Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Ce que l’on refuse de voir, c’est à quel point cette « crise » en forme de farce témoigne de la réalité du monde multipolaire, par Danielle Bleitrach

Dans cette crise, le rôle essentiel a été celui du monde multipolaire, ce que notre presse, nos politiciens totalement hors sol refusent de voir tant ils n’ont plus pour horizon que l’élection municipale à Bécon-les-Bruyères, Paris-sur-Seine… ou celui d’une présidence française qui se vide de toute importance internationale comme de toute capacité à définir une perspective pour le peuple français et qui n’a plus qu’un objectif, durer. Ce monde multipolaire a été la principale force sur une stratégie qui est la sienne, non en tant que forces engagées militairement mais en tant que force de dissuasion décisive. Rapide « autopsie » de la guerre de 12 jours, son cessez-le-feu obtenu pourquoi et par qui ? Quelles perspectives, une fenêtre d’opportunité qui se referme pour la France ? Cela vous aiderait certainement de participer au débat qui s’est ouvert autour de notre livre dans le parti communiste et au-delà. Les Français qui en général aiment la clarté doivent au moins constater que si l’on en reste au narcissisme des Etats-Unis maître du monde nul ne peut comprendre ni ce qui s’est passé, ni la perspective que ce genre d’interprétation dessine. Elle n’a qu’une seule vocation : maintenir dans l’inertie ceux qui sont pourtant les victimes évidentes de ces apparents irrationnels caprices… Une autre analyse esquissée ci-dessous est la seule qui éclaire les enjeux et le sens de l’intervention du citoyen français, même pas révolutionnaire…

Face à l’action totalement illégale de Trump en appui de Netanyahou tout a été fait par notre système de propagande pour montrer que les alliés régionaux et mondiaux de l’Iran – y compris la Russie et la Chine – ne sont pas venus à la défense de la République islamique… Et pourtant les résultats démontrent le contraire, ce que les commentateurs en sont réduits à mettre sur le caractère imprévisible du président actuel alors qu’il s’agit d’un processus que l’on peut suivre dans le temps long de la constitution de ce système hégémonique dans la poursuite de la colonisation française et britannique et des « guerres mondiales » colonialistes puis impérialistes. Mais aussi les victoires à la Pyrrhus remportées récemment dans le Moyen Orient et l’Asie centrale qui se sont soldées de fait par des échecs retentissants malgré les tonitruants « mission accomplie » des différents présidents.

Ce monde multipolaire a pesé sur les « alliés » régionaux de ‘Iran » et même sur de ceux des Etats-Unis y compris le Qatar, les saoudiens. Même jeux des alliés mondiaux de l’Iran – y compris la Russie et la Chine, avec le rôle spécifique de la Turquie et du Pakistan qui ont figé la situation, dans un bras de fer qui se poursuit à l’OTAN aujourd’hui.

Le Premier ministre hongrois Orban a fait cette déclaration en commentant l’absence de Zelensky aux réunions de travail aux Pays-Bas. Les organisateurs du sommet de l’OTAN à La Haye n’ont pas invité Zelensky à leurs réunions parce que les dirigeants des États-Unis, de la Turquie, de la Slovaquie et de la Hongrie ne veulent pas s’asseoir à la même table avec lui lorsqu’il s’agit des affaires de l’alliance. Ce qui a été présenté comme la marque du triomphe de Trump, le seul triomphe que celui-ci peut avoir s’exerce sur ses vassaux qui acceptent dans un tel contexte de se saigner à tous les sens du terme pour les USA. C’est ce à quoi nous invite la presse et les élites politico-médiatique françaises dans leur invention de la force irrésistible de l’Amérique.

Le président russe Vladimir Poutine, à gauche, et le président iranien Massoud Pezeshkian posent pour une photo lors de leur rencontre au Kremlin le 17 janvier 2025. Photo : Viatcheslav Prokofiev, Sputnik, Kremlin Pool via The Conversation

Apparrement ’Israël dans ses attaques contre l’Iran, le président américain Donald Trump a osé une attaque américaine contre les sites nucléaires iraniens. Trump est allé jusqu’à menacer le guide suprême de l’Iran affirmant connaitre son emplacement et en faire une cible aussi facile que les autres dirigeants assassinés sans état d’âme par les israéliens. Il a exigé une reddition inconditionnelle et a laissé entendre un but qui serait le changement de régime. Histoire et societe grâce en particulier aux traductions de Marianne Dunlop mais aussi en fonction d’une analyse que nous développons dans notre livre sur la réalité de ce monde multipolaire a insisté sur la politique spectacle et sur les rapports de forces réels et surtout le changement de stratégie.

Face à ce spectacle trumpien, nous avons assisté à la manière dont l’empire britannique et ses traditionnels dominions le Canada et l’Australie, rejoints par l’Allemagne (visiblement enthousiaste à l’idée de rejouer l’opération Barbarossa et le militarisme comme réponse à la crise que ce pays s’est créé en adoptant les sanctions et les choix des USA) se sont excités en exigeant que l’Iran capitule. Macron lui a macronné, dans l’incohérence la plus totale… Face à ce chœur bruyant qui proclamait qu’Israël avait le droit de se défendre et que les Etats-Unis faisaient le sale boulot nécessaire une fois de plus, comme en Yougoslavie, comme en Irak, en Libye en Afghanistan, etc… Ils nous ont refait le coup des armes de destruction massive…

Face à cela sur quoi pouvait compter l’Iran ?

L’Iran comme la plupart des pays prétendant à une certaine puissance régionale s’était constitué un réseau d’alliés sur le mode des guerriers par procuration des Etats-Unis et de leurs alliés européens. Il s’agissait de sa part d’une stratégie de dissuasion destinée à le protéger des attaques d’Israël (la seule puissance nucléaire de la zone) et des USA. Rien à voir avec la puissance de ce qu’installaient les USA avec son financement monstrueux de bases militaires et de groupes terroristes et paramilitaires, voir de pays entiers comme dans le cas de l’Ukraine et même Israël dont il est la garantie.

Ce réseau désigné sous le terme d' »axe de la résistance » avait un peu la même fonction que l’enrichissement de l’uranium et au fur et à mesure que s’accentuait l’ingérence des Etats-Unis, les sanctions et les raids israéliens allait vers une force de dissuasion. Il comprend des groupes tels que le Hezbollah au Liban, les Forces de mobilisation populaire (FMP) en Irak, les militants houthis au Yémen, ainsi que le Hamas à Gaza, qui a longtemps été sous l’influence de l’Iran à des degrés divers mais ils ont aussi leur autonomie. L’Iran a également soutenu le régime de Bachar al-Assad en Syrie avant qu’il ne soit renversé l’année dernière.

Des membres des Forces de mobilisation populaire (FMP) portent des images de leurs camarades tués lors de frappes aériennes américaines dans l’ouest de l’Irak en 2024. Photo : Ahmed Jalil / EPA via The Conversation

Ces groupes ont servi à la fois de tampon régional et de moyen pour l’Iran de projeter sa puissance sans engagement direct. Cependant, au cours des deux dernières années, Israël a porté des coups importants à ce réseau en profitant de l’action du Hamas.

Le Hezbollah – autrefois l’allié non étatique le plus puissant de l’Iran – a été neutralisé temporairement après des mois d’attaques par Israël et l’assassinat par Israël de Hassan Nasrallah. Toute la Syrie s’est retrouvée livrée aux alliés de fait des Etats-Unis que sont les terroristes de Daech reconvertis en interlocuteurs présentables, mais la Russie qui a hérité de la diplomatie soviétique et de celle post soviétique de Primakov sait mieux que les USA naviguer dans ce moyen orient et monde arabe extraordinairement complexe et l’a prouvé dans cette crise. De fait, l’Iran maintient une forte influence au Yemen, en Irak et chez les Houthis. Ce sont des forces en réserve dans une déstabilisation régionale que pouvait déclencher l’acte de bombardement et ce qui alors était désigné en priorité étaient les bases américaines essaimées dans toute la région. Ça a été le sens symbolique de la frappe (après avoir prévenu les USA et le Qatar) de l’Iran comme d’ailleurs la phrase : vous avez commencé, c’est nous qui finirons.

L’Iran lui-même pourrait également fermer le détroit d’Ormuz, par lequel transite environ 20 % de l’approvisionnement mondial en pétrole. L’invite de Rubio à la Chine concernant cette menace était caractéristique de l’existence d’un tel rapport de force.

Des partisans houthis brandissent des pancartes anti-américaines et israéliennes et agitent les drapeaux de « l’axe de la résistance » soutenu par l’Iran lors d’une manifestation dans la capitale yéménite. Photo : Yahya Arhab / EPA via The Conversation

La région du Moyen Orient débouche en priorité sur l’Asie centrale et la région a une dimension internationale.

Nous avons dès le début de cette guerre pour le moment de 12 jours souligné le cas de la Turquie et du Pakistan, l’un étant membre de l’OTAN et jouant systématiquement un jeu à plusieurs bandes pour devenir un leader du monde islamique. Mais aussi le fait que plus notable d’entre eux le Pakistan – le seul pays islamique doté d’un arsenal nucléaire – dans son conflit avec l’Inde avait manifesté une sorte d’allégeance à Trump en le proposant au prix Nobel de la paix et en lui attribuant un rôle essentiel dans l’arrêt des hostilités avec l’Inde. Notons que tout cela se faisait visiblement avec l’assentiment de la Chine qui est une garantie beaucoup plus importante pour le Pakistan que les arbitrages de Trump. On peut également considérer que la Russie a une influence non négligeable sur l’Inde.

Le Pakistan a donc été un acteur dont il ne faut pas ignorer l’importance, un des principaux alliés de l’Iran dont Trump rencontre le chef de l’armée à Washington à la veille de son implication en Iran. Le ton a tout a coup changé avec l’agression israélienne : le premier ministre Shehbaz Sharif a défendu une « solidarité inébranlable » face à l’agression au président iranien et le ministre de la défense, Khawaja Asif a déclaré aussitôt qu’Israël « réfléchira plusieurs fois avant de s’attaquer au Pakistan ». Notez que malgré les propositions comme prix Nobel, le Pakistan a été signataire avec la Russie et la Chine de la condamnation d’Israël et des USA au Conseil de sécurité de l’ONU.

On retrouve chez tout le monde multipolaire avec son audience qui va bien au-delà des BRICS, une position ferme qui pourtant ne fait pas état explicitement d’une intervention. Il s’agit plutôt de désamorcer les tensions en mobilisant les solidarités dans le sud d’abord. Le Pakistan a poussé d’autres pays à majorité musulmane à une intervention diplomatique avec son partenaire stratégique la Chine. La propagande occidentale nous a systématiquement masqué cette intense activité et l’audience accrue de la Chine et de la Russie par cette action prudente mais ferme.

Ce qui s’est passé dans le monde musulman tient compte non seulement de l’agression israélo- américaine devenue celle de « la toute puissance des USA » et la nécessité de l’endiguer, mais le produit d’une situation dans laquelle sous l’influence de la diplomatie chinoise l’Iran avait multiplié les ouvertures diplomatiques envers ses rivaux régionaux comme l’Arabie saoudite et l’Égypte. Y compris ceux qui accueillent des bases américaines et ont renoué des relations diplomatiques avec Israël.

Oui le monde a changé même si sous l’effet d’une propagande insensée l’occident, le monde politico-médiatique français refuse de le voir et soit continue à ne voir que la suprématie des Etats-Unis ou s’acharnent sur une vision de la guerre froide avec engagement militaire dans un monde qui majoritairement ne veut pas de cette confrontation.

Et l’Otan a entériné le choix de Trump : payer de son sang et de ses ressources ce que le maitre ne peut plus assumer pour lui permettre d’être en mesure de négocier les intérêts de l’oligarchie qui épuise le peuple des USA : « Les tambours » de la guerre impérialiste ont battu la charge hier lors du premier jour du sommet de l’Otan à La Haye, le thème principal étant le plus que doublement des dépenses militaires des États membres et la préparation générale de la guerre dans le contexte du conflit géopolitique avec la Chine, la Russie et le camp eurasien en général pour assurer le statut de superpuissance à « l’Amerique ».

Mais ces gens qui s’inventent des ennemis pour mieux asphyxier leurs peuples et tâcher d’imposer leur arbitraire commencent par tenter de duper leur propre peuple avec une vision géopolitique complètement hors saison. On peut estimer que l’Iran au moins a depuis pas mal de temps revu sa propre stratégie y compris à travers ce qu’Israël sous Biden accomplissait au Moyen Orient. Le choix des BRICS est aussi celui d’une orientation stratégique minimale.

A la suite de quoi, paradoxalement, l’Iran bénéficie d’un soutien plus large alors que l’on ne peut pas encore imaginer que des des puissances régionales telles que l’Arabie saoudite, l’Égypte, les Émirats arabes unis et la Turquie soutiennent matériellement l’Iran, et remettent en cause leur alliance avec les États-Unis.

C’est sur cette situation que les principaux alliés mondiaux de l’Iran, la Russie et la Chine, qui depuis longtemps unissent leurs efforts pour protéger l’Iran et d’autres pays d’expéditions punitives de l’ONU que les Etats-Unis et les Européens tentaient d’imposer au conseil de sécurité. Mais pour ceux qui sont familiers des analyses de notre blog et qui ont lu notre livre, la logique d’un autre ordre international est à l’œuvre dans ce partenariat stratégique qui ne veut pas se conduire comme le font les USA en envoyant en première ligne leurs guerriers par procuration – les membres de l’OTAN européens sont clairement désormais destinés à ce rôle de chair à canon pour épuiser les forces des « alliés » de la Chine.

Ne pas voir que le bras de Trump a été retenu dans ce qui commençait à devenir un « changement de régime », retenu par qui ? certainement pas par les Européens qui ont été évacués dès le début puisque la frappe des Etats-Unis est intervenue en pleine pseudo négociations à Genève… C’est ce monde multipolaire fait de forces socialistes, de résistances plus contradictoires de la part de la Russie, héritière de l’URSS et avec à sa tête non seulement un gaullien malgré lui qu’est Poutine mais un peuple qui n’a pas oublié les voies réelles du combat contre le nazisme… la guerre patriotique avec le fait que le principal allié militaire de la Russie n’est pas l’Iran mais la Corée du Nord. Ce partenariat que nous analysons dans notre livre a la nécessité de présenter une alternative à tous les pays menacés, y compris les alliés des Etats-Unis qui mesurent bien la dangerosité d’avoir une alliance militaire avec les USA. A ce titre la manière dont le Qatar et tous les pays qui abritent des bases militaires US ont réagi témoigne là encore d’un changement d’époque.

Peut-être au vu de l’état de la plupart des forces politiques, y compris de gauche et d’une bonne partie des dirigeants communistes qui sont censés connaitre la politique internationale, faut-il considérer qu’il n’y a pas grand chose à attendre de la France de Macron… Il suffit de mesurer la manière dont Macron assume les héritages américains, de l’OTAN, même si l’ardoise est lourde, il continue à assumer la facture de l’IAN: après une rencontre avec Macron, le président ukrainien a écrit : « Nous avons évoqué la possibilité d’élargir notre flotte aérienne avec des avions Mirage supplémentaires, ainsi que la coproduction et l’investissement dans des drones intercepteurs. » Il a également appelé à « l’introduction de sanctions renforcées contre la Russie », citant en particulier « des plafonnements équitables des prix du pétrole et du gaz » QUI est en état de faire le lien entre ce genre de cadeau participation aux charges de l’OTAN est ce que l’on inflige aux Français? Qui de sa ridicule opposition toutes tendances confondues a choisi cet axe de « résistance sinon le PCF avec Fabien Roussel. Mais ‘l’étrange sur l’origine réelle des problèmes au niveau international n’est jamais fait, cela devient de l’ordre des vertus morales faut-il considérer pour autant que la France a choisi son destin et qu’il ne vaut pas mieux que celui ces USA ? Ce serait ne pas voir que la France est malgré tout un des pays où les forces de résistance à la dangerosité d’un impérialisme qui s’attaque désormais en priorité à ses « alliés » pour marchander de fait un statut de superpuissance dans un monde multipolaire et Trump à sa manière jouant « l’Amérique » ou plutôt son oligarchie d’abord. Que l’on ne se fasse pas d’illusions : si l’on accepte la logique dans laquelle la propagande nous enferme, il n’y aura pas plus de bon « démocrate » pour remplacer Trump, qu’il n’y aura de bon président pour remplacer Macron.

Il faut changer de politique dans un monde qui ne nous attend pas, fort heureusement…

Danielle Bleitrach

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