Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le dragon chinois tournoyant élégamment autour du cou de l’aigle américain

La compétition entre les superpuissances ne consiste plus à savoir qui domine mais qui peut perdurer et la Chine a l’avantage dans la plupart des secteurs stratégiques. Trump a annoncé lundi son intention d’imposer jusque 3521% de droits de douane sur les panneaux solaires provenant d’Asie du sud-est, afin de compenser les mesures de soutien à la production par la Chine de cette industrie dans les pays concernés. Ce chercheur de Malaisie comme bien des pays asiatiques et singulièrement ceux que M.Xi vient de visiter (Vietnam, Malaisie, Cambodge) ont réitérés l’existence de relations privilégiées avec la Chine, son marché intérieur et celui qu’elle aide à se constituer. Même si les Etats-Unis représentent 20% du marché, il devient effectivement problématique de se couper en acceptant ses conditions drastiques de ce qui est en train de se constituer en tant que monde multipolaire en gestation. Si les É.-U. maintiennent des tarifs élevés sur la majorité des importations de Chine et d’Europe et si la Chine réplique – ce qui est déjà le cas, la nature de la crise sera spécifique pour chaque zone. Pour les États-Unis c’est un choc d’offre important. En effet, il va provoquer une forte augmentation des prix de tous les biens importés, une remise en cause des chaines de production existantes et en fin de compte, la relocalisation de la production avec une certaine perte d’efficacité productive. Dans un premier temps, la demande devrait également diminuer, ce qui va peser sur ce qu’on peut en attendre y compris les petits malins qui délocalisent en catastrophe risquent de se trouver piégés, surtout si la Chine le leur fait payer, ce que les asiatiques et même l’Inde mesurent. Les entreprises dont le prix de nombreux facteurs de production va augmenter et qui devront trouver de nouveaux fournisseurs sont en situation d’incertitude sur leur profitabilité ce qui va également peser sur la demande globale. Il y aura donc un double effet d’augmentation de l’inflation et d’augmentation du chômage sur fond de ralentissement économique. Une crise du même type devrait affecter la Chine, mais elle sera probablement de moindre ampleur du fait de la moindre exposition aux importations et de sa capacité de réorienter la demande vers la consommation interne et la réorganisation des marchés en Asie et dans le sud. L’Europe et la France en particulier auraient intérêt à repenser rapidement la situation parce que si elle se laisse prendre dans la pression des USA, sans elle-même répondre aux USA, elle sera dans une situation typique de baisse des importations, choc de la demande et récession (avec comme seule voie d’issue la militarisation allemande) ce ne sera pas très joyeux pour les travailleurs et même pour les épargnants. Nous n’avons qu’une issue celle de l’alternative qui se constitue avec la Chine. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

par Phar Kim Beng 17 avril 2025

Le dragon chinois resserre son emprise sur l’aigle de l’Amérique. Image : X Capture d’écran

Il y a une image qui hante probablement de plus en plus l’esprit des stratèges américains : un dragon chinois, non seulement positionné en défense, mais élégamment enroulé autour du cou de l’aigle à tête blanche américain. Non pas pour étouffer mais plutôt pour réguler le souffle de l’oiseau.

Le symbolisme n’est pas l’hyperbole. Il capture un monde où la Chine, longtemps caricaturée comme l’imitateur, s’est maintenant transformée en un rival systémique, dépassant les États-Unis dans les secteurs critiques des affaires et de la sécurité.

De la technologie au commerce, de la monnaie à la cyberpuissance, l’État chinois est passé maître dans le jeu sur le long terme.

Comme Graham Allison avait mis en garde dans « Destiné à la guerre », le piège de Thucydide ne concerne pas seulement l’inévitabilité des conflits entre les puissances montantes et dirigeantes. Il s’agit aussi de l’érosion des hypothèses que l’Occident a longtemps tenues pour acquises, à savoir que les démocraties libérales innoveront toujours plus vite et gouverneront mieux.

Cette hypothèse s’effondre sous le poids de la Chine. Passons maintenant aux secteurs stratégiques où la Chine n’a pas seulement rattrapé son retard, mais, dans de nombreux cas, a pris de l’avance.

1. Semi-conducteurs : de la dépendance à la quasi-parité

Les semi-conducteurs, autrefois la principale vulnérabilité de la Chine, sont aujourd’hui l’arène de ses gains les plus spectaculaires. Malgré les embargos de Washington sur Huawei et les interdictions d’exportation d’équipements de lithographie avancés, Pékin a versé plus de 1,5 billion de yuans dans son écosystème national de puces.

Les puces chinoises de 14 nm sont désormais produites à l’échelle nationale et, selon le Dr Dan Wang de Gavekal Dragonomics, un cabinet de conseil économique, « la Chine n’est qu’à un nœud ou deux des leaders mondiaux et rattrape rapidement son retard ».

Cette accélération est alimentée par la « double circulation », une politique qui intègre des subventions publiques tout au long de la chaîne d’approvisionnement, de l’extraction des terres rares à la conception des puces.

En revanche, les États-Unis restent fragmentés. Le CHIPS and Science Act est lent et pourrait être abandonné alors que les usines américaines sont toujours dangereusement dépendantes des goulets d’étranglement géopolitiques comme Taïwan.

Et il n’est pas certain que forcer Taïwan à construire des usines aux États-Unis fonctionnera même à distance en raison d’un manque de main-d’œuvre qualifiée et de chaînes d’approvisionnement pertinentes.

2. Véhicules électriques : Tesla dans le rétroviseur

C’est le chinois BYD, et non Tesla, qui est désormais le premier fabricant mondial de véhicules électriques. En 2023, elle a dépassé Tesla en termes de ventes mondiales et s’étend désormais à l’Amérique latine, à l’Europe et à l’Asie du Sud-Est.

Pourquoi? Parce que la Chine possède la chaîne d’approvisionnement. Du lithium en Bolivie au cobalt au Congo, les entreprises chinoises comme CATL dominent l’amont. Ils contrôlent également plus de 75 % de la production mondiale de batteries au lithium.

Comme le note le professeur Tu Xinquan de l’Institut chinois d’études sur l’OMC, « Pékin traite les véhicules électriques comme la prochaine industrie stratégique, et pas seulement comme un produit de consommation ». Le résultat ? La Chine est en train de définir les conditions mondiales de la mobilité verte.

3. Intelligence artificielle : une efficacité autoritaire à grande échelle

Alors que la Silicon Valley se bat sur l’éthique et la confidentialité des données, les entreprises chinoises d’IA prennent de l’avance en tirant parti de l’échelle de leurs écosystèmes numériques.

Avec 1,4 milliard de citoyens contribuant à de vastes pools de données, des entreprises comme SenseTime et iFlytek forment des modèles d’apprentissage automatique à un rythme inimaginable aux États-Unis.

L’AI Index 2024 de Stanford a noté que « la Chine publie désormais plus d’articles sur l’IA évalués par des pairs que les États-Unis et l’UE réunis ».

Plus important encore, l’intégration de l’IA dans les systèmes de surveillance nationaux – reconnaissance faciale, analyse comportementale et même police prédictive – est un avantage institutionnel dans la gouvernance autoritaire.

4. Espace et hypersonique : un bond par-dessus l’horizon du Pentagone

En 2021, la Chine a testé un planeur hypersonique qui a stupéfié les responsables du Pentagone. Il a fait le tour du monde avant d’atteindre sa cible – une démonstration de capacités que l’Amérique n’avait pas anticipées et qu’elle n’a pas.

Aujourd’hui, la Chine lance plus de satellites que tout autre pays, et sa station spatiale Tiangong fonctionne indépendamment de la NASA.

Il ne s’agit pas seulement de prestige. Il s’agit de posséder une infrastructure en orbite terrestre basse (LEO) et de construire une architecture de commande intégrée.

Selon James Acton de la Carnegie Endowment, « la fusion civilo-militaire de la Chine dans la technologie spatiale lui donne une asymétrie décisive – la capacité de réorienter les lancements civils vers des capacités militaires du jour au lendemain ».

5. Informatique quantique et souveraineté cyber

Le saut quantique de la Chine n’est pas métaphorique. Il a déjà construit un réseau de communication quantique à l’échelle de la ville de Hefei et lancé le satellite Micius pour démontrer le cryptage quantique sécurisé.

Alors que les États-Unis sont toujours aux prises avec des percées théoriques, la Chine met en œuvre des réseaux quantiques, un pas de plus vers une communication inviolable.

Dans le même temps, les cyberunités chinoises relevant de la Force de soutien stratégique de l’APL sont devenues une force redoutable.

Comme l’explique Adam Segal, expert en cybersécurité, « contrairement aux États-Unis, où les cyberopérations doivent faire l’objet d’un examen inter-agences, le commandement centralisé de la Chine est plus agile, plus impitoyable et plus stratégique ».

6. Diplomatie des infrastructures : acier, fibre et souveraineté

L’initiative Belt and Road (BRI) a été qualifiée de diplomatie du « piège de la dette ». Pourtant, en 2025, il s’est transformé en un réseau d’influence dans le monde réel.

Plus de 70 ports, 150 pays et d’innombrables liaisons ferroviaires sont désormais verrouillés dans les systèmes logistiques chinois. L’ECRL et les parcs industriels de la Malaisie dans le cadre de l’initiative « Deux pays, parcs jumeaux » en sont des exemples.

En revanche, le Build Back Better World (B3W) de l’Amérique n’a jamais décollé en raison d’un manque de soutien institutionnel et de livraison de matériel.

7. Innovation financière : dépendance au dollar, stratégie du yuan

Bien que le dollar domine toujours, le système de paiement interbancaire transfrontalier (CIPS) de la Chine compense désormais plus de 400 milliards de dollars américains de transactions libellées en yuans par an.

Comme l’observe le professeur Eswar Prasad de Cornell, « le CIPS, lorsqu’il est associé au yuan numérique, offre à la Chine un moyen de dédollariser le commerce bilatéral sans remettre directement en question le statut de réserve mondiale du dollar ».

Même dans l’ASEAN, l’Indonésie et la Malaisie ont signé des accords de règlement en monnaie locale avec Pékin. Les implications sont graves : les États-Unis ne contrôlent plus unilatéralement la plomberie de la finance internationale.

8. Pharmacie et diplomatie de santé publique

Sinopharm et Sinovac ont peut-être suscité le scepticisme occidental pendant le Covid-19, mais ils ont atteint plus de 80 pays. La Chine est devenue la pharmacie du Sud, capturant de nouveaux marchés de santé.

Pendant ce temps, la Chine contrôle jusqu’à 70 % des exportations d’ingrédients pharmaceutiques actifs (API), ce qui est vital pour les antibiotiques et les médicaments contre les maladies chroniques. Même la Food and Drug Administration des États-Unis a signalé cela comme un risque pour la sécurité nationale.

9. La domination maritime : des léviathans d’acier dans les eaux asiatiques

La marine de l’Armée populaire de libération (PLAN) est aujourd’hui la plus grande marine en termes de nombre de navires, la Chine lançant de nouveaux destroyers, frégates et porte-avions à un rythme inégalé.

Selon l’Institut international d’études stratégiques (IISS), la capacité de construction navale de la Chine dépasse celle des États-Unis dans un rapport annuel de 3:1.

Cela a des conséquences stratégiques : avec des récifs militarisés et des missiles tueurs de porte-avions, Pékin est en train de remodeler l’ordre naval indo-pacifique, défiant la domination de la septième flotte américaine.

Conclusion : La fin de la complaisance, le début de la discipline multipolaire

Le dragon chinois n’a pas rugi pour se frayer un chemin vers la suprématie. Il a étudié le système américain – ses groupes de réflexion, ses marchés de capitaux, ses réseaux universitaires et sa base industrielle de défense – et en a reproduit une version aux caractéristiques chinoises : centralisée, agile, soutenue par l’État et mondiale.

Il ne s’agit plus d’un concours d’idéologies. C’est un concours de capacités.

Pour la Malaisie et l’ASEAN, le temps consacré à la couverture stratégique a atteint sa limite. Comme le professeur Lee Jones met en garde, « la neutralité dans un monde qui se divise doit être garantie par une véritable résilience – économique, technologique et politique ».

Le dragon chinois n’a pas besoin d’étrangler l’aigle. Il a juste besoin de presser au bon moment. Et c’est dans cette étreinte de plus en plus serrée que réside la vérité inconfortable du pouvoir du XXIe siècle : il ne s’agit plus de savoir qui domine, mais qui endure.

Phar Kim Beng, PhD, est professeur d’études de l’ASEAN à l’Université islamique internationale de Malaisie. Ses analyses ont été publiées à travers l’Asie et l’Europe, en mettant l’accent sur la diplomatie stratégique, l’interdépendance et les asymétries de pouvoir.

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