Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La désindustrialisation (presque) silencieuse, compte-rendu du rassemblement de la CGT devant la verrerie de Vayres (et le discours de Sophie Binet) par Franck Marsal

L’usine verrière de Vayres (Gironde) a été construite après les 30 glorieuses, pour répondre aux besoins locaux de la région vinicole la plus importante de France. En 2023, un investissement a permis la rénovation d’un four permettant au site de baisser de 20% sa consommation énergétique.

Près de 75 % de la production est livrée aux clients dans un rayon de 100 km aux alentours de l’usine, ce qui permet d’optimiser l’empreinte carbone en termes de transport et de se trouver au cœur des besoins.

La verrerie a été créée dans les années 1970 par le groupe français BSN et rachetée au milieu des années 2000 par le groupe états-unien Owens Illinois (O-I), dont les actionnaires principaux sont les fonds d’investissements US Blackrock, Vanguard Group et Cooper Creek Management. Blackrock, avec environ 10 à 12 % du capital est devenu le premier actionnaire dans le milieu des années 2010 et a imposé ses méthodes de court terme et de production maximale de profit : une discipline financière renforcée, avec réduction de la dette et la priorité à la génération de cash-flow ; un cadre de gouvernance strict, où la direction doit constamment justifier sa stratégie (et sa rémunération) devant son plus grand actionnaire.

Pour l’usine de Vayres, ceci s’est traduit depuis plusieurs années par une augmentation massive des prix de vente des bouteille. En pleine crise de la viticulture française, cela pose question et cela a poussé la direction de la concurrence et de la répression des fraudes à lancer une enquête pour entente illicite contre O-I et deux autres producteurs verriers. On mesure ici une nouvelle fois les enjeux systèmiques de la production industrielle, la nécessité d’un pilotage et d’une planification par filière et de long terme des enjeux industriels, et bien sûr la nécessité impérieuse de retirer les décisions stratégiques aux fonds vautours, notamment états-uniens. La question posée n’est ni plus ni moins que celle de reprendre la propriété et donc le contrôle de notre système productif.

La deuxième étape, après l’augmentation des prix – et des marges – est aujourd’hui la fermeture d’une des deux lignes de production et la suppression de 126 postes annoncée. A l’appel de la CGT (section locale, unions locales et départementale, fédération nationale des travailleurs du verre et de la céramique et confédération avec la présence de Sophie Binet), un large rassemblement a été organisé ce 9 septembre contre ce projet.

La production de bouteilles en verres en France est un enjeu majeur pour l’industrie agro-alimentaire et un enjeu écologique évident : c’est soit le verre, recyclable à l’infini, soit le plastique et la pollution de nos corps et de nos océans par les microparticules issues de sa décomposition. Aujourd’hui, environ 30 % des bouteilles en verre utilisées en France sont produites à l’étranger et importées.

Plusieurs centaines de personnes étaient donc rassemblées et ce fut d’abord un long défilé de messages de solidarité apportés par des délégués syndicaux d’usines verrières de toute la France. Certains étaient venus à plusieurs, certains sont aussi en lutte (notamment Vergèze dans le Gard, menacé de fermeture), certains avaient mis les chaînes de production à l’arrêt par solidarité. Tous font en réalité face à cette situation générale de prédation et de destruction opérée sous la pression des fonds états-uniens qui ont toute latitude pour agir en France, , notamment depuis que la dérégulation financière a été complétée par les lois de destruction du code du travail. Mais la profession verrière reste debout, défendant pied à pied l’outil industriel de la France, toujours organisés et solidaires à leur niveau. D’autres professions étaient là, et ont rappelé – comme Sophie Binet allait le faire plus tard – que ce combat de défense pied à pied n’était pas infructueux. Des victoires sont obtenues et la mobilisation permet de sauver des industries, à condition notamment que l’ensemble du tissu social (notamment local mais aussi national) s’en empare.

Les verriers de Gironde n’ont pas besoin de choses extraordinaires. Ils réclament 20 millions d’euros (en plus des 15 millions d’aide publique que perçoit déjà chaque année le groupe O-I) qui permettraient de moderniser et de rouvrir le four fermé au lieu de le démanteler et de produire du verre blanc, très demandé par le marché. Ils ont surtout besoin de se débarrasser des actionnaires prédateurs et des directions de groupe internationales qui leurs sont acquises, et pour lesquelles, une usine n’est qu’un pion dans un vaste mercato financier.

Mais le combat est inégal. Les fonds d’investissements états-uniens sont organisés internationalement. Ils ont table ouverte à l’Elysée, à Matignon, à la Commission Européenne et disposent d’une force de frappe financière considérable. Ils savent mener leur action sur du long terme même s’ils priorisent le profit à court terme. Ils imposent les agendas législatifs dans de nombreux pays pour obtenir le cadre d’action qui leur est nécessaire. Le débat sur le budget de l’état et sur la question de la dette doit être pris à ce niveau. Il existe un grand nombre de mesures possibles qui permettraient de réduire le déficit et la dette en accroissant les moyens de l’état et de la sécurité sociale, pour préserver le potentiel productif et créatif de la France. Mais toutes ses mesures se heurteront à ce bloc de fer du capital international. C’était déjà le cas de la Grèce. Lorsque Tsipras et Varoufakis faisait face à la Troïka, ils remplissaient des pages et des pages de mesures alternatives capables de mieux réduire la dette que le plan d’ajustement qui a été finalement imposé. Ils ne comprenaient pas d’être traités comme des enfants alors qu’ils étaient persuadés de l’intelligence de ce qu’ils proposaient. Le capital international a brisé l’intelligence toute petite-bourgeoise de Tsipras en menaçant de retirer les euros des distributeurs de billets grecs.

Il faut opposer à la force sociale du capital, non pas seulement des idées « intelligente », mais une force sociale encore plus grande, celle du peuple organisé et conscient. La force du peuple, dans l’histoire moderne de la France, c’est d’abord celle de sa classe ouvrière industrielle organisée, celle qui produit non seulement les biens nécessaires, mais surtout le profit indispensable à la survie du capitalisme. Cette classe a été affaiblie, en partie divisée et privée de ses moyens notamment politiques. Les délégués syndicaux, les responsables des grandes fédérations de métiers de la CGT ont été invités à céder leur place dans les instances dirigeantes du PCF, notamment le comité central, transformé en « comité national » lorsque Louis Viannet a cédé la sienne au bureau politique de ce même parti, transformé sous l’impulsion de la mutation hue-ienne. Ce qui est fait est fait. Mais il faut en avoir conscience si l’on veut sortir des difficultés actuelles.

La classe ouvrière demeure et dans de nombreuses industries, elle reste organisée mais s’est repliée sur l’organisation de métier et le niveau local et fédéral. Elle se bat chaque jour mais elle est sous la menace permanente de la délocalisation et de la fermeture. Autour de cette classe ouvrière, s’est constitué un vaste prolétariat, très peu syndiqué, très précaire, assurant des fonctions essentiellement périphériques (logistique, petite production …) , mais qui, avec l’automatisation des processus de production industrielle occupent un nombre considérable de travailleurs. Ce prolétariat peut agir massivement, mais pour l’instant, il ne s’organise que peu collectivement, agit dans la spontanéité, se méfie des organisations. Il ne peut pas bloquer la production directement par la grève, et c’est pour cela qu’il a recours aux blocages des noeuds de communication. En revanche, la plupart des fonctions assurées ne sont que difficilement délocalisables. Une troisième couche, davantage syndiquée et visible est constituée des services administratifs et de certains services demeurant publics. Ce sont souvent des professions à statut, jusqu’ici partiellement protégée par les statuts, mais aujourd’hui en voie de précarisation et de prolétarisation massive. Ces professions ne peuvent pas non plus bloquer la production. Parfois, même, le caractère « protecteur » du statut est un frein à la mobilisation et le caractère « essentiel » des missions assurées rend difficile voire impossible le recours à la grève (hôpitaux).

Le pouvoir macronien, inféodé aux fonds états-uniens a créé les conditions d’une profonde crise nationale. Cela fait ressurgir des fantômes inquiétants, mais cela ouvre aussi la voie à la seule force créatrice et capable de résoudre les tâches historiques qui nous font face : la force organisée et consciente du peuple.

Il faut comprendre les articulations entre les différents secteurs et peut-être descendre à un niveau encore plus fin d’analyse (il y a quelques professions clés qui sont en articulation avec ces grands groupes tracés à grands traits) pour saisir les dynamiques en cours et formuler une stratégie générale. Le peuple entre en mouvement et les échanges se multiplient. l’échange spontané, surtout après une période difficile, sans victoires, ne peut être que positif. Mais il ne peut suffire et remplacer la réflexion collective approfondie que seul un parti structuré et enraciné dans la classes peut mener. Le PCF est de loin le mieux placé et le plus avancé pour réaliser cette percée stratégique. Il a commencé avec des bases très importantes autour de la réindustrialisation, du travail et de la souveraineté. Il doit s’y consacrer pleinement, sans s’arrêter ni à de vieux totems, ni à des formules superficielles ou aux plans sur la comète de la gauche.

Franck Marsal, pour Histoire&Société

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