En 2025, les 70 ans de la conférence de Bandung ravivent l’idéal diplomatique asiatique et africain : un esprit de solidarité et de coopération qui inspire encore le Sud global aujourd’hui. Retour sur un héritage toujours vivant et en constante réinvention. La mémoire détruite des communistes français et des forces progressistes nous empêche de percevoir ce que le multilatéralisme doit à la fois à l’urgence face au défis planétaires, à la dangerosité de l’Occident global derrière les USA mais aussi à la mémoire de ce que les communistes et les forces progressistes ont su créer dans le sillage de la victoire sur l’Allemagne nazie, la décolonisation et le rôle de l’URSS. Ici le mouvement des non alignés. En aout 2023, quelques-unes des nations de Bandung se sont réunies sous les auspices des BRICS qui s’apprêtaient à s’élargir à l’Egypte, l’Ethiopie, l’IRAN et un peu plus tard à l’Indonésie puis à des pays partenaires comme le Vietnam, la Biélorussie, la Bolivie, l’Indonésie, le Kazakhstan, Cuba, la Malaisie, la Thaïlande, l’Ouganda et l’Ouzbékistan au sommet de Kazan en 2024. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
2025-06-24 China News Li Zhiquan

2025 marque le soixante-dixième anniversaire de la conférence de Bandung, en Indonésie. Tenu en avril 1955, cet événement historique a non seulement favorisé la coopération et la solidarité entre les pays d’Asie et d’Afrique, mais a aussi donné naissance à ce que l’on appelle aujourd’hui l’esprit de Bandung, fondé sur les valeurs de solidarité, d’amitié et de collaboration. Lors de cette conférence, la délégation chinoise a mis en avant un principe fondamental de sa diplomatie : « chercher un terrain d’entente tout en acceptant les divergences ».
Dans quelle mesure ce concept chinois a-t-il contribué au succès de la conférence ? Et pourquoi l’esprit de Bandung continue-t-il de vivre et de se réinventer au fil du temps, malgré les profondes mutations géopolitiques ? Entretien avec Jona Widhagdo Putri, conseillère spéciale en relations internationales auprès du Comité économique national de l’Indonésie.

Pourquoi la conférence de Bandung constitue-t-elle une fierté pour les habitants de la ville et les Indonésiens ?
En avril 1955, tous les regards se tournent vers Bandung, troisième ville d’Indonésie. Vingt-neuf délégations issues de pays d’Asie et d’Afrique s’y réunissent pour participer à la conférence de Bandung, événement fondateur de la solidarité Sud-Sud et de l’émergence du « Sud global » (un ensemble géopolitique qui recouvre l’ensemble des États qui ne relèvent pas de l’ancien bloc occidental formé pendant la guerre froide, ni de l’Union européenne). Pour l’Indonésie, récemment indépendante, il s’agit d’une occasion historique de faire entendre sa voix sur la scène internationale. Le succès de cette conférence marque un tournant dans l’histoire du pays : un ancien territoire colonisé accède au rang d’acteur diplomatique majeur. Les habitants de Bandung accueillent chaleureusement les représentants venus du monde entier, leur offrant un aperçu de la richesse multiculturelle de l’Indonésie à travers des spectacles de danse, de musique et des vêtements traditionnels. Les « Dix principes de Bandung », adoptés lors de la conférence, posent pour la première fois les jalons pour construire un code de conduite entre pays en développement. Fondés sur le respect mutuel, la souveraineté, la non-ingérence et la coopération pacifique, ces principes continuent d’inspirer la diplomatie des pays du Sud.
La Chine a promu le principe de « chercher un terrain d’entente tout en acceptant les divergences ». Quel impact a-t-il eu sur la conférence de Bandung ?
Au moment où s’ouvrait la conférence de Bandung, les pays participants se trouvaient profondément divisés, aussi bien sur le plan idéologique que territorial. C’est dans ce contexte que Zhou Enlai, Premier ministre chinois de l’époque, a mis en avant le principe de « chercher un terrain d’entente tout en acceptant les divergences ». Ce concept s’est rapidement imposé comme l’une des clés pour apaiser les tensions, favoriser le dialogue et renforcer les consensus. Concrètement, Zhou Enlai appelait les États présents à mettre de côté leurs différends pour se concentrer sur deux objectifs communs : la lutte contre le colonialisme et la quête de développement économique. Cette approche médiatrice, empreinte de pragmatisme et de sagesse diplomatique, a permis de débloquer les discussions et de remettre la conférence sur les rails.
Zhou Enlai a insisté à plusieurs reprises sur les « Cinq principes de la coexistence pacifique » : respect mutuel de la souveraineté et de l’intégrité territoriale, non-agression, non-ingérence dans les affaires intérieures, égalité et bénéfices mutuels, et coexistence pacifique. Ces principes ont été intégrés aux textes finaux de la conférence, permettant à la Chine de passer du statut de simple participant à celui de co-rédacteur de règles fondamentales. Ce positionnement a par ailleurs jeté les bases de futurs accords bilatéraux, notamment entre la Chine et l’Indonésie.

Pourquoi l’esprit de Bandung a-t-il pu persister et se réinventer ?
En 2025, alors que l’on célèbre le 70e anniversaire de la conférence de Bandung, son esprit demeure d’une actualité saisissante. Face aux tensions géopolitiques croissantes, à la menace d’une nouvelle guerre froide, aux bouleversements climatiques et aux révolutions technologiques portées par l’intelligence artificielle, l’esprit de Bandung constitue plus que jamais une boussole pour repenser une gouvernance mondiale en mutation. Il propose un cadre fondé sur la solidarité, l’égalité et la coopération pacifique, offrant aux pays en développement un levier pour faire entendre leur voix sur la scène internationale.
Dans un contexte où ces pays peinent encore à s’imposer dans les grandes instances de décision, l’esprit de Bandung défend une discussion sur un pied d’égalité et une collaboration non conflictuelle. Il établit ainsi les bases d’une réforme en profondeur de la gouvernance mondiale, plus inclusive et plus représentative. Le mécanisme élargi des « BRICS+ » s’inscrit dans cette logique multilatérale et inclusive héritée de Bandung, en donnant une place centrale au Sud global dans les discussions internationales.
Par ailleurs, à l’heure où le fossé numérique renforce les inégalités entre pays du Nord et du Sud, l’esprit de Bandung rappelle l’importance de l’indépendance technologique, de l’autonomie stratégique et de la coopération équitable. Lors du colloque international intitulé « L’esprit de Bandung et le développement du Sud global », récemment organisé dans la ville éponyme, un sous-colloque dédié à « L’IA et le futur numérique du Sud global » a précisément abordé les enjeux liés à la souveraineté numérique et au développement technologique inclusif. Une manière concrète d’adapter les idéaux de 1955 aux défis du XXIe siècle.

Dans le contexte de l’émergence du Sud global, comment la conférence de Bandung peut-elle encore impacter le monde d’aujourd’hui ?
Aujourd’hui, les pays du Sud global représentent environ 40 % de l’économie mondiale, mais l’ordre international demeure largement structuré par des normes et institutions issues de l’Occident. Dans ce contexte, la conférence de Bandung demeure une source d’inspiration majeure. Elle nous enseigne trois leçons essentielles.
Tout d’abord, reconstruire le récit. Bandung a montré que les nations récemment décolonisées pouvaient affirmer leur autonomie et définir ensemble un agenda commun, en dehors des hégémonies. Aujourd’hui, cette dynamique se poursuit à travers des initiatives comme l’Initiative pour le développement mondial portée par la Chine, ou les avancées en matière d’économie numérique sous la présidence indonésienne du G20 à Bali. Deuxièmement, promouvoir une coopération pragmatique. L’esprit de Bandung ne doit pas rester au stade des principes : il doit se traduire dans des actions concrètes. Le projet de train à grande vitesse Jakarta–Bandung, né de la coopération sino-indonésienne, illustre cette dimension tangible de la solidarité Sud-Sud : transfert de technologie, création d’emplois, et amélioration des infrastructures.
Enfin, il faudrait former une nouvelle génération d’« héritiers de Bandung ». Le capital humain est la clé de voûte de toute coopération durable. En tant que chercheur, je suis impliquée dans les programmes du Centre de recherche ASEAN–Chine, qui favorisent les échanges entre jeunes universitaires, encouragent la recherche conjointe et renforcent la compréhension mutuelle. Il s’agit d’ancrer l’esprit de Bandung dans les esprits des nouvelles générations, pour qu’il puisse perdurer et s’adapter aux enjeux du XXIe siècle.
Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.
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