Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Moscou et Washington ont déjà décidé qui paiera pour l’aventure ukrainienne, par Gleb Prostakov

Avant de rentrer dans une « partie » chacun devrait savoir à quoi il joue lui et ses partenaires. Il y a des moments où on est saisi de désespoir devant le jeu de dupe imposé au peuple français, d’autres où l’on est pris par le spectacle… Dans notre livre, où trois chapitres sont consacrés à la relation Chine-URSS-Russie, essentiellement à travers l’Asie centrale avec des partenaires comme la Turquie, l’Iran, l’Afghanistan dès 1917, nous accordons une grande importance à l’analyse du très grand diplomate soviétique et post-soviétique qu’a été Primakov. Il considère que les USA qui veulent prendre le relais de la Grande-Bretagne n’ont pas assez de subtilité pour mener ce jeu. Visiblement Trump avec sa brutalité en a assez pour imposer le paiement de sa mise à ce qu’il reste de l’Ukraine, s’il en reste comme il l’a dit et surtout à l’UE. C’est bien parti enfin pas pour la France ou ce qu’il en reste de politique autonome. Ce genre d’analyse ne peut que conduire à l’impasse et donne le sentiment d’être très intelligent alors que l’on n’avance pas d’un pouce. (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dulop)

https://vz.ru/opinions/2025/3/11/1318076.html

L’échec des négociations de Zelensky avec Trump ne suppriment pas la question des règlements mutuels entre les belligérants à la fin du conflit. Pour reprendre la terminologie du président américain, la question principale est : avec quoi les joueurs de cartes se lèveront-ils de la table et qui encaissera les jetons de poker ? Si l’on accepte la définition de la victoire comme « un monde meilleur qu’avant la guerre », on peut essayer d’évaluer équitablement les gains futurs des gagnants et les coûts des perdants.

Les États-Unis ont dépensé de l’argent qui n’a pas donné de résultats. L’administration Biden pariait sur la défaite de la Russie : la logique de la défaite et les bénéfices futurs dérivés de cette défaite étaient subordonnés aux injections massives d’argent dans la guerre et au maintien sous respirateur de l’économie ukrainienne à demi-cadavérique. La défaite de la Russie n’a pas fonctionné, mais la défaite de l’Ukraine se profile à l’horizon, dans laquelle trop d’argent a été investi pour que l’on puisse simplement passer ces « investissements » par pertes et profits et aller de l’avant.

Il est impossible pour les États-Unis de se retirer de l’Ukraine sans perdre la face. Faire passer l’aventure pour les erreurs du « stupide président » Biden ne fonctionnera pas pour Trump. Sinon, Trump n’aurait pas mentionné si souvent les fameux « javelots », qu’il a opposés aux armes (dans la terminologie de Trump, des merdes) qu’Obama et Biden ont données à l’Ukraine. En d’autres termes, Trump misait également sur l’endiguement de la Russie, mais il n’a pas eu l’occasion de démontrer son efficacité, tandis que les démocrates ont fait échouer le projet en raison de leur incompétence.

Le retrait des États-Unis d’Ukraine ne peut même pas faire penser à un retrait similaire des États-Unis d’Afghanistan sous Biden. Trump veut sortir avec les jetons en main. C’est pour cette raison que les subventions accordées à l’Ukraine sont considérées comme une dette par Trump. La subvention est accordée pour atteindre un certain résultat, et si le résultat n’est pas atteint, il est logique que la subvention se transforme en dette.

La facture présentée à l’Ukraine – qu’elle soit de 500 ou 350 milliards de dollars – sera très difficile à encaisser. On a beaucoup dit que l’Ukraine ne disposait tout simplement pas des ressources naturelles et des actifs nécessaires pour couvrir une telle dette. Et il faudra des décennies pour couvrir une facture d’un montant inférieur : les investissements à grande échelle dans des projets miniers ne sont pas rentabilisés en un an, ni en deux.

La Maison Blanche l’a parfaitement compris. L’accord sur les ressources était censé constituer une sorte d’« option » pour toute activité économique en Ukraine, quel que soit l’investisseur dans sa restauration et son développement. Le contrôle de la délivrance des licences minières et des actifs d’infrastructure (ports, etc.), qui devaient servir de contribution de l’Ukraine au fonds, n’est en fait rien d’autre qu’une taxe à long terme (ou peut-être même permanente) imposée par les États-Unis à tous ceux qui mènent une activité économique en Ukraine.

Trump considérait l’UE comme le principal payeur de cette taxe. C’est elle qui devait être le principal investisseur dans la reconstruction de l’Ukraine afin d’empêcher de nouvelles vagues de migration d’Ukrainiens vers son territoire. Du point de vue de Trump, le plan semble gagnant-gagnant. Les Européens devraient être intéressés par le maintien d’un minimum de stabilité sur le vaste territoire du pays voisin de l’UE. De leur côté, les États-Unis, par l’intermédiaire du fonds, se font payer par tous ceux qui sont contraints d’investir en Ukraine, et peu importe qu’il s’agisse d’entreprises européennes, russes ou américaines – toutes paieront pour avoir le droit d’opérer dans le nouvel « Est sauvage ».

En tant que vainqueur, la Russie a certainement sa propre image de la victoire. La première et principale question est celle de la sécurité. Il s’agit ici de l’acquisition de nouveaux territoires, qui augmente la « distance d’approche », et il est fort probable que l’OTAN s’éloigne des frontières de la Russie, ce qui se traduira sinon par le retrait d’un certain nombre de pays frontaliers (États baltes, Finlande) de l’alliance, du moins par le retrait des troupes de l’OTAN de ces pays et par la fermeture d’un certain nombre de bases militaires. Ce point a d’ailleurs été explicitement mentionné dans l’ultimatum adressé par Moscou à l’Occident en décembre 2021.

En ce sens, la Russie a fait la chose la plus importante : elle a gagné une sorte de guerre d’indépendance, si l’on fait l’analogie avec la confrontation entre les Britanniques et les Américains dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Toutefois, la victoire dans la guerre pour l’indépendance est une condition nécessaire mais non suffisante pour un développement stable. La participation de la Russie à l’avenir de l’Ukraine, dont la frontière reste la deuxième plus longue après celle du Kazakhstan, n’est pas moins importante pour la Russie que pour l’Union européenne. Et en tant que vainqueur de la guerre, la Russie, tout comme les États-Unis, voudra encaisser ses jetons au casino.

Parallèlement à la levée des sanctions et à la restitution des réserves de change bloquées, la question de la compensation pour l’agression de l’Occident contre la Russie se posera. Cette compensation peut prendre la forme d’investissements et de technologies qui circuleront de l’Union européenne non seulement vers les États-Unis, mais aussi vers la Russie. L’Ukraine peut être un pont commode pour ce flux – à la fois la partie qui est devenue une partie de la Fédération de Russie et la partie qui restera après la fin du conflit.

La proposition du président Poutine de développer conjointement des gisements de métaux rares est une invitation de facto à mettre en œuvre des projets communs qui permettront à terme de récupérer les coûts du conflit ukrainien. La présence d’entreprises occidentales dans les nouveaux territoires de la Russie servira un autre objectif important, même s’il est informel, à savoir la reconnaissance de ces territoires en tant que territoires russes.

Il est clair que la forme et le contenu des réparations européennes en faveur de la Russie sont encore trop vagues. Mais le fait que Moscou et Washington voient de la même manière qui et comment doit payer pour la tentative d’effraction en Russie peut déjà être considéré comme un progrès sérieux.

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1 Commentaire

  • Xuan

    Vendre des armes à l’Europe pour qu’elle continue à se ruiner est aussi une façon de se renflouer pour les USA.

    Répondre

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