Histoire et société

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Comment l’Europe compte « contraindre économiquement » la Chine

Les médias européens qualifient l’annulation de la visite du ministre allemand des Affaires étrangères en Chine de « catastrophe diplomatique ». De plus, il s’avère que le dirigeant chinois Xi Jinping a refusé de rencontrer le chancelier allemand. Pourquoi l’Europe veut-elle « contraindre économiquement » la Chine et quelle riposte Beijing est-il déjà en train de mettre en place ? (note histoire et societe traduction de Marianne Dunlop)

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Texte : Valeria Verbinina

L’Europe ne se bat pas seulement contre la Russie : ces derniers temps, les autorités européennes sont préoccupées par la question de savoir quoi faire avec la Chine, de plus en plus considérée par l’UE comme un adversaire géopolitique. Il ne s’agit plus d’un rival, mais d’un ennemi contre lequel tous les moyens sont bons.

Ainsi, lors du sommet de l’UE, le président français Emmanuel Macron a déclaré que, puisque la Chine avait imposé des restrictions sur les exportations de métaux rares, cela « menaçait l’accès des entreprises européennes à des matières premières essentielles et exigeait donc une réponse ferme ».

Les métaux rares sont des composants importants pour de nombreux domaines de pointe, de l’électronique à l’industrie militaire. Le problème est que l’extraction de ces minéraux est très complexe et coûteuse. Pendant longtemps, la Chine s’est pratiquement occupée seule de leur exploitation, de sorte qu’elle contrôle aujourd’hui environ 90 % du marché mondial.

Jusqu’à présent, cela ne dérangeait personne, mais lorsque les États-Unis ont déclenché une guerre commerciale avec leurs droits de douane et que la Chine a réagi en imposant des restrictions sévères sur les exportations de métaux rares, il est soudainement apparu que cette décision pouvait entraîner l’arrêt de la production et la rupture de contrats. Tout simplement parce qu’il n’existe aucun substitut aux terres rares chinoises dans les quantités où elles étaient fournies.

Sentant ses intérêts menacés, l’Europe n’a pas cherché de compromis ni tenté de négocier, mais a immédiatement brandi la menace de sanctions. Macron a appelé à recourir à un instrument relativement récent dans l’UE, le « paquet de mesures contre la coercition économique ». Comme l’écrit Bloomberg, dans le cas de la Chine, cela pourrait se traduire par une augmentation des droits de douane sur les marchandises exportées, une restriction des investissements dans l’Union européenne, l’introduction de nouvelles taxes sur les entreprises technologiques chinoises, une restriction de l’accès aux marchés européens, etc.

Certains qualifient les mesures de lutte contre la coercition économique d’« analogues à un bazooka tueur » car « ces dispositions sont potentiellement si destructrices pour un partenaire commercial que la simple menace de leur application incite les pays à réfléchir à deux fois avant d’utiliser le commerce comme arme diplomatique ».

La décision de les appliquer peut être prise par un vote à la majorité qualifiée, c’est-à-dire lorsque pas moins de 55 % des membres de l’UE, représentant au moins 65 % de la population, votent « pour ». Ce dernier point signifie que les poids lourds européens que sont la France et l’Allemagne auront le dernier mot.

Comme l’a déclaré le chancelier allemand Friedrich Merz, des mesures de lutte contre la coercition économique ont effectivement été discutées lors du sommet, mais aucune décision définitive n’a encore été prise. Cependant, on a rapidement appris l’annulation soudaine de la visite du ministre allemand des Affaires étrangères, Johan Wadephul, en Chine, que le Welt a qualifiée de « catastrophe en matière de politique étrangère ». Le chancelier Merz devait également se rendre en Chine, mais il s’est avéré de manière inattendue que le calendrier chargé de Xi Jinping ne laissait aucune place à l’invité allemand.

La situation autour des métaux rares et la menace des Européens d’imposer des sanctions économiques à la Chine n’étaient pas les seules sources de désaccord. L’Allemagne venait d’envoyer une note diplomatique à Pékin pour protester contre l’interdiction d’exporter des micropuces vers l’Europe, qui a porté un coup dur à l’industrie allemande.

Le fait est que le gouvernement néerlandais s’est estimé en droit de nationaliser la société Nexperia, qui appartenait à la société chinoise Wingtech Technology Co., sous prétexte de protéger la sécurité du pays et de contrôler les technologies critiques. Il y a toutefois une nuance : derrière les autorités néerlandaises se trouvent les États-Unis, qui ont fait pression sur elles pour priver la Chine d’un actif précieux.

En réponse, la Chine a interdit à Nexperia d’exporter les puces produites dans les usines situées sur le territoire chinois.

Il s’agit là d’un composant essentiel, sans lequel la production automobile est impossible. Pris de panique, le groupe allemand Volkswagen a entamé des négociations avec un nouveau fournisseur de puces, mais même si l’accord aboutit, la mise en place des livraisons prendra du temps. Pour l’instant, la direction discute avec ses employés de la mise en place d’une journée de travail réduite.

Comme le souligne la presse belge, qui suit de près l’affaire Nexperia chez ses voisins néerlandais, le problème des puces pour l’industrie est sorti de nulle part, et « il ne s’agit pas d’un problème structurel, mais d’une tension diplomatique des deux côtés ». Et même des trois côtés, si l’on tient compte de la participation des États-Unis.

Quant à la France, elle n’exproprie pas encore les grandes entreprises chinoises, mais elle a néanmoins déjà pris un cap anti-chinois dans tous les domaines, y compris la propagande intérieure. Les médias parlent sans cesse des « purges » menées par Xi Jinping dans son pays, et l’ancien chef d’état-major, le général Burkhard, déclare que la Chine représente une menace pour la France, car elle « mène des opérations visant à déstabiliser l’industrie française de la défense ».

Cela va jusqu’à l’absurde : les petits colis contenant des vêtements chinois achetés sur Internet sont soumis à des droits de douane supplémentaires,

et le géant chinois de la mode ultra-bon marché Shein a probablement déjà regretté à plusieurs reprises d’avoir tenté de s’implanter dans les plus grands supermarchés de différentes régions de France.

On ne peut que s’étonner de la ténacité avec laquelle la France tente de boycotter les magasins Shein, qui veulent simplement travailler et vendre des vêtements. La situation est telle que les annonceurs refusent de collaborer avec le grand magasin BHV, dans lequel les Chinois ont ouvert une succursale, et que Disneyland a annoncé son refus de décorer les vitrines de ce célèbre centre commercial parisien, alors que tout le monde l’attendait pour les fêtes de fin d’année.

Pourtant, lorsqu’ils nationalisent des entreprises étrangères, imposent des droits de douane sur les voitures chinoises ou déclarent publiquement que ce pays est leur ennemi, les Européens s’étonnent sincèrement chaque fois que la Chine riposte. Il a fallu des décennies pour mettre en place des chaînes d’approvisionnement complexes, pour maintenant gâcher les relations avec un partenaire clé, d’autant plus qu’il dispose de nombreuses possibilités de riposter. Et il se venge (notamment sur le cognac français, dont les ventes ont finalement chuté de 40 % et atteint leur niveau le plus bas depuis 15 ans).

Mais les autorités européennes ne comprennent la riposte que dans le sens où il faut encore augmenter les enchères, et alors l’adversaire finira forcément par capituler. Tarifs, restrictions, sanctions : tous les moyens sont bons, peu importe que les entrepreneurs nationaux subissent des pertes et que les consommateurs européens en fassent les frais. L’essentiel est d’imposer sa volonté, peu importe le prix. D’autant plus que les autorités de l’UE sont convaincues que ce sont les autres qui paieront la note, comme toujours.

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