Plus d’un siècle après avoir chassé leurs résidents chinois, les villes de l’ouest US s’excusent avec des parcs, des plaques et des proclamations. Mais elles sont rarement rédigées avec une clarté telle que l’on sait à qui elles s’adressent ou ce dont nous devrions nous souvenir. Cet article d’une descendante d’immigrants chinois aux Etats-Unis brosse à petites touches une décomposition identitaire. Dans un contexte, celui où l’on voit à Londres ce weekend manifester une centaine de milliers d’individus, convaincus une fois de plus d’être victimes du péril que l’étranger qu’il soit jaune, noir ou quoi que ce soit d’autre… Où commence et où finit l’excuse… Aujourd’hui nous nous interrogeons sur les « illusions » des « rédemptions » qui restent en surface et continuent à alimenter des mythes dans lesquels se poursuivent et s’amplifient la désagrégation de la vie collective des nations… (note et traduction d’histoireetsociete)
13 septembre 2025

Pêcheurs chinois à Monterey, Californie, 1875. Photographie d’Albert Dressler / Avec l’aimable autorisation de la California Historical Society Collection à Stanford
Je me tenais sur la scène de l’Université de Puget Sound, me préparant à donner une conférence sur la violence anti-chinoise dans l’Ouest américain, lorsqu’un homme que je n’avais jamais rencontré s’est avancé à vers moi. Il a été présenté comme membre du conseil municipal de Tacoma. Sans préambule, il s’est tourné vers le public, puis vers moi.
« Je dis à mes enfants que la réconciliation commence par des excuses », a-t-il déclaré. « Au nom de la ville de Tacoma, je suis désolé. »
Peut-être voulait-il s’excuser au nom du public. Mais il a atterri sur moi.
En novembre 1885, les habitants blancs de Tacoma, dans le territoire de Washington, chassèrent leurs voisins chinois. Cela n’a pris que quelques heures. Armés de gourdins et de pistolets, des miliciens ont fait du porte-à-porte, rassemblant plus de trois cents hommes, femmes et enfants dans les rues et hors de la ville. Alors que la marche forcée commençait, la pluie a commencé à tomber. Deux des expulsés sont morts de froid ; les autres se rendirent à Portland à pied ou en train. Quelques jours plus tard, des incendiaires sont revenus pour brûler ce qui restait de Chinatown. Personne n’est revenu. Pendant des décennies, quiconque essayait de le faire était à nouveau chassé dans les mêmes conditions. Cette histoire était le sujet de mon exposé. C’était la raison pour laquelle j’étais venu à Tacoma.
Le conseiller municipal de Tacoma m’a regardée. Instinctivement j’ai voulu lui répondre, par un de mes gestes renforcer le sien. Je sais ce qu’il dit à ses enfants. Je dis la même chose aux miens : quand quelqu’un s’excuse, vous l’acceptez. Mais ce n’était pas à moi de me confondre en excuse. Je les ai laissé flotter dans les airs.
Lorsque vous visitez les archives d’une petite ville de l’ouest, que vous demandez des documents sur la violence anti-chinoise et que vous avez l’air d’être chinois, les excuses ne manquent pas de fleurir. Alors que je faisais des recherches pour mon dernier livre dans l’une de ces archives, le gentil archiviste blanc s’excusait toutes les vingt minutes environ, chaque fois qu’il remettait une autre preuve.
« Celui-ci est le rapport d’un coroner sur un « Chinois » tué par des inconnus. Je suis désolé.
Dans celui-ci, le shérif a essayé d’arrêter un Chinois et a tiré sur un autre à la place. Je suis désolé.
« Je suis désolé. Celui-ci implique un suicide. Il était en prison.
Les bénévoles qui ont travaillé avec lui ont fait écho à ce refrain. « Je suis désolée », m’a dit l’une d’elles, une femme aux cheveux blancs et au sourire compatissant. « Voulez-vous un caramel ? » Elle m’a regardé du coin de l’œil pendant la majeure partie de son quart de travail, discutant avec les autres des incendies de forêt, de ses petits-enfants, d’un ami atteint d’un cancer et de ce qu’il fallait faire des « illégaux » qui étaient venus en ville. Autrefois, il y avait eu des Chinois dans cette colonie de la ruée vers l’or. Maintenant, il n’y avait plus que des résidents blancs et de nouvelles craintes d’une menace d’immigration. J’ai travaillé avec en bouche le goût d’un bonbon fondant.
Lorsque j’ai eu du mal à déplier un dossier, la bénévole s’est précipitée pour m’aider sans qu’on le lui demande. Ses ongles polis apparaissent sur mes photos des matériaux, encadrant des images de discrimination et de mort. Elle s’est penchée pour lire par-dessus mon épaule.
« C’est tout simplement terrible la façon dont ils ont été traités », a-t-elle déclaré. « Je suis vraiment désolée. »
Tacoma a une longue histoire dans la tentive d’essayer de faire face à ce qui s’est passé là-bas. L’effort a commencé en 1991, lorsque le conseil municipal a sollicité l’avis du public sur la façon de réaménager une étendue de terrain le long du front de mer. Parmi les suggestions figurait une note manuscrite de David Murdoch, un pasteur canadien qui avait déménagé dans la ville. Il proposa que la ville reconnaisse l’expulsion de 1885. « Notre ville ne s’est jamais excusée pour cette injustice flagrante », a-t-il écrit, « et il semblerait que notre ville, en conséquence, ait souffert (à bien des égards : en particulier la réputation et l’unité). » Sa solution : « une zone de réconciliation » – un petit parc, avec un motif chinois – et un comité de citoyens, avec des membres « essentiellement d’ascendance chinoise ».
La note de Murdoch est arrivée au milieu d’une vague mondiale de contrition publique. Ce qui a commencé dans les années 1980 avec les appels de l’Australie à se réconcilier avec les communautés aborigènes est devenu, selon les mots d’un historien, « une frénésie mondiale pour équilibrer les registres moraux ». Aux États-Unis, des commissions de vérité ont été lancées pour faire face à l’esclavage, à la colonisation d’Hawaï, à l’expérience de Tuskegee, à la violence Jim Crow et à l’incarcération des Américains d’origine japonaise. Le langage de la réconciliation s’inspire ouvertement de la psychologie – traumatisme, guérison – et tacitement de la théologie : confession, rédemption.
Le geste de Tacoma était précoce et, à l’époque, singulier. Bien que des centaines de villes de l’Ouest américain aient eu des histoires de violence anti-chinoise, je n’ai pas pu en trouver d’autres qui aient procédé à une reconnaissance officielle. En 1993, Tacoma a brisé le silence collectif et a adopté la résolution n° 32415. Il ne s’est pas excusé. Mais il a qualifié l’expulsion d’« événement des plus répréhensibles », a affirmé l’engagement du conseil à « éliminer le racisme et la haine » et a alloué 25 000 dollars à la construction d’un parc. Aucune autre ville n’a été officiellement confrontée à son propre rôle dans la violence anti-chinoise pendant encore deux décennies.
Tacoma a passé des années à construire son parc de réconciliation chinoise. David Murdoch a tendu la main à la petite communauté chinoise qui vivait alors dans la ville, pour la plupart des immigrants récents qui n’avaient jamais entendu parler de l’expulsion de 1885 et se sentaient initialement détachés de ce qu’ils appelaient « l’histoire ancienne ». Mais, au moment où j’ai visité le parc pour la première fois, en 2009, cette indifférence s’était transformée en objectif. J’ai été rejointe par Theresa Pan Hosley, une immigrante et femme d’affaires taïwanaise, qui s’était lancée dans le travail de recherche, de collecte de fonds et de design. Alors qu’elle s’occupait de penser les plaies de la communauté locale, elle m’a dit qu’elle espérait également que le mémorial serait enregistré en Chine. « Nous voulons voir venir ces bus de touristes chinois, ceux qui passent par Seattle », a-t-elle déclaré. « Nous voulons qu’ils viennent ici, à Tacoma. »
Lorsque j’y suis retournée en 2020, j’ai de nouveau visité le parc, cette fois seule. Une carte à l’entrée annonçait : « Votre voyage vers la réconciliation commence ici ». Ces mots me firent réfléchir ; étaient-ils destinés à moi, une Américaine d’origine chinoise de cinquième génération qui était une étrangère à cette ville et à son histoire ? Devais-je cheminer vers la réconciliation ?
C’est une courte promenade. Je me suis promenée jusqu’à la « Montagne d’Or », j’ai traversé le « Tertre du Dragon », j’ai passé l’expulsion et je me suis rendue au Fuzhou Ting, un pavillon offert par la ville jumelle de Tacoma en Chine. Le long du chemin, des pancartes vantaient le parc comme « un modèle de réconciliation », un espace pour « démontrer comment le processus de réconciliation peut générer des changements positifs et inspirer une communauté unie, tant à l’échelle locale que mondiale ».
Aujourd’hui, il y a encore peu de résidents chinois à Tacoma, et aucun n’a de liens avec le quartier chinois d’origine. Les bénévoles ont passé des décennies à essayer de localiser les descendants des personnes expulsées, sans succès. La destruction était trop complète.
La ville a consacré son attention à se souvenir de ce qu’elle a détruit. Mais je me suis retrouvée à penser à ce qu’elle avait construit. La destruction de Chinatown a coïncidé avec l’augmentation du contrôle fédéral des frontières dans les années 1880. L’expulsion de la communauté chinoise de Tacoma n’était pas seulement un acte de violence locale, elle faisait partie d’un projet national d’exclusion raciale.
Plus d’un siècle plus tard, la ville n’a pas de quartier chinois, mais elle possède un centre de détention d’immigrants. Géré par le GEO Group et sous contrat avec l’Immigration and Customs Enforcement des États-Unis, le centre de traitement de l’ICE du Nord-Ouest peut détenir jusqu’à 1 575 détenus. C’est l’une des plus grandes prisons d’immigration du pays.
Si vous continuez à marcher au-delà du Fuzhou Ting, au-delà du « Voyage vers la réconciliation », le long des voies ferrées et sous l’autoroute, vous finirez par y arriver. Peut-être y a-t-il là des descendants.
Moins d’un mois après mon deuxième voyage à Tacoma, la pandémie de COVID-19 s’est propagée dans le monde entier. En mai, un policier blanc, Derek Chauvin, a tué George Floyd tandis qu’un officier Hmong retenait la foule. En juin, des manifestations ont rempli les rues américaines d’appels à l’abolition de la police. Pendant ce temps, la peur du « virus chinois » a attisé une vague de violence anti-asiatique. En avril 2021, la fusillade du spa d’Atlanta a fait huit morts, dont six femmes asiatiques.
Alors que les accusations de racisme anti-Noirs, de brutalité policière et de haine anti-asiatique se multipliaient à travers l’Amérique, la ville d’Antioche, en Californie, a été confrontée à un mélange particulièrement explosif. En décembre 2020, la police d’Antioche aurait tué un Philippin, Angelo Quinto, qui souffrait d’un épisode de santé mentale. Plus tard, il s’est avéré que la police d’Antioche échangeait également des SMS racistes contenant le mot « N ». En avril 2021, deux femmes chinoises ont été agressées à l’extérieur de la seule épicerie asiatique de la ville. Deux des agresseurs présumés étaient noirs.
Antioche avait un maire nouvellement élu, Lamar Thorpe, un homme noir élevé par une famille mexicaine-américaine. (Il y a deux ans, il a changé son nom en Hernandez-Thorpe.) Même si les esprits s’échauffaient, le maire s’accrochait à ses rêves de réconciliation raciale.
Un mois après l’agression à l’épicerie, il présente des excuses pour les événements de 1876. « Je pense que nous serons la première ville », a-t-il dit, « non seulement dans la région de la baie de San Francisco, en Californie, mais dans tous les États-Unis, à présenter officiellement des excuses pour les méfaits et les mauvais traitements infligés aux Chinois. » (À l’époque, Hernandez-Thorpe n’était pas au courant des efforts antérieurs de reconnaissance de Tacoma, bien qu’il les connaisse maintenant.) Il a poursuivi : « Nous devons faire notre part pour rectifier ce qui se passe aujourd’hui en rectifiant nos erreurs passées. »
C’était un moment où de nombreux Américains d’origine asiatique ont demandé à être reconnus comme victimes de la violence raciale et de la brutalité policière, à la fois passée et présente. « Stop à la haine asiatique ! » est devenu un cri de ralliement. Des vidéos virales ont circulé, dont beaucoup montraient des violences commises contre les Asiatiques par des Noirs. Certains Américains d’origine asiatique ont appelé à de nouvelles lois et à plus de maintien de l’ordre, ignorant ou disposant de mettre de côté le fait que les Noirs américains sont confrontés à des taux plus élevés de violence policière et de discrimination systémique.
Ce printemps-là, j’ai pris la parole lors d’un rassemblement local. En regardant mes notes, je vois que je n’ai jamais mentionné le racisme anti-noir, ou Black Lives Matter. Cela semble étrange maintenant. Mais pendant une brève période, nous étions trop concentrés sur nos propres griefs raciaux pour voir au-delà d’eux.
Le maire Hernandez-Thorpe avait une vision plus large et plus audacieuse. Suivant son exemple, le conseil municipal d’Antioche a adopté une résolution en mai. Il commençait ainsi :
ATTENDU QUE, pendant la période « The Driving Out », Antioche est officiellement devenue une « Sundown Town »…
ATTENDU QUE, pour se rendre de leur travail à leur domicile chaque soir, ces résidents chinois ont construit une série de tunnels…
ATTENDU QU’en 1876, des foules blanches ont dit aux résidents chinois qu’ils avaient jusqu’à 15 heures pour quitter Antioche – sans exception.
À la lumière de ces infractions et d’autres, la ville s’est excusée « auprès de tous les premiers immigrants chinois et de leurs descendants », déclarant que « des excuses sincères et la recherche du pardon sont une première étape importante et nécessaire dans le processus de réconciliation raciale ».
Les médias nationaux ont repris le propos. Peu après, Hernandez-Thorpe dirigeait des caméras dans un sous-sol du centre-ville, montrant les portes scellées des « tunnels chinois » mentionnés dans la résolution. Le musée historique d’Antioche a affirmé qu’une ordonnance du comté de 1851 avait interdit aux résidents chinois de se rendre dans les rues d’Antioche après la tombée de la nuit et qu’ils avaient réagi en s’enfouissant sous la ville.
« Je n’arrive pas à croire que nous ayons fait ça à des gens », a déclaré Hernandez-Thorpe après être descendu sous terre. Cela lui rappelait une fois qu’il avait visité l’Amistad. La vue du navire négrier l’avait rendu malade.
Les journalistes n’ont pas remis en question le récit d’Antioche sur son histoire. Oui, je l’ai fait. L’expulsion et l’incendie de 1876 font partie des archives historiques. Les tunnels non ! Il n’y a pas non plus de preuve d’une ordonnance au coucher du soleil à Antioche. Lorsque j’ai écrit au musée pour demander de la documentation sur l’une ou l’autre de ces affirmations, ils ont fait marche arrière : il n’y avait rien sur une telle loi et de sérieuses questions sur les tunnels.
Le mythe des tunnels chinois circule depuis plus d’un siècle. Au XIXe siècle, c’était un fantasme raciste : des hommes chinois se faufilaient dans les égouts de la ville « comme des rats », kidnappaient des marins, asservissaient des femmes. Dans la version d’Antioche, les tunnels représentent l’ingéniosité et la survie chinoises. Mais le mythe reste le mythe.
L’historien Elliott West a écrit un jour : « L’histoire raconte des histoires qui nous surprennent et nous déstabilisent. La mémoire nous donne l’histoire dont nous pensons avoir besoin ». Sans le vouloir, les efforts d’Antioche pour la reconnaissance civique étaient entrés dans le domaine de la mémoire.
Quelques mois après les excuses d’Antioche, et après que San Jose et Los Angeles aient suivi avec des déclarations de regret similaires, j’ai rejoint Hernandez-Thorpe sur « The Forum » de KQED, une émission en direct. Il a parlé le premier, glissant entre Black Lives Matter et Stop Asian Hate – et, sans avoir l’air de s’en rendre compte, entre l’histoire et le mythe.
« Ce qui m’a inspiré, franchement, c’est la prise de conscience raciale de l’année dernière, après George Floyd et Black Lives Matter », a-t-il déclaré. « L’un des problèmes en veilleuse à cette époque était la haine anti-Américains d’origine asiatique. Évidemment, c’était très troublant, mais ce n’était certainement pas à l’avant-garde comme cela aurait probablement dû l’être.
Il a regretté que les Américains d’origine asiatique aient été négligés dans le grand inventaire moral de 2020. Il s’était engagé en faveur de la justice raciale, mais la vague de violence anti-asiatique l’avait pris au dépourvu.
« L’une des choses qui m’a vraiment dérangé, c’est que lorsque je regardais sur les réseaux sociaux, je postais des choses comme ‘Arrêtez la haine des AAPI’ et je recevais des commentaires comme ‘Eh bien, dites à vos gens d’arrêter de battre mon peuple’ », a-t-il poursuivi. Quand vous avez vu de jeunes hommes de couleur faire certaines de ces choses, c’était très décevant.
Ses paroles sonnaient comme de la honte – de la honte de la part des communautés noires, et une sorte de responsabilité réflexive face à la colère asiatique. (J’ai reconnu le sentiment, ayant fait l’expérience de son image miroir.) Mais Hernandez-Thorpe ne voulait pas parler de honte et de conflit, pas directement. (Combien d’entre nous le font ?) Au lieu de cela, il a cherché une analogie dans le passé, a invoqué Antioche dans les années 1870 et a espéré que son message serait toujours clair : « Ce qui existait alors n’est pas différent de ce que nous voyons aujourd’hui avec certains autres groupes. » Nous avons chacun subi nos propres blessures raciales – ne pouvons-nous pas travailler ensemble pour les guérir ?
Lorsque j’ai pris la parole plus tard dans l’émission, Hernandez-Thorpe n’était plus en ligne. Je ne m’en suis pas rendue compte jusqu’à ce qu’un interlocuteur nommé Don se joigne à la conversation.
Don, qui était noir, ne s’intéressait pas à l’histoire. Il voulait parler de maintenant. Il condamnait la violence « contre n’importe quel groupe », mais insistait sur le fait que les hommes qui avaient attaqué les Américains d’origine asiatique étaient des « criminels » ou des « malades mentaux » – des gens qui l’attaqueraient aussi. En effet, il s’est demandé si la haine anti-asiatique existait en tant que telle. La haine anti-noirs, a-t-il dit, existe incontestablement.
« Chaque jour », nous a-t-il raconté, alors qu’il se promenait dans les rues d’El Cerrito, il était traité avec suspicion. Des Asiatiques traversaient la rue pour l’éviter. Une Chinoise l’a « attaqué verbalement » alors qu’il rendait visite à un ami. Des enfants chinois se sont « moqués » de lui à Barcelone.
Hernandez-Thorpe aurait peut-être su quoi dire. L’animatrice, Mina Kim, s’est simplement excusée. « Je suis désolée pour ces expériences », a-t-elle déclaré. « Je me demande si vous pensez que les reconnaissances dont nous parlons dans l’émission d’aujourd’hui – de ce qui est arrivé aux Américains d’origine chinoise dans le passé, l’effort simultané pour reconnaître les atrocités commises contre les Noirs américains – pensez-vous qu’elles sont efficaces pour créer une compréhension partagée de nos expériences ? »
« Vous me le demandez ? », a-t-il dit.
« Oui, je suis curieuse », a-t-elle répondu.
Mais il n’avait pas de réponse : « J’aimerais savoir. » Il est revenu à ses histoires de harcèlement par les Chinois, et à sa certitude que cela continuerait à se produire. C’était une réponse suffisante.
Le village de pêcheurs de Point Alones, une colonie chinoise de Pacific Grove, en Californie, a été réduit en cendres le 16 mai 1906. J’ai étudié des centaines d’incidents de violence anti-chinoise. La première fois que j’en ai entendu parler, c’était lorsque la ville s’en est excusée en 2022.
La résolution du conseil m’a surpris. C’était exceptionnellement long, détaillé et précis. Il nommait les villageois par leur nom, reconnaissait leurs contributions à la pêche et aux sciences marines, et n’hésitait pas à les blâmer. On pouvait y lire, en partie :
Le Conseil présente ses excuses à la mémoire de ceux dont la dignité a été attaquée, dont les voix ont été réduites au silence, dont les maisons ont été incendiées, dont les biens ont été pillés, dont la communauté a été détruite et dispersée, dont les histoires et l’histoire ont été perdues ou cachées en raison du racisme, de la peur, de la protection ou de la honte.
Je voulais savoir qui l’avait écrit. Finalement, j’ai trouvé Kim Bui, un ancien directeur de la bibliothèque publique de Monterey et un membre actuel du groupe de travail D.E.I. de Pacific Grove. Lorsque nous avons parlé, j’ai appris que la résolution s’appuyait sur le travail d’une autre femme : Gerry Low-Sabado.
Dans les années 1990, Low-Sabado a découvert qu’elle descendait des habitants du village de pêcheurs. Elle était décontenancée. « Comment pourrais-je être née en 1949 à Monterey et ne rien savoir de l’histoire chinoise là-bas ? », a-t-elle demandé dans une interview. « Je n’avais aucune idée qu’il y avait un village chinois là-bas et il a brûlé. »
Elle a passé le reste de sa vie à essayer de le faire savoir. En 2011, elle a lancé une Promenade du Souvenir pour marquer la date de l’incendie, et elle a fait pression pour qu’une plaque commémorative soit dévoilée quelques années plus tard. Elle a organisé la marche chaque année jusqu’à sa mort, en 2021.
« Gerry est partie du mal actuel », m’a dit Bui. « Elle a montré comment le traumatisme pouvait se transmettre à travers la lignée. Et elle a montré la persévérance de la communauté.
Bui a repris là où Low-Sabado s’était arrêté. Elle a rédigé les excuses, rencontré les résidents locaux et poussé la ville à agir. Certains de ses voisins blancs ont remis en question la prémisse. L’incendie n’était-il pas l’œuvre de quelques mauvais acteurs ? D’autres, en particulier les Américains d’origine asiatique plus âgés, craignaient de rouvrir les plaies : pourquoi revenir en arrière ? Nous sommes tous Américains maintenant. Bui persista, il fallait traiter d’un sujet à la fois.
La résolution a été adoptée facilement. Trop facilement, pensa-t-elle. Pas de débat public. Aucune réflexion sur auprès de qui s’excuser et pourquoi. Le maire, Bill Peake, l’a signé le 11 mai 2022, et ce fut la fin de son implication. Bui lui a demandé d’assister à la Marche du Souvenir quelques jours plus tard, pour lire les excuses à haute voix devant les descendants et les membres de la communauté. Il a refusé. En fin de compte, un membre du conseil municipal – le seul membre asiatique – a lu la résolution à haute voix, il était seul.
Un an plus tard, j’ai visité Monterey. J’ai demandé à Kim Bui de me montrer où se trouvait autrefois le village. Elle a proposé que nous parcourions le dernier tronçon de la Marche du Souvenir.
Il n’y a rien de tel que la vue depuis la baie de Monterey : le littoral déchiqueté et les conifères encadrant une bande bleue. Bien que les contemporains blancs aient décrit le village de pêcheurs chinois comme une horreur, les photographies survivantes racontent une autre histoire : de longs bâtiments en bois planant juste au-dessus de l’eau, en équilibre sur des pilotis grêles et un rocher imposant. D’autres images sont plus difficiles à regarder : des hommes, des femmes et des enfants chinois passant au crible les cendres. Des pillards blancs faisant de même.
Nous avons marché au crépuscule, en passant devant la modeste plaque qui marque le site, jusqu’à une clôture. Une pancarte indiquait « Hopkins Marine Station de l’Université de Stanford. Refuge de la vie marine. S’il vous plaît, n’allez pas au-delà de ce point. La majeure partie du village, m’a dit Bui, se trouvait autrefois sur le terrain juste derrière cette clôture. C’était un fait historique que je connaissais déjà : le terrain avait été transformé en « parc universitaire » pour s’assurer que les Chinois ne puissent pas reconstruire. J’ai pris une photo de la clôture, et nous avons fait demi-tour.
Le lendemain matin, je suis revenue. La porte était ouverte. Je suis entrée. J’ai trouvé un bureau et j’ai commencé à expliquer pourquoi j’étais là.
« Tu dois parler à Donald », a dit quelqu’un.
Donald Kohrs, le bibliothécaire de la station, m’a demandé combien de temps je pouvais consacrer.
Nous avons parcouru le périmètre de la propriété. Il m’a montré où les ancêtres de Gerry Low-Sabado avaient construit leur maison, le champ où les enterrements avaient lieu, l’énorme rocher des photos. Il a parlé de l’habileté des pêcheurs, de leurs contributions aux premières sciences marines, de la présence de femmes et d’enfants chinois et de l’incendie. Son ton était élégiaque, mais pas apologétique.
Il avait fait des recherches sur la présence chinoise là-bas pendant des années, mais ce n’est que récemment, a-t-il dit, que d’autres ont commencé à s’y intéresser. La Promenade du Souvenir. La plaque. La résolution de Bui. Ils avaient remué quelque chose. Un étudiant planifiait un projet. Un écrivain l’avait contacté. Une équipe de documentaires était venue. Cinquante descendants s’étaient présentés pour la dernière promenade. Je n’étais pas la première personne à me promener à l’improviste et à demander à voir le site.
En écoutant, je n’ai pas entendu parler de réconciliation. J’ai entendu une reconnaissance, tardive, partielle et continue. Les excuses de la ville n’avaient pas cicatrisé la blessure. Elles n’avaient pas lié le passé au présent avec une métaphore unificatrice ou conjuré une grâce collective. Les excuses n’avaient fait que ce qu’elles pouvaient : rendre le silence plus difficile à maintenir. ♦
Beth Lew-Williams est l’auteur de « John Doe Chinaman : The Forgotten History of Chinese Life Under American Racial Law » et « The Chinese Must Go : Violence, Exclusion, and the Making of the Alien in America ». Elle est professeure d’histoire à l’Université de Princeton.
Views: 40