La politique de Macron, et des autres démagogues de la politique politicienne, revient en fait à entériner une rupture avec l’Algérie, une rupture voulue par l’extrême-droite, et par tous ceux qui instrumentalisent les tensions du néocolonialisme au lieu de concevoir une nouvelle relation dans la cadre du monde multipolaire. Nous en sommes loin. Au contraire, nous sommes en guerre en Ukraine et partout. La France est déterminée par ses choix impérialistes et ne le mesure pas assez. Nombreux sont ceux qui, en France comme en Algérie, souhaitent ce dialogue renouvelé, il y a encore des atouts mais ils sont sciemment sabotés. La lecture des classiques de ce dialogue post colonial d’un point de vue marxiste est indispensable. A ce titre, il ne saurait y avoir de meilleur guide que le livre de Paul Euzière écrit en 2003, en réaction à ce qui s’écrivait à cette époque et surtout aux crimes accomplis par la terreur « islamiste » mais qui aujourd’hui demeure un des meilleurs éclairages sur ce qu’est l’Algérie et sur le dialogue respectueux bien que passionné que nous pouvons avoir avec ce pays. Ce livre : Paul Euzière Passions algériennes. Itinéraires pour une réflexion. préface de Zazi Sadou le temps des cerises 2003.
Ce livre est proche de la démarche qui a inspiré notre livre sur le réveil de la France à la Chine et au monde multipolaire et il nous est plus aisé de l’aborder qu’à la majorité de la population française qui a plus que jamais du mal à percevoir les enjeux géopolitiques. Sagit-il dans l’autisme dont la France et singulièrement la gauche paraît frappée, de ce que Lénine désignait comme le compromis de l’aristocratie ouvrière des pays colonialistes ? Il est moins que jamais pourtant question de faire une croix sur le peuple français. Ce livre, comme le nôtre, est un plaidoyer pour que le dialogue ait lieu au plus haut niveau, celui de deux peuples capables de dépasser la situation dans laquelle leurs gouvernants les enferment. Même si la France est actuellement dans une période qui peut nourrir tous les pessimismes, une période dans laquelle ce peuple français et peut-être aussi l’algérien, paraît s’identifier à toutes les régressions. S’imposent en priorité, actuellement les lignes forces de l’UE anticommuniste atlantiste et exigeant de ses membres qu’ils dénoncent toute velleité révolutionnaire au nom de la « démocratie » caricaturée.
On ne sait quand le peuple français s’éveillera politiquement et sortira de ces périodes de marasme politique, contrerévolutionnaire et dans lesquelles l’aliénation est telle que c’est l’identité française qui disparaît derrière une « élite » médiocre. Dans ces périodes, il faut savoir adopter une vision sur le long terme, celle dite culturelle. Celle d’un Aragon, quand face aux aléas et pseudos impasses de l’histoire contrerévolutionnaire, il en appelle à l’Histoire, celle qu’il retrouve à travers le personnage de Géricault dans la Semaine sainte ou le menestrel de Grenade du fou d’Elsa… C’est à cette histoire portée par des « fous » que fait appel Paul Euzière dans ce livre d’une lucidité et d’un courage exemplaire, celui de l’amitié véritable d’un communiste pour l’Algérie.

Partons de l’événement, actuel, pour lire ce livre qui date de 2003, au moment où sévit le terrorisme et l’islam politique. Aujourd’hui, si le calme semble revenu et si l’UE envisage de réviser ses relations commerciales avec l’Algérie la place des relations franco-algériennes dans ce pacte risquent d’encore se dégrader. Nous avons vu dans un précédent article que le principal partenaire commercial de l’Algérie était les USA. L’Union européenne prépare un « Pacte pour la Méditerranée » concernant le commerce dans la région. Selon Euronews, les vingt-sept États membres souhaitent supprimer certaines barrières commerciales et moderniser leurs relations avec plusieurs pays du sud et du sud-est de la Méditerranée. L’Algérie figure parmi les États concernés par ce projet. Ce pacte, dont la préparation est assurée par la Commission européenne, doit être présenté à la mi-octobre 2025. Entre 2005 et 2019, les exportations algériennes hors hydrocarbures vers l’Union européenne ont été estimées à environ 15 milliards d’euros. Sur la même période, les importations en provenance de l’Union européenne se sont élevées à environ 320 milliards d’euros. Ce déséquilibre est mis en avant dans les discussions menées à Alger. L’intégration de l’Algérie dans le futur pacte euro-méditerranéen est donc inscrite dans un contexte où les relations économiques avec l’Union européenne occupent déjà une place centrale. Le document évoqué par Euronews précise que les pays directement concernés sont l’Algérie, l’Égypte, la Jordanie, le Liban, la Libye, le Maroc, la Palestine, la Tunisie et la Syrie. Des consultations devraient également associer la Turquie et les pays du Golfe. Disons que pour nous, l’UE est un terrain de rivalités exacerbées face à la pression qu’exercent les USA sur leurs « Alliés » et notre hypothèse est qu’il serait urgent pour la France dans un cadre bi-latéral renouvelé à l’intérieur du « multipolaire » de recréer un dialogue méditerranéen…
Ce livre de Paul Euzière se lit donc aujourd’hui dans une situation de dégradation profonde des relations entre la France et l’Algérie dans laquelle la société française est livrée aux divisions communautaristes en dépit du désir de paix de la majorité du peuple français. Les haines sont exacerbées à un point tel que les discussions européennes ne seront pas susceptibles, au contraire, de recréer un lien avec l’Algérie. Le Chargé d’affaires français en Algérie a été, une nouvelle fois, convoqué au Ministère des Affaires étrangères à Alger suite à l’annonce par la représentation française d’une restriction du nombre de visas accordés aux Algériens. Un bras de fer est engagé entre les deux pays depuis près de deux ans. La situation a empiré avec la reconnaissance par la France de la solution marocaine et non onusienne sur la question du Sahara occidental, ce qui d’ailleurs n’améliore en rien sur le fond la relation avec le Maroc qui est plus tourné vers les USA mais aussi à travers le retour vers l’Afrique et le monde multipolaire, dans cette Afrique à laquelle la France renonce par le même refus d’assumer les contradictions, leur blessures et leurs richesses.
Passions algériennes. Itinéraires pour un réflexion par Paul Euzière
Paul Euzière est sans doute un des meilleurs spécialistes du monde méditerrannéen qu’il aborde des deux rives à la fois, cet helléniste passionné a une connaissance des Balkans, de la Grèce en particulier qui donne de la profondeur historique à la proposition d’un accord des communistes et des progressistes de la Méditerranée pour envisager des choix politiques régionaux communs. Mais il est également un spécialiste de l’autre rive de l’Algérie, et il a écrit de nombreux articles outre aux éditions sociales dès 1996, un livre de référence intitulé Algérie guerre à la société. Il est en outre président du festival Transméditerranée.
Son livre écrit avant le contexte actuel de l’apparition du monde multipolaire et de la stratégie des USA, est indispensable si l’on veut comme le propose ce livre recréer des relations avec l’Algérie qui correspondent avec ces temps nouveaux.
Disons tout de suite qu’il est difficile de résumer son livre tant Paul Euzière a un véritable don pour aller à l’essentiel, pour dégraisser son propos. Si l’on ajoute à cela que c’est un véritable historien, un pédagogue, chaque événément est alors renvoyé à l’accumulation des temps, leur empilement qui donne à un FAIT d’actualité son poids de sens historique, un moment où tout paraît basculer alors que tout est en gestation depuis des décennies, voire des siècles. Comment résumer pareil propos ?
Peut-être en vous disant ce qui s’impose comme une trame pour connaitre le peuple algérien, son histoire autant que sa relation à la France. Une colonisation, un peuplement d’une extrême violence pendant 132 années avec deux caractéristiques la dépossession et le refoulement et justement à cause de cela aucune complaisance pour le crime et ce qui poursuit l’aliénation. Et qui a toutes chances une fois de plus d’être instrumentalisé par l’impérialisme de part et d’autre. Mettre à plat sans simplifier… les conséquences et la poursuite de la dépossession et du refoulement… mais aussi la longue négation du colonialisme, de l’impérialisme que Lénine attribue à l’existence d’une « aristocratie ouvrière » qui a intérêt au colonialisme et donc à le légitimer… En quoi, alors que l’impérialisme dépouille de plus en plus cette aristocratie ouvrière ou cette petite bourgeoisie conservatrice autochtone, leurs enfants, les haines continuent-elles à être exacerbées… l’analyse de Paul Euzière qui assume les contradictions réelles, les met à jour est celle sur lesquelles peut se reconstruire cette relation qui fait désormais partie de la réalité de chacun.
Dépossession de la citoyenneté pour les autochtones musulmans (distingués des juifs eux intégrés par le décret Crémieux1870) de ces départements français (art. 109 de la Constitution de 1848) et dépossession de l’espace, de ses terres les plus fertiles, des villes dont le colonialisme aggrave les fractures internes. Dépossession de la langue et acculturation qui fait de l’élite une élite partiellement étrangère à son peuple.
Cet exposé simple et radical prenant les choses à la racine nous dit déjà sans que Paul Euzière ait à l’expliciter en quoi l’Algérie se reconnait dans la dépossession palestinienne.
Mais ce que Paul Euzière nous permet de comprendre est alors les racines de l’Islam politique et y compris les contradictions qui existent avec les communistes même si la lutte anti-impérialiste demeure première et pourquoi justement le contexte multipolaire est celui dans lequel il peut y avoir dépassement.
Paul Euzière nous renvoie aux origines même de l’anti-impérialisme dans le contexte de la guerre froide et des « non-alignés ».
Huit ans d’une guerre coloniale terrible ont traumatisé en profondeur le pays. Sur 9 millions d’Algériens, plus d’un million sont morts, deux millions ont été déplacés; 800.000 Européens « pieds noirs » en proie aux incertitudes du lendemain et à la politique de terreur de l’O.A.S quittent l’Algérie accompagnés de dizaines de milliers de « harkis » qui pendant ces années ont fait le choix, volontaire ou forcé, du combat au côté de l’ex-colonisateur…
Les pages consacrées aux défis que la jeune Algérie va devoir relever pour qui a vécu ces années-là ont leur poids d’image, assumer les récoltes dans les grands domaines coloniaux désertés de leurs cadres, assurer la rentrée scolaire et l’on voit le ministère de l’éducation nationale éventré par les derniers attentats, les dossiers perdus à reconstituer… mêmes les hydrocarbures malgré l’accroissement n’arrivent pas à compenser une balance commerciale déficitaire de 4875 millions de francs. Quant à l’industrie c’est une longue bataille qui encore aujourd’hui est un enjeu et qui remet en perspective tous les « pactes » signés avec les USA, l’UE…
Mais il y a aussi le contexte politique, celui des années Ben Bella. Et là Paul Euzières nous donne une clé pour hier, aujourd’hui et l’avenir peut-être de ce monde multipolaire.
Il y a dans les « non alignés » et singulièrement en Algérie, l’exemple de la lutte anti-impérialiste cubaine, Cuba grâce à Fidel a choisi un parti unique sur des bases marxistes-léninistes mais aussi « martiennes » de José Marti et de sa vision de l’indépendance par rapport aux USA : tout dans la révolution, rien hors de la révolution. Le parti unique est de fait pluraliste mais uni dans son anti-impérialisme, s’il y avait un second parti à Cuba dit Fidel, il ne pourrait exister que sur la base du compromis avec le néo-colonialisme des USA. Dans tout le monde anti-impérialiste et le plus souvent musulman, les forces les plus radicales, celles qui ont dû mener le combat le plus violent se retrouvent face au même dilemne, il y a la France, mais il y a aussi les Etats-Unis, leur système qui se met en place durant la guerre froide.
Il y a un front qui se constitue sur cette base radicale, celle de la lutte armée, celle de la nécessité de faire face aux défis mais il y a la faiblesse idéologique différente de la situation cubaine ou vietnamienne, de nombreux cadres morts, les communistes, les cadres syndicaux de l’UGTA sont « caporalisés. C’est une alliance des conservateurs, des « militaires », avec les trotskistes anti-communistes qui organise à l’inverse de ce qui se passe en Chine, à Cuba, au Vietnam la marginalisation et la répression des communistes. L’avant-garde, la minorité éclairée du léninisme devient lutte de factions sans idéologie, sans la formation que reçoivent les Cubains, et l’Islamisation sera la concession permanente faite aux forces conservatrices dans ces luttes de faction. On imagine aisément à quel point la politique d’extrême-droite en France, mais aussi celle atlantiste de la « gauche » en fait néo-coloniale exacerbée par la situation en Palestine est un puissant atout pour ces forces réactionnaires et conservatrices.
Ce livre est celui d’un marxiste qui n’élude pas les contradictions au contraire… Ce sont ces contradictions non assumées, amputées qui trouvent leur traduction dans le viol des espaces urbains, industriels, agricoles mais aussi des langues pour le dire…
Comment un livre écrit en 2003, une dizaine d’années avant que paraisse s’exaspérer le conflit historique et linguistique dans l’Ukraine, celle de la Crimée, du Donbass, d’Odessa, l’auteur se lance dans ce plaidoyer pour une Algérie ancrée comme nous tous dans une histoire muliséculaire et dont des pans entiers n’ont cessé d’être occultés et le sont encore dans ce que l’on présente comme des processus de décolonisation, il y a eu tant de domaines dans lesquels la culture algérienne est parvenue à se développer : « une des particularités est d’avoir continué à s’exprimer dans les trois langues utilisées en Algérie; l’arabe »derjah » dialectal, le berbère « tamazight »(kabyle et chaoui) et le français. Et il ajoute « mais aussi évidente qu’ait été et que soit encore, l’instrumentalisation de la question de la langue, les clivages linguistiques ne peuvent être calqués sur les clivages politiques et réduits à eux. (…) Aux prix de mille difficultés, de pressions matérielles et financières, une nouvelle génération de créateurs s’exprimant en arabe et en français émerge, porteuse de toutes les douleurs enfantées par la barbarie, d’interrogations existentielles, mais aussi d’un message – au fond victorieux- quels qu’en soient les détours, de résistance et de libération. (pp.137.138 et 139)
Il y a les paroles, les discours mais il y a le silence des peuples, qui tout à coup débouchent sur des fracas tonitruants et sur la tragédie des guerres, des corps suppliciés. Il y a ceux qui paraissent chercher les idées simples, les clivages qui rassurent parce qu’on a l’impression que la médiocrité, l’insulte, la vulgarité font peuple à défaut de lui rendre ce qui lui est dû, le meilleur, le plus achevé, ces belles langues que Paul Euzière revendique avec la littérature algérienne comme Aragon et son ménestrel.
Nous sommes déjà dans ce monde multipolaire et cette prise de position amicale passionné d’un communiste revendique déjà un postionnement français dont nous ne changerions pas une virgule. Je rêve, oserai-je l’avouer d’un lieu où il sera possible d’observer dans un au-de là du politicien sans doute nécessaire ce qui est plus nécessaire que jamais non seulement sur l’Algérie, le bassin méditerranéen, le sud global et la planète dans sa contemporéinité : une modernisation qui peut-être évitera les traumatismes de celles que les européens et leur rejeton les Etats-unis ont infligé à l’humanité. Savoir que rien n’est jamais acquis mais que c’est un long travail dont les erreurs, les fautes doivent être assumées, c’est la grande leçon de ce livre…
S’il y a un point sur lequel la réalité a pris le pas sur le plaidoyer multilinguiste et de non identification de l’usage des langues avec les clivages politiques impérialistes tel que le défend avec compétence, connaissance, méthode Paul Euzière, c’est ce qui se passe derrière la revendication à l’arabe (dialecte), c’est le fait que pour les jeunes générations « mondialisées », qu’il s’agisse de l’Algérie, du Maroc, (comme de l’ukrainien qu’en fait personne ne parle ou alors il y a plusieurs ukrainiens) il y a abandon des dialectes, mais aussi du français relégué au profit de l’anglais. Cette rupture repose non seulement sur la relation colonialiste jamais dépassée, sur les haines communautaristes assumées, mais sur le développement même de la France, ce qu’elle a à apporter au monde. Une France desindustrialisée avec ses atouts scientifiques bradés, et qui ne conserve quelques positions que dans la gestion de l’état et « la culture » (limitée au arts) au profit de l’anglais, la langue du bisness… Ce qui est acculturation…
Danielle Bleitrach
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