Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Macron a donné matière à se moquer de l’intelligence artificielle française, par Valeria Verbinina

Et quelque part à Paris, une organisation fraîchement créée portant le beau nom d’INESIA est en train de grandir et de s’étoffer pour évaluer les caractéristiques et les risques de l’intelligence artificielle. Les Français ne manqueront jamais une occasion de créer une nouvelle structure bureaucratique, de l’intégrer dans la verticale bureaucratique et de la charger de travail. Les techno-féodaux Sam Altman et Elon Musk peuvent donc dormir sur leurs deux oreilles : tant que les Français s’occuperont des choses sérieuses, c’est-à-dire de la bureaucratie, rien ne menacera les Américains. (traduction de Marianne Dunlop pour histoireetsociete)

https://vz.ru/world/2025/2/12/1314325.html

Un sommet consacré à l’intelligence artificielle (IA) s’est tenu à Paris. Ce n’est pas l’occasion la plus banale de réunir en un même lieu un si grand nombre de responsables politiques de différents pays. L’un des aspects les plus intéressants de ce sommet a été la déclaration selon laquelle l’Europe a également l’intention de se joindre à la course mondiale à l’intelligence artificielle entre les États-Unis et la Chine. Et en premier lieu la France.

Ainsi, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a déclaré que l’UE prévoit d’investir 200 milliards d’euros dans le développement de l’intelligence artificielle en Europe. Hélas, dans ce domaine, les Européens doivent faire du rattrapage. Aux États-Unis, le tout nouveau président Donald Trump a annoncé le lancement du « plus grand projet d’infrastructure d’IA de l’histoire », baptisé Stargate. L’investissement initial est de 100 milliards de dollars, et il passera à 500 milliards de dollars dans les années à venir. On peut se réjouir que, pour une fois, l’intelligence, même artificielle, soit devenue synonyme d’argent.

Dans cette ruée vers l’or de l’IA, le président français Emmanuel Macron a bien l’intention de jouer les premiers rôles, comme le montrent ses déclarations sans équivoque. Dimanche, avant même le début du sommet de Paris, le président français a donné une grande interview et annoncé de futurs investissements dans le secteur de l’IA déjà spécifiquement dans le pays.

À en croire M. Macron, 109 milliards d’euros seront consacrés au développement de l’IA en France dans les années à venir. On sait déjà qu’entre 30 et 50 milliards seront investis dans un projet de partenariat avec les Émirats arabes unis – un centre de données géant d’une capacité en gigawatts équivalente à celle d’un réacteur nucléaire. De tels centres de données permettent de former et d’exécuter des programmes d’intelligence artificielle.

Curieuse nuance, ce projet est censé attirer des fonds privés provenant de grands fonds d’investissement, notamment américains et canadiens. Le fonds canadien parrainera notamment la construction d’un centre de données à Cambrai.

Du côté français, des acteurs tels que les opérateurs télécoms Iliad et Orange, ainsi que le groupe industriel Thalès, participeront. La start-up française Mistral AI investit plusieurs milliards dans un cluster qui sera construit dans l’Essonne. Le nombre d’investisseurs est impressionnant et les projets sont napoléoniens. Rattraper et dépasser l’Amérique ! [allusion moqueuse à un slogan de l’inénarrable Khrouchtchev, NdT] Mais pas seulement l’Amérique, ce qui complique encore les choses.

À la veille du sommet de Paris, deux événements se sont produits, dont l’un, si je puis dire, a ébranlé le monde, et l’autre est entré dans la tirelire des curiosités. D’une part, l’IA chinoise Deepseek est née, et d’autre part, la France a présenté sa propre IA sous le charmant nom de Lucie.

Alors que rien, comme on dit, ne se profilait à l’horizon, la Chine a porté un coup au leader américain Chat GPT et a fait chuter les marchés, prouvant que pour 12 millions de dollars plus 5 millions consacrés à la formation au logiciel, on peut fabriquer un produit parfaitement compétitif. Les créateurs de Chat GPT, qui ont dépensé des centaines de millions pour leur réseau neuronal, ont dû expliquer pourquoi ils nécessitent des investissements aussi colossaux, alors que d’autres obtiennent de meilleurs résultats avec un budget beaucoup plus modeste.

Quant à la Lucy française, il était initialement prévu qu’« elle soit une source de fierté pour les Français ». Le gouvernement l’a cofinancé et la société qui a développé Linagore a juré que le programme pourrait être utilisé à des fins éducatives et que ses réponses seraient strictement scientifiques.

Or, c’est tout le contraire qui s’est produit : sa création s’est révélée être un désastre.

Pendant trois jours, les Français se sont amusés à multiplier cinq par cinq avec l’aide de Lucy (ce qui donne, comme l’a assuré l’IA, un résultat de 17 ou de 5) et à lire le raisonnement de l’intelligence artificielle sur la façon dont le roi antique Hérode a créé la bombe atomique. Mais la recette pour fabriquer une drogue, Lucy l’a donnée sans problème – ce qui soulève une question raisonnable sur ceux qui l’ont programmée, et sur leurs préférences. Le troisième jour, les développeurs de Lucy ont compris et ont désactivé l’accès au programme, sans quoi on ne sait pas ce qu’elle aurait pu recommander d’autre.

Il n’est donc pas surprenant que lorsque Le Point a réalisé un sondage pour savoir si les Français pensaient que leur pays pouvait devenir un leader en matière d’IA, 67 % ont répondu par la négative. Cependant, seulement 21 % des personnes interrogées utilisent régulièrement les outils d’IA, principalement pour trouver des informations pratiques, des traductions ou des réponses à des questions techniques. Il convient de noter que l’utilisation de l’IA dépend fortement de l’âge : seuls 6 % des répondants âgés de plus de 75 ans l’utilisent, contre près d’un jeune sur deux âgé de 18 à 24 ans.

Bien sûr, l’importance des investissements facilitera la création de nouveaux emplois en France et attirera des employés qui préféraient auparavant aller travailler aux États-Unis, mais la question est de savoir si cela suffira pour réussir. Ce n’est pas seulement que les Français, pour être franc, ne sont pas très doués pour créer des produits logiciels populaires, et ce n’est même pas que leur principale réalisation dans ce domaine ait été l’arrestation de Pavel Durov à Paris. Comme le dit élégamment l’expert Maxim Moffron, « certains retards réglementaires entravent les investissements potentiels ».

Traduit en langage humain, cela signifie que la France est un pays de bureaucrates qui rendent difficile toute avancée. Et dans un domaine tel que le développement de l’IA, il faut aller très vite sous peine de rester à jamais à la traîne.

L’homme politique de gauche Jean-Luc Mélenchon, qui n’a pas l’habitude de s’exprimer sur les questions d’IA, a publié une tribune dans Le Figaro. Il y prédit que toutes les propositions de Macron ne serviront pas à rendre la France autonome en matière d’IA, mais à en faire un appendice du royaume des « techno-féodaux » américains.

« Toutes les données des entreprises américaines qui se retrouveront en France pourront être utilisées aux États-Unis… Sans centres de données indépendants, la France risque la colonisation numérique. Le capitalisme numérique sous la forme des plus grands monopoles privés, sans équivalent dans l’histoire, est un défi sans précédent car ces géants monopolisent la production de connaissances dans la société humaine et le transfert d’informations entre les personnes… Connaissant notre passé, ils peuvent prédire ce que nous sommes sur le point de faire… Cette concentration de connaissances leur donne un pouvoir énorme. » Et l’auteur de résumer : « La construction de nouveaux centres de données en France ne fera qu’accroître l’influence des acteurs déjà dominants. »

Le sommet de Paris s’est achevé par la signature d’une déclaration proclamant la nécessité d’une « intelligence artificielle ouverte, inclusive et éthique », mais tout le monde ne l’a pas signée. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont refusé, estimant peut-être qu’il est plus intéressant de créer ses propres règles que de jouer selon celles des autres. Jusqu’à présent, le résultat du sommet, outre les déclarations fracassantes du président français, peut être considéré comme un mini-scandale avec le Premier ministre indien Narendra Modi, à qui M. Macron n’a pas serré la main.

Et quelque part à Paris, une organisation fraîchement créée portant le beau nom d’INESIA est en train de grandir et de s’étoffer pour évaluer les caractéristiques et les risques de l’intelligence artificielle. Les Français ne manqueront jamais une occasion de créer une nouvelle structure bureaucratique, de l’intégrer dans la verticale bureaucratique et de la charger de travail. Les techno-féodaux Sam Altman et Elon Musk peuvent donc dormir sur leurs deux oreilles : tant que les Français s’occuperont des choses sérieuses, c’est-à-dire de la bureaucratie, rien ne menacera les Américains.

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1 Commentaire

  • keg
    keg

    Bonne nouvelle ; https://wp.me/p4Im0Q-6wP – Le prochain président sera humanoïdé et donc sans état d’âme pour les petits (ce sera nouveau) !

    Répondre

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