Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Pourquoi les écrivains français aiment-ils s’inspirer de la Chine ?

Cet article pourrait être dédié à Marianne Dunlop et au travail qu’elle accomplit pour ce blog et qui en fait une bonne part l’originalité. Nous sommes y compris en France de plus en plus nombreux (et la censure augmente avec la pression que nous exerçons) à prendre conscience de ce monde multipolaire face à la chute du monde occidental, déjà un peu moins à percevoir le rôle de la lutte des classes et des souverainetés nationales dans l’émergence de cette nouvelle période historique qui rappelle ce qui est intervenu il y a une centaine d’années à travers des guerres mondiales, c’est-à-dire le cycle inauguré par l’URSS… Mais rarissimes sont ceux qui perçoivent l’ampleur du basculement en terme de civilisation, bien que se multiplient les références à la chute de l’empire romain, et avec lui les transformations de perception dans l’espace et dans le temps, la manière dont jouent les nomadismes et l’échange des points de vue dans la connaissance que chaque nation, chaque classe sociale, chaque individu a de lui-même. La littérature, le cinéma autant que les échanges scientifiques ont plus que jamais besoin de “traducteurs” pour comprendre l’autre autant que soi-même… C’est autour de ces “voyages”, de nos échanges quotidiens sur le “sens” que nous avons noué depuis une dizaine d’années notre collaboration avec Marianne et nous sommes heureuses quand il nous semble que ce “travail” est compris et terrorisées devant la censure imbécile des pseudos élites médiatico politique qui refusent cette multiplicité des points de vue, asphyxient ce qui demande à naître (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

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2024-09-17 14:45 China News Wang Suning

Entretien exclusif avec Yu Zhongxian, traducteur, professeur à l’École des études supérieures de l’Académie chinoise des sciences sociales.

Quelle image de la Chine est dépeinte dans la littérature française moderne ? Qu’il s’agisse de la « fièvre de la calligraphie et de la peinture » ou de la « fièvre taoïste », la Chine décrite par les écrivains français est inévitablement un mélange d’imagination et de réalité. Le poète français Paul Claudel mentionne dans sa pièce de théâtre Le Soulier de satin, inspirée par des légendes chinoises, que toutes les images proviennent d’une certaine différence.

« La différence rend la comparaison possible, mais le résultat de la comparaison n’est rien d’autre que de mener au plus haut chemin », a déclaré Yu Zhongxian, traducteur en chinois du Soulier de satin, professeur à l’École des études supérieures de l’Académie chinoise des sciences sociales, ancien rédacteur en chef de Littérature mondiale. Yu Zhongxian a traduit plus d’une centaine d’œuvres de Nerval, Claudel, Apollinaire, Beckett, Simon, Robbe-Grillet, Gracq, Sagan, Kundera, Fernandez, Le Clézio, Toussaint, Echenoz, et bien d’autres. Pour lui, le monde littéraire français moderne a utilisé une abondance de mots pour décrire sa vision de l’Orient, cherchant ainsi à mieux comprendre son propre pays et culture à travers l’image de la Chine. Lire la Chine décrite par les Français des années 1920 et 1930 pourrait ainsi aider à mieux comprendre la Chine d’aujourd’hui.

Quand la littérature française moderne a-t-elle commencé à découvrir la Chine ?

Dans l’histoire des échanges culturels sino-français, Claudel est considéré comme le premier à avoir introduit la culture chinoise dans la littérature française moderne et contemporaine. Il était diplomate français en Chine à l’époque de l’impératrice douairière Cixi et a résidé en Chine pendant quatorze ans (de 1895 à 1909). Il a écrit des pièces de théâtre sur des thèmes et des arrière-plans chinois tels que Le Repos du septième jour, Le Partage de midi et Le Soulier de satin. Son recueil de poésie en prose Connaissance de l’Est comprend des dizaines de poèmes et d’essais écrits à Fuzhou, Shanghai, Hankou, et d’autres lieux, durant sa période de service diplomatique en Chine.

 Cérémonie d’ouverture de l’exposition « La Cité interdite et Versailles – Les échanges sino-français aux XVIIe et XVIIIe siècles », qui s’est tenue au Musée du Palais de Pékin, le 1er avril 2024.

Avant Claudel, les connaissances des lecteurs français sur la Chine provenaient presque exclusivement des livres des missionnaires catholiques qui avaient évangélisé en Chine au cours des trois siècles précédents. Ce n’est qu’après Claudel que de nombreux écrivains, au sens classique du terme, ont commencé à exprimer leurs impressions de la culture chinoise sous forme de poésie, d’essais, de romans et de pièces de théâtre. On peut dire que c’est à partir de Claudel que la culture chinoise a véritablement pénétré la littérature française.

Par la suite, plusieurs poètes et romanciers français renommés ont fréquemment mentionné la Chine dans leurs œuvres. Dans Stèles de Victor Segalen, on peut retrouver les images artistiques de « borne » chères à Claudel. Saint-John Perse a écrit Anabase dans un temple taoïste à l’ouest de Pékin, célébrant la conquête du monde spirituel. La Condition humaine d’André Malraux, qui se déroule dans l’histoire de la Chine moderne, traite de la vie spirituelle des Occidentaux, tout comme Le Partage de midi de Claudel. Un Barbare en Asie d’Henri Michaux décrit les observations et les impressions de l’auteur en Chine et en Inde, et constitue, tout comme Connaissance de l’Est, un récit de voyage poétique. Ces écrivains renommés ont encore renforcé l’influence de la culture chinoise en France.

Comment la pensée orientale a-t-elle été perçue dans le processus de découverte de la culture chinoise par la littérature française ?

De Claudel à Malraux, la quête de la culture chinoise par la littérature française n’a jamais cessé. Ils ont regardé la Chine avec des yeux européens, percevant les similitudes entre les deux cultures tout en acceptant leurs différences.

Claudel était un comparateur culturel inconscient, très intéressé par la pensée taoïste, qui prône la non-intervention et la simplicité naturelle. Il a abordé le Tao du point de vue d’un érudit de la culture catholique, cherchant à le comprendre et à le comparer.

Prenons par exemple la célèbre pièce de Claudel, Le Soulier de satin. Bien qu’il s’agisse d’une histoire d’amour espagnole se déroulant il y a plusieurs siècles, le thème de la pièce est inspiré par la légende chinoise du Bouvier et de la Tisserande. Le livre reflète cette idée que toutes les images proviennent d’une différence, et que la différence rend la comparaison possible. Mais le résultat de la comparaison conduit inévitablement au plus haut chemin, ce chemin étant le vide, l’être, le ciel ou le créateur, Claudel a tenté de trouver des réponses dans la pensée traditionnelle chinoise. Des décennies plus tard, il affirmait que « le non-agir » signifie « ne cherche pas, les gens viendront à toi », ce qui rejoint l’idée biblique « cherche et tu trouveras ».

Claudel a également mentionné à plusieurs reprises le terme fondamental du taoïsme, « le Vide » (Wu). Cependant, il ne considérait pas le « Vide » comme l’origine de toutes choses, mais simplement comme un moyen d’exprimer la créativité dans l’art. Selon lui, l’origine du monde ne réside pas dans le « Tao », mais dans le « Ciel ». Il était convaincu que Dieu pouvait tout créer à partir du néant. En tant que poète catholique, il voyait dans le « Vide » de la sagesse taoïste une simple possibilité.

Outre Claudel, de nombreux autres écrivains français ont également montré un enthousiasme sans précédent pour la pensée taoïste chinoise, espérant trouver dans l’ancienne culture orientale une rédemption spirituelle.

Quelles autres œuvres reflètent la compréhension de la Chine dans la littérature française ?

Il est intéressant de noter qu’après Claudel, nous avons lu La Tentation de l’Occident de Malraux. Ce livre est une correspondance entre un jeune Chinois et un jeune Français, où ils échangent leurs malentendus ainsi que leur reconnaissance, critiques, déceptions et anxiétés mutuelles. À travers des discussions sur l’architecture, les jardins, la culture, la philosophie et bien d’autres domaines, ils expliquent et comparent les différences entre les perspectives occidentales et orientales sur le monde, la vie et les valeurs.

Chez Malraux, les raisons et motivations des tentations diffèrent entre l’Orient et l’Occident. Pour les Chinois ordinaires de l’époque, la tentation de l’Occident résidait principalement dans le domaine matériel, comme les technologies avancées. Malraux voulait explorer la séduction de la culture occidentale pour les intellectuels chinois. Dans son œuvre, il exprime à la fois le conflit entre les cultures différentes et le conflit interne entre tradition et innovation, conservatisme et radicalisme au sein de la même culture. Cependant, dans son livre, Malraux impose les idées d’un intellectuel européen à un lettré chinois. Il a vu que l’introduction des pensées occidentales en Chine renversaient les aspects les plus féodaux et conservateurs de la culture traditionnelle, mais il n’a pas reconnu que c’était le résultat des réflexions et des choix de la jeune génération chinoise.

Que ce soit Claudel ou Malraux, leur compréhension de l’Orient est-elle quelque peu partiale ?

On peut le dire ainsi. Ils regardaient la Chine avec des yeux européens. Claudel espérait que l’Orient, qu’il admirait et louait à son époque, suivrait le chemin guidé par Dieu. Malraux pensait qu’une culture incapable de communiquer avec les concepts fondamentaux du monde contemporain devait trouver en elle-même les raisons de son renouveau ou de son extinction. Nous ne pouvons que dire que ces deux perspectives émanent des concepts européens et regardent l’Orient avec des yeux occidentaux, en supposant que lorsqu’une culture différente ne peut s’adapter aux idées européennes, c’est en raison de ses propres défauts structurels.

Claudel avait une compréhension partielle et quelque peu biaisée de l’Orient. La « tentation » de l’Occident décrite par Malraux pourrait également être une projection unilatérale. En fin de compte, la Chine fait partie de l’Orient, et la culture de cette terre n’est qu’une des nombreuses facettes colorées de la culture orientale, tout comme la France n’est qu’une partie de l’Occident, et la culture française n’est qu’une des nombreuses expressions variées de la culture occidentale.

Aujourd’hui, relire la Chine à travers les écrits des Français peut-il nous aider à mieux comprendre la Chine actuelle ?

Oui, tout à fait. Comprendre un autre pays et sa culture nous aide à mieux comprendre notre propre nation et culture. Les malentendus, compréhensions, critiques, échanges et assimilations mutuels visent tous à établir une relation « harmonieuse dans la diversité ». Il y a beaucoup à faire dans ce domaine. Nous pouvons voir, à travers les écrits de Claudel et Malraux, leur perception de l’Orient, ainsi que les forces et faiblesses, les avancées et retards, les largesses et étroitesses, les plénitudes et vides des cultures orientales et occidentales, ainsi que de la Chine et de la France. Cela nous permet de poursuivre un idéal de société et de créer une culture encore plus colorée et diversifiée.

Pendant de nombreuses années, j’ai traduit de nombreuses œuvres littéraires françaises. Ce n’est pas pour importer aveuglément des éléments étrangers en Chine et suivre leur chemin, mais pour que les Chinois puissent mieux s’inspirer des expériences étrangères lors de la construction de leur propre « Grande Muraille » spirituelle. Les briques de cette muraille ne doivent pas nécessairement être toutes chinoises ; elles peuvent provenir de Grèce, de Rome, de France, ou même d’Afrique et d’Océanie. Tant que ces pierres sont bonnes, elles peuvent être utilisées pour constituer une richesse spirituelle commune. Cette muraille devrait inclure davantage d’éléments de diverses nationalités, langues et cultures, ce qui lui conférera une plus grande vitalité à l’avenir.

Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.

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