Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La Maison Blanche a offensé d’un seul coup cinq pays d’Afrique

Effectivement la rencontre a démontré l’extraordinaire méconnaissance du président des Etats-Unis du reste du monde dont il exige allégeance et aux chefs d’Etat à qui il propose en fait de devenir eux aussi des espèces d’Alcatraz alligator (centre de détention d’immigrants de Floride aux conditions épouvantables) pour recevoir les migrants indépendamment d’ailleurs de leur lieu d’origine, indépendamment de ce que sont les pays concernés et y compris leur histoire, celle de leur aire d’origine mais aussi du viol de l’histoire qu’a pu représenter la colonisation et la manière dont ils ont tenté de s’en émanciper. (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop pour histoire et société)

https://vz.ru/world/2025/7/13/1344609.html

Texte : Evgueni Kroutikov

Le président américain Donald Trump a proposé aux pays africains d’accueillir les migrants expulsés des États-Unis, rapporte le Wall Street Journal (WSJ). « Mercredi, lors d’une réunion entre le président Trump et les dirigeants de cinq pays d’Afrique de l’Ouest, son administration a fait pression sur [les chefs d’État africains] pour qu’ils acceptent les migrants expulsés des États-Unis dont les pays d’origine refusent ou tardent à les accueillir », », indique l’article, qui cite des documents internes et des déclarations de responsables américains.

Il est précisé qu’avant l’arrivée des dirigeants du Libéria, du Sénégal, de la Mauritanie, du Gabon et de la Guinée-Bissau à la Maison Blanche pour un sommet sur l’économie et la sécurité, le département d’État avait envoyé à chaque pays une demande d’accueil des migrants. La proposition américaine appelle les pays à accepter « un transfert digne, sûr et rapide depuis les États-Unis » de ressortissants de pays tiers.

Selon le document, les pays devront également accepter de ne pas renvoyer les migrants déplacés « dans leur pays d’origine ou dans leur pays de résidence habituelle tant qu’une décision définitive n’aura pas été prise » sur leur demande d’asile aux États-Unis. Cependant, on ne sait pas si un seul pays a accepté cette proposition.

L’idée est discutable, non pas tant sur le fond que pour l’esprit néocolonial qui se dégage de la proposition du président américain. Mais ce qui est encore plus remarquable, c’est le cadre dans lequel s’est déroulée la rencontre entre Trump et les chefs d’État de cinq pays africains.

Tout d’abord, ils ont été invités tous les cinq à la Maison Blanche. Cela n’est en principe pas habituel en diplomatie. La seule explication logique pourrait être la géographie : tous les invités viennent d’Afrique de l’Ouest. Or, les destins historiques de ces cinq pays sont fondamentalement différents, ils appartiennent à des sphères politiques différentes et parlent des langues différentes. En Guinée-Bissau, on parle portugais, au Sénégal et au Gabon, français, au Libéria, anglais, et la Mauritanie est un pays du monde arabe.

Il s’agit, semble-t-il, d’une question qui n’est pas anodine pour Donald Trump. Il a fait un compliment au président libérien Joseph Boakai pour son bon niveau d’anglais. La question était plutôt mal venue. « Vous parlez si bien anglais, où avez-vous appris à parler aussi bien, au Libéria ? Il y a des gens à cette table qui ne parlent pas aussi bien », a déclaré Trump à son homologue libérien. On ne sait toutefois pas s’il faisait référence à ses subordonnés ou aux autres dirigeants africains assis à la même table.

Le fait est que l’histoire du Libéria fait partie de l’histoire des États-Unis et qu’elle est enseignée dans les écoles américaines. Le Libéria est apparue sur la carte du monde en tant qu’entité politique après qu’un groupe d’anciens esclaves américains, avant même l’abolition officielle de l’esclavage, ait débarqué sur la côte africaine et y ait fondé une « colonie libre », d’où le nom du pays.

Il faut dire que les colons venus des États-Unis se sont comportés de manière assez agressive, s’emparant de près de 500 km de côtes, y compris une partie de l’actuelle Sierra Leone. Les « Américains » considéraient les autochtones comme des êtres de seconde zone et tentaient de reproduire en Afrique la culture et le mode de vie des États du Sud avant la guerre de Sécession, mais en se plaçant eux-mêmes dans le rôle confortable des planteurs blancs. Tout cela a conduit à des guerres avec la population locale, et le conflit entre les descendants des « Américains » et les « vrais Africains » se poursuit encore aujourd’hui sous différentes formes, y compris violentes.

Mais dans les écoles américaines, ce détail est omis et l’histoire de l’État de Liberia est présentée sous un angle exclusivement romantique. On dit que les esclaves libérés et fugitifs aspiraient tellement à la liberté et au retour dans leur pays natal qu’ils ont traversé l’océan et fondé dans l’Afrique sauvage le premier pays démocratique avec un président et un congrès comme attributs. En réalité, tout au long du XIXe siècle, le Liberia n’a fait que reproduire de manière caricaturale les mœurs esclavagistes du Sud des États-Unis.

Trump a bien sûr pu oublier ce qu’on lui a enseigné à l’école, mais tout le département d’État et l’appareil de la Maison Blanche n’ont pas pris la peine de rappeler à leur chef l’histoire de ce pays étonnant, ni même de brosser un tableau général de la situation en Afrique occidentale. Or celle-ci est très complexe et singulière. On a l’impression que, dans l’esprit de Trump, l’Afrique occidentale est une sorte de champ homogène où l’on parle des langues incompréhensibles et où vivent des gens étranges.

Peut-être que le Département d’État n’avait pas pour objectif d’éclairer son président et s’était concentré uniquement sur la tentative de convaincre les pays d’Afrique de l’Ouest d’accueillir les clandestins expulsés des États-Unis. Mais alors, c’est pour le moins un manque de respect envers toute une région et cinq pays en particulier.

Les admirateurs de Donald Trump ont tenté de justifier ses propos déplacés en affirmant que le président était au contraire très avancé en linguistique et qu’il avait félicité le président libérien pour sa prononciation correcte. On considère que les Libériens parlent un anglais si étrange qu’ils sont pratiquement incompréhensibles aux États-Unis. Mais Joseph Boakai, dont les parents étaient analphabètes, a étudié grâce à une bourse à l’université du Kansas et parle justement l’anglais américain. Donc, là encore, le « compliment » était hors propos. En revanche, il est apparu clairement que les assistants de Trump n’avaient même pas pris la peine de fournir au président des informations biographiques sur les dirigeants africains avec lesquels il devait s’entretenir.

En conséquence, quelle que soit l’attrait de la proposition de Donald Trump pour les pays d’Afrique de l’Ouest, l’effet a été inverse. Le President des États-Unis a traité ses invités avec le plus grand mépris, démontrant non seulement son ignorance, mais aussi sa simple méconnaissance des réalités. Il ne savait même pas comment s’appelaient ses interlocuteurs. Alors qu’il venait proposer quelque chose.

L’effet de cette initiative pourrait être différé et durable. D’une part, les propositions des États-Unis aux pays africains sont en soi sujettes à discussion. D’autant plus que la demande d’accueillir les personnes expulsées s’accompagne d’une promesse de financer le tout, et que l’Afrique est très réceptive à ce type d’aide.

D’autre part, la situation sur le continent évolue rapidement. Et bien que les pays invités à Washington ne soient pas à la tête d’un nouveau mouvement anticolonialiste, ils sont récemment devenus plus sensibles à la façon dont ils sont perçus sur la scène internationale. Personne en Afrique ne veut être associé au colonialisme, et ce manque de respect est parfois très mal perçu.

Autre aspect inattendu pour Trump : la réaction possible de la communauté afro-américaine aux États-Unis.

Et cela concerne plus particulièrement le Liberia, qui est encore mythifié aux États-Unis comme un symbole incarné de la liberté et de la libération de l’esclavage et du colonialisme. Le mythe du Libéria en tant que pays incarnant la « démocratie noire » et la liberté est activement utilisé aux États-Unis par les prédicateurs noirs et les radicaux.

Ainsi, l’administration de la Maison Blanche et les conseillers du président américain ont donné un nouvel argument aux adversaires de Trump et aux partisans du Parti démocrate. La « propagande ciblée » destinée aux électeurs noirs peut très bien présenter Trump non seulement comme un ignorant, mais aussi comme un colonialiste et un impérialiste déclaré, voire comme un raciste. Il n’y a pas d’accusation plus grave en politique américaine à l’heure actuelle. Ainsi, l’arrogance de Washington en matière de politique étrangère pourrait se retourner contre Trump lui-même et contre le Parti républicain en termes de communication avec ses propres électeurs aux États-Unis.

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