Hier à partir du “deux poids deux mesures” face à la tartufferie de la politicaillerie, je me suis interrogée sur ce qui m’irritait épidermiquement et sur ce que j’attendais du débat public. Il y a eu ce que nous disait de fondamental le texte de Ziouganov sur le rassemblement antifasciste : à savoir qu’il a besoin des leçons de l’histoire. Mais surtout que la base du rassemblement ne dépend pas des étiquettes idéologiques mais bien de l’entente sur le fait que le fascisme est le produit de l’exploitation capitaliste y compris sous sa forme impérialiste des monopoles financiarisés. Il en ressorti que toute analyse qui s’en prend aux lampistes – comme les “intellectuels”, les enseignants, par exemple – n’est le plus souvent que diversion vulgaire… Celle-ci souvent substitue l’injure à l’analyse comme le fait d’ailleurs le fascisme pour se donner l’illusion d’une radicalité ou faire peuple, en se parant y compris de la défense de la France quand on ressemble de plus en plus aux Etats-Unis.
Quand à aucun moment ne s’impose la recherche de solutions mais ce qui est recherché est l’adhésion et l’identification au “champion” qui est censé porter vos couleurs et est payé somptueusement pour cela comme dans les jeux du cirque…
Il y a l’art et la manière de substituer le spectacle à l’argumentation et au raisonnement et empêcher d’aller à cet essentiel… de savoir quel est le vecteur principal sur lequel on peut et doit s’appuyer pour que toutes les aspirations collectives et individuelles au changement et à l’antifascisme deviennent concrètes pour n’être ni dans la division, ni la marginalisation alors même qu’objectivement la classe dominante capitaliste s’avère dans l’incapacité à autre chose qu’à l’autodestruction. Rarement on a vu classe aussi capricieuse, aussi incapable de feindre même de représenter l’intérêt général, avec un personnel politique réduit à des clowns comparables à Biden et Trump… ou Macron…
A ce titre, nous n’en finissons pas ou nous ne devrions pas finir de reprendre ce qui parait à la fois éternel et qui se situe dans un contexte nouveau et le fait que nous croyons reconnaitre prend sens dans des temps nouveaux qui sont justement ceux d’un capital à un stade inconnu nous oblige à tout repenser. Les raccourcis vers le connu peuvent nous alerter mais en général ils relèvent surtout de nos propres difficultés à affronter la décomposition que le capitalisme à ce stade engendre. Même le fascisme d’hier mérite d’être étudié dans ses modalités inconnues qui sont celles d’un nouveau stade des forces productives, d’une aggravation des contradictions.
Autre constat, tout ce qui nous déstabilise, la question à laquelle nous ne pouvons pas répondre dans l’immédiat doit être approfondie parce qu’elle nous confronte à ce problème, celui de la difficulté pour les révolutionnaires à trouver le levier et le point d’appui sur lequel pourra s’opérer la transformation du monde, et comment en fait nous renforçons ce que nous croyons éliminer. C’est d’ailleurs pour cela que la censure, le consensus obligatoire dans ce qui n’est plus que produit de substitution de la gauche nous démunit, la manière dont pour cela on nous a privés d’histoire avec l’assentiment de cette gauche nous aveugle.
Dans ce type d’effondrement historique, on a tendance à voir en priorité les différences alors qu’elles sont conjoncturelles et les similitudes sont structurelles. Les grands processus économiques à l’œuvre sont un séisme qui déstabilisent toutes les sociétés et sans en avoir conscience on ne peut pas trouver le point d’appui sur lequel le levier du changement pourra avoir quelque force.
On se dit que pourtant l’on connait déjà cela depuis toujours et des images de la décadence y compris romaine s’imposent à nous… Le paradoxe, mais en est-ce bien un, est que c’est que cette référence à cette dépravation supposée à travers laquelle le show de Trump et de tas d’autres prétend rassembler un peuple à bout à qui il dit : regardez ce qu’il font de l’Amérique ces gauchistes corrompus et enrichis, ils vous méprisent et se livrent à tous leurs vices tandis que vous n’avez rien. Nous allons ensemble les chasser parce qu’entre nous il y a de l’amour, cet amour fusion qui nait de notre haine commune contre l’étranger qui détruit notre Amérique vertueuse. On baptise cela le “populisme” alors que c’est la dictature du capital dans son stade ultime, celle qui en fait s’étend comme un épais brouillard sur les “démocraties”, nous interdit de penser l’action, le collectif… le but et les moyens.
J’en parle par ailleurs, et c’est en tentant de comprendre au-delà des analogies, les réflexes quasi épidermiques qui tiennent lieu de pensée commune et qui parfois s’imposent à quelqu’un qui comme moi se considère communiste des réflexes qui vont a contrario de ce que je suis.
Ainsi je me suis interrogée sur l’irritation que m’inspiraient les manifestations “culturelles” comme l”eurovision ou la part que le festival de Cannes accordait aux transgenres… Cette exaspération qui me saisit devant la manière de se dire “révolutionnaire” alors même qu’on a conforté seulement ce que les sociétés occidentales imposent au reste de la planète en provoquant des oppositions conservatrices en cristallisant des formes de régression, devenues signe de “souveraineté” ? ce qui épidermiquement renvoie aussi au fait que je ne peux pas mettre sur le même plan le régime iranien et la Chine, Cuba ou le Vietnam. Je sais aussi à quel point la politique spectacle inculte ignore tout de l’IRAN, de cette immense nation tout à fait capable de régler ses problèmes sans une intervention étrangère y compris mon jugement. Ce n’est pas une question secondaire mais si je la pose en d’autres termes elle renvoie aussi à une dimension de classe, un monde multipolaire est en train de naitre, déjà des petites féodalités tentent d’y imposer leur empire, leur vision de leur propre suprématie en s’appuyant sur un peuple qui reste opprimé tout en refusant l’antique colonialisme, y a-t-il une alternative à ces pôles concurrentiels de potentats locaux à la Modi ou Erdogan? L’émancipation de l’individu comme la paix se trouve déjà confrontée à la question de Rosa Luxembourg, socialisme ou barbarie, tout en ayant pour tache principale la chute de l’empire occidental au nom de tous les peuples et y compris celui que l’on nomme français, étasunien, britannique, etc…
Il y a dans l’irritation le sentiment que non seulement le problème est pris d’une manière qui va vers la marginalisation et qui se traduira immanquablement par des conservatismes fascistes qui réprimeront les exploités et les stigmatisés.
Est-ce la difficulté que nous avons à percevoir cela qui fait que quelqu’un comme moi qui ai toujours été féministe, et qui n’ai jamais pu supporter quelque stigmatisation que ce soit transformant les individus en espèce à partir d’une caractéristique je peux ressentir ce rejet face à ce qu’on baptise le wokisme ? presque le partager … Alors même qu’un communiste est justement celui qui lie émancipation des individus, des peuples à la lutte contre l’exploitation ? Alors que je n’ai pas changé d’un iota sur le fait que je considère comme parfaitement stupide et méchant les manières de s’occuper de ce qui ne devrait regarder que les intéressés et ne créer aucune discrimination idéologique ou citoyenne.
Il est évident que nous avons un long chemin à faire dans ce sens et que continueront dans le flux et le reflux des luttes anti-impérialistes contre l’exploitation capitaliste bien des luttes pour l’émancipation de l’individu et que tant que nous n’avons pas créé des conditions de non exploitation, on ne peut pas demander de taire les souffrances au nom de ce qui sera. En général, il s’agit d’ une caractéristique existentielle pour lui dont l’individu n’est absolument pas responsable et qui ne cause à personne le moindre dommage comme l’homosexualité, le sexe ou la couleur de peau, qui donne lieu à des manifestations d’intolérance imbéciles. Comment accepter tant de souffrances inutiles au lieu de tenter de respecter l’autre en commençant par ne pas plus se poser des questions tordues que l’on ne se pose pas sur ceux que l’on considère comme “normaux”… Comment donc puis-je être irritée par des revendications qui vont dans le sens de ce que j’ai toujours défendu ? Alors même que je n’ai en rien changé ? …
Comment le capital arrivé à ce stade du spectacle et de l’hystérisation peut-il nous faire attribuer à ceux “qui se donnent en spectacle dans leurs différences” peut-il nous inciter à ne voir que ces “excès” pour mieux nous faire gober la danse macabre bien réelle dans laquelle il nous entraîne ?
Et si nous mesurions qu’il y a là un des effets de la contrerévolution et de la difficulté que nous avons à mener la lutte anti-impérialiste après des décennies de cette contrerévolution.
Un peu comme ce qui s’est passé à l’Assemblée nationale : la France insoumise en ce moment joue le spectacle et l’émotion pour rassembler les votes qui vont lui permettre de rester la force dominante au sein de la NUPES, elle utilise l’émotion légitime d’une partie de la population face à ce qui se passe à Gaza, elle théâtralise la politique et l’agitation des drapeaux au sein de l’Assemblée ne rime à rien d’autre. La seule chose qui rend tolérable ce petit jeu de division et d’hystérisation, est le fait que les dirigeants de la FI n’en sont en rien les promoteurs, ils n’interviennent que dans un jeu politico-médiatique qui, comme aux Etats-Unis, s’est substitué à toutes les lois, et institutions républicaines en suivant d’ailleurs simplement le pouvoir financier qui définit les candidats crédibles et ceux qui sont marginaux. Ces gens-là sont souvent généreux mais toujours opportunistes et ils ne pensent qu’à se mettre en scène sans réellement chercher des solutions. C’est d’ailleurs sur ce plan qu’ils ont montré leur limite et leur incapacité à fédérer un rassemblement majoritaire mais cet appel au “mouvement” n’est pas le pire, il est simplement une des formes de notre impuissance à tous à construire une alternative.
Donc je reviens au motif de mon interrogation : si l’on approfondit ce contexte qui est celui de la crise de nos institutions face à l’incapacité d’une classe dominante à créer des modes de coopération et de dialogue réel, que signifie l’irritation éprouvée devant ces célébrations “culturelles” paillettes et strass qui jouent les contestataires en assurant la promotion de minorités et catégories en rupture manifeste avec les peuples à un niveau planétaire mais qui en revanche assurent la promotion des sociétés capitalistes, portant partout la misère et la guerre au nom d’une liberté réduite à la licence d’une poignée ?
Il y a incontestablement dans cette irritation quelque chose de l’ordre d’un signal : je sais que comme dans le cas de l’antisémitisme cet apparent enthousiasme pour de telles causes présentées de manière aussi caricaturales est entretenu pour alimenter les haines de l’extrême-droite, pour donner sens à des “répulsions” qui comme dans l’Allemagne de Weimar sont en train d’accompagner le recours à la fascisation du grand capital qui jette en pâture le spectacle d’une décadence… Regardez ils sont en train de faire la fête d’une manière dépravée pendant que vous souffrez, que vous manquez de tout !
Ce qui se passe à l’Assemblée Nationale et dans la vie politique en général m’invite à réfléchir d’une autre manière. D’une part bien sûr ce n’est pas la faute de ceux qui veulent poser leurs problèmes, ceux qui sont stigmatisés et qui en tant qu’individu en souffrent violemment, en meurent parfois qui sont coupables et ils doivent avoir le droit d’exprimer cette violence subie.
Autre réflexion, le spectacle a toujours été le spectacle et il a ses lois, ses parodies et ses parades, le problème n’est pas dans le plaisir pris et qui est le même qu’à Guignol mais le problème est quand toute la vie politique devient spectacle. Quand la démagogie et les pitreries interdisent y compris ce que peut apporter à la citoyenneté la représentation, une catharsis, un apaisement ou une distanciation qui incitent à poser les problèmes de la cité. Quand la censure de fait se combine avec l’exhibitionnisme, la vulgarité, l’insulte n’est plus la brutalité qui oblige à en finir avec les stéréotypes mais tend au contraire à les conforter.
Comment se fait-il qu’une aussi large publicité soit faite à l’émancipation individuelle coupée des luttes sociales, alors que le festival de Cannes a été également le lieu où s’est exprimée la colère des gens du spectacle contre une culture sinistrée, sacrifiée… Quelle force pourrait prendre l’expression d’une souffrance individuelle dans une véritable révolution …
Il faut aller encore plus loin dans notre réflexion, le “spectacle” fasciste qui est en train de s’imposer à nous, le véritable problème n’est pas cette manière décadente qui semble illustrer la chute de l’empire romain et contre laquelle nous nous insurgeons, il est dans la difficulté qui est la nôtre, au point où nous avons laissé se dégrader la situation y compris la perte de tout repère historique et la difficulté que nous avons aujourd’hui à trouver les conditions d’un rassemblement populaire qui balaye cette classe parasitaire et criminelle. Nous condamnons les parodies du spectacle, les revendications minoritaires et existentielles ou le cirque de la FI sans mesurer à quel point nous avons le plus grand mal à recréer un terrain politique qui permettrait une véritable démocratie, celle qui favoriserait le débat argumenté citoyen et l’intervention populaire.
Peut-être faut-il se concentrer sur l’essentiel : cette difficulté à recréer un terrain politique sur lequel il serait possible de travailler à un rassemblement antifasciste qui correspondrait aux “possibles” de notre temps et qui ne soit pas un “anti” tout en déconstruisant ce conformisme aux allures de pseudos transgression qui nous asphyxie comme l’antichambre de l’extermination de l’espèce.
Danielle Bleitrach
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Gangai Gabrielle
Socialism’s Ignored Success : Iranian Islamic Socialism de Ramin Mazaheri, éditions Badak Merah Semesta
Micka.micka
Je vous remercie pour cette analyse. Je ressens les mêmes questionnements et la même impatience, exaspération parfois , face à cette omniprésence de revendications Axées insentielement sur le genre, le trans, le féminisme vu d’un point unique, que je ne partage pas dans l’ensemble . Et je me demandais si aux abords de mes 70 ans je ne tournais ” vieille réac ” .
Bon votre approche me réconforte sur ma pensée et mon état mental, même si sur le fond elle conforte par ailleurs mon inquiétude sur l’état de délabrement de notre société.
Merci portez vous bien .
Merci portez vous bien.