Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Être juif et être israélien : l’expérience de l’Argentine

11 octobre 2024

Vu ce que subissent les Palestiniens, les Libanais et la plupart des peuples du Moyen Orient, je n’ai pas envie de nous poser en victimes, nous les juifs communistes qui, comme ceux de pays aussi violemment antisémites que l’Argentine, subissons la double peine. Celle d’être les premiers désignés à la haine des néos nazis qui ne manquent pas avec la tradition catholique et l’influence mussolinienne (ou nazie au Paraguay, au Chili, etc…). Le parti communiste argentin n’a jamais pu avoir d’audience populaire parce que désigné à travers ses leaders comme juifs. Aujourd’hui le leader du parti communiste en Israël est Argentin d’origine et les juifs communistes argentins ont la douleur d’être désignés comme mafia et dans le même temps d’être défendus par une ordure comme le fou à la tronçonneuse qui s’affuble de la Kippa. Dans la même temps en Amérique latine et désormais en France, à un degré moindre mais réel, le caractère haineux et fondamentalement antisémite d’une partie des actuels soutiens de la cause palestinienne est évident. Se battre aux côtés de ces gens-là, leurs groupuscules, véhiculant les haines ancestrales est en France une véritable double peine… Parce que ces gens sont du pain béni pour l’extrême-droite israélienne et leur clientélisme qui ne masque jamais leur antisémitisme basique est exactement la caricature qui convient à l’extrême-droite israélienne ou aux pourris comme Zelensky ailleurs. Pour continuer à nous battre dans de telles conditions il faut à des gens comme moi et à ces malheureux argentins, une vertu assez exceptionnelle et le sens des priorités que les demeurés antisémites eux n’ont pas. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

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Le mémorial aux victimes de l’attentat à la bombe contre l’ambassade d’Israël à Buenos Aires en 1992. Source de la photographie : Carlos Zito – CC BY-SA 3.0

Être juif et être israélien : l’expérience de l’Argentine

Lors de ma nomination à Buenos Aires dans les pires années de la dictature et de la répression (1976-1980), j’ai appris cette distinction ambiguë incarnée par l’ambassadeur d’Israël, Ron Nergard, dans la capitale de l’Argentine. Lorsque des citoyens juifs argentins ont été victimes de répression (enlèvement, torture, disparition, meurtre, fraude, dépossession)[1], souvent pour la simple raison d’être juifs, les diplomates israéliens étaient invariablement absents des réunions tenues avec les principaux diplomates européens et américains sur la question de la violation des droits de l’homme. Seul le rabbin Marshall Meyer assistait à ces réunions. Il était un invité régulier de l’ambassade de France. Il cherche à attirer l’attention des médias et des organisations nord-américaines (en particulier l’American Jewish Committee) sur les disparitions, pleinement conscient des courants antisémites puissants et dangereux qui traversent alors la société argentine (forces armées, police, extrême droite nationaliste et catholique). Les organisations juives locales et l’ambassade d’Israël ont refusé de reconnaître et de condamner publiquement ces courants, même en réponse à la disparition de citoyens israéliens[2] et à l’enlèvement et à la torture du propriétaire et rédacteur en chef du journal La Opinion, Jacobo Timerman, père du ministre argentin des Affaires étrangères, Hector Timerman (2010-2015) pendant la présidence de Cristina Fernández de Kirchner (2007-2015).

Jacobo Timerman a décrit les longs et douloureux interrogatoires antisémites auxquels il a été soumis dans un livre publié en 1981[3]. Le témoignage de Français d’origine juive disparus depuis un certain temps après avoir été arrêtés chez eux par des militaires et des policiers armés et libérés après avoir été torturés par leurs ravisseurs est catégorique : être juif est toujours une circonstance aggravante[4]. L’ambassadeur d’Israël, Ron Nergard, a déclaré qu’il n’était pas l’ambassadeur des Juifs mais l’ambassadeur d’Israël et a refusé de délivrer des visas aux Juifs argentins considérés comme trop à gauche de l’échiquier politique, et donc ceux qui couraient le plus grand danger, au grand désespoir du représentant local de l’Agence juive. Daniel Recanati. Contrairement à l’inquiétude manifestée par le Premier ministre Ben Gourion face à la recrudescence des attaques contre la communauté juive en Argentine après un coup d’État qui a renversé Perón en septembre 1955, provoquant l’envoi à Buenos Aires du chef des services secrets israéliens, Isser Harel, les autorités israéliennes n’ont guère montré une telle solidarité lors de la répression de nombreux Juifs argentins par la dictature militaire. Cependant, plusieurs citoyens israéliens figuraient parmi les disparus, dont la fille d’un officier de la Delegación de Asociaciones Israelitas Argentinas (DAIA), qui avait 17 ans lorsqu’elle a été enlevée à son domicile, sans parler des dirigeants juifs soumis à une incarcération arbitraire et brutale (dont Amnòn Rudin de l’Agence juive pour Israël, Jaime Pompas, ancien président de la communauté juive de Cordoue).

Ce n’est qu’en mars 1978 qu’un journal israélien (Haaretz du 29 mars) a évoqué pour la première fois la question des Juifs disparus en Argentine[5]. Lorsque le ministre israélien des Affaires étrangères s’est rendu à Buenos Aires en 1982, il a refusé de recevoir une délégation de parents de disparus ; cela s’est reproduit en 1984, lorsque l’ancien président d’Israël, Yitzhak Navon, est venu participer au 11e congrès de l’organisation juive locale DAIA (Delegación de Asociaciones Israelitas Argentinas). La DAIA, que Jacobo Timerman assimile dans ses mémoires au Judenrat, reprochait au Mouvement juif pour les droits de l’homme, dirigé par les rabbins Maréchal Meyer et Herman Schiller, son rôle dans le soutien aux disparitions, considérant ses initiatives comme constituant une menace pour la communauté juive. Shulamit Aloni (1928-2014), ancienne ministre de l’Éducation et de la Culture dans le gouvernement d’Yitzhak Rabin (1992-1993) et députée, a déclaré au journal Haaretz le 24 mai 2006, qu’elle n’avait jamais réussi à faire débattre la Knesset de la vente d’armes israéliennes à la junte militaire argentine. On estime qu’environ 1 milliard de dollars d’armement israélien a été vendu à l’Argentine pendant la dictature (1976-1983)[6]. L’inspecteur de la police fédérale, Peregrino Fernandez, un tortionnaire repenti, a révélé lors de ses aveux publics que le conseiller économique de l’ambassade d’Israël à Buenos Aires, Herlz Inbar, avait dispensé des cours de contre-insurrection aux chefs d’état-major de l’armée argentine pendant la dictature. Nous ne pouvons pas exclure que ces contrats d’armement aient pu freiner toute idée d’intervention – à condition qu’elle existe réellement – du gouvernement israélien pour aider les victimes juives de la répression de la junte militaire. Il est cependant indubitable que l’embargo sur les ventes d’armes à l’Argentine imposé par l’administration Carter (1977-1981) en raison de violations des droits de l’homme ait incité Israël et les pays européens – l’Allemagne et la France en particulier – à satisfaire les demandes présentées par l’armée argentine. Cela a sans doute envoyé un message ambigu à la junte et affaibli l’efficacité des actions des principaux consulats en faveur de leurs citoyens disparus. Israël n’était clairement pas seul dans ce cas. Ces ventes d’armes renforcent l’emprise de la junte sur le pouvoir à un moment où les chefs militaires se trouvent contrariés sur le plan diplomatique par leur paradigme, les États-Unis, qui ont formé ces mêmes chefs militaires[7].

Les principales manifestations de soutien et de solidarité avec la communauté juive sud-américaine pendant les années de répression militaire sont venues des organisations juives américaines, notamment de l’American Jewish Committee qui a envoyé une délégation à Buenos Aires en 1979 et 1981. Les comités de solidarité qui se sont constitués en Israël en 1977, notamment pour promouvoir le boycott de la Coupe du monde de football préconisé par l’écrivain Marek Halter, sont essentiellement dus aux efforts des exilés argentins. Ces comités n’ont pas reçu le moindre soutien des partis de droite en Israël, ni du parti communiste israélien, qui avait été particulièrement actif dans les situations du Chili et de l’Uruguay, respectivement en 1973 et 1974. L’antisémitisme, en revanche, est invariablement rapporté et dénoncé par Tel-Aviv lorsqu’il va à l’encontre des intérêts israéliens.

Marco Aurelio Garcia, ancien membre du Parti communiste brésilien, vivant en exil au Chili et en France pendant la dictature militaire, et l’un des fondateurs du Parti des travailleurs, l’un des mentors de la diplomatie brésilienne depuis 2002, a déclaré à propos d’Israël :

Israël n’est-il pas un État terroriste lorsqu’il bombarde des écoles de l’ONU et tue des dizaines d’enfants ? Si ce n’est pas du terrorisme, c’est certainement un crime de guerre. Nous devons cesser cette diplomatie hypocrite. Les Juifs doivent cesser de prendre l’habitude de considérer toute critique comme une attaque contre l’existence d’Israël. Israël a constamment soutenu le régime d’apartheid en Afrique du Sud. Il a apporté un soutien constant à la dictature de Somoza au Nicaragua et à Salazar au Portugal. Ne venez pas me voir maintenant pour jouer les gentils. [8].

Lorsque des explosions ont détruit l’ambassade d’Israël le 17 mars 1992 et le siège de l’association juive argentine AMIA le 18 juillet 1994, faisant un total de 114 morts et 542 blessés, l’antisémitisme violent au sein des forces de police et de l’armée argentines a été négligé. Au lieu de cela, Israël a pointé du doigt l’Iran et le Hezbollah. Une fois de plus, l’ordre du jour s’aligne sur les intérêts israéliens.

Patrick Howlett-Martin est diplomate, de double nationalité (française et britannique). Il est l’auteur de Brazil. L’ascension contestée d’une puissance régionale (2003-2015), Paris, 2016.

Notes.

1.) Quelque 1 500 citoyens juifs d’Argentine ont été victimes de la répression entre 1976 et 1980 et sont depuis lors enregistrés comme disparus. 

2.) Amnon Rudin de l’Agence juive, Jaime Pompas, ancien président de la communauté juive de Cordoue, Mauricio Weinstein, fils du président de la Commission sur les Juifs disparus créée à Buenos Aires en 1978. 

3.) Jacobo Timerman, Prisonnier sans nom, cellule sans numéro, University of Wisconsin Press, 1981. 

4.) Témoignage d’Anita Jarolavsky, arrêtée le 29 avril et libérée le 7 mai 1976, et de Raymond Franck, arrêté le 9 mai et libéré le 24 mai 1976. 

5.) Un journaliste israélien, Marcel Zohar, a publié un livre (en hébreu) sur cette question en 1990 : Que mon peuple aille en enfer : trahison en bleu et blanc, Maison d’édition Citrin, Tel Aviv. 

6.) Aharon Kleiman, une épée à double tranchant. Les exportations de défense israéliennes dans les années 1990, (pp. 233-235), 1972. 

7.) Entre 1950 et 1970, on estime que 2 808 officiers argentins ont été formés aux États-Unis, principalement à l’École des Amériques (alors dans la zone du canal de Panama) et à Fort Benning (Géorgie). Deux généraux de la junte militaire, Leopoldo Galtieri et Roberto Viola, figuraient parmi les stagiaires. 

8.) Interview dans le mensuel Piaui, N°. 30, 2009. 

Patrick Howlett-Martin est un diplomate de carrière vivant à Paris. Son nouveau livre s’intitule La Mémoire Profanée. Les Spoliations Nazies. Le vol du Patrimoine culturel et la question de sa restitution (The Profaned Memory. Spoliations nazies. Le vol du patrimoine culturel et la question de sa restitution), L’Harmattan, Paris, octobre 2023.

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