A propos de Lénine et de la cuisinière qui doit apprendre à gouverner l’Etat, j’ai jeté une phrase en introduction: Le niveau d’inculture politique pose un vrai problème, au point qu’au meilleur des cas certains redécouvrent l’eau chaude, mais la plupart meurent de soif à côté de la fontaine…
Une lectrice avec qui je suis en dialogue depuis près de trente ans bien que nous n’ayons pas tout au fait pris les mêmes chemins me réponds et reçoit cette phrase comme un ricochet sur ses propres incertitudes… Sur l’essentiel nous nous sommes toujours retrouvées, à savoir l’importance de la révolution d’octobre. Jackelyne Boyer, elle se nomme ainsi commente : Mourir de soif près de la source… mon obsession depuis des années et cette obsession nourrit mon optimisme relatif. Où est elle cette putain de source qui permettrait de débloquer la situation cataclysmique où nous sommes.
Merci, Danielle, pour ton travail.
revenons en à la source, celle de cette langue française, qui s’exerce autour de ce constat : je meurs de soif auprès de la fontaine Rien ne m’est sur que la chose incertaine a dit François Villon en réponse à Charles d’orléans qui avait décrit les errances d’un coeur aimant:
Je meurs de soif en couste la fontaine ;
Tremblant de froit ou feu des amoureux ;
Aveugle suis, et si les autres maine ;
Povre de sens, entre saichans l’un d’eulx ;
Trop negligent, en vain souvent songneux ;
C’est de mon fait une chose faiee,
En bien et mal par Fortune menee.
Je gaingne temps, et pers mainte sepmaine ;
Je joue et ris, quant me sens douloreux ;
Desplaisance j’ay d’esperance plaine ;
J’atens bon eur en regret engoisseux ;
Rien ne me plaist, et si suis desireux ;
Je m’esjoïs, et cource a ma pensee,
En bien et mal par Fortune menee.
Je parle trop, et me tais a grant paine ;
Je m’esbays, et si suis couraigeux ;
Tristesse tient mon confort en demaine ;
Faillir ne puis, au mains a l’un des deulx ;
Bonne chiere je faiz quant je me deulx ;
Maladie m’est en santé donnee,
En bien et mal par Fortune menee.
ENVOI
Prince, je dy que mon fait maleureux
Et mon prouffit aussi avantageux,
Sur ung hasart j’asserray quelque annee,
En bien et mal par Fortune menee.
c’est vrai nous sommes quelques uns à mourir de soif auprès de la fontaine comme le chantaient Villon et charles d’orléans dans un concours de poèsie où s’affrontaient le poète princier charles d’orléans et François Villon, le « goliard » cet escolier voyou de la plèbe et des marchands de Paris au XIIIe siècle, que pouvait-il advenir de cette rencontre? … très longtemps après ce fut la Révolution française dans laquelle Figaro, le domestique escroc et retors a fini par faire la peau au grand seigneur et à ses égarements amoureux comme le prévoyaient Beaumarchais et Mozart, même Diderot avec son jacques le fataliste qui comme moi était dans la digression perpétuelle…
Et comme le disait Balzac, pas tout à fait dans leur camp, mais dont les mots sonnaient juste, dans le père Goriot à propos des « passions » : certains n’on soif que d’une eau croupie, elle seule les désaltère, ils chaussent une idée et n’en démordent point, il parle de la manière dont le père Goriot ce roi Lear des boutiquiers est dévoré par l’amour de ses filles ingrates, mais aussi de Vautrin, le bagnard policier qui par passion pour le beau et faible Rubempré devient le maitre de la police et des criminels unis dans le même sens de l’ordre bourgeois.
Cette phrase je l’ai également écrite en pensant à Picasso qui disait avoir adhéré au PCF de Maurice Thorez comme on se désaltère à la fontaine… toujours cette soif de quoi ? qu’est-ce qui désaltère la passion de l’histoire? Pourquoi est-ce que cela nous hante ?
Nous avons connu ce parti là, il n’existe plus et comme me le disait Aragon « Pour des gens comme vous et moi, il devient parfois un mauvais lieu, un coupe gorge »… mais pas pire que les autres, il reste en lui parfois des traces… qui nous ou plutôt me font guetter le réveil…
Mais en ce moment, il y a des instants comme ça, depuis trente ans nous savons bien quand nous sommes désemparés, surpris par la découverte de la distance entre notre passion et ce que les autres nous prêtent de semblable à eux. Quand nous n’avons plus rien à donner et là je pense au conte de Daudet, l’homme à la cervelle d’or, qui distribue par amour des fragments de cette cervelle à une sotte qui lui réclame le prix d’une paire de bottine, il racle sa cervelle et il n’en retire que des rognures de sang et d’or..
je suis dans le temps du désenchantement le plus total, je suis seule comme je ne l’ai jamais été, vieille, ayant perdu depuis au moins une décennie tous ceux que j’aimais avec qui j’avais un langage commun et je vais désabusée, le coeur serré, étouffée par la sottise de ceux en qui j’ai voulu croire et je ne retire plus de moi que ces traces de sang et d’or, j’ai tout donné en vain…
Donc ce n’est vraiment pas le moment de me demander un conseil de survie…
danielle Bleitrach
Views: 77



