Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Russie-Chine : une profonde amitié, malgré les turbulences de l’histoire

Ce texte est très beau, il révèle la profondeur et la sincérité de « l’âme » russe mais aussi il tente d’expliquer aux Russes eux-mêmes les différences avec les Chinois. Ceux-ci ne sont pas moins sincères mais pour un Chinois la ruse est symbole de sagesse alors que pour un Russe cela passe pour de la duplicité. Mais à l’inverse des occidentaux ce sont deux peuples émotifs pour lesquels les liens amicaux, la confiance réciproque sont plus importants que tous les traités. (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop pour histoireetsociete)

https://svpressa.ru/society/article/431977/

Ivan Arkhipov raconte ce qui lie réellement les peuples des deux grands pays au fil du temps.

Texte : Andrei Zakharchenko

La Chine célèbre la « Semaine d’or » décrétée par le gouvernement en l’honneur du 75e anniversaire de la fondation de la République populaire de Chine.

Aux côtés de Deng Xiaoping, Bo Yibo, Zhan Yun et d’autres personnalités politiques chinoises faisant partie des « huit grands hauts fonctionnaires » particulièrement vénérés en Chine, Ivan Arkhipov, natif de Kalouga, homme d’État soviétique, héros du travail socialiste, premier vice-président du Conseil des ministres de l’URSS, a joué un rôle notable dans le processus de formation et de développement de la république.

Ayant aimé la Chine de toute son âme dès son premier voyage de travail en 1950 et porté ce sentiment jusqu’à sa mort en 1998, il a été inclus dans la liste honorable des 60 étrangers qui ont eu la plus grande influence sur la Chine nouvelle, et sa tombe dans le cimetière de Troekourovskoye à Moscou sert toujours de lieu de pèlerinage pour de nombreuses personnalités politiques de haut rang de la République populaire de Chine.

Ivan Arkhipov, président de la Fondation I.V. Arkhipov pour le développement des relations sociales et économiques entre la Russie et la Chine, petit-fils de cet homme légendaire, a parlé à « SP » des vicissitudes de l’amitié russo-chinoise, de ce qui a toujours rapproché la Russie et la Chine et des dangereux défis qui se dressent sur la voie de nos relations futures.

– On peut regarder l’histoire des relations entre la Russie et la Chine à travers des prismes absolument différents, mais le plus important d’entre eux, me semble-t-il, est le prisme de l’amitié », estime-t-il.

– Elle a été forgée dans les feux de la Seconde Guerre mondiale et pendant les années de formation de la jeune république chinoise. C’est alors que nos relations se sont transformées en une véritable amitié. Chacun est libre d’interpréter l’amitié à sa manière, mais dans le dictionnaire de Dahl, l’amitié est interprétée comme une relation entre des personnes unies par un amour sincère et désintéressé. Et dans les années 50 du siècle dernier, les relations entre nos pays étaient imprégnées d’une telle amitié.

SP : Cependant, les relations russo-chinoises se sont ensuite détériorées. Par exemple, peu après le début de la révolution culturelle chinoise, en 1969, il y a même eu des affrontements armés dans la région de l’île de Damansky, sur le fleuve Oussouri. Une telle chose est-elle possible entre amis ?

– Les relations entre les États sont comme les relations entre les personnes qui vivent dans une grande maison – il y a des voisins éloignés ou proches, il y a de bonnes connaissances, et il y a des amis. Mais l’amitié est une chose dans laquelle on ne peut pas mentir à un ami, les relations doivent être sincères.

Par exemple, dans mon entourage, il y a un homme dont tout le monde parle de manière peu flatteuse – il est cupide, et tout, et tout. Mais lorsque les circonstances de la vie m’ont contraint à me battre, cette personne a été la première à venir à mon secours, en couvrant mes arrières.

L’amitié n’est pas un festin sans fin avec des applaudissements et des chansons. Disons que vous et moi sommes supporters de la même équipe sportive. Quand sommes-nous plus amis – lorsque nous buvons simplement une bière, assis dans les gradins, encourageant l’équipe, mais vaquant ensuite à nos occupations, ou lorsque nous faisons directement partie de cette équipe, la menant sans cesse à la victoire dans des matchs difficiles et que, échauffés par ce processus, nous nous réprimandons parfois avec beaucoup d’émotion pour une mauvaise action ?

Il faut dire que nos nations sont très proches, ne serait-ce que parce que les Chinois et nous-mêmes sommes très émotifs. Pour nous, les émotions sont très importantes. En Occident, il suffit de signer un contrat, et c’est tout, de faire les choses conformément au contrat sur papier avec un sceau. Mais ce que la Chine et la Russie ont en commun, c’est qu’il n’y aura pas de contrat sur papier s’il n’y a pas de contact émotionnel.

SP : Qu’est-ce qui a permis de surmonter la période de graves désaccords ?

– Après de nombreuses années de relations froides, c’est en grande partie grâce à l’amitié sincère de mon grand-père avec les dirigeants chinois qu’il a été possible, en 1984, de faire des pas sérieux vers un nouveau rapprochement entre nos deux pays.

« La moitié de mon cœur appartient à la Chine pour toujours », n’a cessé de répéter mon grand-père tout au long de sa vie. Et ce, bien qu’il ait été un ardent patriote de l’URSS. Car il est impossible d’être vraiment ami avec une personne sans l’aimer sincèrement. Il est impossible de travailler pleinement pour le bien d’un pays sans l’aimer. Et il croyait et comprenait sincèrement que l’amitié avec un voisin tel que la Chine était très importante et nécessaire pour l’URSS.

Cet amour sincère a été immédiatement apprécié en Chine même. Le premier voyage d’affaires d’Ivan Vassilievitch Arkhipov en Chine n’a duré qu’un an et demi. C’est ainsi qu’il travailla dans l’Empire céleste de 1950 à 1959, tout en occupant le poste de vice-ministre de la métallurgie des métaux non ferreux en URSS et en recevant le statut de conseiller général du Conseil d’État de Chine. À cette époque, il s’est lié d’amitié avec de nombreuses personnalités qui, dans les années 1980, sont devenues les dirigeants de notre voisin oriental.

Pendant la période de refroidissement sérieux de nos relations après 1969, il a constamment cherché à se rendre en Chine, alors qu’il avait déjà le rang de premier vice-président du Conseil des ministres de l’URSS. Mais à l’époque, il n’était pas possible d’envoyer une délégation officielle en Chine pour des raisons politiques.

Ce n’est qu’en 1984 que cette visite a eu lieu. La Chine s’est alors vu proposer d’envoyer Ivan Vassilievitch sur invitation personnelle et privée de l’ambassade soviétique, simplement en tant que personne souhaitant se familiariser avec les réalisations des 156 installations de production chinoises construites dans les années 50 sous sa direction.

En réponse à cette proposition, un télégramme très clair signé par les représentants de la direction chinoise Chen Yun et Bo Yibo, des amis de longue date de mon grand-père, a été reçu, qui disait – pas besoin d’inventer quoi que ce soit, la Chine accepte de l’accueillir même avec le statut officiel de premier vice-président du Conseil des ministres de l’URSS, parce qu’Ivan Vassilievitch est un grand ami du peuple chinois.

Au cours de cette visite, Chen Yun, alors secrétaire de la commission centrale d’inspection de la discipline du PCC et président de la commission centrale des conseillers du PCC, a rencontré Ivan Vassilievitch et lui a dit, lors d’une conversation privée : « Il y a de nombreuses contradictions entre nos pays, notamment en Afghanistan, en Mongolie, au Viêt Nam et ainsi de suite, mais si nous, en tant que vieux amis, ne faisons pas les premiers pas l’un vers l’autre, les relations futures seront de plus en plus froides.

Le résultat de cette réunion a été la signature du premier accord commercial entre l’URSS et la Chine depuis de nombreuses années, qui est devenu la première pierre de la fondation de nos nouvelles relations.

SP : Dans la communauté des sciences politiques, l’opinion selon laquelle les Chinois sont incapables d’une amitié sincère est assez répandue. Ils disent que tout ce qu’ils font ne vise qu’à faire du profit. En fait, ils ne rêvent que de nous prendre la Sibérie et s’emparer de notre pétrole et de notre gaz. Que pensez-vous de ces déclarations ?

– Je pense que ceux qui défendent ce point de vue sur nos relations sont fondamentalement dans l’erreur. Si vous leur dites directement : allez-y, prenez notre Sibérie, prenez tout ce que vous voulez, aucun Chinois sain d’esprit n’acceptera une telle proposition hypothétique. Oui, la ruse est honorée en Chine. Mais en raison de la différence de mentalité entre nos deux nations, nous percevons la ruse comme quelque chose de mauvais, mélangeant ce concept avec l’intérêt personnel. En Chine, la ruse est synonyme de sagesse.

Nous ne devrions pas considérer les Chinois comme des ennemis, ils sont en fait nos amis. Nous devons simplement comprendre cette nation, l’accepter. Dans la société chinoise, comment peut-on profiter de son voisin ? En 75 ans, la Chine a parcouru un long chemin, passant d’un pays absolument affamé et appauvri à la première économie du monde. En Chine, tout est fait pour le bien du peuple, comme en témoignent la durée et le niveau de vie moyen des Chinois ordinaires. Il n’y a pas de mendiants, même dans l’arrière-pays, parce que tout en Chine est fait pour le bien du peuple.

C’est pourquoi, bien sûr, on peut se demander pourquoi les entreprises chinoises, par exemple, ne se tournent pas vers la Russie, mais nos dirigeants envoient des signaux clairs indiquant qu’il n’est pas nécessaire de se précipiter inconsidérément, qu’il est préférable de construire une véritable amitié entre les peuples de manière approfondie et sans précipitation.

En Chine, l’ancienne influence occidentale est encore fortement ressentie dans certains endroits. En outre, il convient de comprendre et d’accepter au moins le fait que le confucianisme existe en Chine depuis plus de deux mille cinq cents ans. L’influence de cette philosophie sur la société chinoise est très forte, le confucianisme a toujours son empreinte sur la société chinoise moderne.

SP : Quels sont les principaux défis qui se dressent aujourd’hui sur la voie de l’amitié entre la Russie et la Chine ? Qu’est-ce qui peut l’entraver ?

– Le monde est au bord d’une grande catastrophe, car le mode de développement occidental a fait son temps. Et seules nos deux puissances, unies, peuvent offrir au monde une nouvelle voie. Et seule la politique favorite de l’Occident, « diviser pour régner », peut l’empêcher. L’Occident n’a qu’un désir qui est de détruire notre amitié par tous les moyens, car ce n’est qu’ensemble que la Russie et la Chine peuvent offrir un avenir radieux aux peuples du monde. Cela peut sembler trop noble pour certains, mais c’est la pure vérité.

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