Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La France épicurienne, celle dans laquelle prodigalité et rareté se conjuguent…

J’ai entendu bien sûr parler de ce buffet “prodigieux”, j’éprouve quelques suspicion, et la manière dont ces New Yorkais snobs s’initient à la “culture” française comme s’il s’agissait des mystères d’Eleusis ne me convainc pas tout à fait, ni le décor. Cette année, j’ai commencé à redécouvrir la France… En particulier ce récent tour du sud où je me suis gorgée à l’hôtel de France à Castelnaudary, de tout ce que la région offrait de plus succulent, à volonté… L’indigestion, qui m’a encombrée au sortie de ce repas rabelaisien, les heures suivantes m’ont fait apprécier à sa juste valeur un monastère et son cloître, qui portait le nom charmant de Saint Papoul, avec des influences cathares manifestes… Je ne rêvais que de finir mes jours en n’avalant plus que des soupes d’orties, buvant l’eau de la source, un ascétisme réparateur rythmé par les cloches… le soir je plongeais dans le volume de la Pléiade dans lequel est rassemblée l’œuvre de Duby, le grand médiéviste qui dirigea mon mémoire d’historienne pour donner de la profondeur à cet élan de mon estomac… En revanche, vendredi 26 juillet, à Saint-Honorat, aux îles de Lérins, l’éclectisme architectural du XIXe siècle n’était sauvé que par le paysage provençal, les odeurs de garrigue et les infinies nuances du bleu au vert en passant par le violet de la mer… Ce fut pire avec la cuisine atroce de l’unique restaurant, snack où on me servit avec un plâtras de gnocchis trop cuits, pâteux, noyés dans une écœurante béchamel, surmonté d’un morceau de thon cru, à la “thaïlandaise” le tout pour 40 euros. Ce plat plâtras était une indignité, une prostitution de l’histoire, comme la côte d’azur ne craint pas de l’infliger au petites gens … Pourtant l’ascétisme du portefeuille comme les temps de guerre, pourrait favoriser l’initiation à l’art monastique, peut-être faut-il savoir alterner le temps des ripailles, une fois par an et toute une stratégie des associations de formes, d’arômes, avec le luxe du cloître fait de silence, de jardins d’herbes et de fleurs délicates.. Douce France, cher pays de mon enfance… il faudrait réapprendre à te vivre et pas seulement dans la tradition mais dans ce qu’elle doit à toutes les vagues qui l’ont faite… (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

Une photo d’une tour à homard aux Grands Buffets.

Les Grands Buffets offrent une vue panoramique sur les classiques français, allant du répertoire des palaces (lièvre à la royale) à la cuisine bourgeoise (bœuf bourguignon), en passant par les spécialités régionales (quenelles de brochet) et les plats rustiques (escargots, cuisses de grenouilles). Photographies d’Alexander Coggin pour The New Yorker

Mon ami Guillaume me dit toujours des choses intéressantes. Par exemple : il m’a raconté qu’il existe une danse appelée la Madison que beaucoup de Français pensent être une caractéristique habituelle des fêtes aux États-Unis. Guillaume m’a également récemment alertée sur le cas d’un homme qui avait été licencié parce qu’il n’était pas assez décontracté au travail, il a retrouvé son emploi, en remportant cinq cent mille euros dans une émission qui a fait date. L’été dernier, je suis allé dîner chez Guillaume, et il m’a parlé d’un restaurant, d’un buffet à volonté non loin de sa ville natale dans le sud de la France. Il venait d’y fêter son anniversaire. Il était question d’un canard flamboyant et d’une fontaine de chocolat. Guillaume m’a montré une photo de la tour de homard sur des décors de cristal – sept couches de crustacés vermillon, surmontées d’un spécimen dressé poussant ses griffes vers le ciel, comme s’il venait d’achever la mi-temps d’un spectacle, au milieu d’un nuage de brume.

Le restaurant s’appelle Les Grands Buffets. Environ une semaine plus tard, je suis allée sur son site Web et j’ai entré mon adresse courriel pour accéder à un lien sécurisé pour faire une réservation en ligne. C’était fin juillet. La prochaine table disponible était pour un mercredi de décembre, à 20h45. « Nous vous rappelons que cette réservation n’est pas modifiable, vous ne pouvez pas modifier le nombre d’invités, la date du repas, l’heure du repas ou le nom du bénéficiaire », peut-on lire dans l’e-mail de confirmation. Si je voulais faire venir des enfants de moins de dix ans, je devais soumettre leurs noms au moins trois jours à l’avance. (Ils mangent à des tarifs réduits.) On me refusait l’entrée si je me présentais en pantalon de survêtement, en maillot de corps, en maillot de bain, en maillot de sport, en tongs, en casquette ou en l’un des trois types de shorts. Il s’avère que la réservation la plus difficile en France n’est pas dans une destination étoilée au Michelin comme le Mirazur ou le Septime. C’est dans un buffet à volonté situé dans un centre de loisirs municipal de la petite ville de Narbonne.

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L’année dernière, plus de trois cent quatre-vingt mille personnes ont payé cinquante-deux euros et quatre-vingt-dix centimes pour le plaisir de visiter Les Grands Buffets. Les boissons coûtent plus cher, mais elles sont vendues à une majoration minimale, de sorte qu’une bouteille de champagne Mercier coûte vingt-cinq euros, à peu près le même prix qu’au supermarché. Tout le reste est illimité, du caviar aux tripes cuites. Il y a neuf sortes de foie gras et cinq pâtés en croûte, dont un connu sous le nom d’Oreiller de la Belle au bois dormant, qui intègre une panoplie de viandes (poulet, canard, sanglier, lièvre, caille, ris de veau, porc haché) et est considéré par les connaisseurs comme le « Saint Graal de la charcuterie ». Le chef Michel Guérard a qualifié Les Grands Buffets de « plus grand théâtre culinaire du monde ». Guinness a certifié son plateau de fromages, composé de cent onze variétés, comme le plus grand connu des restaurateurs. C’est plus une salle de fromage.

Les buffets à volonté sont généralement associés à une gamme d’aliments catholiques : des rouleaux californiens et des pattes de crabe royal, des côtes levées aux côtés de pâtes cuites au four et de coupes glacées au fudge chaud. Cependant, Les Grands Buffets ne servent que ce qu’ils considèrent comme une cuisine française traditionnelle. Vous trouverez du chorizo à la station de charcuterie, mais il n’y a pas de pizza, de paella, de couscous, pas de nems ou de thiéboudiène, même si plus d’un dixième des personnes vivant en France sont nées ailleurs. Les Grands Buffets offrent une vue panoramique sur les classiques français, allant du répertoire des palaces-hôtels (lièvre à la royale, pêche Melba) à la cuisine bourgeoise (blanquette de veau, bœuf bourguignon), en passant par les spécialités régionales (quenelles de brochet, pissaladière) et les plats rustiques (escargots, cuisses de grenouilles). « Plus qu’une orgie gargantuesque », rapporte Le Journal du Dimanche, le restaurant représente « une sorte de conservatoire de la gastronomie nationale ». L’effet est quelque chose comme un Golden Corral d’Auguste Escoffier.

Les Grands Buffets disposent de quatre salles à manger, somptueusement décorées dans différents styles. L’un d’eux a un thème Art déco. Une autre est une salle sous tente, rendant hommage à Louis XIV, avec une carte originale de 1697 réalisée par le graveur du roi. Les lustres fabriqués par les artisans qui éclairent le château de Chambord jettent une lueur luxuriante sur les citronniers plantés dans des caisses en bois conçues à l’origine pour les jardins de Versailles. Les tables sont dressées dans un style grandiose, jusqu’aux couteaux à poisson. Les serveurs débarrassent les assiettes et servent les boissons, au lieu de laisser les invités se désaltérer à une fontaine à soda, en recueillant du Coca-Cola aux cerises dans le même gobelet en papier que le Tropicana et le Sprite.

Louis Privat, le propriétaire du restaurant, estime que la gastronomie souffre de la mondialisation : tout est pareil partout, et même certaines des cuisines les plus créatives, dit-il, « ont perdu leur identité nationale ». Selon lui, les Français, et en particulier les jeunes, ont besoin d’être réintroduits dans la culture de la table et des arts qui y sont associés. Il voit son restaurant comme une sorte de « Louvre des plats », avec une mission pédagogique autant qu’épicurienne. « Est-ce que vous mettriez une tarte Tatin dans un verre à liqueur ? » m’a-t-il dit récemment, un nuage de désespoir passant sur son visage. Le mouvement de la bistronomie, qui, au cours des trente dernières années, a emporté les nappes des tables françaises et relégué l’argent dans les tiroirs, est, selon Privat, une croisade de réduction des coûts déguisée en tendance. « Notre règle d’or est que, si c’est compliqué, alors c’est une bonne raison de le faire », a-t-il déclaré.

Pascal Lardellier, anthropologue à l’université de Bourgogne, appelle Les Grands Buffets « le lieu de tous les superlatifs ». L’année dernière, il a généré vingt-quatre millions d’euros de chiffre d’affaires, ce qui en ferait le restaurant le plus rentable de France. Les Sybarites de la Grèce antique envoyaient des invitations aux invités jusqu’à un an à l’avance, afin qu’ils aient le temps de préparer leurs tenues et leurs bijoux. Les amateurs des Grands Buffets réservent également jusqu’à un an à l’avance et passent les mois qui suivent à rêver de la façon dont ils vont remplir leur assiette. « Mon mari et moi ne pouvons pas dîner souvent au restaurant », a écrit un client régulier sur Facebook, « nous préférons donc réserver notre budget loisirs exclusivement pour Les Grands Buffets. »

En décembre, j’ai pris un train depuis Paris et j’ai roulé vers le sud pendant cinq heures avant d’arriver à Narbonne, à moins de soixante-dix miles au nord de la frontière avec l’Espagne. Le centre-ville, avec ses ruines romaines et son marché couvert fantastiquement old-school, était accessible à pied, mais j’ai pris un taxi en direction de la périphérie de la ville. En contournant des stations-service et un KFC, nous avons contourné un rond-point, où un bonhomme de neige gonflable flottait au vent. Finalement, nous sommes arrivés à un immense complexe de loisirs construit par le gouvernement local dans les années 1980. À l’intérieur, une lumière grise traversait une lucarne pyramidale, accentuant les tuyaux exposés turquoise. Depuis le hall, vous pouvez entrer dans un bowling, une patinoire, une piscine ou Les Grands Buffets. L’entrée du restaurant, en bois de cerisier et laiton étincelant, rappelait la cabine d’un paquebot, posée sur le plateau de « Sauvés par la cloche ».

Dans le vestibule, des armoires du sol au plafond exposaient une collection de plats de service en argent. À proximité, ce qui était censé être la plus grande fourchette en argent du monde était montée sur un mur. En attendant le maître d’hôtel, un client pouvait se peser sur une balance ancienne de la taille d’une horloge de grand-père. De peur que cela ne le mette dans une humeur abstinente, une plaque dorée affichait une citation en moyen français, tirée du « Gargantua » de Rabelais : « Fay ce que vouldras », ordonnait-elle : « Fais ce que tu veux. »

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Il était presque la fin de l’heure du déjeuner. Les invités se regroupaient autour du bar à desserts, où le chocolat coulait le long de la célèbre fontaine en feuilles brillantes. Ils versaient du chocolat sur des fraises, des morceaux d’ananas, des financiers et des cannelés dans des cuves séparées offrant un choix de blanc, noir et lait. Comme l’écrit Roy Strong dans « Feast : A History of Grand Eating », les fontaines ont ébloui les convives pendant des siècles, dégorgeant de l’eau de rose et de l’eau de muscade. Un participant à un banquet à Lille en 1454 s’est souvenu d’une statue d’une fille nue, gardée par un vrai lion, qui aspergeait de vin chaud depuis son sein droit.

Un employé m’a conduite dans la salle des tentes, où Louis Privat finissait un repas avec une paire de V.I.P.. Privat a soixante-dix ans, avec des yeux bleu ciel et et une meringue de cheveux gris. Il portait un col roulé en cachemire noir et déplorait les tentatives des chefs de faire avaler des formes abâtardies de plats classiques à un public sans méfiance. « C’est de la bêtise », a-t-il dit. Imaginez : servir un Mont Blanc sans châtaignes, ou appeler une assiette de haricots un cassoulet. Il a poursuivi : « C’est le principal combat que nous menons aujourd’hui, pour ne pas laisser ces plats être corrompus, même si les recettes ne sont pas brevetées. » À une autre table, un groupe de serveurs sortait un gramophone qui jouait André Claveau chantant « Bon anniversaire ». Par la fenêtre, on pouvait apercevoir un toboggan aquatique de cinq étages.

Privat a commandé des verres d’eau-de-vie de framboise en forme de tulipe – un supplément de huit euros et cinquante centimes – pour ses invités. Dans le glacier doré du restaurant, les convives ont profité de onze saveurs, ainsi que de café irlandais et de glace au citron arrosée de vodka. Le trou normand, un shot de Calvados servi sur un sorbet aux pommes, dont on dit qu’il contrecarre la sensation d’estomac plein, était également proposé. Le restaurant sert environ cent cinquante trous normands lors de chaque service de cinq cents convives. Certains clients en prennent plus d’un. Ils sont les bienvenus. « Notre travail consiste à débarrasser les gens de leurs inhibitions », a déclaré M. Privat.

Comme tous les buffets, Les Grands Buffets est une entreprise de volume. Environ quatre-vingt-cinq pour cent des clients du restaurant sont Français ; d’autres viennent en grand nombre de Belgique et d’Espagne, malgré la décision des Grands Buffets d’interdire les bus touristiques. Il ne se passe pas une année sans que Privat n’imagine une nouvelle attraction ou un nouveau divertissement. « Nous ajoutons des choses tout le temps, mais nous n’en retirons presque jamais », a-t-il déclaré. (Une version sophistiquée de la purée de pommes de terre, a-t-il admis, n’avait pas été un succès.) Irène Derose, employée de banque à la retraite qui vit dans un village de l’Hérault, est allée aux Grands Buffets dix-huit fois, la dernière fois pour son anniversaire, qu’elle a célébré en déjeunant et en dînant au restaurant. « Et je n’ai pas encore tout goûté », m’a-t-elle dit.

Les restaurateurs adhèrent généralement à une majoration de deux cents pour cent, de sorte qu’un steak qui coûte cinq euros apparaît sur le menu à quinze et qu’un filet qui coûte dix en coûte trente. Parce que les coûts de Privat sont relativement stables – il sert la même chose tous les jours à un nombre constant de convives et perçoit des remises sur le gros – il choisit de gagner sa marge sous la forme d’un taux stable, plutôt que sous forme de multiple. « C’est le même fournisseur, le même réfrigérateur, le même cuisinier », a-t-il déclaré. « Qu’est-ce qui justifie de prendre dix euros pour un plat et vingt pour l’autre ? Ici, si vous voulez manger le meilleur, je prends la même somme ».

Certains buffets augmentent leurs prix le week-end ou font payer les clients pour la nourriture non consommée. Au Shady Maple Smorgasbord, dans le comté de Lancaster, en Pennsylvanie, qui se présente comme le plus grand buffet à volonté des États-Unis, l’ambiance est presque procatoriale, la justice de l’accusateur. « Ne risquez pas la prison pour un biscuit », exhorte le restaurant, avertissant que quiconque empoche un rouleau sera traité comme un voleur à l’étalage. (Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à l’épisode des « Simpsons » dans lequel Homer est tiré hors du “Hollandais friture” par les aisselles après s’être servi un plateau entier de crevettes à la vapeur.)

En revanche, Privat pratique une sorte d’évangile de prospérité gastronomique. Il croit que le client qui a l’impression qu’on ne profite pas de lui se détendra ; le client qui est détendu prendra un autre verre de vin ; le client qui déguste son vin rentrera chez lui avec une caisse (rendant la bouteille bue à table gratuitement) ; le client qui savoure son en cas à domicile reviendra. « Je préfère m’éloigner de cette logique de rationnement », a déclaré M. Privat. « Si vous donnez, vous recevrez. »

Il nous a proposé de goûter au russe du restaurant : un dessert strié de génoise et de crème pralinée. Il a été concocté par un boulanger français dans les années 1920, mais a été nommé soit pour son ingrédient principal, des amandes provenant de Crimée, soit pour la pincée de sucre en poudre sur le dessus qui rappelle les steppes sibériennes enneigées. Le russe était un peu sucré à mon goût, alors je suis retournée à la station de desserts, en essayant de penser à une délicatesse française qui n’était pas représentée. Mais ils étaient tous là, des prouesses techniques comme l’île flottante aux pâtes à la cuillère comme la mousse au chocolat. Dans un coin, un employé flambait des crêpes sur un char en argent qui appartenait à l’origine à l’hôtel Le Negresco, à Nice. Malgré l’interdiction des aliments étrangers, un brownie s’était faufilé dans l’offre. (Les Français le prononcent « broonie », soit dit en passant.) J’ai pris une part de gâteau opéra – biscuit aux amandes, crème au beurre, sirop de café, ganache au chocolat – et j’ai pensé au droit à l’erreur. Le principe, inscrit dans une loi française de 2018, minimise les sanctions pour les personnes qui gâchent leurs impôts de bonne foi. J’ai ajouté une cuillerée de pruneaux cuits au vin rouge dans mon assiette. Comme peu de choses dans la vie, le buffet à volonté garantit le droit à l’erreur.

L’écrivain André Borel d’Hauterive s’est un jour essayé une taxonomie des mangeurs : le gastronome (apprécie la bonne nourriture et le bon vin et y participe raisonnablement), le gourmand (préfère la quantité à la qualité), le friand (a la dent sucrée), le goinfre (mange avec enthousiasme à l’excès), le ventru (« fait de son estomac un Dieu »), le glouton (le dessert arrive et il n’a aucune idée de ce qu’il a mangé), le goulu (le dessert arrive et il n’a aucune idée de ce qu’il a mangé).

Les amateurs de buffet peuvent appartenir à l’une de ces catégories, mais quand ils choisissent une démarche, il sont nécessairement obligé de penser aux avantages logistiques. Il y a des concurrents à évaluer, des manœuvres à envisager, des itinéraires à cartographier. Je me suis souvenu d’un livre de jeu de football en étudiant une brochure qui présentait une vue à vol d’oiseau des Grands Buffets, avec des flèches indiquant divers comptoirs (« Ice Cream Shop », « 9 Kinds of Ham »). Si une journée à Disneyland consiste à éviter les files d’attente, un repas aux Grands Buffets est un exercice d’optimisation des calories. Certains amateurs de buffet experts ne jurent que par les produits les plus chers ou en assemblant une « assiette de dégustation d’introduction ». D’autres mettent en garde contre le fait de maximiser les glucides. Un tacticien de Reddit écrit : « Ne prenez JAMAIS un seul morceau de nourriture avant d’avoir effectué un balayage de reconnaissance préliminaire de l’ensemble du buffet. Inutile de faire le plein de poitrines de poulet frites quand il y a une station de découpe de côtes de bœuf à la fin ».

Les Grands Buffets s’enorgueillissent de ne jamais être à court de rien. Dans le même temps, le restaurant affirme produire peu de déchets. « Nous savons au gramme près combien allouer à chaque client », m’a dit Pierre Cavalier, le directeur général. « Le foie gras, par exemple, ce n’est pas cinquante ou cinquante et un, c’est précisément quarante-huit grammes ! » Le client moyen, a-t-il poursuivi, consomme 1,3 huîtres et 7,4 assiettes. (Il a ajouté que les restes servent aux repas du personnel pour les deux cents employés du restaurant.) Une fois, alors que le stock de crevettes baissait dangereusement, Cavalier a sauté dans sa voiture et s’est précipité chez le poissonnier local pour en obtenir davantage. « Sans regarder le prix, j’ai acheté tout ce qu’ils avaient », se souvient-il. « Les convives ont eu de la chance ce jour-là. »

L’atmosphère aux Grands Buffets est calme et même respectueuse. Pourtant, les stratagèmes abondent. J’ai vu une famille multigénérationnelle réunie autour d’une table remplie d’assiettes contenant chacune un seul aliment : rillettes, saucisson, pâté en croûte, œufs mimosa, crudités bio. Leurs postures étaient détendues et la conversation était fluide, tout comme le champagne à vingt-cinq euros. Je me suis rendu compte qu’ils avaient décidé de mettre en place un apéro – l’équivalent français de l’apéro, sauf qu’il dure souvent beaucoup plus longtemps – comme ils l’auraient fait à la maison. De temps en temps, quelqu’un mettait une tomate cerise dans la bouche.

Cavalier m’a fait visiter le rez-de-chaussée. Ce matin-là, les membres du personnel avaient préparé chaque poste selon les spécifications énoncées sur des pages plastifiées dans un cartable. « Évidemment, la notion est subjective, mais tout doit avoir l’air appétissant », a déclaré Cavalier. Il ajusta la pince d’un crabe : « Elles sont toutes censées pointer dans la même direction. » La salle de fromage dégageait une odeur de basse-cour, mais cela n’était pas dérangeant. « Certains clients qui n’aiment pas le fromage se plaignent qu’il pue, mais nous en sommes propriétaires », a-t-il déclaré. (Un nouveau système de ventilation a apparemment aidé.)

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M. Cavalier remarqua avec satisfaction que de nombreux clients suivaient la séquence classique des hors-d’œuvre, du poisson, de la viande, de la salade, du fromage et du dessert. Certains pensent qu’il y a une corrélation entre le prix et le gâchis : plus le buffet est bon marché, plus les clients empilent leurs assiettes. Si Shoney’s inspire des gratte-ciel vacillants de pain de viande et de rondelles d’oignon, Les Grands Buffets encouragent l’horizontalité, avec des cailles farcies et des poireaux vinaigrettes et des babas au rhum qui s’étirent soigneusement au loin, une banlieue sans fin d’assiettes.

Il n’y a qu’une seule règle aux Grands Buffets : aux gares où les convives passent des commandes au lieu de se servir eux-mêmes, ils ne peuvent prendre qu’un seul plat à la fois. Cela crée un obstacle mineur aux aliments de marque tout en garantissant que les clients peuvent l’obtenir chaud. À la rôtissoire, une courte file s’était formée devant une élégante cuisine ouverte, où des cuisiniers en toques s’affairaient, brandissant des casseroles en cuivre. Pour Privat, le restaurant est l’apanage non seulement de plats difficiles à trouver, mais aussi de métiers en voie de disparition : rôtisseurécaillersaucier. Une pancarte portait une liste de vingt-six spécialités que les clients pouvaient faire préparer devant eux. Un homme s’est approché du comptoir et a commandé une omelette aux cèpes.

Les ordres étaient donnés par micro. « Oui, chef ! » les sous-fifres appelés. (Privat les avait avertis lors d’une réunion du personnel ce matin-là que seuls « oui » ou « ouais » ne suffiraient pas.) Le client l’attendait avec un billet, qu’il échangeait contre le plat une fois qu’il apparaissait. Les assiettes s’enchaînent : des os à moelle, des tournedos Rossini, de l’andouillette sauce moutarde, un turbot entier rôti. À l’arrière de la cuisine, un cuisinier se tenait debout sur une plate-forme surélevée, arrosant un cochon de lait.

Les historiens de l’alimentation font remonter les origines du buffet moderne au XVIIe siècle, lorsque Louis XIV recevait lors d’impromptus et de soirées d’appartement, ses serviteurs habillant rapidement les tables avec des torches d’argent, des pyramides de fleurs et des paniers en filigrane remplis d’oranges, de citrons et de fruits confits. Cette habitude aristocratique a finalement été codifiée sous le nom de service à la française, qui se distingue par la pratique de mettre plusieurs plats sur la table à la fois. « Le buffet, historiquement, c’est chic », déclarait récemment Madame Figaro, dans un article sur la résurgence des restaurants à volonté.

Les premiers buffets commerciaux sont probablement apparus dans les maisons de jeux et les bals payants. Au XIXe siècle, les Parisiens fréquentent les buffets comme celui du 10 boulevard Montmartre, proposant un choix de plats à soixante centimes, soixante-quinze centimes et un franc. « Pas de table, pas d’ustensiles, pas de garçon », a noté un journaliste. « Certaines personnes parlent de ces lieux comme du premier fast-food en France », a déclaré Loïc Bienassis, de l’Institut européen d’histoire de la culture et de l’alimentation. « C’est discutable, mais il est certain qu’ils étaient destinés aux mangeurs pressés. »

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Avec l’avènement du chemin de fer, les buffets se sont largement répandus en France. Ils étaient particulièrement adaptés aux gares, où les voyageurs affamés allaient et venaient tout au long de la journée. Avec l’accélération du rythme des voyages, ces « buffets de gare » ont souffert. En 1955, Le Monde rapportait qu’il n’en restait plus qu’environ quatre cents. Pourtant, à la même époque, les buffets remportent un franc succès dans les destinations de vacances tout compris comme le Club Med. La génération qui avait survécu à la Seconde Guerre mondiale « savait ce que c’était que de manquer », a déclaré Kilien Stengel, de l’université de Tours, à Madame Figaro. Bienassis voit dans les buffets la manifestation gastronomique de la prospérité économique de l’après-guerre, reflétant « une société qui ne mesurait plus, qui avait cessé de compter, qui croyait en une croissance infinie ».

Les Suédois ont popularisé le buffet en Amérique avec un smorgasbord tournant à l’exposition universelle de 1939. Au milieu des années quarante, l’hôtel El Rancho a ouvert le premier buffet à volonté de Las Vegas, attirant les joueurs en quête de bonnes affaires dans le « chuck wagon » du Buckaroo Buffet. Le concept a fait des émules et Sin City est devenue le berceau historique d’une forme exubérante de gloutonnerie. « Le Sud a le poulet frit, le Texas a le barbecue, Chicago a les hot-dogs, New York a la pizza et Las Vegas les a tous », écrit C. Moon Reed, du Las Vegas Weekly. « En d’autres termes, notre cuisine régionale est le buffet ».

J’aime les buffets depuis l’enfance – si mon père travaillait tard, ma mère nous emmenait parfois dans une chaîne de « steak house » appelée Quincy’s. On y servait peut-être des faux-filets et des filets, mais je ne les ai jamais vus, me contentant plutôt de petits pains au levain et de crème glacée provenant d’une machine à glace. Qu’ils soient vulgaires ou répugnants, les buffets suscitent un sentiment d’espoir, presque juvénile. Comme dans une chasse au trésor, on éprouve de la satisfaction à cocher des choses sur sa liste. Comme dans un vide-grenier, on ne sait jamais quel trésor on va trouver, niché au milieu du bric-à-brac.

L’abondance de l’un est la démesure de l’autre. Dès le premier siècle, Pétrone satirisait les excès culinaires des riches Romains, imaginant un banquet au cours duquel des esclaves coupaient les ongles des invités et le ventre d’un cochon éviscéré dégorgeait de saucisses et de puddings. Dans le film « La Grande Bouffe » de 1973, un groupe d’amis se retire dans une villa et s’empiffre de viandes, de sucreries et de la décadence d’une société de consommation dans laquelle tout le monde doit avoir tout en même temps.

Le Covid était censé tuer les buffets, qui ont longtemps été associés dans l’imaginaire public à une hygiène douteuse. La peur est parfois justifiée : une étude de 1987 sur les clients des restaurants en libre-service a observé près d’une douzaine de « comportements problématiques » dans les seuls bars à salades, rapportant que « se lécher les doigts a été noté 45 fois et le plus souvent associé aux vinaigrettes ». Aux Grands Buffets, la plupart des offres froides sont présentées sur des dalles réfrigérées spécialement conçues, et M. Cavalier m’a dit que le restaurant travaille avec un laboratoire indépendant pour développer ses protocoles d’hygiène. « S’ils nous disent que quelque chose dure cinq jours, alors nous lui en donnons deux », a-t-il déclaré. « L’idée, comme vous pouvez le comprendre, c’est de ne jamais prendre de risque. »

Selon IBISWorld, une société d’études de marché, plusieurs chaînes de milieu de gamme ont fermé leurs portes en 2020 et 2021. Mais les buffets économiques et haut de gamme se sont partiellement rétablis depuis la pandémie, aidés par l’inflation, les médias sociaux et le désir refoulé de s’amuser en commun. « Nous sommes les enfants du retour », a déclaré le PDG de Golden Corral au Times. Le Bacchanal Buffet du Caesars Palace facture jusqu’à 84,99 $ la tête pour une tartinade ahurissante (congee philippin, gaufres de velours rouge, bar à omelettes, tacos birria). À College Point, New York, le Buffet a récemment enrichi son offre pan-asiatique (sushi, hibachi, dim sum, teppanyaki) d’une expérience de churrasco brésilien.

En France, les buffets élaborés mettant en vedette des attractions telles que les étangs de carpes koï et le karaoké sont récemment devenus populaires. Selon Le Monde, environ soixante-dix pour cent sont dirigés par des personnes d’origine chinoise, dont beaucoup ont des racines à Wenzhou. « Élément essentiel de la civilisation périurbaine, avec ses lotissements et ses entrepôts, les maxibuffets, pour la plupart halal, attirent une classe moyenne qui veut goûter chic sans vider son porte-monnaie », note l’article. Les Grands Buffets s’efforcent de se démarquer de leurs pairs où tout est permis, en se qualifiant, par exemple, de buffet « mange ce que tu veux » plutôt que de buffet « à volonté ».

À un moment donné, Privat s’est plaint qu’un certain restaurant de Hong Kong avait plagié son concept. Je suis allé sur son site Web et je n’étais pas trop convaincue. D’une part, l’endroit sert de l’ormeau et des currys. Pourtant, le succès des Grands Buffets a fait des émules ailleurs en France. Les clients d’un restaurant du sud-ouest, par exemple, peuvent visiter un ensemble de stations d’apparence familière, jusqu’à une rôtissoire avec une plate-forme surélevée pour arroser les viandes.

Le soir, j’ai dîné avec Privat dans le Salon Doré Jean de la Fontaine nouvellement construit. Il est décoré dans un style néoclassique et rend hommage au fabuliste du XVIIe siècle, immortalisé dans une série de peintures murales mettant en vedette ses renards rusés et ses corbeaux sans méfiance. « Je voulais rouvrir de manière flamboyante après la pandémie », a expliqué M. Privat. Il regarda autour de lui dans la salle à manger. À sa grande satisfaction, de nombreuses personnes étaient habillées pour l’occasion. Il y avait plusieurs femmes portant des paillettes. Un bambin suçait une sucette attachée à sa chemise avec une chaîne en or.

Privat est né à Narbonne. Son père était médecin, avec une clinique florissante, que sa mère aidait à diriger. Ils espéraient que Privat travaillerait un jour à la clinique. Il a préféré se lancer dans la comédie et rejoint une troupe de théâtre à Toulouse. Plus tard, il a étudié le commerce international et est devenu expert-comptable. Dans la trentaine, Privat et sa future épouse, Jane, ont repris un restaurant poussiéreux en bord de mer près de Narbonne. (Jane est maintenant directrice des achats chez Les Grands Buffets.) Ils ont tout rénové dans un schéma bleu et blanc et ont remplacé les aliments surgelés et les sauces en conserve par du poisson frais local. Le restaurant est un succès, mais les Privat ont alors deux enfants, et ses rythmes saisonniers se heurtent à leur désir d’une vie de famille paisible.

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En 1989, Narbonne était à la recherche d’une personne pour s’occuper de la restauration dans le nouveau centre de loisirs. Les Privat ont décidé de faire une offre. « À l’époque, surtout en province, aller au restaurant n’était guère l’habitude qu’elle est aujourd’hui », se souvient un jour Louis Privat. Il savait que pour prospérer, ils devraient attirer des gens bien au-delà de la ville. Il a donc décidé d’offrir quelque chose de nouveau : une cafétéria à volonté. Petit à petit, il rehausse le menu et écarte le décor. Le concept hyper-français n’a émergé que progressivement, une identité de marque autant qu’une conviction patriotique. « Nous avons mangé des sushis », a avoué Cavalier, à propos des premiers jours, pendant notre visite.

Privat peut se présenter comme un réactionnaire, valorisant une culture nationale qui n’a probablement jamais été aussi homogène qu’il aimerait le croire. Mais sa politique est moins prévisible que son fétichisme de la tarte-Tatin et ses conférences sur les mœurs pourraient laisser croire. Les Grands Buffets proposent des prêts sans intérêt pour aider les employés à rembourser leurs dettes, et les travailleurs participent à un accord d’intéressement. En 2022, Privat a fait la une des journaux dans tout le pays pour avoir augmenté les prix des buffets afin d’augmenter les revenus des employés d’environ trente pour cent en moyenne. Et, malgré tous leurs discours sur la tradition française, Privat s’abstient de boire de l’alcool et Cavalier mange de la viande au travail mais « pas dans ma vie privée », pour des raisons éthiques. Au fil des ans, des dizaines d’investisseurs ont tenté de persuader Privat d’étendre Les Grands Buffets à d’autres endroits. Il a refusé, parce qu’il considère que la simple poursuite du profit est inutile, et que l’idée de produire des imitations l’ennuie. « Utiliser Les Grands Buffets comme A.T.M. ne m’intéresse pas du tout », a-t-il dit, en piochant du saumon fumé.

Depuis plusieurs années, Privat menace de quitter Narbonne, affirmant que ses propriétaires publics n’entretiennent pas correctement les installations. En 2023, il accélère cette campagne en organisant des auditions publiques pour un nouveau site. Le Parisien a rapporté : « La saga juteuse du déménagement de cette institution culinaire a mis en haleine un million d’amateurs de cuisine française sur les réseaux sociaux des deux côtés des Pyrénées. » Alors que Privat lançait des ultimatums théâtraux, les responsables locaux se sont mis en mode séduction. Un candidat aux élections législatives a même fait du maintien des Grands Buffets une partie de son programme.

« Je partage tout à fait la vision de M. Privat de pouvoir continuer à se développer et à innover », m’a confié Bertrand Malquier, le maire de la ville. « Nous nous battons pour que, lorsqu’il fera son choix, ce soit exclusivement Narbonne. » La semaine dernière, Narbonne et Privat ont annoncé qu’ils étaient parvenus à un accord : Narbonne s’engagerait à consacrer quinze millions d’euros à la rénovation du centre de loisirs, en créant une entrée séparée pour Les Grands Buffets, tandis que Privat engagerait près de cinq millions d’euros pour la création de nouvelles attractions, dont un salon de thé séparé et une boutique de produits régionaux. avec un objectif commun d’augmenter le nombre annuel de visiteurs à huit cent mille. Tous les Narbonnais, m’a dit Malquier avec tendresse, sont allés aux Grands Buffets au moins une fois. En fait, sa famille venait d’y fêter le onzième anniversaire de son fils. Malquier avait découvert un nouveau fromage délicieux. C’était en fait d’Angleterre – Stilton, il croyait que ça s’appelait ?

Récemment, j’écoutais « On Va Déguster », une émission de radio française populaire, lorsque l’animateur a mentionné BOULOM, un buffet à volonté dans le XVIIIe arrondissement de Paris qui, selon l’émission, « refusait des centaines de personnes par week-end ». BOULOM est l’entreprise de Julien Duboué, chef de formation classique (il a travaillé au George V et avec Daniel Boulud), et a recueilli des critiques fantastiques dans des publications telles que Le Figaro, qui a félicité Duboué pour sa décision « de prêter ses lettres de noblesse au buffet à volonté, un exercice de style régulièrement massacré dans les établissements qui le pratiquent ».

Un ami et moi sommes allés au restaurant pour le déjeuner le mardi suivant. Nous sommes entrés par une boulangerie parfaite, nous faufilant entre des étagères remplies de pains et de pâtisseries rafraîchissants, et nous sommes sortis dans une arrière-salle remplie de clients, comme si nous avions traversé une armoire magique. BOULOM facture entre trente-deux et cinquante-huit euros par personne, en fonction du repas et du jour de la semaine. Une pancarte avertit que deux euros seront ajoutés à la facture pour cent grammes de déchets, mais une employée à qui j’ai parlé m’a dit qu’elle ne l’avait jamais vu appliqué. L’idée est plutôt de créer un effet dissuasif, en ramenant à la raison les chargeurs de plaques trop zélés.

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L’endroit est censé ressembler à une auberge de village d’antan, où des plats simples, préparés avec amour, sont laissés à mijoter sur la cuisinière tout au long de la journée, offrant de la nourriture à tous les arrivants. En semaine, la carte comprend des viandes rôties, une douzaine de desserts et des ingrédients de marque comme les huîtres de Joël Dupuch et la charcuterie d’Eric Ospital. J’ai adoré le maquereau grillé, et mon ami a dévoré ce qui équivalait à une pizza personnelle à la crème brûlée, vidant presque le plat en trois fois. Pourtant, cela ressemblait à un repas normal. Les fruits de mer occupaient quelques bols en métal, pas une tour. Je n’ai mangé ni plus ni moins que d’habitude, je n’ai pas pris de risques, je n’ai pas tout enrobé de fraises, je n’ai pas commandé d’omelettes, je n’ai pas fait d’erreurs. Les Grands Buffets me manquaient. L’intérêt de tous ces excès pourrait en fait être une sorte de rareté : une expérience si folle qu’elle est extrêmement rare.

Avant de quitter Narbonne, je suis revenue pour un dernier repas aux Grands Buffets. À midi précise, j’ai déposé mes affaires à une table pour une personne dans la salle de la tente et je suis allée remplir ma première assiette. J’ai commencé avec le caviar (techniquement, c’est juste des « œufs de poisson »), simplement par gourmandise. Ensuite, j’ai ajouté des moules farcies, parce que quelqu’un les avait recommandées ; quelques poireaux mimosa, pour la santé ; du jambon serrano, car Les Grands Buffets vous permettent d’enfiler un gant en métal et de raser vous-même votre morceau de jambe. Dans la salle des fromages, j’ai appuyé sur un bouton et une trancheuse automatisée a produit une vadrouille de Tête de Moine. Maintenant, je m’amusais. Les buffets sont la version culinaire de votre mariage ou d’un grand anniversaire – un tas d’aliments qui ne vont pas ensemble dans le même espace, s’entendant d’une manière ou d’une autre.

Je me tenais près de la rôtissoire quand, soudain, un interphone de type « Bienvenue, acheteurs » s’est activé. « Mesdames et messieurs, voici le rituel du canard au sang, tel qu’il a été conçu au XIXe siècle », entonna une voix masculine suave. « Le canard a été rôti à la broche. Il est maintenant placé sur la table du maître canardier. Avec la presse à canard en argent, il écrasera la carcasse pour en extraire le sang et les jus, ce qui donne à la sauce sa saveur unique ».

Je me suis retournée et j’ai vu une employée en tablier noir émerger des coulisses, portant un oiseau empalé comme s’il s’agissait de la torche olympique. Des flammes jaillissaient d’une tasse au fond de la broche. Elle se dirigea vers la table, où elle fut rejointe par le canardier. « Découvrez le canard au sang, le plat emblématique de la gastronomie française », poursuit la voix. « Les Grands Buffets est le seul restaurant en France à proposer cette recette historique tous les jours. » Les accords triomphants de « La chevauchée des Walkyries » ont rempli la pièce lorsque le canardier a soulevé le canard de la broche avec deux fourchettes, soulevant la carcasse jusqu’aux dieux. ♦

Une version antérieure de cet article indiquait de manière erronée la taille d’une majoration standard d’un restaurant.Publié dans l’édition imprimée du numéro du 8 avril 2024, sous le titre « Feast Mode ».

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Lauren Collins est rédactrice au New Yorker depuis 2008. Elle est l’auteure de « Quand on le fait en Français : l’amour dans une deuxième langue ».

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