Il existe dans la Russie d’aujourd’hui quatre Régions ou Républiques (comme ici en Khakassie) qui sont dirigées par des communistes, des membres du parti KPRF. Ils sont à la fois le témoin de la puissance du parti communiste russe et un point d’appui, une vitrine, aux côtés des « entreprises rouges », kolkhozes, sovkhozes ou usines à gestion communiste, pour montrer dans les faits ce que pourrait apporter le retour au socialisme, dont les partisans en Russie, selon un récent sondage, sont passés de 26% à 43% en cinq ans. Ces gouverneurs et dirigeants d’entreprise sont bien entendu férocement attaqués par les libéraux, les conservateurs et les anticommunistes de tout poil, y compris le parti « Russie Unie », avec souvent des méthodes mafieuses, mais ils se battent efficacement (note et traduction de Marianne Dunlop pour histoire et société)
https://svpressa.ru/politic/article/470930
Les régions de la Fédération de Russie suivent avec intérêt le duel entre le gouverneur « rouge » et le parti Russie Unie.
Texte : Sergueï Aksionov
Le chef de la République de Khakassie, Valentin Konovalov, a opposé son veto à la loi sur le passage à un système de gouvernement local à un seul niveau, adoptée par le Conseil suprême de la République. Avec cette loi, les députés voulaient supprimer les conseils municipaux et les élections directes dans les zones rurales. La Khakassie est ainsi devenue le fer de lance de la lutte pour l’autonomie parmi les régions russes.
Selon M. Konovalov, le nouveau régime aurait limité l’accès de la population à l’autorité publique. En outre, il a été adopté sans tenir compte de l’avis de la majorité des habitants des zones rurales, qui se sont prononcés en faveur du maintien du système à deux niveaux actuel. La raison principale est donc politique. Mais il existe également des raisons formelles.
« Lors de l’adoption de la loi, les députés n’ont pas respecté la procédure de consultation des autorités locales, n’ont pas organisé d’audiences publiques, n’ont pas présenté de justification financière et économique des dépenses prévues et n’ont pas analysé les conséquences budgétaires, économiques et sociales de la mise en œuvre de la loi », a indiqué M. Konovalov.
La décision ferme du chef de l’exécutif de la république a contrarié le pouvoir législatif, qui va maintenant devoir retravailler la loi. « Le veto est un droit du chef », a déclaré le président du Conseil suprême, Sergueï Sokol. « Il est regrettable que cette procédure soit devenue une habitude ces derniers temps. J’étais convaincu que nous étions parvenus à un accord ».
De quelle entente parle Sokol ? Il s’agit ici d’une question de principe : sur quelles bases fondamentales les autorités locales vont-elles s’appuyer ? Vont-elles être intégrées de force dans une « verticale » de plus en plus rigide, privées du soutien du peuple et donc de leur force, ou les habitants pourront-ils décider eux-mêmes des questions locales, comme ils l’entendent, et non comme le veulent leurs supérieurs ?
Après avoir reconnu que Konovalov avait agi en toute légalité, Sokol est passé à des menaces. Il a rappelé qu’en mai, le Parlement avait « fait passer » une loi sur les relations interbudgétaires à laquelle Konovalov s’était opposé. Un nouveau vote avait alors été nécessaire, au cours duquel les députés avaient obtenu le nombre de voix nécessaire pour passer outre le veto.
Sokol a l’air d’oublier que Konovalov avait saisi la justice et que, s’il était donné gain de cause, il pourrait poser la question de la dissolution du parlement de la république. Et les députés rentreraient chez eux… Seul Dieu sait combien d’entre eux pourraient remporter les nouvelles élections et retrouver leur confortable fauteuil. Ils devraient retourner travailler à l’usine.
Konovalov a donc de bonnes chances de défendre un système de gouvernement local à deux niveaux. Originaire d’Okhotsk, ancien habitant de la ville austère de Norilsk, ayant grandi en Khakassie, il s’est révélé être un dur à cuire. Ce n’est pas pour rien que le politicien a remporté deux fois les élections (la première fois, son adversaire, membre du parti Russie Unie, avait capitulé à l’avance). Mieux vaut céder à quelqu’un comme lui.
En ce qui concerne la réforme municipale, outre le soutien massif des électeurs, Konovalov a de son côté une partie importante des conseils villageois de Khakassie, qui se sont prononcés contre le système à un seul niveau.
Y compris ceux qui avaient initialement donné leur accord (!), mais qui, confrontés à la réalité, ont changé d’avis, comme dans le village de Tuim.
Dans le cadre d’un système à un seul niveau, l’administration du district nommera son propre représentant, a expliqué le chef de Tuim, Evgueni Kouléshov. Et celui-ci sera subordonné au chef du district. Il ne sera pas question d’écouter les habitants, de se pencher sur tous leurs problèmes. Sinon, il ne sera pas apprécié et sera licencié. Chaque région, chaque district est unique et doit être traité de manière individuelle, estime le villageois.
À son tour, la présidente du conseil municipal d’Oust-Abakan, Nina Leonchenko, va presque jusqu’à la sédition politique :
« C’est la population qui doit diriger l’État. Et la population gouverne l’État par l’intermédiaire des chefs qu’elle élit et par l’intermédiaire d’un organe représentatif de l’autonomie locale, les députés, qu’elle élit également. Et non par l’intermédiaire d’une seule personne qui décidera seule si elle veut construire une route quelque part à Tcharkovo ou non ».
Seul un système de gouvernement local à deux niveaux permet, selon Leonchenko, de gérer efficacement les villages : « Nous avons supprimé les écoles primaires, nous avons réformé le système de santé, nous avons supprimé les hôpitaux. Et qu’est-ce qui s’est passé ensuite ? Les gens ont tout simplement commencé à quitter ces villages. La Russie n’est pas seulement riche grâce à Moscou… La Russie est riche grâce à ses villages. Des centaines de milliers de villages… nous pouvons tout simplement les détruire ».
En effet, les questions locales ne sont pas vraiment « intéressantes » pour un fonctionnaire assis dans un centre régional à des dizaines de kilomètres. On ne peut pas tout faire, et pourquoi le ferait-on si on ne vit pas sur place ? Et les habitants des villages en difficulté ont encore moins de possibilités de se déplacer. Il ne leur reste plus qu’à baisser les bras. Avec un tel pouvoir, les jeunes ne voudront guère rester vivre ici, ils partiront.
Il est intéressant de noter que les lances se brisent autour de la norme prévue par la loi « Sur les principes généraux de l’organisation de l’autonomie locale dans un système unique de pouvoir public ». Dix-huit grandes fédérations, dont le Tatarstan, la Crimée, la Yakoutie et la Tchétchénie, ont demandé que la question du système à deux niveaux soit laissée à la discrétion de la région. La Khakassie fait désormais partie de ce groupe.
Selon les données des médias locaux, la république compte 86 conseils ruraux et municipaux. En cas de suppression totale, il restera 5 districts urbains et 8 municipalités.
Soit 13 au total. À titre de comparaison, à la fin de l’URSS, la région autonome de Khakassie comptait 62 conseils ruraux et 17 conseils de village (il existait même une « norme » : un député pour 100 villageois).
Peut-être que le désir insistant des membres du parti Russie Unie d’imposer à la Khakassie leur vision simpliste de la pyramide du pouvoir s’explique par leur volonté d’empêcher les communistes (Konovalov du KPRF) de franchir le seuil électoral municipal, leur position étant particulièrement forte dans les villages. Quoi de plus agréable que d’établir son monopole politique « sur le terrain » ?
Il suffit de mettre au pas (au pied !) les maires des capitales régionales : leurs élections ont été supprimées par la même loi sur les collectivités locales, et les députés des assemblées législatives votent désormais pour les candidats proposés par les gouverneurs. Les gouverneurs sont eux aussi « sous emprise » : ils sont presque toujours nommés par le président et ne se présentent aux élections qu’ensuite (la Khakassie est justement l’exception). La verticalité devient ainsi encore plus verticale…
Il est compréhensible que le pays mène depuis quatre ans une guerre difficile et que de nombreux fonctionnaires estiment qu’ils consacrent trop de temps et d’énergie à des mouvements politiques « superflus », mais il faut regarder vers l’avenir. Lorsque Poutine aura conclu la paix en Ukraine, il faudra développer le pays. Mais les gens sont en colère et n’écoutent pas. On ne peut plus contraindre personne par des ordres.
C’est là que l’autonomie locale sera utile : une sorte de bouillon, un milieu dans lequel pourront s’épanouir partout des militants énergiques, des politiciens à petite et grande échelle, afin de faire avancer la grande cause commune. Et si cela ne se produit pas… Il est facile de couper l’herbe sous le pied des locaux, mais il est plus difficile de relancer le mouvement.
Konovalov a donc pris la bonne position. Le fait qu’il n’y ait pas de consensus sur cette question au sein de la classe politique khakassienne ne fait que renforcer la position du leader de cette lutte.
Et déjà, l’expérience de la république est observée avec espoir dans la région d’Orel, où le gouverneur est également communiste, Andreï Klychkov.
Il y a aussi la région d’Oulianovsk, dirigée par Alexeï Rousski. « C’est à l’initiative du KPRF que la Douma d’État a adopté des amendements permettant aux régions de décider elles-mêmes si elles ont besoin d’une telle réforme », a rappelé le premier vice-président du Comité central du KPRF, Youri Afonine.
« Et certaines républiques nationales ont déjà profité de ces amendements. C’est pourquoi nous soutenons Konovalov de toutes nos forces. »
On soupçonne que le chef de la Khakassie est désormais connu et soutenu partout en Russie.

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John V. Doe
Merci pour cet éclairage d’un nouvel aspect, très positif, des régions russes dont j’ignorais jusqu’à l’existence de leur possible autonomie.