Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Réveil

Merci à Christophe Barnett qui inlassablement nous offre la traduction de poèmes qui disent si bien ce que nous éprouvons: l’épopée communiste comme cette reconquête de la vie sur la mort toujours et plus que jamais présente… Nous n’avons plus l’innocence de ceux qui pensaient que tout serait facile aujourd’hui plus encore que hier et sans doute que demain nous sommes devant un monceau de ruines et de cadavres mais nous refusons d’évoquer les morts commes’ils nous invitaient à devenir nous aussi des cadavres, des zombies contagieux. Le tic tac du réveil vient d’ailleurs, un autre monde avec sa propre enfance. Le réveil à l’aube pour continuer à tracer les routes des échanges, de l’épopée de la vie… Mon frère m’a recemment dit : tu cours derrière ton utopie ma soeur ! je lui ai répondu : est-ce qu’il vaut mieux accepter qu’Auschwitcz soit l’horizon indépassable de l’humanité ? Partons des FAITS et non des “mythes”…que la métaphore soit concrète.

La poèsie a une réalité pratique ancrée dans l’effort et la peine des êtres humains, dans ce réseau du vivant qui les enserre dans la nature comme dans les villes, dans l’événement comme dans l’histoire, ce que ‘l’on a prétendu étudier en le séparant et qu’il faut désormais recomposer pour que la vie reprenne ses droits. Un réveil …

Różewicz est considéré comme l’un des poètes les plus influents dans la Pologne d’après la guerre. Durant la Deuxième Guerre mondiale, Różewicz rejoint les résistants polonais de l’Armée intérieure (AK). Son frère Janusz, lui aussi poète, est exécuté par la Gestapo en 1944. Cette expérience inspirera son premier recueil de poésie Les Echos de la forêt (Echa leśne 1944). Il y décrit ce qui allait devenir le pouls de son œuvre, la condition d’un homme perdu, désorienté, désespéré après les traumatismes et les carnages de la guerre, considérant que la vie et la poésie ne pourront plus jamais être comme avant. Celui dont le frère fut exécuté par la Gestapo se révolte contre la poésie qui a survécu à une «fin du monde». Le problème de la création poétique après Auschwitz demeurera central pour l’œuvre de Różewicz. Sa poésie, parle de la solitude, de la séparation et du point de vue existentiel du poète. Elle exprime, sous une forme simple, souvent métaphorique, une forte inquiétude vis-à-vis des questions morales qui trouvent leur source dans la société moderne et dans les terribles épreuves du XXe siècle. Tadeusz Różewicz a révolutionné le théâtre polonais et a largement influencé le théâtre mondial. Il a contribué à inspirer notamment l’esthétique de Jerzy Grotowski et de Tadeusz Kantor. Les meilleurs metteurs en scène ont monté ses œuvres, notamment Konrad Swinarski et Krzysztof Kieślowski. Il est mort en 2014 en Pologne.

Réveil


comme c’est dur d’être
le berger des morts
à chaque étape
les vivants me demandent
pour écrire “quelque chose” “quelques mots”
à propos de quelqu’un qui est mort
disparu est décédé
repose en paix
et c’est moi qui écrit vivant
vivre et écrire à nouveau
laisse les morts enterrer leurs morts
J’entends un tic-tac
c’est mon vieux réveil
fabriqué en RPC
(Shanghai-Chine)
quand le Grand timonier était encore en vie
il a laissé fleurir cent fleurs
et a défié une centaine d’écoles d’art
pour rivaliser
puis vint la révolution culturelle
mon réveil est comme un tracteur
il faut qu’il soit « enroulée avec une poignée de râteau »
(vous vous souvenez de cette expression de primitif
directeurs d’exploitation agricole polonais pseudo-éduqués
“un paysan a besoin d’une montre comme un trou dans la tête
il essaiera seulement de le remonter avec une poignée de râteau »
les paysans ont oublié . . . mais « le poète se souvient »)
Je le termine comme Gerwazy
le réveil me réveille à cinq heures
ça ne rate jamais
C’est un vieux chinois qui hoche la tête
dans la vitrine d’un magasin de biens coloniaux
au-dessus d’une boîte de thé
le réveil me réveille plusieurs
fois par an
me rappelle que je dois
voyager quelque part voler quelque part
sud nord
ouest est
ou que je dois me lever à l’aube
et terminer un “poème”
cent fleurs fleurissent
(à Munich j’ai acheté
Président Mao
petit livre rouge
avec une introduction
par Lin Biao)
Je poète-berger de la vie
sont devenus berger des morts
J’ai travaillé trop longtemps sur les pâturages
de vos cimetières Partez maintenant
tu es mort laisse moi
en paix
c’est une affaire pour les vivants
Rozewicz, Tadeusz.

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