Il me semble que l’on ne peut que partager totalement l’intérêt des communications qui ont été publiées ici en particulier celles de Jean-Claude Delaunnay, Franck Marsal et Xuan, et mesurer que leur argumentation est précieuse mais, comme je vous l’ai dit dès le départ, le temps ne permet pas d’être entendu. Ce temps est comparable à celui d’un film de série noire : l’ultime razzia, la mécanique implacable du destin de classe, un holdup dans un champ de course qui a toute chance de finir en tragédie… Et c’est voulu : la dissolution “précoce”, n’est pas qu’un caprice narcissique de l’invraisemblable Macron, il dit comme le match présidentiel aux USA et dans à peu près tous les scrutins, l’épuisement d’un mode de régulation “démocratique” qui a été celui inauguré en Europe porté à son apothéose par la Révolution française mais se décomposant lentement avec la “dictature de la bourgeoisie”… Et n’étant plus aujourd’hui que des tactiques à courte vue pour nous maintenir dans l’aliénation de campagnes électorales sous pression médiatique du grand capital. Toutes les réponses apportées, toutes les “combinaisons” visent clairement à sauver les meubles d’un parlement et de parlementaires impuissants et sont, en fait, compatibles avec l’atlantisme et les marchands d’armes, avec des nuances qui vont être exacerbées sous forme d’invectives et d’empoignades dont on peut craindre que le 7 juillet elles débouchent sur des violences populaires sans la moindre issue politique.
illustration : The killing (ultime razzia) de Stanley Kubrick, comme souvent je suis hantée par un film. celui-ci décrit un holdup sur un hippodrome. Le héros sort de prison et monte un coup parfait avec de nombreux complices, tous des pros ; un holdup sur un hippodrome un jour de grand prix, le mécanisme parait huilé le timing est parfait. Tout le film ne tient que sur la maîtrise du temps et les héros portent des masques de clowns. Cet ultime cambriolage est la seule manière croient-ils de vaincre le destin et d’accéder à autre chose qu’à une vie pourrie, bien sûr le drame débouche sur la fatalité de la tragédie dans sa dimension de classe à cause de l’indiscrétion et de la cupidité de la petite amie d’un seul des protagonistes. Une ambiance qui par bien des aspects est la même en moins onirique que celle de la dame de Shanghaï.
Ce qui sortira de ce remue-ménage apparent de la folle dissolution, ou du moins ce qui en remonte à la surface, ne peut être “toléré” que s’il maintient une situation en l’état, c’est-à-dire s’il correspond au double fer au feu de l’impérialisme à son stade monopoliste financiarisé : 1) le fascisme auquel se rallie une droite à la dérive 2) ou une social démocratie hollando-glucksmanienne à laquelle se rallieront toutes les autres forces de gauche devant le péril. Et l’impossibilité de dire bonnet blanc et blanc bonnet parce que nul ne pardonnera à ceux qui n’auront pas accompagné une volonté de lutter…
On peut toujours, comme c’est mon cas, considérer que non seulement il y a le moins pire de ce choix faussement alternatif, et aussi que ce choix sans aucune issue immédiate peut préserver ce qui a commencé à naître et qu’il faut amplifier.
Mais dans tous les cas il ne faut pas mentir de ce qui est attendu, c’est qui a été choisi ici mais avec esprit de responsabilité.
Nous sommes entrés dans une logique électorale “d’urgence”, une urgence fictive montée de toutes pièces mais à laquelle il est difficile d’échapper. La politique c’est l’articulation des temps… et celui-ci a sa logique dût-elle friser le délire perceptible par tous les commentateurs internationaux.
Bien sûr que la folie prend l’allure révélatrice de la lutte des places et crée des “écuries” qui sur le champ de course électoral qui masque un holdup sur la caisse de l’hippodrome, ne font que porter au pinacle tout ce qui a conduit à la situation dans laquelle nous sommes.
L’aspect vaudeville des ruptures et des réconciliations est le produit non pas seulement de l’écrasement du jeu par le score du Rassemblement national mais d’un temps beaucoup plus long… Ce temps doit être relié à la contrerévolution dite néolibérale reaganienne qui a présenté en France la particularité d’être menée par un président socialiste – flanqué un temps de ministres communistes – et qui a joué la tactique de faire monter l’extrême droite pour bloquer le jeu politique. Il a utilisé l’UE mais aussi et surtout cette constitution qu’il avait défini comme le “coup d’Etat permanent”, en affaiblissant sciemment dans le même temps le PCF et en le privant de tout accès à l’international. Et ce y compris quand a surgi une véritable alternative à “la fin de l’histoire” à travers ce monde multipolaire et l’aggravation des défis financiers, économiques, sociaux, environnementaux…
C’est donc un temps très long de contrerévolution menée par la gauche et repris en alternance par la droite qui a rencontré des résistances populaires sans traduction politique dans lequel nous sommes pris.
Non seulement nous subissons les conséquences de ce temps, celui dans lequel a vécu la grande majorité de l’électorat mais également dans son prolongement les municipales. Apparemment les arguments de fond, ceux qui tracent de fait le destin réel de notre pays, de la planète ne seront pas entendus, alors qu’au delà de notre microcosme chauffé à blanc poursuit dans le dérisoire. Mais nous devons aussi mesurer combien ce dérisoire a toujours été au centre de pseudos avancées du 38e ou du 39e congrès, les arguments contre les personnes prenant le pas sur l’analyse politique, les injures, les insultes ont leur traduction dans ces réconciliations de dernière minute.
Je reprends simplement un dernier commentaire de Franck Marsal :
Merci Jean Claude. Tout à fait d’accord avec toi.
Je ne sais pas trop dire concernant l’accueil du texte. Plusieurs camarades m’ont signalé leur intérêt et souscris, certains ont soutenu l’argumentation mais la discussion a beaucoup tourné en général sur l’urgence concrète, les négociations … La large majorité du CD m’a semblé globalement en phase avec l’orientation choisie par le parti.
Le déclenchement d’un tel événement politique a un effet de choc psychologique collectif, renforcé par le sentiment d’urgence (il faut respecter des délais extrêmement court pour déposer les candidatures, les documents, trouver un mandataire financier … ). Cela empêche ou rend très difficile l’exercice d’une réflexion large. C’est à mon avis voulu. Et cela pèse aussi sur nous tous. Donc, le Front Populaire, c’est rassurant, les accords de gauche, on sait globalement le faire. On met la tête dans le guidon et on pédale …
C’est exactement le constat que j’ai fait dès le départ et qui m’a fait choisir d’accompagner de mon vote, une fois de plus, cette activité fébrile qui sur le fond ne règle rien. Cela m’est facile, voici trente ans au minimum que cela dure et que je vote communiste en sachant exactement ce que signifie ce vote, trente ans que je subis y compris la haine de ceux qui ont la tête dans le guidon et qu’avec l’aide de Marianne et d’un nombre grandissant de camarades je tente dans la solidarité de ce sauve-qui-peut à répétition de faire entendre une analyse sur le basculement du monde alors ma capacité d’indignation sur le caractère de leurre que nous entretenons s’est un peu émoussée. Surtout quand les trois quarts du temps les contestataires ne présentent qu’une radicalité de surface et ne craignent pas de détruire le PCF pour renforcer la social démocratie “radicalisée” qu’a toujours été Mélenchon et la FI. Les haines groupusculaires sont de même nature que les insultes et injures personnelles des défenseurs du parti communiste issus du 39e congrès.
Ce que nous tentons ici dans histoire et société est d’une autre nature et il faut continuer, nous avons deux atouts qui hélas ne correspondent à aucune amélioration de la situation, la baudruche de cette élection va être confrontée à la réalité de la crise avec ses dimensions spécifiques en France et à la situation internationale… L’autre atout c’est la révélation de ce qu’est ce système politique, personne même s’il se réfugie dans le couloir de son “écurie” comme le veut une campagne électorale ne l’oubliera et en particulier se renforcera l’idée de la nécessité d’une politique qui sera enfin ancrée dans non pas les idéologies “populistes”, l’art et la manière de céder aux passions attisées ou aux ancrages réactionnaires, individualistes, mais dans l’organisation des coopérations sur les besoins de couches populaires en souffrance.
Enfin, il y a le grand absent : la guerre et qui la provoque ? Ce qui pose clairement la question de l’OTAN, le G7 vient de prendre des mesures qui prouvent à quel point nous allons toujours plus avant vers l’affrontement. Comment peut-on contribuer à une campagne qui feint d’ignorer ce contexte-là ?
Notre blog va continuer mais en étant bien conscient que nous sommes dans une période où notre peuple est pris dans des leurres et n’a plus le temps ni la force de penser autre chose que les box dans lesquels on a parqué les jockeys, leurs casaques et champions… En revanche notre travail de réflexion et d’élucidation doit se poursuivre, il est plus utile que jamais.
Cela dit je vous conseille également de faire comme moi, ne pas se déchirer l’âme devant l’état de notre pays mais de vous détendre, de lire, de profiter de rétrospectives de cinéma (A Aix à l’Institut de l’Image il y a un formidable cycle Orson Wells, une leçon de “résistance”). Nous vous tiendrons au courant de cette actualité-là et de ce qui pousse malgré tout, comme d’ailleurs des nouvelles de ce monde qu’un fait divers celui de ce holdup sur un champ de course nous masque temporairement…
Danielle Bleitrach
PS. excusez cette référence personnelle encore à un texte littéraire, celui du château de Kafka : j’ai attendu une prise de conscience durant tant d’années, j’ai rompu avec tout ce qui pouvait être ma famille ou mon milieu universitaire, les jeux intellectuels et culturels des enfileurs de perles de verre. J’ai seulement conservé le respect de mes proches, l’éloignement silencieux et nécessaire sans jugement et sans crise. Comme j’ai conservé le bonheur des œuvres et les échanges au quotidien dans le théâtre de la rue… Ma vie a été une réussite et la sagesse d’aujourd’hui y contribue, ce choix de ne pas trahir mes engagements m’a débarrassé des compétitions, de l’envie, de la célébrité et je suis libre comme peut l’être Orson Wells, le destin de celui qui a rompu avec ce qui interdisait à son génie de pratiquer le compromis, un héros à la London, à la Melville… J’ai revu hier la dame de Shanghaï et je me suis sentie syncro avec Wells l’Irlandais noir, l’agitateur irlandais noir. Si je vous raconte tout ça c’est que je n’ai que peu de temps pour gouter tout cela, j’ai besoin de liberté ; le peu d’utilité je le donne encore mais je suis convaincue que le véritable changement je ne le verrai pas alors inutile d’en demander plus … Tout dépend de ceux qui auront la force d’une intervention plus décisive.
Moi je suis comme le héros de Kafka dans le château qui attend devant une porte et qui meurt en s’étonnant qu’il n’ait jamais vu personne : “Elle n’était que pour toi! ”
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