Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Analyse de ce qui a été divulgué du cadre de paix russo-ukrainien

Le plan en 28 points négocié par Trump permet à la Russie de revendiquer diverses victoires, assorties d’incitations visant à l’éloigner de la Chine. Quand un individu, un parti, un impérialisme est au maximum de sa faiblesse il ne lui reste plus qu’à rejouer un moment où il frôla la victoire par l’adhésion des masses ou leur anesthésie par la peur. La reddition qui frise la capitulation sans condition (mais pas assez pour le peuple russe qui ne veut plus de deal temporaire de ces fourbes) rejoue à rebours l’entente avec Nixon, et ce moment raté de la fin de l’URSS où Eltsine, Poutine et les autres espéraient une alliance et une intégration dans l’OTAN. Mais qui sera assez fou dans le pouvoir russe pour tabler sur un allié aussi versatile et affaibli que l’occident en désarroi derrière son suzerain devenu le père Ubu de tous les dangers ? (note et traduction de Danielle Bleitrach)

par Andrew Korybko 22 novembre 2025

Donald Trump tente de négocier un accord de paix en Ukraine. Image : X

Le New York Post, que Trump a un jour qualifié de son « journal préféré », vient de publier ce qu’il affirme être l’intégralité des 28 points de l’accord-cadre de paix russo-ukrainien sur lequel la Russie et les États-Unis travailleraient secrètement depuis quelques semaines.

Vous trouverez ci-dessous le texte de chaque point individuel tel que détaillé dans l’infographie partagée dans leur article sur ce sujet, qui sera ensuite analysé de manière concise, avec quelques observations sur le fond de l’accord et son calendrier, complétant ainsi l’analyse :

1. La souveraineté de l’Ukraine sera confirmée.

Cela concerne le respect par la Russie du droit de l’Ukraine à gérer ses affaires intérieures et étrangères, conformément aux termes de cet accord. Il s’agit essentiellement d’un geste symbolique visant à présenter l’issue de ce conflit comme une (fausse) victoire pour l’Ukraine, dans le contexte du discours propagé par cette dernière et l’Occident selon lequel la Russie souhaite conquérir l’ensemble du pays. Certains groupes proches de l’État, se présentant comme des « pro-Russes non russes » (PRNR), ont également, involontairement, contribué à accréditer ce discours par leurs commentaires sensationnalistes.

2. Un accord global de non-agression sera conclu entre la Russie, l’Ukraine et l’Europe. Toutes les ambiguïtés des 30 dernières années seront levées.

Cela concerne la réforme de l’architecture de sécurité européenne et risque donc de s’avérer un processus long et complexe. Parmi les enjeux figurent l’accès de la Russie à Kaliningrad, la navigation en mer Baltique et son opposition à la présence  d’armes nucléaires en Pologne. La Pologne, dont le statut de grande puissance est en train d’être  rétabli grâce au soutien des États-Unis, souhaite le retrait des armes nucléaires tactiques russes et des missiles Orechnik du Bélarus. La « ligne de défense de l’UE » en construction entre l’OTAN et la Russie-Bélarus risque fort de devenir un nouveau « rideau de fer ».

3. On s’attend à ce que la Russie n’envahisse pas les pays voisins et que l’OTAN ne s’étende pas davantage.

Ce donnant-donnant, qui pourrait inclure des mécanismes de vérification et de contrôle du statut des forces le long du « nouveau rideau de fer », vise à atténuer leur dilemme sécuritaire et, par conséquent, à faciliter certains des compromis susmentionnés. Les États-Unis disposeraient ainsi d’un prétexte pour redéployer une partie de leurs forces basées dans l’UE vers l’Asie-Pacifique afin de contenir plus efficacement la Chine, tandis que la Russie aurait le même prétexte pour recentrer son attention stratégique vers le sud en réponse à l’ expansion de l’influence turque dans cette région.

4. Un dialogue se tiendra entre la Russie et l’OTAN, sous l’égide des États-Unis, afin de résoudre tous les problèmes de sécurité et de créer les conditions d’une désescalade, dans le but d’assurer la sécurité mondiale et d’accroître les possibilités de coopération et de développement économique futur.

Cela confirme ce qui a été écrit concernant la nécessité de parvenir à une série de compromis mutuels pour atténuer leur dilemme sécuritaire, dans le but de permettre aux forces américaines et russes de se recentrer respectivement sur l’Asie-Pacifique et le Caucase du Sud/Asie centrale, afin de contrebalancer l’influence de la Chine et de la Turquie. Il existe également la possibilité, certes hypothétique, que les États-Unis limitent l’expansion de l’influence de la Turquie, membre de l’OTAN, dans cette région, en échange d’une limitation par la Russie de sa coopération militaro-technique et, éventuellement, énergétique avec la Chine.

5. L’Ukraine bénéficiera de garanties de sécurité fiables.

En mars dernier, il a été estimé que « l’Ukraine bénéficie déjà, en quelque sorte, de garanties au titre de l’article 5 de la part de certains pays de l’OTAN », en raison de la série de « garanties de sécurité » qu’elle a acceptées des membres de l’Union au cours de l’année précédente, toutes mentionnées dans l’analyse précédente. Ce point est donc redondant, mais pourrait également suggérer une volonté de ces États – les États-Unis, la Pologne, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France et l’Italie – de renégocier certains termes afin de les rendre encore plus favorables à l’Ukraine.

6. L’effectif des forces armées ukrainiennes sera limité à 600 000 hommes.

L’ objectif de démilitarisation de l’opération spéciale serait atteint dans son esprit par ces moyens, même si l’Ukraine pourrait toujours recourir à des mercenaires pour contourner cette limite. Néanmoins, avec des mécanismes crédibles de vérification et d’application, l’esprit de ce point serait respecté. La Russie devrait donc envisager de le proposer sans délai afin d’éviter que l’Ukraine ne sape sournoisement la paix (peut-être en collusion avec le Royaume-Uni, pays subversif et belliciste).

7. L’Ukraine accepte d’inscrire dans sa constitution qu’elle ne rejoindra pas l’OTAN, et l’OTAN accepte d’inclure dans ses statuts une disposition selon laquelle l’Ukraine ne sera pas admise à l’avenir.

L’objectif de la Russie, à savoir le rétablissement de la neutralité constitutionnelle de l’Ukraine, serait également atteint dans l’esprit par ces moyens, même si les « garanties de sécurité » que l’Ukraine recevrait (ou plutôt dont elle bénéficierait par le biais d’un accord de paix, voire qu’elle élargirait avant sa signature) l’élèveraient au rang de membre de facto de l’OTAN. Quoi qu’il en soit, en n’adhérant pas pleinement à l’OTAN, les craintes persistantes de la Russie quant à une possible implication de l’Ukraine dans une Troisième Guerre mondiale seraient apaisées, ce qui pourrait jeter les bases d’une amélioration des relations russo-otaniennes.

8. L’OTAN accepte de ne pas stationner de troupes en Ukraine.

Les militaires de carrière français et britanniques, dont le service de renseignement extérieur russe avait annoncé fin septembre l’arrivée à Odessa, seraient discrètement retirés. Toutefois, l’OTAN pourrait renforcer considérablement ses capacités en Pologne, pays leader de la région, par mesure de précaution. L’objectif serait de dissuader la Russie, dans le cadre de la nouvelle architecture de sécurité européenne qu’ils négocieront, en disposant de forces de l’OTAN prêtes à intervenir en cas de nouvelle escalade.

9. Des avions de chasse européens seront stationnés en Pologne.

Ce point confirme que la Pologne jouera un rôle de premier plan dans l’endiguement régional de la Russie après la fin du conflit ukrainien. Ce rôle a sans doute échappé à l’attention de la Russie, qui sous-estimait jusqu’alors la Pologne, la considérant comme une simple marionnette des États-Unis. Cela dit, la prise de conscience de ce rôle semble avoir enfin émergé chez certaines personnalités influentes ces dernières semaines, comme en témoigne la recrudescence des contenus anti-polonais sur les médias non étatiques proches de l’État. Cette recrudescence pourrait viser à préparer l’opinion publique à une résurgence de la rivalité historique russo-polonaise.

10. Garantie américaine :

* Les États-Unis recevront une compensation pour cette garantie ;

* Si l’Ukraine envahit la Russie, elle perdra la garantie ;

* Si la Russie envahit l’Ukraine, outre une riposte militaire coordonnée et décisive, toutes les sanctions internationales seront rétablies, la reconnaissance du nouveau territoire et tous les autres avantages de cet accord seront révoqués ;

* Si l’Ukraine lance un missile sur Moscou ou Saint-Pétersbourg sans raison valable, la garantie de sécurité sera considérée comme caduque.

Les États-Unis tireront profit de leurs « garanties de sécurité » à l’Ukraine, tout comme ils profitent actuellement de la vente d’armes à ce pays via l’OTAN ; tout mouvement transfrontalier de troupes provoquera la colère des États-Unis du côté qui le provoque ; les États-Unis contraindront vraisemblablement les pays avec lesquels ils négocient de nouveaux accords commerciaux (Chine, Inde) à se conformer à leurs sanctions contre d’autres pays, conformément aux précédents thaï- cambodgien et malaisien, afin de dissuader la Russie ; et l’Ukraine sera vraisemblablement autorisée à acquérir des capacités de missiles à longue portée comme autre moyen de dissuasion.

11. L’Ukraine est éligible à l’adhésion à l’UE et bénéficiera d’un accès préférentiel à court terme au marché européen pendant que cette question est examinée

Le problème, comme l’indiquait une analyse précédente (lien hypertexte), est que « la Pologne pourrait entraver les efforts de l’UE pour accorder rapidement l’adhésion à l’Ukraine ». En résumé, la Pologne refuse toujours unilatéralement d’autoriser l’importation de céréales ukrainiennes bon marché (et de faible qualité) sur son marché intérieur, ce qui ruinerait les moyens de subsistance de ses agriculteurs et entraînerait l’effondrement de son secteur agricole. Une exception pour la Pologne devra donc probablement être prévue dans cet accord pour qu’il soit approuvé.

12. Un ensemble de mesures internationales ambitieuses pour reconstruire l’Ukraine, comprenant notamment :

a. La création d’un Fonds de développement ukrainien destiné à investir dans les industries à forte croissance, notamment la technologie, les centres de données et l’intelligence artificielle ;

b. Les États-Unis coopéreront avec l’Ukraine pour reconstruire, développer, moderniser et exploiter conjointement l’infrastructure gazière de l’Ukraine, y compris les pipelines et les installations de stockage ;

c. Efforts conjoints pour réhabiliter les zones touchées par la guerre en vue de la restauration, de la reconstruction et de la modernisation des villes et des zones résidentielles ;

d. Développement des infrastructures;

e. Extraction des minéraux et des ressources naturelles.

f. La Banque mondiale élaborera un programme de financement spécial pour accélérer ces efforts.

L’objectif principal est de créer des enjeux internationaux liés aux infrastructures ukrainiennes afin de dissuader la Russie de les cibler lors d’un second affrontement, sous peine de sanctions de la part de la plupart des acteurs (y compris probablement la Chine et l’Inde). Les membres de l’OTAN reprendraient au minimum leur coopération militaro-stratégique avec l’Ukraine et, au mieux, interviendraient dans le conflit depuis leurs bases polonaises, ne serait-ce que pour se précipiter vers le Dniepr et partitionner de facto l’Ukraine en ralliant l’Occident à leur cause afin de stopper l’avancée russe.

13. La Russie sera réintégrée dans l’économie mondiale :

a. La levée des sanctions sera discutée et convenue par étapes, au cas par cas ;

b. Les États-Unis concluront un accord de coopération économique à long terme dans les domaines de l’énergie, des ressources naturelles, des infrastructures, de l’intelligence artificielle, des centres de données, des projets d’extraction de métaux de terres rares dans l’Arctique et d’autres opportunités commerciales mutuellement avantageuses ;

c. La Russie sera invitée à réintégrer le G8.

Ce point complète le précédent en fournissant à la Russie des raisons économiques concrètes de modérer ses faucons et s’inscrit dans l’esprit des propositions de « diplomatie énergétique créative » présentées ici  en janvier. La coopération technologique engendrera une interdépendance complexe entre la Russie et les États-Unis dans le cadre de la « Quatrième Révolution Industrielle »/« Grande Réinitialisation » (4RI/GR), au risque de compromettre la souveraineté de Poutine dans ce domaine et la coopération potentielle de la Russie avec la Chine.

14. Les fonds gelés seront utilisés comme suit :

* Cent milliards de dollars d’avoirs russes gelés seront investis dans les efforts menés par les États-Unis pour reconstruire et investir en Ukraine. Les États-Unis recevront 50 % des bénéfices de cette opération ;

L’Europe ajoutera 100 milliards de dollars pour accroître le montant des investissements disponibles pour la reconstruction de l’Ukraine. Les fonds européens gelés seront débloqués.

Le reste des fonds russes gelés sera investi dans un véhicule d’investissement américano-russe distinct, qui mettra en œuvre des projets conjoints dans des domaines spécifiques. Ce fonds visera à renforcer les relations et à développer les intérêts communs afin de dissuader toute reprise du conflit.

La première partie s’inscrit dans la continuité des profits que les États-Unis tirent de ce conflit, d’abord en vendant des armes à l’Ukraine via l’OTAN, puis en recevant une compensation pour les garanties de sécurité qu’ils offrent à ce pays. La seconde partie s’aligne sur les politiques de dissuasion multidimensionnelles évoquées dans les deux points précédents. Elle renforcera également l’interdépendance complexe entre la Russie et les États-Unis, conformément aux suggestions formulées ici en avril concernant le financement, par les avoirs russes gelés, d’importants contrats américains.

15. Un groupe de travail américano-russe conjoint sur les questions de sécurité sera créé pour promouvoir et assurer le respect de toutes les dispositions du présent accord.

Ce point répond partiellement aux propositions formulées précédemment dans cette analyse concernant la création de mécanismes crédibles de vérification et d’application, mais il reste nécessaire de le préciser pour qu’il soit pleinement efficace. La Russie pourrait également utiliser ce canal de manière significative pour prévenir les provocations conjointes britannico-ukrainiennes sous faux drapeau, contre lesquelles que ses services de renseignement les ont parfois mises  en garde, en incitant les États-Unis à les déjouer en premier. Ce groupe de travail pourrait également contribuer à la gestion du déploiement des forces le long du « nouveau rideau de fer ».

16. La Russie inscrira dans la loi sa politique de non-agression envers l’Europe et l’Ukraine.

Cela aura une portée tout aussi symbolique que la confirmation de la souveraineté de l’Ukraine et visera également à présenter l’issue de ce conflit comme une (fausse) victoire pour l’Ukraine, comme expliqué au point 1. Il reste à voir si cela influencera les déclarations publiques des responsables russes et/ou le contenu produit par les médias russes financés par l’État (tant nationaux qu’internationaux) et les médias régionaux non étatiques proches du pouvoir. Une autre question se pose : quelles conséquences pourraient en découler si l’Europe et/ou l’Ukraine s’opposent à l’une de leurs déclarations ou à l’un de leurs contenus ?

17. Les États-Unis et la Russie conviennent de prolonger la validité des traités sur la non-prolifération et le contrôle des armes nucléaires, y compris le traité START.

Cela s’inscrit dans la lignée de la proposition de Poutine de prolonger le traité New START d’un an après son expiration en février prochain, ce qui donnerait à la Russie et aux États-Unis le temps nécessaire pour négocier sa modernisation afin de répondre aux nouveaux défis sécuritaires. Parmi les plus importants figurent le mégaprojet du « Dôme d’or » de Trump, les dernières  avancées russes en matière de missiles développées en réaction au retrait des États-Unis d’autres accords de contrôle des armements, la prolifération des drones et la militarisation de l’espace.

18. L’Ukraine accepte d’être un État non nucléaire conformément au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires.

Les tentatives de l’Ukraine de se doter de l’arme nucléaire juste avant l’opération spéciale ont été l’une des raisons pour lesquelles Poutine l’a finalement autorisée, afin d’éviter un tel scénario. L’acceptation de cette disposition par l’Ukraine constituerait donc une victoire pour la Russie. Toutefois, comme pour de nombreux autres points de cet accord, des mécanismes crédibles de vérification et d’application doivent également être mis en place. Ces mécanismes pourraient être négociés au sein des groupes de travail conjoints sur la sécurité, comme le prévoit le point 15.

19. La centrale nucléaire de Zaporojie sera mise en service sous la supervision de l’AIEA et l’électricité produite sera répartie à parts égales entre la Russie et l’Ukraine – 50:50.

La Russie s’était jusqu’alors opposée à toute concession de souveraineté sur cette centrale électrique. Ce point représente donc un compromis incontestable de sa part, un compromis raisonnable au regard des concessions faites par l’Ukraine, l’UE, l’OTAN et les États-Unis dans le cadre de cet accord. Il contribuera également de manière significative à jeter les bases du rétablissement des liens économiques russo-ukrainiens après la fin du conflit, ce qui pourrait constituer un autre facteur de dissuasion mutuelle contre un éventuel second round.

20. Les deux pays s’engagent à mettre en œuvre des programmes éducatifs dans les écoles et la société visant à promouvoir la compréhension et la tolérance des différentes cultures et à éliminer le racisme et les préjugés :

a. L’Ukraine adoptera les règles de l’UE en matière de tolérance religieuse et de protection des minorités linguistiques ;

b. Les deux pays s’engagent à abolir toutes les mesures discriminatoires et à garantir les droits des médias et de l’éducation ukrainiens et russes ;

c. Toute idéologie et activité nazie doit être rejetée et interdite ;

Ce point permettrait d’atteindre l’objectif de dénazification de l’opération spéciale et de jeter les bases juridiques du rétablissement des liens socioculturels russo-ukrainiens après la fin du conflit. Il sous-entend également que les responsables russes, leurs médias financés par l’État et les régions autonomes proches du pouvoir ne peuvent plus nier la séparation actuelle du peuple ukrainien, malgré son unité historique avec les Russes, unité que Poutine a développée dans son ouvrage majeur de juillet 2021. Il y écrivait d’ailleurs, et c’est important, que cette situation devait être traitée « avec respect ! ».

21. Territoires :

a. La Crimée, Lougansk et Donetsk seront reconnues comme étant de facto russes, y compris par les États-Unis ;

b. Kherson et Zaporojie seront figées le long de la ligne de contact, ce qui signifiera une reconnaissance de facto le long de la ligne de contact ;

c. La Russie renoncera aux autres territoires convenus qu’elle contrôle en dehors des cinq régions ;

d. Les forces ukrainiennes se retireront de la partie de l’oblast de Donetsk qu’elles contrôlent actuellement, et cette zone de retrait sera considérée comme une zone tampon démilitarisée neutre, internationalement reconnue comme territoire appartenant à la Fédération de Russie. Les forces russes ne pénétreront pas dans cette zone démilitarisée.

Cela représente un compromis important, la Russie considérant l’intégralité des régions contestées comme sienne. Le point 2 exige également la résolution de « toutes les ambiguïtés des 30 dernières années », empêchant ainsi la Russie de conserver ces revendications après le gel du front. Or, la Constitution interdit toute cession de territoire. Néanmoins, la solution juridique proposée ici en août pourrait être mise en œuvre : la Cour constitutionnelle pourrait statuer qu’il n’y a pas eu de « cession », les revendications abandonnées ne concernant pas des terres sous son contrôle.

22. Après s’être entendues sur les arrangements territoriaux futurs, la Fédération de Russie et l’Ukraine s’engagent à ne pas les modifier par la force. Aucune garantie de sécurité ne sera applicable en cas de violation de cet engagement.

Ce point renforce les politiques de dissuasion déjà proposées dans l’accord, en encourageant le recours à des moyens politico-diplomatiques pour régler tout différend territorial futur. Le retrait explicite des « garanties de sécurité » accordées à la partie qui utilise la force contre l’autre – ce qui inclut même les attaques de drones et les bombardements (et donc les hostilités de type « invasion », alors que les « invasions » sont déjà interdites par le point 10) – vise à les inciter à contenir au maximum leurs éléments les plus radicaux, les faucons et les révisionnistes.

23. La Russie n’empêchera pas l’Ukraine d’utiliser le fleuve Dniepr pour des activités commerciales, et des accords seront conclus sur le libre transport de céréales à travers la mer Noire.

De nombreux observateurs proches de l’État et des groupes armés non étatiques ont affirmé que la Russie libérerait Odessa avant la fin du conflit. Or, cela est fort improbable si les termes de cet accord sont acceptés, car ils font du cours inférieur du Dniepr la nouvelle frontière entre la Russie et l’Ukraine. La Russie n’a jamais visé cet objectif, comme expliqué ici en décembre 2023. Formaliser l’utilisation du fleuve Dniepr par l’Ukraine et son accès continu à la mer Noire après la fin du conflit discrédite donc davantage ces affirmations.

24. Un comité humanitaire sera mis en place pour régler les questions en suspens :

a. Tous les prisonniers et corps restants seront échangés selon le principe « tous contre tous » ;

b. Tous les détenus civils et les otages seront libérés, y compris les enfants ;

c. Un programme de réunification familiale sera mis en œuvre ;

d. Des mesures seront prises pour atténuer les souffrances des victimes du conflit.

Ce point complète le point 20 en ce qu’il jette les bases du rétablissement des liens socioculturels russo-ukrainiens après la fin du conflit, en aidant chaque partie à surmonter autant que possible le traumatisme des quatre dernières années. Aucune blessure ne subsisterait, au sens humanitaire du terme, puisque chacun aurait fait tout son possible pour réparer ses torts. Cette série de gestes significatifs contribuerait grandement à améliorer, au fil du temps, la perception que chaque société a de l’autre.

25. L’Ukraine tiendra des élections dans 100 jours.

L’objectif inavoué de la Russie, à savoir un changement de régime en Ukraine, serait vraisemblablement atteint par ces moyens, la popularité de Zelensky étant déjà en chute libre avant même que le dernier scandale de corruption ne lui porte un coup fatal. Compte tenu de ce point précis de l’accord de paix russo-ukrainien sur lequel la Russie et les États-Unis travailleraient secrètement, le déclenchement de ce dernier scandale par le « Bureau national anti-corruption », soutenu par les États-Unis,  peut être rétrospectivement interprété comme un coup d’État de facto contre Zelensky.

26. Toutes les parties impliquées dans ce conflit bénéficieront d’une amnistie complète pour leurs actions pendant la guerre et s’engagent à ne formuler aucune réclamation ni à prendre en considération aucune plainte à l’avenir.

L’amnistie totale incite Zelensky, sa clique corrompue et les criminels de guerre néonazis ukrainiens à accepter cet accord, et les deux premiers à consentir à une transition progressive du pouvoir. La Russie renoncerait à son projet de Nuremberg 2.0, mais Poutine serait libre de voyager où bon lui semble, le mandat d’arrêt de la CPI étant annulé. Certains membres de leurs sociétés pourraient s’indigner que la justice ne soit pas rendue comme ils l’entendent, mais il s’agit sans doute d’un compromis pragmatique.

27. Cet accord sera juridiquement contraignant. Sa mise en œuvre sera contrôlée et garantie par le Conseil pour la paix, présidé par le président Donald J. Trump. Des sanctions seront appliquées en cas de violation.

On ignore encore la composition exacte du Conseil de paix et ses responsabilités, notamment comment il garantira la mise en œuvre des termes de l’accord. On suppose toutefois qu’il entretiendra une relation étroite avec les groupes de travail conjoints américano-russes. Autre incertitude : qui dirigera le Conseil de paix après le départ de Trump de la Maison-Blanche ? Ces détails sont essentiels pour instaurer une paix durable et feront sans aucun doute l’objet d’intenses négociations.

28. Une fois que toutes les parties auront accepté ce mémorandum, le cessez-le-feu entrera en vigueur immédiatement après que les deux parties se seront retirées aux points convenus pour commencer la mise en œuvre de l’accord.

En d’autres termes, la Russie, l’Ukraine, les États-Unis, l’OTAN, l’UE et la Pologne (où il est proposé d’accueillir des avions de chasse européens) doivent accepter ces conditions (qui pourraient être modifiées) comme condition préalable à un cessez-le-feu (mais l’accord russo-ukrainien est le plus important), tandis que le « retrait » concerne le retrait de la Russie de SumyKharkov et Dnipropetrovsk  (et éventuellement de la petite portion de Nikolaev qu’elle contrôle dans l’ isthme de Kinburn) et celui de l’Ukraine du reste du Donbass (faisant de cette partie cédée une zone démilitarisée).

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Voici quelques observations concernant le fond de cet accord et son calendrier :

* La Russie atteint la quasi-totalité de ses objectifs dans cette opération spéciale grâce à la démilitarisation partielle de l’Ukraine, sa dénazification, le rétablissement de sa neutralité constitutionnelle, l’abandon de tout projet d’armement nucléaire, la réforme de l’architecture de sécurité européenne et le départ de Zelensky (un objectif non déclaré).

* Le « deuxième round » est censé être évité grâce à des « garanties de sécurité » pour l’Ukraine, au renforcement des forces de l’OTAN en Pologne en vue d’une intervention directe en cas d’incident, à des investissements mondiaux dans les infrastructures ukrainiennes servant de déclencheur à des sanctions si la Russie les frappe, et au retrait des États-Unis de l’Ukraine si celle-ci viole l’accord.

* La réintégration progressive de la Russie dans l’économie mondiale (occidentale) et l’utilisation partielle de ses fonds gelés pour financer des projets communs avec les États-Unis, notamment ceux relatifs aux ressources stratégiques et à la 4e révolution industrielle/la croissance mondiale, pourraient compliquer ses plans ambitieux (mais loin d’être réalisés) avec les BRICS et ses liens économiques avec la Chine.

* L’observation précédente suggère que les États-Unis veulent empêcher la Russie de devenir un fournisseur de matières premières pour la Chine, lui permettant ainsi d’accélérer sa trajectoire de superpuissance et, par conséquent, de concurrencer plus efficacement les États-Unis dans la définition des contours du nouvel ordre mondial multipolaire.

De même, l’accord de la Russie avec l’esprit de ces propositions connexes (même si leur contenu est modifié par la négociation) suggérerait qu’elle craint de devenir disproportionnellement dépendante de la Chine, et donc pourquoi elle réajusterait radicalement ses liens géoéconomiques et technologiques par ces moyens.

* Ce calendrier coïncide avec les importantes sanctions énergétiques imposées par les États-Unis à la Russie, ce qui pourrait se retourner contre elle en la rendant plus dépendante de la Chine, ce qui inquiète les États-Unis et peut-être aussi la Russie, ainsi qu’avec l’expansion, facilitée par les États-Unis, de l’influence de la Turquie, membre de l’OTAN, le long de la périphérie sud de la Russie via le corridor TRIPP.

En conséquence, les États-Unis incitent la Russie à accepter cet accord en satisfaisant la plupart de leurs objectifs dans le conflit, tout en contribuant à éviter un « deuxième round » par les moyens précédemment mentionnés, tandis que la Russie doit recentrer d’urgence son attention stratégique sur le Caucase du Sud et l’Asie centrale en réponse à la Turquie.

Le dernier scandale de corruption en Ukraine a également porté un coup fatal à la popularité de Zelensky et pourrait entraîner la perte de son contrôle sur le Parlement si des membres du parti au pouvoir font défection en signe de protestation, le contraignant ainsi à accepter l’accord et la « transition progressive du pouvoir » qu’il prévoit en échange d’une amnistie.

* Objectivement parlant, les compromis mutuels et les mesures de dissuasion contre un « deuxième round » contenus dans l’accord sont d’un pragmatisme impressionnant, à tel point que chaque partie pourrait revendiquer une « victoire » convaincante et ainsi rassurer ses dirigeants respectifs quant au risque de « perdre la face » en acceptant ces conditions.

* La mise en œuvre réussie de cet accord permettrait aux États-Unis et à la Russie de se recentrer chacun sur l’Asie, les premiers en ce sens qu’ils pourraient contenir plus efficacement la Chine dans la région Asie-Pacifique et les seconds en ce qui concerne la manière de contrer de façon créative l’expansion de l’influence turque le long de sa périphérie sud.

Étant donné que la Turquie est membre de l’OTAN et sous influence américaine, un accord donnant-donnant pourrait être trouvé, selon lequel les États-Unis limiteraient l’expansion de l’influence de leur allié dans ce pays en échange d’une limitation par la Russie de sa coopération militaro-technique et éventuellement énergétique avec la Chine, donnant ainsi aux États-Unis un avantage dans leur rivalité.

* Le thème central qui relie le fond et le calendrier de cet accord est donc la volonté des États-Unis de résoudre la dimension russo-américaine de la nouvelle guerre froide afin de privilégier la dimension sino-américaine comme prochaine phase de leur compétition systémique avec la Chine pour le futur ordre mondial.

Cet article a été initialement publié sur le Substack d’Andrew Korybko et est republié avec son aimable autorisation. Abonnez-vous à la newsletter d’Andrew Korybko  ici.

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