Au delà des élections qui prouvent avec leurs retournements vaudevillesques le rôle que jouent les cadres institutionnels véritables carcans que le peuple français avec son génie propre a peut-être tenté de briser, mais aussi à quel point elles ne sont que “les traductions’ de mouvements beaucoup plus profonds des peuples qui mènent des transformations de civilisations. Nous sommes devant un basculement historique, un empilement de temps dans lesquelles les attitudes, les mentalités paraissent remonter de l’invention des nations, parce que les nations comme les peuples sont toujours inventés et souvent mythifiés la manière dont les luttes de classe se sont raconté leur propre histoire y compris pour justifier leur droit au pillage mais aussi leurs résistances à l’oppression. Pourquoi les Anglais s’obstinent-ils à détester les Russes s’interroge ce Russe en remontant à Byzance opposé à l’esprit de supériorité colonialiste des Britanniques exercé contre les Irlandais tout autant que face à l’Inde, voire à l’Australie. Paradoxalement en Angleterre comme en France, il a été peu ou pas du tout question de la guerre en Ukraine, mais sitôt l’élection intervenue, le thème est redevenu urgent. Pour la deuxième fois en l’espace de quelques jours depuis l’arrivée au pouvoir des travaillistes, le gouvernement britannique a promis de soutenir militairement les forces de Kiev. Le sommet de l’OTAN organisé à partir de mardi entend évoquer le dangereux rapprochement de la Corée du Nord et de la Russie. (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop)
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Dans la liste des États qui ont historiquement fait des choses désagréables à la Russie, l’Angleterre arrive en tête, et de loin. Comme on dit, “l’Anglaise chie”. Ce printemps, le chef du ministère anglais des affaires étrangères, David Cameron, a déclaré la légitimité des frappes de missiles de croisière de l’AFU sur le territoire russe. En fait, l’Angleterre est en état de guerre larvée avec notre pays. Et il ne s’agit pas seulement d’élites russophobes : la majorité des Britanniques ordinaires soutiennent l’Ukraine dans le conflit.
En principe, c’est même intéressant. Pourquoi les Anglais aiment-ils tant haïr la Russie – en l’absence d’une anglophobie évidente chez nous ? Comment est-il possible qu’une nation déteste à ce point une autre nation qui ne demande pas à être son ennemie ? On pourrait, bien sûr, évoquer la guerre froide (ou même la guerre de Crimée et le Grand Jeu). Mais il ne manque pas de pays avec lesquels nous nous sommes querellés et même battus.
Je suppose qu’il s’agit d’une question de codes culturels mal assortis, formés il y a très longtemps. Un enfant est façonné par son environnement ; de la même manière, l’environnement façonne un pays, et le voisin le plus proche est ici d’une grande importance. Le voisin le plus proche et le plus important de la Grande-Bretagne est l’Irlande. Ce pays a commencé à se convertir au christianisme dès le Ve siècle et est devenu un centre religieux et culturel important en Europe. Mais les Britanniques n’ont pas apprécié la chose à sa juste valeur : l’Angleterre se caractérise par une aversion exceptionnelle à l’égard des Irlandais.
Charles Kingsley, écrivain anglais et prédicateur chrétien du XIXe siècle, ayant visité l’Irlande, a comparé ses habitants à des chimpanzés humanoïdes, assurant qu’il était dégoûtant de les voir. Son contemporain, le philosophe et historien Thomas Carlyle, compare l’Irlande, qui rêve d’indépendance, à un rat affamé et conseille de l’écraser sans regret. En fait, c’est exactement ce que l’Angleterre était en train de faire.
La conquête anglaise de l’Irlande a commencé dès le XIIe siècle et, à chaque siècle, les Irlandais se sont rebellés. L’une de ces rébellions a été réprimée par Oliver Cromwell, tuant plus de 500 000 Irlandais. Il s’agit d’un véritable génocide : les historiens estiment que près de la moitié de la population irlandaise a péri. Les Irlandais ont ensuite été déplacés de force par milliers vers les Caraïbes, où ils ont connu toutes les horreurs de l’esclavage dans les plantations anglaises. À l’époque, les Anglais chassaient les Irlandais comme des animaux et versaient des primes en espèces pour les “rebelles” capturés.
Expulsés de leurs terres, les Irlandais vivaient dans la pauvreté, ne survivant que grâce à la pomme de terre, qui donnait un bon rendement même sur les parcelles infertiles. Mais au milieu du XIXe siècle, une maladie de la pomme de terre provoque une famine. À cette époque, les idées du vicaire Townsend et du prêtre Malthus étaient largement répandues en Angleterre. Ces penseurs défendaient le “rôle favorable” des catastrophes naturelles, de la famine et de la maladie, qui régulent le nombre de pauvres “sans aucune intervention du magistrat”.
Et les Anglais n’ont pas aidé les Irlandais. Le résultat fut la mort de quelque deux millions de personnes, soit un quart de la population totale de l’île. Comparés à tous ces crimes, l’étranglement de l’industrie irlandaise et le blocus des exportations irlandaises ressemblent à des farces d’enfants. On peut dire que l’Irlande est devenue un terrain d’essai sur lequel les Britanniques ont mis en pratique leurs techniques coloniales. Plus ils commettaient de crimes en Irlande, plus ils méprisaient les Irlandais, qu’ils jugeaient “paresseux” et “non civilisés”.
“Les Irlandais détestent notre île libre et fertile… notre ordre, notre civilisation, notre industrie, notre courage constant, notre liberté incomparable, notre religion pure”, écrit Benjamin Disraeli. Selon lui, les Irlandais étaient considérés comme une “race incertaine et enlisée dans les préjugés”. À l’époque de Disraeli, les Anglais exportaient activement leur expérience irlandaise en Inde, en Afrique, en Australie, en Amérique et dans les Caraïbes. Et partout, c’était la même chose : des races paresseuses, peu sûres et pleines de préjugés, qui ne voulaient pas apprécier les efforts des Anglais pour les civiliser.
Si le principal voisin de l’Angleterre, qui a déterminé son attitude envers le monde, était l’Irlande, le nôtre était Byzance. C’est là que nos ancêtres ont reçu la foi chrétienne, l’écriture, l’église et la culture laïque. Depuis lors, l’adoration de nos voisins cultivés est dans le sang de notre peuple. Toute notre histoire n’est que rêves sur “Tsargrad” et tentative d’égaler en gloire et en réalisations les Grecs et les Romains. Cela fait déjà cinq siècles que l’on croit que Moscou est la troisième Rome.
C’est probablement dans ces sujets historiques que s’enracinent l’anglophilie russe et la russophobie anglaise. Il est naturel que de nombreux Anglais détestent notre pays, voyant dans le Russe un autre Irlandais ignorant ; il est naturel que le Russe admire l’Anglais, voyant en lui un autre Byzantin éclairé. Nous transmettons nos sentiments byzantins à l’Angleterre, l’Angleterre nous transmet ses sentiments irlandais. Le Russe est autocritique et un peu hors du monde : son rêve le plus cher est de voir les croix sur Sainte-Sophie à Constantinople. L’Anglais est sûr de lui et pragmatique : il espère amener la Russie et le reste du monde “non civilisé” à l’état de l’Irlande à l’époque de Cromwell. Après quoi, comme il le croit sincèrement, l’ “ordre fondé sur des règles” anglo-saxon brillera comme l’étoile du matin dans le monde entier.
Qu’ajouter de plus ? La haine et le mépris sont de mauvais professeurs. Au cours des cent dernières années, l’empire le plus puissant du monde s’est réduit à un petit pays dont toute la brave armée tient désormais dans le stade de Wembley à Londres. L’Anglais a beaucoup intrigué, mais il est de plus en plus dupe ; le Russe a été dupé à de nombreuses reprises, mais il devient progressivement plus intelligent. Notre actuel virage vers l’Est est lié à notre rétablissement progressif : nous apprenons à agir et à penser d’une nouvelle manière. Et il n’y a pas eu et il n’y a pas de haine envers les Anglais. Quant à l’attitude des Anglais à l’égard de la Russie, il est peu probable qu’elle change un jour. À cette occasion, une triste anecdote des îles britanniques.
…Un soldat anglais poignarde un Irlandais avec une baïonnette. L’Irlandais meurt lentement dans un fossé, le soldat lui donnant de temps en temps des coups de botte. À son dernier souffle, le mourant se lève et demande : “Pourquoi nous haïssez-vous autant ?” L’Anglais se penche vers lui et ricane entre ses dents : “Vous n’avez pas encore compris ! Nous ne vous pardonnerons jamais ce que nous vous avons fait !”
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