Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Un chef d’œuvre, venu de Chine et qui fait oublier sa fulgurante beauté au nom de son humanité : Black dog

Il en est des artistes et des intellectuels chinois comme avec Lu Cixin dont le livre a connu une célébrité immédiate, Obama prétendait même que c’était son livre de chevet parce qu’on a cru que l’auteur qui partait d’une description saisissante de la révolution culturelle dénonçait les errances du totalitarisme chinois et se rangeait résolument sous l’adhésion aux valeurs démocratiques de l’occident. En fait la relation de la création et des sciences chinoises à l’occident est rarement ce que l’on croit.
Prix Galaxy 2006 et prix Hugo du meilleur roman 2015, ce roman Le problème à trois corps fait au contraire partie intégrante de la Chine contemporaine et la Chine revendique la capacité à faire un film qui soit digne de cette œuvre, un peu comme la Russie a protesté devant les adaptations de Guerre et paix et produit un chef-d’œuvre qui à la manière du Napoléon d’Abel Gance soit la véritable expression de l’Histoire russe, son essence révolutionnaire et nationale.

Si je devais résumer d’une citation ce qu’inspire ce film ce serait le constat d’Ernst Bloch qui ayant fui la RDA et atterri en RFA expliquait : « le pire des régimes socialistes vaut mieux que le meilleur des régimes capitalistes parce qu’il y reste le principe espérance ». Nous sommes en effet dans une ville au bord du désert de Gobi qui se vide de ses habitants alors que le sable du désert avance, les chiens abandonnées par leurs maîtres forment une meute qui envahit les collines. La ville va être reconstruite, on détruit l’ancienne et pour accueillir les entreprises il faut se débarrasser de la meute et en particulier de leur leader un chien lévrier noir dont la capture sera richement récompensée. Lang, une ancienne étoile du spectacle acrobatique sur moto, la trentaine qui a été mis en prison à la suite d’une rixe revient ayant été libéré d’une manière anticipée. Il est frappé de mutisme et va commencer une relation d’apprivoisement réciproque entre l’homme et la bête qui à sa manière symbolise la lente rééducation de l’homme dans un environnement à la fois somptueux et en train d’être détruit avec ceux qui ne peuvent partir et se cachent dans les ruines, dans les véhicules renversés devenus des épaves… et c’est d’une beauté à couper le souffle, une émotion qui vous étreint jamais gratuitement mais comme des constructions de l’espace qui redoublent la pudeur de la souffrance inexprimée, des rencontres improbables, à l’inverse du kitsch Parthenope ; mais en ayant parfois des points communs avec The Brutalist, avec l’espoir en plus, la confiance en l’humanité.

Première erreur à ne pas commettre, nous semble-t-il :

Imaginer un cinéma dissident par rapport à l’industrie cinématographique chinoise qui est en train de l’emporter sur Hollywood. Le blockbuster d’animation chinois Ne Zha 2 a dépassé Star Wars pour s’assurer la cinquième place du box-office mondial de tous les temps samedi après avoir franchi 15,1 milliards de yuans (2,09 milliards de dollars) de gains totaux, selon les données de la plateforme de billetterie Maoyan. Et cette victoire est saluée en terme non seulement de gain mais d’influence.

L’auteur du film, Guang Hu, est pleinement intégré à cette industrie du cinéma avec ses épopées comme La brigade des 800. Et là nous avons un film d’auteur qui a reçu à Cannes le prix de la quinzaine des réalisateurs.

En fait, le marché chinois est beaucoup plus diversifié qu’on ne l’imagine. Un des personnages du film, celui qui joue le rôle du restaurateur qui met en place la brigade de volontaires pour s’emparer des chiens errant et qui est étonnement humain dans son respect de Lang et les résistances dont il témoigne, est un autre cinéaste chinois qui a produit en 2006 un chef-d’œuvre auquel ce film fait irrésistiblement songer Still Life, et lui non plus n’est pas un cinéaste marginal mais un des plus grands cinéaste chinois Jia Zhangke, reconnu comme tel.

En fait et c’est ce qui se passe, ces cinéastes qui ont étudié à Pékin ont commencé leur carrière dans des séries, ils pratiquent à peu près tous les types de production et ne renâclent pas devant le fait que le cinéma est une industrie qui joue un rôle dans la montée de leur pays au firmament des réalisations. De fait ce film est une œuvre collective qui exprime ce collectif tout en assurant la rentabilité des sommes investies. Simplement c’est comme la politique, le poids qui pèse sur celui qui dirige cette production industrielle est tel qu’au moment où ils ont besoin de se ressourcer dans l’origine même de ce qui a provoqué leur engagement, ils font des films d’auteur qui nourriront à titre expérimental toutes leurs réalisations.

Deuxième erreur confondre appétence chinoise avec la renonciation à l’identité chinoise.

Le film témoigne d’une telle assimilation de la culture occidentale, celle de la cinéphilie mais aussi la musique, que l’on pourrait croire qu’il s’agit d’un chinois en train de rompre de manière critique avec le socialisme chinois pour revendiquer les valeurs de l’occident. C’est une erreur de l’occident que nous dénonçons dans notre livre. Il s’agit d’une réinterprétation des créations occidentales dans le prisme chinois. La référence à l’occident nous fait sentir mieux encore la différence et ce que nous voulons ignorer de l’humanisme chinois.

Le film se passe en 2008 au moment où toute la nation chinoise s’unifie derrière les jeux olympiques. Souvenez-vous comment l’Usaid en France en la personne de Robert Ménard et de son organisation autoproclamée Reporters sans frontières (qui en fait doublait tous les syndicats de journalistes pour soumettre plus la profession aux diktats de la CIA) a propulsé une révolte tout à fait fabriquée celle des Tibétains pour empêcher le déroulement de ce que tous les Chinois voyaient comme leur fierté nationale.

Qu’il s’agisse de Still life ou de Black dog, la volonté est la même : montrer au travers d’un individu et de la reconquête de soi-même, les immenses et rapides changements qu’a vécus la Chine et comment dans cet effort collectif, il y a des gens qui ne peuvent pas suivre un tel rythme, leur combat est encore plus révélateur de la manière dont cette societe tente de maitriser son histoire.

Alors bien sûr on pense à des héros comme Chaplin, le cirque en particulier puisqu’il y a un spectacle porteur d’éblouissement enfantin, de magie qui va de ville en ville. Et alors que sur les murs on célèbre les jeux olympiques une troupe de saltimbanques rappelle le plaisir enfantin du spectacle préindustriel. Mais c’est simplement parce que le chien et son maitre sont à leur manière des acrobates, ils filent comme le vent, se battent comme des hercules mais ils ne sont pas de simples attractions ils sont à l’image de l’être vivant qui trouve sa vérité dans la résistance. L’homme et le chien s’émancipent ensemble comme dans les mythes chinois du héros fondateur, quasi prométhéen. Le héros et le chien ont une plastique irréprochable aux yeux de la civilisation mais la part de sauvagerie, la bête enragée, humiliée se révèle dans un regard, dans la gestuelle…

On pense au Cirque de Chaplin, à Freaks, au Carrosse d’or, mais aussi à Bela Tarr le Hongrois décrivant au négatif dans un village postsocialiste d’Europe centrale le spectacle d’une monstrueuse baleine et la manière dont sur son passage se développent les haines fascistes… ce n’est pas le même univers, le principe espérance est là. On peut aussi penser aux Enfants du paradis. Le héros s’appelle Lang suivant la manière dont s’écrit le nom, il s’agit du loup? Et effectivement au dessus de la meute dans le désert proche on voit surgir un loup, un de ces animaux d’un zoo fantasmatique que le père de Lang, complètement alcoolique et qui en meurt continue à nourrir. Il a libéré le loup pour qu’il aille dans les collines se chercher lui-même sa pitance. Comme Lang ira chasser avec son lévrier pour continuer la mission paternelle avec la complicité de TOUS les habitants du village y compris le boucher ennemi de Lang. Mais en fait ce Lang-là signifie, vu le caractère chinois employé, l’amoureux transi dans la comédie chinoise, un peu comme le pierrot muet amoureux éperdu de Garance du boulevard du crime dans les Enfants du paradis.

Son mutisme dit la gravité avec laquelle un individu doit reconquérir son appartenance au collectif, une tâche qu’il accomplit avec le chien que l’on croît enragé.

Le réalisme socialiste est quelque chose de plus : le merveilleux, le mythe… ce n’est pas la simple nature c’est le pouvoir des hommes de se lier les uns aux autres avec ce chemin de fer et ce spectacle des jeux de Pékin écouté collectivement. Ce que l’occident oppose et interprète comme une opposition devient, et c’est le miracle esthétique, unité et dépassement.

Là si j’avais une référence française ce serait Grémillon plus encore que Renoir …

Il me semble que ce qu’en retirent la majorité des spectateurs français c’est le constat: on a jamais rien vu de pareil… Qu’en feront-ils ça je l’ignorer…

J’ai commencé cette description en notant la manière dont les Cahiers du cinéma ne voient rien de ce qui reste fondamentalement chinois dans cette apparente occidentalisation du cinéaste chinois et qui unifie la plupart des films chinois. Le thème du héros dans la mythologie chinoise est là tel que l’opéra de Pékin, la tradition le montre c’est celui qui intervient pour aider le collectif à s’approprier les contradictions avec la nature, pour donner au collectif la force qui lui manque, il a une nature hybride homme animal dans des métamorphoses constantes. Interpréter le boucher comme le notable du village détesté de tous est partiellement faux, il y a toujours l’unité des contraires, il faut beaucoup de temps pour les réconcilier comme pour oser aller parler à son père. Toute une partie du sens du film risque d’échapper au spectateur occidental s’il ne mesure pas la manière dont le héros mythique ici le peuple chinois conquiert cette accélération de l’histoire. On oppose le grand spectacle des jeux olympiques à la poésie naïve du paysan chinois bousculé par les bouleversements. Non, l’unité est là. Et elle réside dans cet apprivoisement réciproque de la bête que l’on prétend enragée et celui qui ne peut accéder aux autres après avoir été isolé, puni et la manière dont en tâtonnant ils s’apprivoisent mutuellement pour s’adapter sans renoncer à eux-mêmes, dans une invention de la liberté.

C’est comme le réalisme, et là on retrouve ce qui faisait déjà l’extraordinaire charme de Still life, les oppositions entre le nord et le sud de ce pays continent, les trajectoires individuelles brisées par le rythme inouï du développement chinois. Ce n’est pas le naturalisme, on part du quotidien, de la trivialité des êtres simples, de leur manière prudente et respectueuse de s’engager les uns envers les autres et là le spectateur va découvrir stupéfait les relations entre le citoyen chinois, sa police, ses autorités avec une voix dans un haut-parleur qui va a contrario mais aussi à l’unisson de ce monde. Au-dessus de tout cela il y a la longue marche qui se confond avec l’exploit du saltimbanque qui part dans le lointain en s’appuyant sur des constructions du temps du maoïsme mais aussi l’affrontement avec la nature, le désert ; l’Eclipse renvoie au mythe du prolétaire, ce signe chinois le plus ancien qui décrit un homme qui marche et que l’on retrouve au cœur de tout l’imaginaire et du vocabulaire chinois.

C’est cette Chine que nous présentons dans notre première partie et que ce magnifique film vous fera découvrir comme un enchantement et là vous comprendrez l’incroyable sottise de notre enfermement xénophobe occidental. Fabien Roussel parle dans sa préface d’un véritable amour pour la Chine. Cela nous a beaucoup touchés qu’il perçoive cela, la colère dont nous sommes coupés de la multiplicité de notre humanité.

Danielle Bleitrach après une conversation avec Marianne Dunlop

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