Histoire et société

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Actifs gelés : la Russie doit répondre à l’Occident à la manière bolchevique, ils ont oublié ce qu’a fait Lénine

Свободная Пресса

L’Union européenne accélère les préparatifs pour l’octroi d’un « crédit de réparation » à l’Ukraine sur les fonds de la Fédération de Russie. La proposition (qui n’a pas été adoptée à la réunion des « coalisés » malgré la pression de l’Ukraine) à cause des réticences juridiques de la Belgique face à l’illégalité de la mesure, le manque d’enthousiasme de l’Allemagne qui a de fait le plus à perdre en cas de rétorsion. Pourtant la porte parole de l’UE a annoncé qu’il ne s’agissait que d’un report destiné à calmer les « inquiétudes ». Donc il est possible que l’illégalité de la saisie (déjà les intérêts des sommes russes sont généreusement attribués à l’Ukraine) soit reconnue au niveau international. Mais le fait est que cette question agite les esprits et provoque une fois de plus la référence à l’Union soviétique et en particulier à Lénine qui a initié toute une stratégie en matière de réponse juridique aux menées des puissances occidentales qui tentaient de dépecer la jeune Russie bolchevique puis les autres républiques qui ont formé l’URSS. Nous esquissons dans notre livre cette histoire qui se déroule en particulier en Asie centrale, à la rencontre de la Chine et de la Corée. (note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop pour histoireetsociete)

Par Dmitri Rodionov

La neuvième cour d’appel arbitrale a donné raison à la Rosselkhozbank (RSHB) qui demandait à Euroclear Bank plus de 641 000 dollars, plus de 275 000 euros, environ 21 millions de roubles et plus de 18 000 francs suisses de manque à gagner en raison du gel par le défendeur des titres appartenant au plaignant, rapporte RIA Novosti.

Une question se pose immédiatement : qui reconnaîtra la décision de cet arbitrage en dehors de la Russie ? De la même manière, nous ne reconnaissons pas les décisions de leurs tribunaux. Mais il y a une nuance : ce sont eux qui ont saisi notre argent et qui, en le faisant fructifier, reversent les bénéfices à Kiev, et non nous.

Et encore une chose. Le ministre polonais des Affaires étrangères, Radosław Sikorski, a déclaré que l’Union européenne était proche d’une « résolution favorable » de la question de l’octroi à l’Ukraine d’un « crédit de réparation » de 140 milliards d’euros garanti par les actifs russes gelés. Selon lui, un accord pourrait être conclu avant la fin de l’année.

De plus, ils veulent impliquer les États-Unis, où 7 milliards de dollars d’actifs russes sont gelés. Selon The Guardian, des négociations se poursuivent sous l’égide de Londres pour déterminer la contribution de chacun des pays du G7 à la mise en œuvre de ce plan et la participation éventuelle de Washington.

Et comment pouvons-nous répondre ? En prenant des décisions impossibles à mettre en œuvre ?

« Si l’on établit un parallèle historique, la tactique que nos dirigeants politiques adopteront probablement est celle des bolcheviks lors de leurs contacts avec l’Occident après la fin de la Première Guerre mondiale », estime Evgueni Semibratov, directeur adjoint de l’Institut d’études stratégiques et de prévisions de l’Université russe d’études internationales (RUDN).

« Lorsque les pays occidentaux ont exigé de la Russie soviétique le paiement des dettes tsaristes, le jeune pouvoir bolchevique a présenté aux pays occidentaux une facture pour les dommages qu’ils avaient causés au pays pendant les années d’intervention. Et cette facture était 2,5 fois supérieure à celle de l’Occident pour les dettes tsaristes.

Je pense que dans ce cas, nous assistons à la préparation d’une base juridique pour riposter en cas de confiscation des actifs russes. En principe, de telles décisions peuvent également être utilisées comme monnaie d’échange politique avec l’Occident, qui utilise déjà les revenus des actifs russes pour soutenir le régime de Kiev.

Bien sûr, les décisions du tribunal arbitral de Moscou ne seront pas exécutées à Bruxelles. Tout comme, conformément à notre législation, les décisions des tribunaux internationaux et des tribunaux européens n’ont aucune valeur juridique pour notre pays.

Mais ici, il s’agit avant tout de se préparer à un futur marchandage politique qui aura peut-être lieu, ou peut-être pas.

« SP » : Selon Sikorsky, la question du crédit à l’Ukraine à partir des actifs de la Fédération de Russie est sur le point d’être résolue…

—Oui, nous sommes actuellement confrontés à des initiatives de l’Union européenne visant à accorder des crédits sur les actifs russes gelés. Il s’agit d’une tentative de confiscation. Compte tenu du niveau de corruption observé au sein de la Commission européenne, la possibilité d’appliquer un tel schéma n’est pas seulement à exclure, elle sera appliquée à 100 %. Mais je tiens à souligner une fois de plus que, juridiquement, cette procédure n’aura pratiquement aucune valeur, car elle sape en tout état de cause le système financier occidental, et ce n’est pas un hasard si Macron s’oppose à cette initiative, affirmant qu’elle porterait un coup à l’euro.

Oui, ce sera un coup dur, mais l’Europe n’a pas d’autre moyen de soutenir le régime de Kiev en 2026.

« SP » : À l’heure actuelle, sous l’égide du Royaume-Uni, les négociations se poursuivent sur la contribution de chacun des pays du G7 à la mise en œuvre de ce plan et sur la participation éventuelle des États-Unis. Mais il est clair que si Trump mord à l’hameçon, il faudra certainement oublier tout accord avec Moscou…

— Le volume des actifs russes gelés aux États-Unis est faible. Dans ce cas, à mon avis, il ne s’agit pas de finances, mais d’un élément politique. Les Britanniques recourent à de nombreuses ruses, celle-ci n’étant qu’une parmi d’autres, visant à lier l’administration Trump aux processus et tendances politiques qui sont actuellement dictés. Et cela pourrait constituer un précédent, encore plus grave que les livraisons potentielles, qui n’ont pas encore eu lieu, de missiles de type « Tomahawk » au régime de Kiev.

« La décision de notre tribunal est plutôt symbolique, elle relève du domaine des contre-sanctions. Je pense qu’elle n’aura pas de conséquences pratiques, mais en tant qu’élément de la guerre de l’information, pourquoi pas », poursuit Vsevolod Shimov, conseiller du président de l’Association russe des études baltiques.

« SP » : La Russie a-t-elle des options pour répondre concrètement ? Peut-être saisir certains biens en guise de représailles ? Mais lesquels ? Euroclear ne possède guère de biens sur le territoire russe…

— Si les sanctions sont levées et qu’Euroclear décide de renouer sa coopération avec la Russie, il devra soit payer la somme réclamée, soit indemniser les dommages.

Mais aujourd’hui, il s’agit d’une possibilité purement hypothétique, il est prématuré d’en parler. Dans l’ensemble, la guerre des sanctions actuelle aura probablement des conséquences juridiques à long terme, qui devront être réglées pendant longtemps encore.

« SP » : Pensez-vous qu’ils se décideront à accorder un « crédit de réparation » à l’Ukraine à nos frais ?

— Tout à fait. Ils s’apprêtent depuis longtemps à dépouiller les actifs et recherchent la formulation juridique la plus acceptable. Les Européens tentent de sauver la face et leur réputation commerciale, c’est pourquoi ils essaient de présenter l’expropriation des actifs russes sous le jour le plus favorable possible.

« SP » : Quelles pourraient être les conséquences ?

— Au sein de l’UE, la Russie est en fait mise hors la loi, bien que son statut d’« agresseur » ne soit pas juridiquement établi — de plus, même l’Ukraine n’est pas officiellement en état de guerre avec la Russie. Bien sûr, tout cela sape la réputation de l’UE elle-même aux yeux des acteurs extérieurs et érode l’ensemble du système du droit international.

« SP » : Le commissaire européen à la défense, Andrius Kubilius, a récemment confirmé que la Commission européenne avait l’intention d’exproprier les actifs russes gelés en Occident d’ici la fin 2025. Y parviendront-ils en deux mois ?

— Peut-être qu’ils n’y arriveront pas avant la fin de l’année, mais si une décision de principe a été prise, les dissidents comme la Hongrie ou la Slovaquie seront forcément mis sous pression, ce n’est qu’une question de temps.

« SP » : Les Britanniques veulent encore impliquer les États-Unis. Ceux-ci refusent pour l’instant…

— Plus la situation intérieure de la Grande-Bretagne est mauvaise, plus elle s’emploiera à semer le trouble à l’extérieur, et elle est réputée pour ses intrigues en matière de politique étrangère. Londres agit selon sa logique habituelle.

Ils tenteront certainement de « faire pression » sur Trump ou de le convaincre de l’inutilité des négociations avec Moscou. S’il y croit, il pourrait bien se joindre au jeu des Britanniques. Il est évident que beaucoup dépendra de la réunion de Budapest et de ses résultats.

« SP » : Peut-on comparer la situation des actifs russes pour l’UE et les États-Unis ? Les États-Unis en ont moins, mais ils semblent moins soucieux de leur réputation. Trump est-il davantage motivé par le désir de parvenir à un accord avec Moscou ?

— Oui, Trump garde cet instrument en réserve et utilisera très probablement les actifs russes gelés comme monnaie d’échange dans les négociations avec Poutine.

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