Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

L’Europe a peur que la Russie prenne sa place, par Piotr Akopov

Encore une analyse qui reprend l’idée que l’Europe accuse la Russie d’être à l’origine de sa dépossession colonialiste alors que c’est la réalité de ce que représente le néocolonialisme qui pousse les pays toujours exploités, pillés à chercher une alternative. Pour revenir au constat que nous avons fait sur l’université d’été, se payer le luxe de produire des âneries totalement ignares comme l’invraisemblable conférence “Où va la Russie” de Clémentine Fauconnier, ou à un degré moindre des constats qui ne mènent nulle part tant on ne veut pas voir la réalité de l’isolement de la France, de l’empire et l’autodestruction d’une telle politique, il est absolument nécessaire d’arrêter ces rêves d’invasion napoléonien et hitlérien… (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)

https://ria.ru/20240827/front-1968612381.html

L’attitude européenne à l’égard de la Russie a toujours été franchement incohérente : d’une part, nous avons été déclarés une menace pour l’Europe (et sous n’importe quel régime – autocratique, communiste, actuel), et d’autre part, ils regardaient nos terres, à la recherche d’un espace de vie pour les peuples européens. Le conflit autour de l’Ukraine n’est que le dernier exemple du « Drang nach osten » : l’Europe a simplement déclaré qu’une partie du territoire russe lui appartenait, une partie ayant fait un « choix européen », que cette même Europe est simplement obligée de prendre en compte et de protéger contre les impérialistes russes. Mais en s’attaquant à l’Ukraine, l’Europe a perdu du terrain ailleurs, dans des régions qu’elle considérait traditionnellement comme les siennes.

« La Russie prend notre place, c’est inconfortable », a déclaré Josep Borrell, haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. De quoi parle-t-il ? De l’Afrique et de la Méditerranée: « Nous devrions nous préoccuper de ce qui se passe en Afrique. Lorsque je suis arrivé à Bruxelles, il y avait en Libye des Français et des Italiens. Ils ne s’entendaient pas toujours entre eux, mais ils étaient là. Aujourd’hui, il n’y a plus d’Européens en Libye, seulement des Turcs et des Russes. Et sur la côte libyenne, il y a une chaîne de bases militaires, et ce ne sont pas des bases militaires européennes, mais turques et russes. Ce n’est pas l’ordre dont nous avons rêvé en Méditerranée.

M. Borrel a pris ses fonctions – à Bruxelles – il y a un peu moins de cinq ans. Il s’avère donc qu’au cours de cette période, la Russie (et la Turquie) ont forcé les Européens à quitter la Libye ? Et ces dernières années, l’Afrique de l’Ouest aussi, car au Mali, au Niger et au Burkina Faso, lors de coups d’État, des militaires antifrançais ont pris le pouvoir, demandant l’assistance militaire de la Russie (y compris des conseillers militaires et des SMP). L’Afrique, comme l’a récemment déclaré Le Monde, est donc devenue une nouvelle ligne de front entre la Russie et l’Occident ?

Oui et non – à la fois parce qu’il est difficile de parler de nouveauté et parce que l’Europe en Afrique est combattue non pas principalement par les Russes, mais par les Africains eux-mêmes. Ils savent très bien ce que c’est que de vivre sous le « leadership européen ».

Borrell a certainement raison lorsqu’il dit que les Européens devraient se préoccuper de ce qui se passe en Afrique, en particulier en Afrique du Nord. Après tout, depuis l’époque romaine, la côte sud de la Méditerranée a été une priorité européenne et a parfois fait partie de la civilisation européenne. Au XIXe siècle, l’Europe a pris le contrôle de l’Afrique du Nord, puis de l’ensemble du continent. La décolonisation après la Seconde Guerre mondiale n’a pas signifié le retrait de l’Europe, qui contrôlait encore le système financier de l’Afrique de l’Ouest, par exemple. Mais dans les années 50 et 60, l’Europe avait un rival puissant en Afrique : l’Union soviétique, qui, en trente ans, a fait passer son influence de presque rien à une échelle considérable. Après avoir quitté l’Afrique après l’effondrement de l’URSS, les Russes ont commencé à y revenir dans les années 2000 et, ces dernières années, nous avons effectivement étendu notre présence (y compris militaire) à un certain nombre de nouveaux pays qui étaient auparavant considérés comme clairement pro-français. Mais l’Europe elle-même nous a aidés en cela, car ce sont les Européens qui ont fomenté l’intervention en Libye, qui a eu d’énormes conséquences pour toute la région.

Lorsque M. Borrell évoque la présence des Français et des Italiens en Libye en 2019, il n’explique pas comment ils sont arrivés là, après l’invasion du pays par l’Occident en 2011. Il n’y aurait pas de bases russes ou turques en Libye aujourd’hui si Sarkozy et Obama n’avaient pas décidé de renverser Kadhafi. La République centrafricaine, le Mali, le Niger et le Burkina Faso ne seraient pas aussi fortement orientés vers la Russie si l’Occident n’avait pas contribué au renforcement des mouvements islamistes et séparatistes dans toute la région en détruisant l’État libyen unifié.

En outre, l’un des principaux griefs de l’Occident à l’encontre de Kadhafi était sa politique panafricaine : le colonel a beaucoup contribué à la mise en place du processus d’intégration des États africains, ce qui, bien entendu, n’a plu ni à l’Europe ni aux États-Unis. Tout comme ils n’étaient pas satisfaits de l’influence croissante de la Chine en Afrique et du retour de la Russie dans la région. Cependant, en renversant Kadhafi et en désintégrant la Libye, l’Occident n’a fait qu’aggraver sa propre situation, sur tous les fronts : de l’invasion de millions de migrants à la désillusion des élites des États d’Afrique de l’Ouest. Comme dans le cas de l’agression contre l’Afghanistan et l’Irak, où l’Occident a créé de ses propres mains d’énormes problèmes durables sans en tirer le moindre bénéfice géopolitique, l’aventure libyenne a frappé les positions de l’Occident dans une grande partie du Sahara et du Sahel. Cela a facilité et créé les conditions de l’entrée de la Russie dans la région – et Borrell ne peut en remercier que l’Europe, qui a décidé que le rêve d’une Méditerranée unie devait être réalisé par le biais d’une intervention militaire.

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