BESA : Recueil de recherches sur les conflits post-soviétiques, n° 10 (juillet 2024) ce think tank qui tente de créer un espace régional dans le prolongement de l’entente historique Begin-Sadate, les bases mêmes du protectorat des Etats-Unis, sous des formes conservatrices (l’équivalent du temps de la françafrique de jadis pour les Français) joue beaucoup de la balkanisation sans fin espérée de l’ex-Union soviétique mais dans le même temps il y a une méfiance totale face à l’empire et à ses vassaux qui ne tient aucun compte de la complexité du terrain. A ce jeu traditionnel de pétrole et de gaz est venu se surajouter celui des Brics et de la route de la soie chinoise. Les Russes depuis Michel Strogoff connaissent chaque pierre du terrain… Et ces “conservateurs” israéliens ne l’ignorent pas. Tout part dans leur vision de ce qu’est censé représenter l’implantation juive et le sort qui leur est réservé, ce qui est un prisme non dénué de contradictions. Le texte en effet fait état des conclusions de trois rapports sur la situation réelle de l’espace post-soviétique dans le Caucase. Il le fait avec une connaissance ethnique indéniable : l’Azerbaïdjan leur paraît ce sur quoi l’on peut miser dans une “négociation” qui interviendra tout ou tard en fonction de ce qu’est aujourd’hui ce pays mais aussi des strates du passé autant que du poids économique. A-t-on sur place des forces potentielles ? Ainsi l’histoire des Juifs en Azerbaïdjan remonte à plusieurs siècles. Aujourd’hui, les Juifs d’Azerbaïdjan se composent principalement de trois groupes distincts : les Juifs des montagnes (en fait descendus depuis longtemps de leurs montagnes) qui est le groupe le plus important et le plus ancien. Les Juifs ashkénazes, qui se sont installés dans la région pendant la Seconde Guerre mondiale et les Juifs géorgiens qui se sont installés principalement à Bakou au début du XXe siècle, ils représentent selon Israël les intérêts israéliens mais à la manière des Libanais peuvent aussi représenter les intérêts des pays dont ils sont originaires ou comme certains juifs des Etats-Unis prendre la tête de la protestation… Ceux qui ne sont pas des antisémites obsessionnels ou des gens trop étroits pour mener une tactique ont compris cette spécificité du moment déclenché par le refus de ce qui se passe à Gaza tout autant qu’une certaine vision humaniste de peuple stigmatisé chez les juifs.
Si les Palestiniens peuvent compter sur la solidarité totale de la Russie héritière de l’URSS, en particulier dans sa diplomatie (et renforcée par l’affrontement en Ukraine avec l’OTAN et les USA), il n’en reste pas moins qu’il y a de la part des Russes et mêmes des républiques musulmanes du Caucase une forte réticence face à des “fondamentalistes” dont par expérience la Russie et le monde du Caucase n’ignore pas le rôle dans un terrorisme manipulé par la CIA, le Mossad et surtout les services britanniques qui sont la pire engeance qui puisse exister. C’est parce que je me suis trouvée à mon corps défendant (je déteste cet univers qui viole les peuples de manière permanente et ne dit jamais la vérité) mêlée à ce monde-là qu’il me semble nécessaire comme le disait Novikov dans un dernier interview de savoir que l’on a parfois des combats communs limités avec ces “fondamentalistes” mais que s’impose une stratégie autonome des communistes et surtout être bien conscients comme le sont les Cubains (pourtant passés maîtres dans l’art des parades aux jeux des services secrets) que les manœuvres les plus tordues ne résistent pas à un mouvement de masse qui va a contrario de leur scénario. Il est clair que ce qui se passe à Gaza oblige les dirigeants des peuples du sud à s’interdire certains compromis que l’empire avait cru pouvoir imposer comme le pacte Abraham. Bref face au “grand jeu” dont nous resterions spectateurs il y a nous, les véritables acteurs, encore faut-il qu’il y ait un parti révolutionnaire… et sans théorie vous savez la suite… (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
Par Dr. Petr Oskolkov 2 août 2024
En juillet 2024, les recherches menées par les analystes du PSCRP de BESA ont été thématiquement dominées par les événements dans le Caucase, tant au Sud qu’au Nord.
Le bloc « Caucasien du Nord » comprenait les matériaux de Velvl Chernin et Alex Greenberg.
Une violente attaque terroriste contre deux églises, une synagogue et un poste de police dans les villes de Makhatchkala et de Derbern (Daghestan, Russie) a incité Chernin à donner un aperçu de la situation ethnopolitique globale au Daghestan. Cette région de la Fédération de Russie est peuplée de nombreux groupes ethniques, dont les plus importants sont les Avars, les Dargins et les Kumyks. La répartition géographique de ces groupes est inégale ; il y a des quartiers peuplés de certaines communautés ethniques. Les relations interethniques dans la région sont caractérisées par des luttes pour le leadership dans les structures de sécurité et de pouvoir. La dimension juive est également présente sur la carte ethnique locale : les Juifs des montagnes sont considérés comme l’un des groupes indigènes du Daghestan, cependant, la tendance à la diminution de leur part dans la population (en raison de l’émigration) est évidente. L’auteur n’observe aucune poussée nationaliste spécifique derrière les attentats du 23 juin ; il suppose que leur but était d’intimider les groupes religieux non musulmans.
La même attaque a inspiré Alex Greenberg à analyser les racines et l’état actuel du discours antisémite au Daghestan. Il suppose que l’islamisme radical pourrait combler le vide de cohésion ethnique et créer une communauté alternative. L’antijudaïsme dogmatique ne peut concerner que des individus profondément religieux et peut provoquer des tensions avec le clergé traditionnel et les autorités (puisqu’il est justifié par l’islam salafiste). Au contraire, l’antisionisme, en tant qu’autre dimension de l’antisémitisme, est acceptable à la fois pour l’ensemble de la population musulmane (en raison de la solidarité avec l’Ummah) et pour l’establishment politique russe (en raison des traditions de la propagande soviétique). Greenberg étaye ses hypothèses par les résultats de l’analyse du contenu de plusieurs chaînes Telegram islamistes largement lues au Daghestan. Ils ont répandu des récits conspirationnistes antisémites avec des racines clairement salafistes, mais aussi les tropes traditionnels sur le « tout-puissant Chabad » et les francs-maçons. Les chaînes ouvertement pro-Hamas combinent des clichés antisémites russes populaires et officiels avec une propagande islamiste violente.
Velvl Chernin a également mis en lumière une autre question de la politique ethnique nord-caucasienne, à savoir la politisation de l’unité circassienne. Il a donné un aperçu des groupes importants constituant le peuple Adyghé (Kabardiens, Circassiens, Adygués et Shapsugs) dans les républiques (régions ethniques) de la Fédération de Russie. Le mouvement pancircassien en Russie est accusé de « russophobie » et de « séparatisme » ; c’est pourquoi de nombreuses activités ethnopolitiques dans ce sens ont lieu dans la diaspora. La diaspora circassienne la plus visible se trouve en Turquie (cependant, les Adyghés locaux sont largement assimilés et ne sont pas officiellement enregistrés), en Syrie (où de nombreux Circassiens sont partis après le début de la guerre civile), en Israël (où les Circassiens jouissent d’un très haut niveau de préservation de la langue et de la culture nationales) et au Kosovo (la plupart des Adyghés locaux ont réussi à être rapatriés chez les Adyghés russes après le début de la guerre dans les Balkans).
Les dynamiques politiques internes et externes du Caucase du Sud ont été couvertes par Gela Vasadze, Zeev Khanin et Alex Greenberg.
Gela Vasadze a présenté sa vision de la contestation politique en Géorgie contre le projet de loi sur « l’influence étrangère » initié par le parti au pouvoir, qui a provoqué de vives réactions dans l’UE et aux États-Unis. Outre les ambitions politiques de Bidzina Ivanichvili, la fondatrice du parti « Rêve géorgien », le projet de loi pourrait faire partie de la stratégie de la Russie visant à établir un contrôle politique sur la Géorgie. Après le 24 février 2022, il est devenu essentiel pour Moscou de développer un écosystème logistique indépendant. L’affaiblissement de l’influence russe sur l’Azerbaïdjan et l’Arménie a probablement conduit Moscou à tenter de façonner la crise politique en Géorgie. Les objectifs à court terme du Kremlin dans cette direction pourraient inclure la rupture des relations du pays avec l’Occident, l’isolement politique de la Géorgie, l’expansion des liens économiques russo-géorgiens, le retrait du pays du groupe Ramstein, le changement de l’opinion publique sur la guerre contre l’Ukraine et la création d’un « ennemi » alternatif en stimulant la turcophobie et l’islamophobie. Les objectifs à moyen terme comprennent la formation d’un monopole sur l’approvisionnement en gaz de la Géorgie, le rejet officiel de l’intégration européenne par le pays et le rétablissement des relations diplomatiques russo-géorgiennes. Les objectifs à long terme de Moscou pourraient être des concessions en matière d’infrastructures, le retour des bases militaires russes à la Géorgie, l’adhésion du pays à l’UEE et à l’OTSC, et la transformation de la Géorgie en une (con)fédération.
Zeev Khanin a analysé le rôle de l’Azerbaïdjan en tant que médiateur potentiel dans le(s) conflit(s) du Moyen-Orient. En juillet 2024, « le ministre azerbaïdjanais des Affaires étrangères Jaihun Bajramov a envoyé à un collègue israélien un message du ministre libanais Abdullah Bu Habib assurant que Beyrouth veut éviter la guerre », ce qui a suscité des spéculations sur le nouveau rôle que Bakou pourrait assumer dans la région. L’Azerbaïdjan peut en effet être considéré comme un médiateur idéal. Premièrement, il n’est pas directement impliqué dans les affaires du Moyen-Orient. Deuxièmement, contrairement aux États-Unis (en raison de leur alliance ouverte avec Israël) ou à l’Arabie saoudite (en raison de leur rivalité permanente avec l’Iran, le principal mécène du Hezbollah), ce n’est pas un médiateur problématique pour le Liban. En outre, Beyrouth a besoin de publicité dans les efforts de négociation pour placer le Hezbollah dans des conditions contraignantes. L’Arabie saoudite, en raison de pressions internes et externes, n’est pas prête à agir publiquement en tant que médiateur entre Israël et les nations arabes. Troisièmement, contrairement à la France (en raison de sa réticence à coordonner ses initiatives avec Jérusalem), elle n’est pas un médiateur problématique pour Israël. L’Azerbaïdjan lui-même pourrait avoir besoin de ce rôle pour plusieurs raisons. Le premier est le partenariat stratégique entre Jérusalem et Bakou. Deuxièmement, les ambitions de Téhéran pour l’influence mondiale et l’exportation de la « révolution islamique » sont une menace pour l’Azerbaïdjan, qui en même temps n’est pas disposé à jouer un rôle secondaire dans « l’alliance turque » avec Ankara. Ainsi, le renforcement du partenariat avec Israël est une ressource stratégique qui permet à Bakou de contrebalancer les ambitions de l’Iran et de la Turquie. Troisièmement, la volonté de l’Azerbaïdjan d’agir en tant que médiateur au Moyen-Orient pourrait être considérée comme un moyen de démontrer ses ambitions contre la France qui s’est ouvertement rangée du côté de l’Arménie dans la récente escalade sur le Haut-Karabakh.
Gela Vasadze a partagé son point de vue sur la façon dont l’élection de Massoud Pezeshkian en tant que nouveau président de l’Iran affecterait la sphère politique dans les trois pays du Caucase du Sud. L’émotivité du public azerbaïdjanais sera satisfaite parce que Pezeshkian est d’origine azerbaïdjanaise ; il ne le cache pas et s’enorgueillit même de sa « turquité ». Permettre à un tel candidat de se présenter à la présidence, sans parler d’être élu, pourrait démontrer la volonté de l’élite de Téhéran de régler les relations avec le voisin du nord. Pour l’Arménie, l’Iran est un pays important sur le plan militaire et économique (voir ci-dessous pour plus de détails), de sorte que l’élection d’un Azerbaïdjanais à la présidence a suscité des inquiétudes à Erevan. Néanmoins, l’Iran continuera à fournir à l’Arménie les ressources nécessaires, même si une nouvelle escalade entre Téhéran et Bakou est peu probable. En Géorgie, les affaires iraniennes suscitent peu d’intérêt. Cependant, Téhéran a réussi à influencer idéologiquement une partie importante des Azerbaïdjanais qui vivent en Géorgie : pour ces « religiozniks », le chiisme est devenu un marqueur identitaire prioritaire, et cette minorité est largement représentée dans la politique, le journalisme et l’enseignement du pays. En outre, la visite du Premier ministre géorgien, Irakli Kobakhidze, aux funérailles du président Raïssi a été dépeinte par les médias géorgiens d’opposition comme un autre signe de la volte-face du pays vis-à-vis de l’Occident.
Alex Greenberg attire l’attention sur un autre aspect de la politique étrangère iranienne, à savoir la coopération avec l’Arménie. Un certain nombre de sources, à la fois indépendantes et soutenues par l’État, ont fait état de l’accord secret d’armement entre Téhéran et Erevan. L’accord comprendrait non seulement la fourniture de drones et de systèmes de défense aérienne, mais aussi le renforcement de la coopération en matière de sécurité et de renseignement et même l’établissement de bases militaires iraniennes sur le sol arménien. En effet, les armes fournies nécessitent la présence d’experts et d’instructeurs iraniens. Le MAE et le ministère arménien de la Défense, ainsi que les responsables iraniens, ont nié avec véhémence l’existence de l’accord, ce qui ne donne toutefois pas de motif suffisant pour l’exclure. L’Azerbaïdjan est l’une des raisons pour lesquelles l’Iran a besoin de coopérer avec l’Arménie : en plus d’être l’allié d’Israël, l’Azerbaïdjan est un État chiite laïc avec une orientation pro-occidentale. En outre, environ 40 millions d’Azerbaïdjanais de souche vivent en Iran, sont victimes de discrimination linguistique et soutiennent leur patrie ethnique à l’étranger. La présence iranienne en Arménie faciliterait les opérations terroristes et de sabotage contre l’Azerbaïdjan et Israël, et l’Arménie est un bon terrain d’essai pour les armes iraniennes. L’importance militaire de l’Arménie pour Téhéran est également démontrée par la figure de l’ambassadeur d’Iran à Erevan, Mehdi Sobhani, qui est probablement un officier supérieur des Gardiens de la révolution. En bref, « l’Arménie doit choisir entre l’Occident et Téhéran » car le régime iranien représente une menace réelle pour la sécurité occidentale.
Dans l’article unique de ce mois-ci qui n’est pas consacré au Caucase, Russell A. Berman donne son évaluation de l’importance de soutenir l’Ukraine pour la politique étrangère des États-Unis. Il estime qu’une victoire russe (pas impossible) pourrait conduire à transformer la mer Noire en un condominium russo-turc, conduisant à des liens plus forts entre Ankara et Moscou, et donc à un relâchement des liens de la Turquie avec l’OTAN » ; à renforcer la position de Moscou en Asie centrale et accélérer les partenariats avec l’Iran et la Chine ; à la Russie poursuivant des intérêts dans les Balkans. Berman affirme que « la conquête de l’Ukraine est un tremplin pour saper l’OTAN et la structure de sécurité atlantiste ». Néanmoins, le soutien américain à l’Ukraine semble avoir été insuffisant : « malgré toute la volonté verbale américaine de soutenir l’Ukraine, les armes fournies ont été parfois trop tardives, parfois trop peu nombreuses et parfois trop vieilles. Pendant un certain temps, il a semblé que l’administration Biden ne fournissait qu’un soutien suffisant aux Ukrainiens pour les maintenir dans la lutte, mais pas assez pour remporter la victoire. L’auteur conclut que « perdre en Ukraine – comme la défaite en Afghanistan – représenterait un coup énorme à la crédibilité américaine en tant que force de sécurité et de stabilité dans le monde », et « il est vital que les forces par procuration de l’Occident en Ukraine l’emportent, tout comme elles doivent le faire à Gaza ».
Le programme de recherche sur les conflits post-soviétiques de BESA continuera à informer notre lectorat de l’évolution des conflits dans diverses sous-régions de la zone post-soviétique au cours des prochains mois.
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