Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le fascisme dans les années 2020

7 JUIN 2024

Aux Etats-Unis, comme partout dans le monde face à la politique agressive de l’impérialisme et à la montée des mécontentements populaires se multiplient les prises de conscience de la nature actuelle du fascisme… C’est seulement une timide lueur en France avec beaucoup de confusion, avec des aspects sentimentaux qui prennent le dessus sur l’analyse, ce qui peut provoquer un sursaut populaire positif mais qui devrait être travaillé idéologiquement pour ne pas renforcer le véritable adversaire décrit ici. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

PAR RON JACOBSSur FacebookGazouillerRedditMessagerie électronique

En 1976, le philosophe Herbert Marcuse écrivait que « le fascisme américain sera probablement le premier à arriver au pouvoir par des moyens démocratiques et avec un soutien démocratique ». Quelques années plus tôt, dans une série de lettres entre les Black Panthers George Jackson, Angela Davis et l’avocat de Jackson, John Thorne, Jackson écrivait : « Le fascisme était le produit de la lutte des classes. C’est une extension évidente du capitalisme, une forme supérieure de l’ancienne lutte – capitalisme contre socialisme. Je pense que notre incapacité à l’isoler et à le définir clairement peut avoir quelque chose à voir avec notre insistance sur une définition complète – en d’autres termes, la recherche de symptômes exactement identiques d’un pays à l’autre. Nous avons toujours été induits en erreur par les pièges nationalistes du fascisme ». (Du sang dans mon œil)

Le fascisme dans les années 2020

Ces deux déclarations sont fondamentales pour la discussion sur le fascisme contemporain qui est l’essence du récent livre d’Alberto Toscano intitulé Late Fascism. Alors que le monde observe la réélection potentielle de Donald Trump à la Maison Blanche, la guerre génocidaire contre les Palestiniens menée par Israël avec le soutien total des États-Unis et de l’administration Biden, et la popularité continue de nombreux mouvements d’extrême droite dans le monde, la question du fascisme est à la fois pertinente et terriblement actuelle. Malgré cela, il ne semble pas y avoir de compréhension généralisée des manifestations modernes du fascisme ou de la manière de combattre et d’empêcher son pouvoir potentiel, en particulier dans le soi-disant Occident.

Un élément très important, mais souvent ignoré ou rejeté du fascisme, est qu’il est le point culminant d’une certaine direction que le capitalisme peut prendre. C’est une direction qui est directement liée à certaines crises qui sont construites dans le chaos qui définit le capitalisme ; un chaos qui bouleverse les classes ouvrières et celles que Marx appelait la petite bourgeoisie – les petits entrepreneurs, les technocrates et les professionnels – tout en renforçant le pouvoir économique et politique de la classe capitaliste. L’agitation vécue par les deux premières couches mentionnées ci-dessus est telle qu’elle les oblige à des réponses politiques en dehors du choix confortable présenté par le système électoral bourgeois.

Dans l’Europe de l’entre-deux-guerres du XXe siècle, ces choix étaient le communisme et le fascisme. Compte tenu de l’opposition fondamentale du communisme à l’économie et à la politique de la bourgeoisie, le fascisme est devenu la politique de la classe bourgeoise autrefois démocratique. Comme le souligne Toscano, rien ne le rend plus clair que le fait que le fascisme a été invité par le roi et par Hindenburg en Allemagne. En effet, c’est la haine des communistes qui a convaincu Hindenberg de donner la chancellerie à Hitler et aux nazis. C’est aussi cette peur qui a convaincu les classes dirigeantes, leurs banques et leurs entreprises de soutenir cette rétrocession. Ce fait m’a laissé penser que même si Trump perd en 2024, ses partisans forceront la question bien au-delà de la campagne de vote volé de 2020, créant peut-être un compromis par lequel il reviendra à la Maison Blanche pour prévenir des troubles civils majeurs.

Au-delà de l’économie qui conduit les pays capitalistes au fascisme, il y a la race et la politique raciale. Toscano en discute en détail, rappelant au lecteur l’observation de DuBois selon laquelle le fascisme européen au XXe siècle est né dans le colonialisme. Le traitement des Roms, des Juifs et d’autres personnes jugées indésirables par les nazis et (à des degrés différents et avec des objectifs différents) les fascistes italiens avait été affiné au cours de décennies de colonialisme européen en Amérique, en Afrique et en Asie. C’est un trope souvent répété qu’Hitler a reconnu les guerres génocidaires américaines contre les peuples autochtones d’Amérique du Nord qui lui ont fourni le modèle de ce qui est devenu connu sous le nom d’Holocauste. L’œuvre classique de Richard Rubenstein, La ruse de l’histoire, développe cette idée en reliant les camps de travail nazis à l’esclavage américain et brésilien et à sa mécanisation de l’humanité.

Quelques-uns des ajouts les plus intéressants et les plus importants à la discussion en cours sur le fascisme que l’on trouve dans Late Fascism est l’affirmation de Toscano selon laquelle le fascisme n’efface pas complètement la liberté. En effet, Toscano soutient que le fascisme augmente en fait la liberté, non seulement de ceux qui sont au sommet et dans le Parti, mais aussi de ceux dont il représente les intérêts – les suprémacistes blancs (hindous en Inde), la petite bourgeoisie et d’autres qui bénéficient de son assouplissement des réglementations environnementales et du travail mises en place par l’État libéral. Bien sûr, comme toutes les manifestations du capitalisme, les seuls droits incontestés appartiennent à la propriété et à ceux qui la possèdent. La réponse du capital aux défis posés à ce droit fondamental a été au mieux temporaire. Il suffit de regarder l’histoire du Nord global depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale pour le comprendre. La social-démocratie et sa manifestation en tant qu’État-providence ont commencé à être sérieusement démantelées avec l’avènement du néolibéralisme à la fin des années 1970. Le bouleversement social en cours causé par la privatisation et la destruction finale de la plupart des systèmes de soutien gouvernementaux n’a pas seulement causé des inégalités massives, il a pour objectif ultime de réduire le gouvernement à ses rôles essentiels : la guerre et la répression. Compte tenu de cela, un gouvernement fasciste est le moyen idéal de produire un tel système.

Late Fascism jette un regard profond sur le fascisme. Il examine ses contradictions inhérentes et ses diverses manifestations dans le monde moderne. Au lieu d’insister sur une définition qui repose sur un ensemble détaillé de conditions tirées de l’histoire, l’auteur incorpore ces manifestations historiques dans divers mouvements et conditions contemporains dans une tentative vaillante et importante de définir les fascismes actuels et futurs. Le fasciste italien Benito Mussolini a noté un jour que le fascisme est antisocialiste, c’est-à-dire libéral. (57) C’est, je crois, une vérité essentielle non seulement fondamentale pour le texte de Toscano, mais pour toute véritable compréhension du fascisme et de la manière de le combattre.

Ron Jacobs est l’auteur de Daydream Sunset : Sixties Counterculture in the Seventies publié par CounterPunch Books. Il a un nouveau livre, intitulé Nowhere Land : Journeys Through a Broken Nation qui sortira au printemps 2024. Il vit dans le Vermont. Il peut être joint à l’adresse suivante : ronj1955@gmail.com

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6 Commentaires

  • Xuan

    Le scénario Hindenbourg est pertinent, il correspond aux besoins de la grande bourgeoisie. Le RN est OTAN compatible et le 1er ministre n’a pala main sur la politique étrangère.
    D’autre part Macron à déjà usé et abusé du 49.3 comme de la répression violente.
    On s’achemine vers un système comparable à l’opposition Républicains-Democrates.
    A mon sens, non seulement le “front populaire” est un recul par rapport au dernier congrès, mais Bardella / Glucksmann c’est bonnet blanc et blanc bonnet.

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  • Falakia
    Falakia

    L’amnésie , l’irresponsabilité non pas des patrons de certaines chaînes Cnew , LCI mais de celles des Journalistes qui ont contribués également à cette vague RN dans ces élections Européennes.
    Les années obscures 1920 , 1933 vont se répéter avec des femmes , hommes RN en tant que recteur à la tête des Universités et on imagine qui serait exclu des universités et des bibliothèques .

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    • Etoilerouge
      Etoilerouge

      Pour l’instant personne n’est sûr de rien. Macron personne ne peut le blairer et il est sans appuis. Le RN faut pas qu’il se manque et le tout va à la défaite militaire et politique. Il faut aller à l’assaut du ciel

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    • Jugurtha
      Jugurtha

      Amnésie dites-vous ?
      Et celle-ci ! Qui a été le premier président de la commission européenne ?
      Walter Hallstein prof de droit à l’université de Rostoc , il démissionne de son poste adhère au National-Socialisme et s’engage dans la Wermacht pour aller combattre sur le front de l’Est l ‘armée soviétique
      Arrêté en 1944 en Normandie par les Américains , il est extradé aux Etats-Unis , recyclé et renvoyé en Allemagne au service des américains Il servira les intérêts des Allemands et des USA dans la construction de l’Europe
      “” Aux origines du carcan européen (1900-1960 ) la France sous influence allemande et américaine “”
      Annie Lacroix-Riz éditions Delga

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      • etoilerouge
        etoilerouge

        Exact . Tout ceci est le fruit, fruit pourri,de l’évolution consciente comme inconsciente du capital impérialisme en crise. Perte de parts de marché et d’influence dernièrement du fait du développement économique politique et financier des ex états colonisés dont certains,la chine st la locomotive du monde. La chute du taux de profit, voir travaux scientifiques de Marx, et les conséquences, concentrations de groupe, alliances internationales, destruction du niveau de vie des travailleurs ss leurs ordres, invasion de marchés d’abord petits puis attaque de gros poissons, la guerre nécessaire au développement du capital impérialisme pour saigner les travailleurs d’autres nations, la destruction reconstruction de capital que cela entraîne nécessite un état capital impérialiste de dictature jusqu’au terrorisme. Et de guerre permanentes. Que doivent faire les communistes en France?

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  • Falakia
    Falakia

    Réponse à Jurgutha
    Votre exposé est sensé mais j’évoque l’amnésie de certains journalistes de Cnew , LCI de l’histoire et de son sens que vous avez relaté .
    Dans un autre article j’avais cité deux notions ” mécaniste et finaliste ” en disant que dans les mots , le langage de Heidegger , elles sont mécanistes Ça parle mais vide de sens et d’effet donc elle n’est pas finaliste .
    Sur ces élections européennes , Monsieur Macron a dît : ” Si l’extrême droite remporte ces élections les Européens n’auront plus de droit ” .
    Je reviens sur la parole finaliste de Madame Danielle Bleitrach , et dans la clarté de sa méthode féconde qui ne cesse de dénoncer les cadeaux depuis Mitterrand au père , à la fille Le Pen et au Parti RN .
    Et l’exemple que souligne Danielle de l’ancien chef d’État Allemand ” Heindenburg ” qui ce dernier a permis aux Nazis d’accéder au Pouvoir .

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