les blocus, un monde a émergé et il est né du mouvement du capital dans sa phase impérialiste financiarisée, la recherche de matières premières, d’une force de travail à faible coût mais aussi de marchés sur lesquels déverser ses propres productions et leurs spéculations. Tout cela Fidel l’avait prévu, comme dès 1983, il voyait la croissance poussive du nord et l’impossibilité de s’appuyer sur ses pays pour assurer le développement du sud, la nécessité de rapports sud-sud.
La Chine qui présentait la particularité d’être à la fois la plus vieille civilisation du monde, avec sa mémoire millénaire et un pays qui avait subi l’impérialisme, le fascisme japonais, lui paraissait être en position de leadership par la force de la nation comme celle de Cuba, devoir lier le patriotisme à l’égalité, la liberté et la fraternité renouvelée en particulier par le refus du racisme et l’affrontement nécessaire avec les Etas-Unis. Créer les conditions du rassemblement le plus large.
Dans un temps où le conservatisme refait alliance de tout le poids de son chauvinisme avec l’impérialisme, il faut également considérer ce que Fidel Castro et des leaders comme Sankara ont défendu à savoir le mouvement des individus vers leur émancipation personnelle, ce qui leur parait existentiel mais qui ne l’est pas nécessairement pour tous et se heurte aux préjugés, à la tradition. Il y a également dans ce domaine la situation des femmes qui concerne la moitié de l’humanité. La lutte contre l’impérialisme a pu un temps être occultée par la défense des « traditions » comme celle de l’identité nationale menacée, encore aujourd’hui dans la phase fascisante qui est celle de la « retraite » de l’impérialisme hégémonique en particulier avec le syndic de faillite des Etats-Unis, on mesure bien comment les fragiles conquêtes de cette période d’illusion libérale libertaire sont désormais sur la défensive. Quand le mouvement des femmes en France en est à des slogans comme « le féminisme n’a jamais tué personne, le machisme assassine tous les jours », cela marque le retrait sur le terrain du « privé » ou quand on en est à proposer des compartiments dans les transports publics qui seraient réservés aux femmes et aux enfants, les bonnes intentions pavent l’enfer de la marginalisation de cette lutte des femmes que le matérialisme historique dès Marx et Engels a défendu comme nécessaire à la libération de l’humanité tout entière.
J’étais à Cuba, quand le pape Jean Paul II est venu. Chacun retenait son souffle, le pape était considéré comme la force spirituelle qui avait fait tomber le socialisme européen. Fidel à la télévision, la veille de l’accueil a expliqué aux Cubains : Jean Paul II est né dans un pays où le socialisme a été imposé comme un châtiment par une occupation, nous à Cuba, nous l’avons créé à partir de notre histoire, comme le facteur d’unité de notre nation, face à la menace impérialiste qui est plus dure que jamais. Il faut faire comprendre cela au Pape. Et le parti communiste cubain, toutes les associations et collectifs de l’île, le syndicat, les CDR, le mouvement des femmes cubaines, l’armée populaire, se sont mobilisés et Jean Paul II, ses « nonces » ont fait tous leurs discours face à un peuple mobilisé dans la défense de ses conquêtes y compris celles des femmes. Et à ce propos, il y a eu un moment où ces deux animaux politiques qu’étaient Fidel et Jean Paul II ont eu une brève passe d’armes. Il s’agissait de l’avortement dont le pape a réclamé l’abolition ou à la rigueur la limitation. Fidel a répondu « saint père, nous sommes vous et moi particulièrement mal placés pour trancher cette question, je vous propose que nous demandions leur avis aux femmes cubaines.
Nous sommes aujourd’hui dans un temps qu’il faut penser dans des termes nouveaux à la fois en tenant compte de ce que nous sommes en tant que nation et nation issue d’une lutte que l’on a voulu nous faire oublier et dont il nous faut retrouver les bases de classe, mais sans ignorer ce que nous sommes aujourd’hui et la situation réelle que malgré la contre-révolution la taupe de l’histoire a continué à creuser sur un temps long, et nous ne pouvons aborder tout cela qu’en repensant notre idéal communiste.
Encore un mot des leçons cubaines, Fidel saurait déjà que Trump ne veut pas la paix. Peut-être est-il corrompu par ce que rapporterait un deal personnel et de sa famille avec Moscou, comme les dirigeants démocrates l’ont été à travers le pillage de l’Ukraine, peut-être veut-il le hochet du très immérité prix nobel de la paix d’Obama, mais tout cela est ragots pour les esprits faibles et cancaniers que nous sommes devenus. En fait il tente comme tous les dirigeants impérialistes de sauver ce qui peut l’être de sa dictature sur le monde. On peut même en déduire que ce désir de paix s’accompagnera d’une pression encore plus forte sur le Venezuela et sur l’arrière cour selon la doctrine Monroe… Ce que les Cubains savent c’est qu’il faut un large rassemblement mais il débute par la force du peuple à se défendre lui-même.

Comrades Thomas Sankara and Fidel Castro. Castro is Awarding Sankara the Order of Jose Marti, 1984
« L’impérialisme est un système d’exploitation qui ne se manifeste pas seulement sous la forme brutale de ceux qui viennent avec des armes pour conquérir des territoires. L’impérialisme se manifeste souvent sous des formes plus subtiles, comme les prêts, l’aide alimentaire ou le chantage. Nous luttons contre ce système qui permet à une poignée d’hommes sur terre de régner sur toute l’humanité. »
« Camarades, il n’y a pas de véritable révolution sociale sans la libération des femmes. Que mes yeux ne voient jamais et que mes pieds ne m’emmènent jamais dans une société où la moitié de la population est réduite au silence. J’entends le rugissement du silence des femmes. Je sens le grondement de leur tempête et je ressens la fureur de leur révolte. » – Thomas Sankara
(1) le PCF qui a été un des premiers à renouer avec la Chine avait aussi de vagues presciences… comme aujourd’hui, mais avec cette courte vue théorique d’un peuple pourtant « politique » qui est son talon d’Achille.
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