ARTS / CULTURE ET LOISIRS
Ce texte de nos escapade « culturelles » du weekend est dédié à Marianne et à ses engagements dans la traduction qu’il s’agisse du russe ou du chinois. Elle m’a convaincu de l’éthique du traducteur alors que j’étais déjà nourrie des débats des marxistes, d’Aragon à Walter Benjamin sur le sujet. C’est pourquoi je pense sincèrement que dans la reconquête que le PCF devrait mener par rapport à des décennies de liquidation, une part essentielle devrait être consacrée à l’apport d’Aragon. De nombreux livres sortent et j’espère que l’été calmera un peu les tendances belliqueuses impérialistes pour nous donner le temps de cet échange plus que jamais essentiel autour de la manière dont cet immense poète a servi son peuple à travers le parti dirigé par un Thorez qui partageait ses aspirations. Il y a ces créations vertigineuses et dans le même temps l’aspect paisible des ponts de la tradition réinterprétée par Monet… Le thème du « pont » correspond à la fois à une vision des routes, de l’itinérance qui est à l’œuvre dans le rêve chinois mais aussi dans l’aspiration des Cubains à refuser le chauvinisme… On peut y compris y voir cette confrontation nécessaire entre traditions pour se penser dans une dynamique dans l’altérité qui est là sur l’autre rive en miroir… (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
Par Jidi Majia 23 juin 2025
Jidi Majia Chen Tao/Global Times
Note de l’éditeur :
Dans le contexte des « Années de la culture sino-russe », le Salon de la littérature sino-russe « Lire au fil des saisons » s’est tenu jeudi à Pékin avec la participation d’experts renommés de la littérature chinoise et russe. Jidi Majia, poète de renom et ancien vice-président de l’Association des écrivains chinois, a assisté à l’événement, au cours duquel il a souligné que le lien poétique profond entre la Chine et la Russie a rapproché les deux grandes nations sur le plan spirituel. Cet article est basé sur le discours du poète lors de l’événement.
Une scène au Salon de littérature sino-russe « Lire au fil des saisons » Photos : Chen Tao/Global Times
Dans le monde d’aujourd’hui, alors que les civilisations mondiales s’engagent dans des échanges de plus en plus larges, je crois fermement que la littérature reste une pierre angulaire essentielle de la compréhension mutuelle. La littérature, à mon avis, n’est pas seulement une entreprise artistique. Elle incarne le noyau spirituel même des différentes cultures et civilisations. Pendant des milliers d’années et chez toutes les nations, la littérature – en particulier la poésie – a toujours été la forme la plus élevée d’expression linguistique et culturelle. Aujourd’hui, alors que je me joins à des écrivains russes pour dialoguer, je suis profondément honoré par cette rare occasion de partager et de réfléchir à nos destins littéraires entrelacés.
La Chine et la Russie entretiennent depuis longtemps une relation spéciale dans le domaine de la littérature. En particulier depuis le 20e siècle, nos deux pays ont maintenu certains des liens littéraires les plus étroits au monde. Bien que des facteurs historiques aient certainement joué un rôle, je crois que le fondement le plus profond de ce lien est notre échange littéraire continu, en particulier dans le domaine de la poésie.
Nos anciennes générations d’écrivains et de traducteurs, tels que Lu Xun, Mao Dun et le célèbre traducteur Ge Baoquan, ont travaillé sans relâche pour faire passer les chefs-d’œuvre russes – en particulier ceux de Pouchkine – dans la langue chinoise. Grâce à leurs efforts, la poésie russe a profondément influencé l’évolution de la littérature chinoise.
Quand je réfléchis à la poésie chinoise moderne, j’y vois deux sources principales. La première est notre tradition autochtone, enracinée dans l’ancien classique chinois Shi Jing (Le Livre des Odes) et l’héritage poétique de Qu Yuan. Ces formes anciennes, exprimées en chinois classique, ont façonné notre sensibilité littéraire pendant des millénaires. La seconde, tout aussi importante, est l’influence de la poésie étrangère. De toutes ces forces extérieures, la poésie russe – en particulier les œuvres de Pouchkine – a laissé une marque indélébile sur la poésie chinoise.
Au cours du siècle dernier, la poésie russe a profondément façonné le rythme et l’esprit de la poésie chinoise. Bien que la poésie anglaise et espagnole nous ait également influencés, ce sont les vers russes qui sont entrés en Chine à grande échelle, devenant un point de référence dominant pour des générations de poètes chinois.
Mon propre parcours de poète a été façonné par la littérature russe. J’ai commencé à écrire de la poésie dans les années 1980, mais mon véritable réveil a eu lieu à l’âge de 16 ans, lorsque j’ai découvert pour la première fois la traduction de la poésie de Pouchkine par Ge Baoquan. Le livre était passé entre de nombreuses mains, et au moment où il m’est parvenu, sa couverture avait disparu depuis longtemps. Pourtant, son contenu m’a profondément ému, éveillant mon esprit et m’inspirant à écrire moi-même de la poésie. J’ai été émerveillé par la beauté et la profondeur que la poésie pouvait incarner.
Des années plus tard, quand j’ai finalement rencontré Ge, je lui ai dit à quel point j’étais reconnaissant qu’il ait présenté les œuvres d’un si grand poète russe aux lecteurs chinois. Ayant grandi au milieu des montagnes du sud-ouest de la Chine, j’ai rarement eu l’occasion de lire de tels livres. Cette rencontre m’a fait ressentir une véritable parenté spirituelle avec les poètes russes.
Au fil des décennies, ce lien littéraire s’est renforcé. De nombreux traducteurs chinois, tels que Fei Bai, Gu Yu et le professeur Liu Wenfei, ont joué un rôle crucial dans l’introduction de la poésie russe dans le monde littéraire chinois. Depuis les années 1950, de nombreuses œuvres de poètes russes ont été traduites, ce qui a conduit à un dialogue vivant et continu entre nos deux traditions.
Je suis particulièrement heureux que ces dernières années, les œuvres de nombreux poètes russes contemporains ont trouvé leur chemin vers le chinois. Par exemple, au Festival international de poésie du lac Qinghai – que nous organisons chaque année depuis 2007 – de nombreux poètes russes influents ont visité la Chine. En 2015, nous avons décerné le prix d’or de poésie de l’antilope tibétaine à Alexandre Kushner, qui représente la tradition de l’âge d’argent et l’école de poésie russe de Saint-Pétersbourg. La visite de Kushner et les échanges littéraires qui ont suivi ont approfondi notre compréhension de la tradition poétique russe moderne.
Grâce aux efforts de traducteurs comme le professeur Liu, les œuvres de Kushner ont été largement lues en Chine, suscitant des discussions directes entre poètes et universitaires sur les nuances et les sensibilités uniques de la poésie russe.
La traduction, je crois, est au cœur de nos échanges culturels. Il ne s’agit pas seulement d’une question de précision linguistique, c’est un acte créatif qui exige une sensibilité à la fois poétique et culturelle.
Alors que les technologies telles que l’intelligence artificielle (IA) changent le paysage de la traduction, je suis convaincu que la traduction poétique restera fondamentalement humaine. L’IA ne peut pas remplacer la subjectivité et l’empathie du poète – le sens du destin personnel, la compassion pour les autres, le désir de liberté et le rêve de l’avenir de l’humanité qu’incarne la poésie. Le contexte, les expériences et les émotions du poète sont profondément entrelacés dans chaque poème.
Je voudrais saisir cette occasion pour exprimer ma sincère gratitude à tous les traducteurs engagés dans les échanges littéraires sino-russes. Leur travail ne se limite pas à la communication. Il s’agit d’une entreprise créative qui construit des ponts vitaux entre nos cultures. Je suis également reconnaissant envers les organisateurs de ces événements et forums littéraires, tels que le Global Times et le Centre culturel russe, qui rendent ces échanges possibles.
L’auteur est un poète chinois de renom et ancien vice-président de l’Association des écrivains chinois
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