L’annonce de Pékin est moins spectaculaire que celle de Donald Trump sur ses droits de douane. Et pourtant, l’information vaut le détour : ce vendredi matin, la Chine a annoncé qu’elle allait supprimer 100 % de ses droits de douane sur tous les produits qu’elle importe d’Afrique. 53 États sur les 54 vont bénéficier de cette initiative inédite. L’Eswatini (ex-Swaziland) est la seule nation exclue du dispositif car elle reconnaît encore le gouvernement de Taïwan. Ce qui est assez fascinant dans cette nouvelle est le choix politique de la part de la Chine de l’unité des contraires avec les USA(1). Un retournement de la politique tarifaire de Trump. Non seulement la suppression des barrières tarifaires va a contrario des choix de Trump mais prétend également corriger les déficits entre la Chine et les pays africains tout en diversifiant les importations qui ne porteront plus sur les ressources stratégiques. L’exemption des droits de douane avec des pays qui, comme le Maroc, ont entamé une industrialisation joue sur la création d’un marché pour la Chine et les pays des BRICS+, les pays partenaires. Exactement le contraire de la politique de Trump et de l’occident. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
‘1) il s’agit non seulement des droits tarifaires, du partage des savoirs scientifiques, de l’équilibre des échanges mais au même moment, Washington veut rallonger la liste des interdictions de voyages aux États-Unis. Le gouvernement américain envisagerait d’imposer des restrictions de voyage ou interdictions totales d’entrées pour les ressortissants de 36 pays, dont 25 du continent africain. Washington souhaite que ces pays remplissent certaines conditions de sécurité. Ils disposent de 60 jours pour se mettre en règle.
En 2024 les échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique se sont au global élevés à 295 milliards de dollars, soit une croissance de 4,8 %.
L’annonce a été faite lors de la quatrième édition de « l’exposition économique et commerciale Chine-Afrique », qui s’est ouverte jeudi, à Changsha (centre de la Chine). Pour rappel, 33 pays africains bénéficiaient déjà de cette exemption, en tant que pays les « moins avancés » économiquement, selon la classification de Pékin.
Les vingt nouveaux États entrant dans la liste ont pour la plupart des « revenus intermédiaires ». Et certains, à l’instar de l’Afrique du Sud, du Kenya, du Nigeria, de l’Égypte ou encore du Maroc, possèdent une base industrielle de plus en plus solide. Cet accès plus aisé au marché chinois devrait donc particulièrement leur bénéficier.
Rester le premier partenaire commercial de l’Afrique
Fait étonnant de cette annonce, la date d’entrée en vigueur de la mesure n’a pas été mentionnée. La raison est simple : Xi Jinping, présent au sommet, attend que les dirigeants africains négocient les détails et signent un nouvel accord économique entre la Chine et l’Afrique. Car l’objectif du dirigeant chinois est très clair : Pékin veut s’assurer de rester encore longtemps le premier partenaire économique du continent, mais aussi son premier investisseur et créancier
En sachant que le dragon d’Asie occupe cette position depuis une quinzaine d’années déjà. Pour mémoire, selon les douanes chinoises, en 2024 les échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique se sont au global élevés à 295 milliards de dollars, soit une croissance de 4,8 % par rapport à 2023.
Mais ce chiffre cache un déficit commercial en défaveur de l’Afrique. En 2024, la Chine a en effet importé 116 milliards de dollars de produits africains, contre 178 milliards d’exportations vers l’Afrique. Le surplus commercial est en faveur de l’empire du milieu est donc de 62 milliards. L’idée de cette exemption est d’y remédier.
Autre objectif de cette initiative de Pékin : diversifier la nature des produits qu’elle importe d’Afrique, aujourd’hui essentiellement des matières premières (pétrole, minerais, etc). Une manière de commercer qui n’est pas exempte de critiques de la part de certaines ONG, qui accusent la Chine d’avoir la main trop lourde sur les ressources stratégiques africaines.
Un pied de nez aux États-Unis
Le timing de l’annonce de cette exemption de taxes douanières dit quelque chose de l’autre dessein visé par Pékin : Donald Trump a annoncé début avril des nouveaux droits sur les produits africains, certains allant jusqu’à 50 %. Une décision qui a provoqué des tensions commerciales avec l’Afrique. Ceci, alors que le continent bénéficiait de l’« African Growth and Opportunity Act » (AGOA), un accord permettant d’exporter certaines denrées vers les États-Unis, sans droits de douane.
Jusqu’aujourd’hui, ce programme était l’ossature de la stratégie commerciale de Washington vis-à-vis du continent africain. Lancé par Bill Clinton il y a 25 ans, cet accord a permis d’exporter 8 milliards de dollars de denrées vers les États-Unis en 2024.
Et tout cela, Pékin le sait. En renforçant encore son lien économique et géopolitique avec l’Afrique, Xi Jinping, ce sont ses mots, entend construire une « communauté de destin Chine-Afrique ». À l’issue de la réunion à Changsha ce vendredi, les pays signataires ne manquent pas de critiquer « les efforts de certains pays pour perturber l’ordre économique et commercial international existant ». Si les États-Unis ne sont pas mentionnés – diplomatie oblige – il est facile de deviner qui se cache derrière le mot « certains pays ». Les oreilles de Donald Trump ont sans doute sifflé.
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