Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Une étrange défaite de Didier Fassin : Gaza n’est pas seulement une “béance morale”…

Voici le livre que l’on doit recommander à tous ceux qui veulent faire un point honnête sur ce qui se passe à Gaza et que l’on ne peut pas soupçonner d’antisémitisme. La référence à l‘étrange défaite est celle de l’analyse de Marc Bloch face à la déroute en 1940 de l’armée française et qui voyait là tout sauf un hasard. “La défaite était alors militaire, elle est aujourd’hui morale“. C’est mon seul désaccord avec ce livre, la défaite à laquelle nous sommes confrontés n’est pas seulement morale, elle est aussi militaire, politique et elle nous conduit à l’apocalypse nucléaire parce qu’il s’agit d’une des têtes de l’hydre impérialiste. D’ailleurs le paradoxe est que pas plus ce qui se passe à Gaza que maintenant au Liban et peut-être en Iran n’a le moindre objectif militaire justifiable. Non seulement Israël n’a pas réussi à éradiquer le Hamas, mais l’aurait-il fait, il aurait suscité plus que jamais d’autres ennemis emplis de la même volonté “terroriste”. Donc le massacre de population, l’attaque de population civile n’est qu’une manière de créer partout des situations de ce type sans la moindre victoire militaire.

Et là on aboutit non pas à un point de vue “moral” mais bien à des FAITS : Ce qui se passe à Gaza se passe aussi en Ukraine, à Taïwan, et toute la démonstration de Didier Fassin serait encore plus pertinente s’il voyait à quel point le consentement à l’horreur est l’avancée vers l’apocalypse nucléaire.

Il n’y a pas dans ce texte de Didier Fassin la moindre trace d’antisémitisme et de ce point de vue, le ton ne laisse pas le moindre espace à ceux qui prétendent nous conduire à la guerre sous un prétexte “moral” qu’il s’agisse de la mémoire des crimes nazis manipulés ou de la “démocratie” opposée à la tyrannie. On peut défier quiconque de voir dans ce brulant réquisitoire contre le consentement génocidaire à Gaza la moindre haine contre le peuple juif. A ce titre, il est nécessaire pour tous ceux qui, juifs ou non, tiennent absolument à justifier l’injustifiable, y compris à faire comme si tout avait commencé ce 7 octobre et qu’il ne s’agissait que d’une réponse légitime. Les références y compris des enquêtes de l’ONU sont précises et tous les arguments exposés et qu’on le veuille ou non, personne n’a rien vu de semblable en matière de catastrophe humanitaire dans l’ensemble des conflits de la planète avec un objectif que chacun estimait inatteignable et cela aussi est caractéristique pas seulement de ce qui se passe à Gaza mais de ce qui est admis par le “nord global”. Mener partout des massacres aux objectifs inatteignables mais qui sont là pour empêcher les peuples de dénoncer la situation infligée aux populations civiles, blocus, sanctions, etc…

Donc je le répète : si vous voulez lire un livre sur ce qui ce qui s’est passé en Israël-Palestine, une analyse de l’insoutenable réalité de Gaza vous avez là tous les éléments… Un intellectuel a le courage de dire face à la doxa médiatique, celle face à laquelle vous êtes condamnés au silence si vous ne servez pas la messe sur Israël mais sur l’ensemble des conflits dans le monde ce qu’il y a à dire sur le sujet et il fait la démonstration de toutes les manipulations autour des FAITS. Mais si l’on en reste là, on a toutes chances d’en demeurer aux échanges sordides entre Macron rappelant à Netanyahou que son pays est une pure création de l’ONU, ce à quoi l’autre lui répond que c’est la victoire (celle de l’Irgoun fasciste?) des survivants y compris du régime de Vichy en France. Toutes ces empoignades couvrant de fait le soutien réel, armé de ces “objectifs” militaires inatteignables.

Oui la création de l’Etat d’Israël est le résultat de ce qui s’est passé en Europe durant la deuxième guerre mondiale et il y a beaucoup de sympathies pour Vichy dans la haine des juifs. Oui il y a eu partout des complicités parmi ceux qui ont créé cet Etat mais ce sont ceux qui hier ont soutenu Hitler qui s’avèrent les meilleurs défenseurs de ce qu’est devenu Israël, ce sont eux qui partout ont soutenu les régimes colonialistes et sont allés aujourd’hui jusqu’à prétendre nier le rôle de l’armée rouge, des communistes pour se retrouver dans le camp de tous les exploiteurs et il s’avère qu’aujourd’hui ces “défenseurs” du peuple juif sont ceux qui partout soutiennent l’exploitation coloniale, manipulent l’histoire, leur principale victime est bien le peuple juif et ils le vouent à la haine et au mépris de tous. Mais cette tragédie là n’est pas seulement l’affaire des juifs, elle est celle de l’humanité. Limiter ce qui se passe à Gaza à la “question juive” c’est renouveler le trafic des mémoires qui a hypostasié la stigmatisation d’Hitler et des crimes du nazisme au seul massacre des juifs en prétendant nier l’essence même du fascisme à savoir le capitalisme allé à son stade ultime, en faire un simple antisémitisme quitte à en assurer la promotion en justifiant la haine des juifs par le récit horrifique de leur extrême-droite guerrier impérialiste le plus fou.

Tout ramener aux seuls juifs comme le fait l’UJFP quitte à accuser les petits enfants de Toulouse assassinés par Merah d’être des “sionistes” c’est simplement blanchir l’impérialisme US qui devient selon cette logique le malheureux exécutant de la ploutocratie juive, c’est cette démonstration-là qui nourrit l’impunité réelle et tous les fascismes. Oui il ne faut pas la moindre complaisance pour ce régime, oui il faut avoir le courage de dire que c’est bien Netanyahou qui crée les conditions de la fin de l’Etat d’Israël mais il faut ne pas en faire simplement un cas moral…

D’ailleurs déjà nous ne sommes plus seulement sur la question de Gaza alors même que le gouvernement d’extrême-droite n’a pas réussi à libérer les otages et que malgré le massacre de femmes, d’enfants, aucun objectif militaire n’est réellement obtenu ; le gouvernement israélien en est désormais à l’escalade qui n’est même pas envisagée dans le procès pour génocide mené par l’Afrique du sud… Tout cela pose clairement la question essentielle de qui est l’adversaire réel ? Cela ne réduit en rien au contraire la responsabilité morale de tous ceux qui partout donnent leur “consentement” à ce qui soulève partout l’indignation et la colère.

Peut être une image de texte qui dit ’บ.ร. military aid to Israel, 1959-2024 Military grants and loans to Israel (constant 2024 dollars) $16B 14B 17.9B 12B 10B 8B 6B 4B 2B 0 1960 1970 1980 1990 2000 2010 2020 Data: USAID Overseas Loans and Grants, Congressional Research Service, P.L. 118-47, P.L. 118-50. Figures adjusted using GDP deflator. Years are fiscal years. More: watson. watson.brown.edu/costsofwar costsofwar edu/ Chart: Stephen Semler (@stephensemler) Created with Datawrapper’

Oui mais car il y a un mais : ce qui se passe à Gaza a créé, comme le dit Didier Fassin, une énorme béance dans l’ordre moral du monde mais quitte à subir les assauts du crétinisme antisémite j’ose affirmer que l’on ne peut pas écrire un texte de cette importance en restant sur le strict plan “moral” ; il faut aborder le problème politique à savoir que le gouvernement d’extrême-droite qui agit d’une manière génocidaire et qui aujourd’hui nous conduit tous à l’escalade n’est pas seul, il ne peut agir ainsi que parce qu’il est protégé, armé, financé par les Etats-Unis et tous les régimes vassaux et que tant que l’on n’aura pas perçu l’aspect politique, économique, impérialiste on ne créera pas les conditions de la libération des peuples. Tant que l’on n’aura pas en tant que Français montré la nature réelle des complicités.

C’est le point de vue que nous avons toujours défendu ici dans histoireetsociete et je défie quiconque d’y voir autre chose qu’un point de vue anti-impérialiste qui a toujours été celui des communistes.

Et à ce titre, il y a une position politique que devrait adopter la prochaine conférence nationale du PCF et qui est résumé par le diagnostic de Franck Marsal que nous publions aujourd’hui et qui sans nier l’éveil moral qui s’est opéré autour de Gaza se donnera les moyens d’une issue de paix qui ne peut qu’être anti-impérialiste/ Je renvoie donc à l’analyse de Franck avec ses affirmations :

1. La crise politique en France est le développement, dans les conditions spécifiques françaises, d’une profonde crise internationale. La crispation de Macron, qui s’accroche au pouvoir, est le pendant du refus obstiné de l’impérialisme états-unien de négocier l’arrêt de l’extension de l’OTAN vers la Russie, la création d’un Etat Palestinien ou le partage de la gouvernance internationale avec les pays du Sud. Le monde change et la réalité s’écarte des schémas dominants, du capitalisme, de l’impérialisme, des discriminations, sexistes, raciales. En réponse, les classes dominantes, les institutions bourgeoises confisquent le pouvoir et les richesses, réduisent les libertés, se font autoritaires et glissent de l’emprise vers la fascisation. Alors les crises, les guerres se développent.

2. Partout, l’impérialisme états-unien, ses alliés et vassaux poussent l’agenda guerrier, sans pour autant parvenir à dégager une issue favorable, une stratégie claire ou même une vision d’avenir à peu près stabilisée. Les politiques internationales des USA sont dans leur ensemble des politiques bi-partites menées autant par les démocrates que les républicains. Le néo-conservatisme, qui domine la politique étrangère états-unienne au moins depuis le début de siècle est d’ailleurs né du côté démocrate. Il a compté dans les deux camps des agents influents dictant la politique militaire et diplomatique des USA. Aujourd’hui, ce qui sépare Biden / Harris de Trump n’est pas le choix de poursuivre la guerre, mais la question de savoir où la mener en priorité.

3. En Ukraine, la guerre du Donbass, gelée par les accords de Minsk 1 et 2 (2014-2015), a repris de manière ouverte avec l’engagement direct et officiel de la Russie auprès des républiques séparatistes. Sans engager ouvertement ses propres forces, l’OTAN mène la guerre « jusqu’au dernier ukrainien », fournit armes, renseignement, forces spéciales, mercenaires et financement. L’objectif affiché est d’affaiblir la Russie et de continuer à s’étendre en intégrant prioritairement la Moldavie et la Géorgie (les prochaines élections dans ces deux pays diront si ces ambitions sont réalistes). L’affaiblissement constant de l’armée ukrainienne contraint le gouvernement de Kiev à mobiliser de force ses propres citoyens pour combler les pertes catastrophiques, souvent issues d’offensives inutiles et coûteuses, en vue d’alimenter les médias occidentaux. L’accélération du recul ukrainien place l’OTAN et l’UE devant deux options : reconnaître la défaite et accepter une paix négociée ou entrer en guerre ouvertement contre la Russie. La première option reviendrait à accepter une négociation dans des conditions bien plus défavorables pour l’Ukraine que celles de mars 2022, lorsque les dirigeants occidentaux (notamment le premier ministre britannique Boris Johnson) avait dissuadé le gouvernement ukrainien de signer les accords pour mettre fin à la guerre. Cela discréditerait l’occident (et tous les politiciens qui l’ont soutenu en Europe) pour longtemps. Cela conduirait l’UE et l’OTAN à une grave crise politique, menant peut-être à leur éclatement. La seconde option signifierait l’engagement officiel de centaines de milliers de soldats de l’OTAN dans le conflit et la quasi-certitude d’une guerre mondiale et nucléaire.

4. De son côté, Israël multiplie les provocations, les assassinats et les attaques, avec le soutien militaire, financier et industriel des USA et de l’occident. La guerre s’élargit au Liban et des échanges de bombardements ont lieu avec l’Iran et le Yémen. Nous sommes au seuil d’une vaste guerre régionale, avec là aussi, l’option nucléaire sur la table. Une année de destruction acharnée de toute infrastructure (hôpitaux, écoles, abris, habitations dans la bande de Gaza, des dizaines de milliers de morts n’ont pas permis à Israël de vaincre le Hamas. Israël a les moyens de détruire énormément ; il dispose de la supériorité technologique et aérienne et peut bombarder quasiment sans limites. Mais cela ne lui apporte pas la victoire et peu à peu, cette supériorité s’amenuise. Une longue guerre d’usure ne lui serait probablement pas favorable, conduisant là encore au risque d’escalade sans limite jusqu’à la guerre nucléaire.

5. En Mer de Chine, les USA exercent une pression considérable. D’un côté, ils tentent de rassembler une coalition et d’armer leurs alliés historiques, comme l’Australie ou le Japon (avec tous les risques que cela comporte pour la stabilité régionale). De l’autre, ils poussent des pays plus faibles comme Taïwan ou les Philippines à des provocations dangereuses. Vaincre la Chine et faire cesser l’alternative qu’elle représente pour la direction mondiale est le but ultime de Washington, sur lequel démocrates et républicains sont d’accord.

6. Plus le pouvoir impérialiste et capitaliste se durcit, plus il est, bien sûr, contesté (et plus il et contesté, plus il se durcit). Cette contestation est multiple, pleine de contradictions, à l’image des tensions que l’impérialisme développe partout. C’est pourquoi la situation politique ne cesse de se tendre. Le Parti Communiste doit se saisir et encourager les changements positifs dans le monde, l’égalité de traitement dans les instances internationales, un égal accès aux financements du FMI et de la Banque Mondiale et l’arrêt des guerres. Le « Sud » porte, sur les deux guerres en cours, un regard radicalement différent de celui des gouvernements occidentaux. L’intérêt des travailleurs et des classes populaires, des « prolétaires de tous pays », n’est pas à la guerre, qui ne profite qu’à une minorité d’exploiteurs. De nombreux travailleurs sentent et comprennent les dangers de cette politique. C’est pourquoi la propagande est menée avec autant de force. Beaucoup doutent des discours dominants, voire y sont opposés, mais peu s’expriment. Une voix forte et claire doit ouvrir la voie, pour engager une large mobilisation populaire contre les guerres. Seuls, les communistes, forts de leur expérience internationaliste et de leur analyse de classe sont en situation de le faire. Seule cette parole forte, dans une campagne structurée et de long terme peut permettre, progressivement, aux masses de prendre confiance et d’entrer en mouvement.

Danielle Bleitrach

PS: je signale aux lecteurs de ce blog que je n’ai plus la covid, je suis désormais “négative”…

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1 Commentaire

  • Falakia
    Falakia

    Des arguments éclairants avec une vision critique de Didier Fassin .
    D’ailleurs dans les années 90 , Rabin était contre l’annexion du territoire de Gaza .
    Que se passerait – il si les Juifs Américains , la maison blanche refusent d’aider Netanyahu et exige un plan de paix , autour
    d’une table entre le Palestinien Mahmoud Abbas et Netanyahu concernant les accords d’Oslo , la résolution 242 etc…

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