Rendu par un tribunal polonais, le précédent a été approuvé par le Premier ministre polonais et pourrait bientôt être utilisé comme arme contre la Hongrie. Ce petit pays d’Europe centrale prend de plus en plus l’allure d’un nouveau Sarajevo et à ce titre nous allons multiplier ce weekend les analyses autour de ce qui dans l’UE fait effectivement irrésistiblement songer à la question des Balkans pour la première guerre mondiale… avec les grandes différences d’une Europe qui n’est plus le centre de gravité de l’ordre mondial déjà là, ni même celui de l’hégémon qui tente de résister. Et la Hongrie n’est plus que le lambeau d’un empire à jamais disparu, il est néanmoins le lieu dans lequel a commencé à se disloquer l’URSS et le pacte de Varsovie, comme ce pays étrangement devient le lieu de la dislocation à la marge « européenne » de l’empire américain… (note et traduction de Danielle Bleitrach)
par Andrew Korybko 24 octobre 2025

La semaine dernière, le juge polonais Dariusz Lubowski a refusé l’extradition vers l’Allemagne d’un suspect de l’attaque de Nord Stream. En plus de statuer qu’il n’y avait pas de preuves contre le plongeur ukrainien, le juge a déclaré que :
- Cet acte de sabotage s’est produit dans le contexte d’une « guerre juste et défensive » ;
- L’Allemagne n’a pas juridiction sur les eaux internationales dans lesquelles cela s’est produit ; et
- l’État ukrainien serait responsable si c’est lui – et non les conspirateurs qui l’ont menée – qui a réellement orchestré l’attaque de 2022.
Cela a provoqué la colère du ministre hongrois des Affaires étrangères, Peter Szijjarto, bien que son pays n’ait aucun intérêt direct dans cette affaire.
Le ministre hongrois écrivait alors sur X : « Scandaleux : selon la Pologne, si vous n’aimez pas une infrastructure en Europe, vous pouvez la faire exploser. Avec cela, ils ont donné l’autorisation préalable pour des attaques terroristes en Europe. La Pologne n’a pas seulement libéré un terroriste, mais elle le célèbre – c’est là où en est l’État de droit européen ».

Ce sont des points convaincants qui montrent que la Hongrie se soucie des principes en jeu dans cette affaire. Il a aussi des enjeux indirects dans tout cela dont les observateurs occasionnels ne sont peut-être pas conscients et qui seront maintenant expliqués.
Beaucoup l’ont probablement oublié, compte tenu de tout ce qui s’est passé au cours des trois dernières années et demie, mais la Hongrie reçoit une part importante de son pétrole de l’oléoduc russe Druzhba qui transite par l’Ukraine. Szijjarto avait précédemment accusé Kiev d’avoir attaqué cette infrastructure critique en guise de punition implicite pour l’approche pragmatique de Budapest envers le conflit, et son gouvernement a même sanctionné le commandant impliqué, Robert « Magyar » Brovdi. La décision de Lubowski, cependant, remet en question la légitimité de la politique hongroise.
Le précédent de déclarer que la lutte de l’Ukraine contre la Russie est une « guerre juste et défensive » pourrait être exploité par les juges de toute l’UE pour absoudre Kiev de sa responsabilité dans l’atteinte à la sécurité énergétique de la Hongrie.
Ils pourraient également faire valoir que la Hongrie n’a aucune juridiction sur la Russie, où le gazoduc Droujba a été bombardé, tout comme Lubowski a soutenu que l’Allemagne n’a aucune juridiction sur les eaux internationales dans lesquelles Nord Stream a été bombardé.
Une telle décision, même si elle n’est que symbolique, isolerait davantage la Hongrie au sein de l’UE.
Dans la pratique, certains membres pourraient accueillir le « Magyar » bien que la Hongrie lui ait interdit d’entrer dans l’UE, tandis que d’autres pourraient promettre à l’Ukraine qu’elle peut continuer à saper sa sécurité énergétique sans craindre d’être sanctionnée par l’UE.
La Pologne pourrait montrer la voie après que le ministre des Affaires étrangères Radek Sikorski a tweeté à Szijjarto : « J’espère que votre courageux compatriote, le major Magyar, réussira enfin à détruire l’oléoduc qui alimente la machine de guerre de Poutine. » Il n’est donc pas surprenant que « Magyar » se rende bientôt à Varsovie.
Tout comme l’attentat à la bombe de Nord Stream était une attaque contre l’OTAN et l’Allemagne, membre de l’UE, les attentats de Droujba ont également été des attaques contre l’OTAN et la Hongrie, membre de l’UE.
Si l’Allemagne ne peut pas faire avancer ses intérêts vis-à-vis de Nord Stream, bien qu’elle accueille plus de troupes militaires américaines que n’importe quel membre de l’OTAN et qu’elle soit le leader de facto de l’UE, alors la Hongrie, comparativement moins importante, n’a aucune chance de faire avancer les siens vis-à-vis de Droujba. Il en va de même pour la Slovaquie et la Serbie, non membre de l’OTAN et de l’UE.
La décision de la Pologne sur le suspect Nord Stream a donc enragé la Hongrie parce que le précédent qui avait été établi pourrait bientôt être utilisé comme arme contre elle. Un autre point significatif est que cela revient à justifier légalement une attaque contre un autre membre de l’OTAN et de l’UE. Les implications sont considérables et pourraient diviser davantage les deux blocs.
La renaissance progressive de la Pologne de son statut de grande puissance ébranle donc l’ordre européen et crée encore plus d’incertitude sur un continent déjà tourmenté par celle-ci.
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