Aujourd’hui alors que la France manifeste, bloque ou dieu sait quoi encore, en proie à la plus intense des exaspérations face à la provocation permanente du pouvoir et la dernière qui est la nomination de Sejourné, le ministre des armées, l’exécuteur des basses œuvres vers la guerre… Si Trump dont l’article explique justement que tout ce qu’il tente de bien faire se désagrège parce qu’il va à l’encontre du sens de l’histoire, que dire de Macron et du landernau politicien français qui eux font tout mal ? (note d’histoireetsociete traduction de Marianne Dunlop)
Parmi les questions éternelles qui suscitent invariablement de vifs débats, la suivante occupe une place particulière : l’homme est-il capable de renverser le cours de l’histoire ? Un groupe de personnes partageant les mêmes idées, même s’il est important, peut-il surmonter la tendance historique, c’est-à-dire les tendances politiques, économiques et sociales qui se sont développées au fil des décennies ?
Dans le contexte actuel, cela se traduit par exemple ainsi : les libéraux-mondialistes, qui restent une force extrêmement influente, peuvent-ils surmonter le processus de démondialisation, l’effondrement du monde unipolaire et la formation d’un monde multipolaire ? Ou encore : quelles sont les chances de Donald Trump et de son administration de rendre à l’Amérique sa grandeur, au sens où l’entendent le président américain lui-même et le mouvement MAGA ?
La question n’est pas du tout futile, car malgré les efforts déployés, le résultat n’est pas encore impressionnant. De plus, des situations se produisent régulièrement qui laissent penser que même les meilleures intentions de la Maison Blanche finiront par être réduites à néant par la logique même du processus historique, tant le système dans lequel on tente de mettre en œuvre les réformes nécessaires est complexe.
Le scandale qui se déroule actuellement nous oblige à réfléchir une nouvelle fois à ce sujet. Une nouvelle crise éclate et s’intensifie dans les relations entre Washington et Séoul (ce n’est d’ailleurs pas la première ces derniers temps), et ce scandale reflète parfaitement la complexité et les contradictions dans lesquelles l’administration américaine doit agir.
La semaine dernière, la police américaine des douanes et de l’immigration a mené une vaste opération dans l’État de Géorgie, dans l’usine de batteries pour voitures électriques de la société Hyundai en cours de construction. À l’issue de cette opération, environ 300 citoyens sud-coréens, ouvriers et ingénieurs travaillant sur le chantier, ont été arrêtés. Tous se trouvaient aux États-Unis en situation irrégulière, étant entrés principalement avec des visas touristiques (qui ne donnent pas le droit de travailler dans le pays), et beaucoup d’entre eux avaient des documents périmés. Toutes ces personnes sont actuellement en détention et se préparent à être expulsées.
Pour un profane, la situation semble absurde : Hyundai fait venir des clandestins sud-coréens pour travailler dans ses usines high-tech aux États-Unis.
Pourtant, la situation s’explique très simplement.
Comme on le sait, les États-Unis, qui visent leur propre réindustrialisation, font pression sur tout le monde pour qu’ils investissent dans l’industrie américaine et délocalisent simplement leurs productions outre-Atlantique. L’administration Biden s’est d’ailleurs engagée dans cette voie presque aussi activement que Trump. Pour des raisons évidentes, c’est avec les pays qui ont le statut de vassaux américains, voire de pays occupés, que les résultats les plus fructueux ont été obtenus. La Corée du Sud fait précisément partie de cette catégorie.
L’une des réussites a été de contraindre la société Hyundai à créer une usine de production de batteries sur le sol américain. Cependant, lorsque les Sud-Coréens se sont lancés dans cette entreprise, ils ont été confrontés à un sérieux problème de main-d’œuvre. Soit dit en passant, les Taïwanais ont rencontré exactement les mêmes difficultés lors de la construction d’une usine de microprocesseurs en Arizona. D’une part, après plusieurs décennies de vie dans un monde post-industriel, la classe ouvrière américaine a considérablement perdu en compétences professionnelles, ce qui a entraîné une pénurie aiguë de main-d’œuvre et d’ingénieurs possédant les qualifications requises. D’autre part, il existe des différences critiques entre l’éthique du travail en Amérique et en Asie. Selon les normes russes et européennes, la législation du travail aux États-Unis est extrêmement dure, avec une protection minimale des travailleurs, mais par rapport aux approches asiatiques, les États-Unis semblent tout simplement communistes. Les Américains ne travailleront pas 12 à 14 heures par jour, six jours par semaine, sans pause, sans congés et sans arrêt maladie, ce qui est tout à fait normal dans une grande partie de l’Asie, y compris en Corée du Sud. Et bien que l’usine soit américaine, elle est construite par une société coréenne et tous les processus technologiques y sont adaptés aux normes de travail coréennes.
En conséquence, Hyundai a dû faire venir des employés de Corée, car il était impossible de recruter localement. Mais elle s’est heurtée à un mur : les États-Unis ne leur accordaient pas de visas de travail ou le faisaient avec beaucoup de difficulté. La position des fonctionnaires du consulat était tout à fait claire et défendait les intérêts nationaux : vous construisez une usine en Amérique pour que des Américains y travaillent, alors recrutez de la main-d’œuvre sur place.
Mais l’entreprise est confrontée à une réalité dans laquelle cette solution ne fonctionne tout simplement pas : les délais sont serrés et si elle ne recrute pas de Coréens, le projet échouera. En conséquence, les Sud-Coréens sont entrés aux États-Unis avec des visas touristiques et ont commencé à travailler illégalement en Géorgie. C’est là que la police de l’immigration les a arrêtés.
En principe, c’est assez étrange. Tout État est parfois confronté à des situations où il est plus avantageux pour lui, au moins pendant un certain temps, de fermer les yeux sur les violations de la loi. Ici, il semblerait que ce soit précisément le cas : l’usine est avant tout nécessaire à l’Amérique elle-même, et si des subtilités bureaucratiques ont entraîné des obstacles à sa construction, il aurait été logique que l’État « ferme les yeux » sur les clandestins sud-coréens, puisqu’ils sont essentiels à la réalisation de ce projet. Au lieu de cela, une descente de police a été organisée, ce qui a mis en suspens le sort de l’ensemble du projet.
Les analystes estiment que la réponse se trouve dans les processus politiques internes américains. La construction de l’usine Hyundai est un projet crucial non seulement pour l’ensemble des États-Unis, mais aussi pour l’État de Géorgie en particulier, ainsi que pour son gouverneur Brian Kemp personnellement. Il est républicain, mais entretient des relations très complexes et conflictuelles avec Donald Trump. Le gouverneur a en fait trahi le président lors des élections de 2020 : premièrement, il a refusé d’enquêter sur l’affaire des bulletins de vote par correspondance à Atlanta, et ensuite, l’enregistrement d’une conversation téléphonique avec le secrétaire d’État de Géorgie, dans laquelle Trump demandait de trouver les voix « manquantes pour sa victoire », a été « divulgué » et a servi de base à l’ouverture d’une enquête pénale contre le président par le parquet de l’État.
Quoi qu’il en soit, l’histoire de la descente anti-immigrés dans l’usine a provoqué un scandale retentissant en Corée du Sud : les médias et les réseaux sociaux regorgent de commentaires indignés de la part de politiciens, d’analystes et de citoyens ordinaires. Les Coréens sont extrêmement offensés par ce qui se passe, ils se sentent trahis, et on peut les comprendre : ils ont satisfait aux exigences de leur suzerain, ils viennent de promettre 350 milliards d’investissements aux États-Unis, ils aident l’Amérique à se réindustrialiser. Et en réponse, ils reçoivent un tel traitement.
Dans le même temps, Séoul tente déjà d’éviter les aventures les plus dangereuses (anti-chinoises, bien sûr) auxquelles Washington l’incite. Et dans l’ensemble, la Corée du Sud aspire de plus en plus à réduire sa dépendance vis-à-vis des États-Unis et à renforcer sa souveraineté. Bien sûr, l’histoire actuelle va jeter de l’huile sur le feu, ce qui créera des difficultés supplémentaires pour les Américains dans leur travail dans la région.
On se retrouve donc dans une situation paradoxale. Dans cette histoire, toutes les structures américaines ont agi conformément aux intérêts nationaux, guidées par les meilleures intentions. Certaines ont réussi à obtenir de Hyundai d’énormes investissements et la construction d’une importante usine aux États-Unis. D’autres ont défendu le marché du travail américain et les intérêts des travailleurs américains. D’autres encore ont mis fin à un canal d’immigration illégale.
Mais au final, les États-Unis se sont retrouvés avec la construction d’une usine bloquée, des perspectives incertaines et une détérioration de leurs relations avec un allié essentiel dans une région clé de la planète. Il semble qu’il soit temps pour les Américains de se familiariser avec l’héritage rhétorique de Viktor Stepanovitch Tchernomyrdine, en particulier avec sa remarquable maxime : « Nous voulions faire pour le mieux, mais le résultat a été le même que d’habitude ».
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