Au delà de la monnaie numérique dont il est question dans ce travail important de Jean-Claude Delaunay, il y a la description d’une méthode d’expérimentation du gouvernement chinois partant d’un cas et s’élargissant peu à peu pour en maitriser les effets… Quitte à transformer en profondeur les orientations quand la contrainte capitaliste de plus en plus hostile l’impose mais aussi face à une insatisfaction diffuse de la population. C’est donc une fois de plus une approche tout à fait originale que nous propose Jean-Claude, approche qui là aussi devrait donner lieu à une réflexion en particulier sur ce qu’est la transition socialiste à travers l’expérience chinoise dans sa spécificité, ce qui est conjoncturel, mais aussi dans un contexte structurel qui reste la domination du dollar de plus en plus remis en cause en particulier par les BRICS et par une montée des peuples du sud et des luttes des classes. (note de Danielle Bleitrach pour histoire et société)
DE LA NOUVELLE MONNAIE DE LA CHINE SOCIALISTE (e-CNY) ET DE LA MONNAIE EN GÉNÉRAL
Essai marxiste d’interprétation
Jean-Claude Delaunay
Après son élection au poste de secrétaire général du Comité central du PCC, en remplacement de Hu Jintao, Xi Jinping fut l’initiateur d’une nouvelle stratégie, appelée «nouvelle normalité». Ce projet de long terme visait à redonner un nouvel et substantiel élan à l’économie comme à la société chinoises[1].
En effet, la «Grande Réforme», pensée par Deng Xiaoping au début des années 1980, puis mise en œuvre par Jiang Zemin à partir des années 1990, avait produit ses effets. Mais elle était entrée dans la zone des rendements décroissants.
D’une part, la crise désormais ouverte du système impérialiste après 2008 permettait d’anticiper que la politique de développement tirée par les exportations en direction des pays riches serait soumise à des tensions croissantes, tant au plan économique que politique. D’autre part, existait dans la population chinoise le sentiment diffus que «les choses n’allaient pas bien», en Chine même. Il s’agissait donc, après les vingt années de gouvernement présidées par Jiang Zemin et Hu Jintao, de donner à la «Grande Réforme», une nouvelle et puissante impulsion, à la fois nationale et internationale, tant au plan économique et politique qu’idéologique. C’est ce à quoi s’est employé Xi Jinping et son équipe, après le magistère de Hu Jintao, qui prit fin en novembre 2012.
La monnaie numérique dont il est question dans ce texte fut évoquée comme projet au cours de 2014, il y a 10 ans, mais fut ignorée du grand nombre[2]. Après l’arrivée de Xi au secrétariat du PCC, c’est d’abord à la lutte contre la corruption, puis à l’éradication de la pauvreté, que s’intéressèrent les Chinois. La mise au point de nouvelles formes monétaires, opération d’ailleurs délicate et demandant du temps, retint d’autant moins leur attention que, parallèlement au projet gouvernemental, les grandes plateformes telles que Tencent et Alibaba, avaient lancé, avec un succès fulgurant, des formes électroniques de paiements de détail.
Ce pays, dont la population ne connaissait pas le chèque et qui avait l’habitude de la manipulation des billets de banque traditionnels ainsi que de leur stockage dans les armoires et sous les matelas, mais qui était également fascinée par les téléphones mobiles, adopta très rapidement, dans sa grande masse, l’usage de cette monnaie électronique lancée par les dites plateformes. Cette monnaie est apparemment identique à la monnaie numérique[3], ce qui a sans doute retardé et retarde encore la compréhension de l’existence et de la finalité de cette dernière. Mais la monnaie numérique (ou digitale) et la monnaie électronique sont, en réalité, totalement différentes l’une de l’autre, comme l’indique Wang Wen[4] et comme l’expliquent Aglietta et Valla (chapitre 2)[5].
Je ne vais pas reprendre, ici, les raisons de cette différence. Je note simplement que la banque centrale de Chine (acronyme anglais : PBC), malgré le peu d’éclat de son importante mission, a continué d’avancer, à la manière chinoise, c’est-à-dire par expérimentations in vivo, conduites sur des périmètres de plus en plus larges et développées sur la base de recherches. De 2014 à aujourd’hui, on peut distinguer trois grandes étapes dans la progression de ce projet.
La première étape, qui va de 2014 à 2017, fut celle de la recherche exploratoire. Elle fut ponctuée par la mise en place, en janvier 2017, d’un Institut de Recherche sur la Monnaie Digitale auprès de la Banque Populaire de Chine. Cet Institut est dirigé par Mu Changchun, un homme expérimenté dans le domaine bancaire ayant, de surcroît, une bonne connaissance de la Banque Africaine de Développement[6].
La deuxième étape, qui s’étend de 2017 à 2020 inclus, fut celle de la préparation concrète et du lancement des expériences «sur le tas». Fin 2019, l’utilisation de la monnaie digitale est lancée dans les villes de Shenzhen, Suzhou, Chengdu, le district de Xiong’an, le cadre légal de son utilisation est défini (adoption de la loi de cryptographie nationale et de celle sur la confidentialité et la sécurité des informations)[7]. En novembre 2020, le programme est étendu aux villes de Shanghaï, Changsha, Xi’an, Qingdao, Dalian, ainsi qu’à Hainan. Comme on le sait, cette année 2020 se termina par l’explosion en Chine du Covid-19. Il semble que cette circonstance ait joué, dans ce pays, le rôle d’un accélérateur de l’expérimentation monétaire en cours.
La troisième étape, qui commence en 2021 et qui n’est pas terminée, peut être, en son état actuel, analysée à l’aide des cinq points suivants.
1) Le premier est celui de l’extension de l’expérimentation. Cette troisième période, inaugurée par la publication en 2021 par la PBC d’un Livre Blanc sur la monnaie digitale[8], sorte de bilan des réflexions et actions menées depuis 2014, fut d’abord marquée par l’agrandissement en Chine de la surface d’expérimentation de cette monnaie. Il fut envisagé que la monnaie digitale de paiement électronique (acronyme anglais : DCEP), ou «e-CNY», nom à vocation courante et populaire, serait installée dans quatre provinces (Sichuan, Guangdong, Hebei, Jiangsu) et, au total, dans 23 grandes villes chinoises[9]. En Chine, la monnaie digitale de banque centrale n’est plus un projet. C’est une monnaie réelle, mais localisée.
2) Le second point concerne deux initiatives, de portée symbolique et internationale, à savoir l’utilisation, par les Chinois ainsi que les athlètes et visiteurs étrangers, de la monnaie digitale chinoise dans le périmètre des Jeux Olympiques et Paralympiques d’Hiver de 2022 (régions de Beijing et du Hebei (Zhangjiakou)), puis dans celui des Jeux Asiatiques, en 2023 (Hangzhou). L’e-Yuan est pour l’instant une monnaie pour l’obtention de laquelle seuls les citoyens de Chine continentale peuvent ouvrir un compte. Mais les manifestations sportives, mondiales ou régionales, furent une bonne occasion de la faire connaître concrètement par des étrangers et de mettre en branle d’autres acteurs que la PBC pour cette opération.
3) Le troisième point est de nature institutionnelle. En théorie, l’e-Yuan pourrait être émis et géré uniquement par la Banque centrale de Chine[10]. Mais pour des raisons de prudence dans la démarche (les Chinois, en règle générale, ont tiré la leçon du «grand bond en avant» et n’aiment pas «casser la baraque»), le choix actuel est celui des deux niveaux (en anglais, two-pier system) : la PBC, au sommet de la hiérarchie, et neuf banques venant en deuxième rang (dont sept grosses banques : La Banque de Chine pour l’Agriculture, la Banque de Chine pour l’Industrie et le Commerce, la Banque de Chine pour la Construction, la Banque de Chine (spécialisée dans les relations extérieures), la Banque du Commerce, la Banque Postale et de l’Épargne en Chine, la Merchant Bank) et deux banques internet, (WeBank, de Tencent, un géant de la communication, et MyBank (Alibaba), liée au groupe Jack Ma).
Le gouvernement de la Chine envisage que, pendant un certain temps, coexisteront deux sortes de monnaies : celle adossée à la PBC, et, dans une moindre mesure, celle adossée aux banques commerciales. Le pouvoir libératoire de ces deux sortes de monnaie est et sera évidemment le même. Sur cet aspect encore, on peut noter que les Chinois ne semblent pas vouloir «casser la baraque bancaire», alors qu’ils auraient des raisons de le faire. Cela étant dit, il est vraisemblable que «les Mao Zedong roses en papier», de 100 yuans, deviendront de plus en plus rares et seront remplacés par des Mao Zedong, toujours imperturbablement roses, mais cette fois électroniques et de 100 e-yuans. Les grosses banques traditionnelles chinoises joueront le rôle de redistributeur de la monnaie digitale et des crédits stratégiques, en liaison avec la PBC, qui en sera l’émetteur et le planificateur, et dont elles seront en quelque sorte «les assistantes». Mais elles continueront, en même temps que les nombreuses petites banques régionales existant actuellement en Chine, à consentir à leur clientèle des crédits non stratégiques et à gérer leurs comptes.
4) Le quatrième point est lié à la technologie informatique sous-jacente à l’émission de la nouvelle monnaie. Quelle est et quelle sera cette technologie? Les monnaies ont toujours porté la marque des âges techniques dans lesquels elles fonctionnaient. Le métal, par exemple, fut une étape technologique dans l’histoire de la monnaie. Il en fut de même du papier. L’informatique en est une autre, plus compliquée parce que les sociétés actuelles et leurs rapports sont aussi plus compliqués.
Quand il est question de monnaie digitale, le concept venant à l’esprit de la technologie associée à ce type de monnaie est celui de «blockchain» ou chaîne de blocs. Je me permets de mentionner un ouvrage récent, scientifiquement important en même temps que de vulgarisation, du professeur Delahaye (Villeneuve d’Ascq), sur cette technologie dont j’ignore les secrets[11]. Comme on le sait, les premières monnaies digitales, et d’abord le Bitcoin, inauguré juste après le démarrage de la Grande crise économique de l’impérialisme (2007-2008), ont été développées sur la base de cette technologie, avec le souci affiché que cette nouvelle monnaie échappe au contrôle de tout pouvoir central. On pourrait donc penser, a priori, que la Banque centrale de Chine utilise d’autres techniques que la blockchain, puisqu’elle est la Banque centrale d’un pays socialiste souverain, dans lequel l’État est le premier moyen de promotion et de défense des intérêts populaires.
Le problème soulevé est moins simple qu’il n’y paraît. Certes, l’usage des bitcoins ou d’autres crypto-monnaies de même nature, est interdit en Chine, ainsi que certaines activités liées à ces «créatures». Les crypto-monnaies sont critiquées. Elles n’y sont pas reconnues comme monnaies et n’y ont pas de pouvoir libératoire, sans pourtant qu’il soit illégal d’en détenir. Leur statut est donc à la fois clair et ambigu.
Cela dit, les technologies informatiques qui furent conçues pour produire ces monnaies ne sont pas responsables de l’usage qui peut être fait de leur progéniture monétaire. Elles peuvent être améliorées ou réorientées. Pour Jean-Paul Delahaye, par exemple, le reproche souvent adressé au modèle de la blockchain, à savoir être un consommateur excessif d’énergie, n’est pas lié à sa nature même mais à des erreurs de conception, qui pourraient être corrigées[12]. On peut également se demander, comme l’ont fait certains chercheurs chinois, si la principale conséquence de la mise en œuvre de ces technologies n’est pas d’abord et surtout la désintermédiation des monnaies qu’elles engendrent des banques traditionnelles, plutôt que leur «décentralisation» par rapport à l’État. Désintermédiation ou décentralisation? Toute monnaie, quelle qu’elle soit, pour la raison qu’elle est monnaie d’une société, est nécessairement «centrée» sur la structure de cette société. Le bitcoin, par exemple, est centré sur le dollar US. S’il perdait cette référence, il perdrait toute signification, à moins de se trouver un autre centre, par exemple l’euro.
On peut donc comprendre les interventions de Xi Jinping faites en 2018 et 2019 en faveur de cette technologie comme ayant eu pour but, non pas de reprendre au compte de la Chine l’idéologie capitaliste et libertaire qui accompagna la naissance du bitcoin, mais de stimuler les énergies intellectuelles et la recherche pour son développement et son adaptation aux besoins de la Chine socialiste[13]. Il s’agirait de ne pas identifier la blockchain et sa progéniture monétaire. Il me semble que le discours, prononcé en septembre 2021, par le Vice-Directeur de la PBC, Di Gang, confirme cette interprétation[14].
Loin de rejeter cette technologie, les scientifiques chinois semblent avoir, au contraire, la conviction de son importance et de son potentiel de bouleversement. En étant une technologie de la grande information, relèguerait-elle Internet, qui serait une technologie de la petite information, au rang des accessoires ? Il conviendrait, de toute façon, de sortir la blockchain de son exclusivité financière tout en contribuant à son évolution interne. En premier lieu, elle doit être liée à la souveraineté de la Chine. Ce point est acquis techniquement. Ensuite, les données proprement monétaires et financières devraient pouvoir être associées à des données différentes, relatives par exemple à l’éducation, à l’emploi, à la santé. Enfin, cette technologie pourrait être combinée à d’autres modèles techniques tels que l’intelligence artificielle ou l’informatique quantique.
Le monde serait entré dans une nouvelle phase de ce que Ivan Lavallée a appelé la Cyber-Révolution[15]. La Chine, eu égard à son avance en ce qui concerne les quantités stockables de données ainsi que la vitesse de leur stockage, de leur traitement et de leur utilisation, serait bien placée (6 G, autres brevets et innovations) pour être un acteur de premier plan de cette nouvelle phase.
5) Le cinquième point a trait à la dimension internationale de la monnaie digitale chinoise. L’usage international croissant, bien que modestement croissant, du renminbi, ainsi que les décisions à prendre pour que le processus d’internationalisation soit compatible avec le développement chinois, sont des phénomènes que l’on peut considérer comme indépendants de la mise en place actuelle, en Chine, d’une monnaie digitale. L’internationalisation du renminbi aurait eu lieu de toute façon. Mais puisque monnaie nouvelle il y a, la question est posée concrètement de savoir quelle pourrait être la contribution de l’e-Yuan à ce mouvement.
On comprend abstraitement que l’usage des monnaies digitales rendra les opérations commerciales internationales beaucoup plus rapides et moins couteuses pour les entreprises. Mais qu’en est-il dans la pratique interfrontière et dans quelle mesure des niveaux différents d’organisation et de législation monétaires peuvent-ils fonctionner ensemble ?
Sans doute est-ce pour répondre à ces questions que la PBC a récemment participé (mars 2022) à une expérience patronnée par la Banque des Règlements Internationaux (acronyme anglais BIS) et réunissant, outre la PBC, les Banques de Réserve de l’Australie et de l’Afrique du Sud ainsi que l’Autorité monétaire de Singapour et la Banque Negara de Malaisie, pour tester, compte tenu des différences techniques et de règlementation, la réalisation des opérations commerciales transfrontières à l’aide d’une plateforme commune de monnaies de banques centrales. Les résultats obtenus sont stimulants pour les entreprises même si de nombreux progrès doivent être encore obtenus pour que la méthode soit généralisée, tant au plan régional que mondial[16].
Dans le domaine international, la Chine des années 2020 est confrontée à bien d’autres problèmes que celui qui vient d’être évoqué. Il est vraisemblable que des solutions devront être trouvées à ce niveau, peut-être sans attendre que l’e-Yuan soit totalement opérationnel.
On ne peut cependant manquer d’observer, dès aujourd’hui, que le projet de monnaie digitale de la Chine est plongé dans un contexte monétaire mondial très particulier qui pourra l’influencer. Ce contexte est marqué, d’un côté, par la domination de plus en plus contestée, de plus en plus affaiblie, mais toujours réelle du dollar US ainsi que de l’Impérialisme contemporain et d’un autre côté, par ce contrepouvoir en croissance que forment, réunies, la puissance économique et politique mondiale de la Chine, l’alliance stratégique de ce pays avec la Russie, les BRICS et leur extension récente, les routes de la soie et enfin le réveil de la «conscience africaine».
Tels sont les cinq points permettant, me semble-t-il, de décrire, dans ses grandes lignes, l’état actuel de développement et d’opérationnalité de la monnaie digitale initié en Chine en 2014.
Le moment approche, avec une sage lenteur, de l’extension de l’usage de la monnaie digitale à toute la Chine. Les choses peuvent aller vite. Toutefois, on n’en est pas encore là et il semble qu’un chemin encore assez long reste à parcourir. Comme l’écrit Pascal Ordonneau, «les annonces faites par la Chine au sujet du lancement du Yuan numérique montrent que créer une monnaie digitale est une entreprise complexe»[17]. Mais il ajoute, ayant lui-même publié deux ouvrages sur cette monnaie, qu’en 2020, «l’émission d’un crypto-yuan soulevait un intérêt poli de la part de quelques spécialistes», mais que, «en l’espace de trois ans, le monde a changé»[18]. Le tableau ci-après est un essai de visualisation, de 2010 à aujourd’hui, de cette évolution et de quelques événements l’ayant accompagnée.
Comme elle le fut autrefois; au XIIIe siècle, avec la monnaie-papier[19], la Chine, en raison de ses rapports sociaux de production, de sa direction politique et de sa culture, est manifestement en tête de la nouvelle étape monétaire du monde. L’expérimentation chinoise semble être un stimulant des études et projets de monnaies digitales annoncés dans les pays capitalistes développés ou en développement. Cela dit les modèles monétaires ne se diffusent pas sur des bases simplement techniques ou pour la raison que les gouvernements souhaitent bénéficier de telle ou telle de leurs fonctions. Ils doivent aussi correspondre, de manière intime, aux structures économiques dont ils sont la monnaie.
Je me propose donc, dans les parties suivantes, de faire d’abord un rapide rapide exposé de ce qu’est la monnaie, selon l’interprétation de référence marxiste que j’en donne. J’examinerai ensuite quels objectifs la Chine populaire et socialiste peut atteindre avec la nouvelle monnaie digitale.
QU’EST-CE QUE LA MONNAIE?
ESSAI MARXISTE D’INTERPRÉTATION
PHILOSOPHIQUE DE LA MONNAIE
Le concept de monnaie n’est pas un concept atemporel. C’est un concept historique, de portée à la fois macroéconomique et individualisée, du fonctionnement des sociétés marchandes et de classes antagoniques. C’est le plus important de tous au niveau phénoménal.
Je vais tout d’abord rappeler comment la monnaie est définie de manière courante. La description taxonomique (celle permettant les classements) usuelle de la monnaie repose le plus souvent sur deux critères : 1) la matière de la monnaie, 2) l’institution dont elle est issue. Cette façon de faire permet de dégager sans ambigüité plusieurs «niveaux» monétaires, et pour l’instant, dans un pays développé donné, trois grands niveaux : 1) celui du Trésor et de la Banque centrale. C’est notamment le niveau des pièces et des billets que chacun utilise pour les dépenses courantes ou pour partir en voyage à l’étranger; 2) celui des banques commerciales ordinaires, la monnaie bancaire (les dépôts), qui est la contrepartie des crédits consentis par les banques aux entreprises et aux autres agents. Le capitalisme industriel a consacré l’épanouissement de ce type de monnaie; 3) le troisième grand niveau est composite. Il comprend aujourd’hui ces titres que l’on peut se procurer sur les marchés et qui sont quasiment aussi liquides que de la monnaie. Il comprend d’autres monnaies, comme par exemple les crypto-monnaies.
J’appelle «philosophique» mon approche du fait monétaire dans la mesure où je globalise toutes les sortes de monnaies existantes (je n’en retiens pas le détail) et je m’attache à cerner simultanément ce qu’elles sont et ce qu’elles ne sont pas. J’essaie de décrire «la monnaie en général» par la série emboîtée des contradictions qui la structurent. Je procède de cette manière pour la raison que la monnaie digitale observée est celle d’un pays socialiste. Et comme j’ai en tête qu’une société socialiste est une société qui «socialise», je souhaite examiner ainsi en toute clarté, en allant au plus court, ce que peut signifier la socialisation de cet ensemble emboîté de contradictions que serait la monnaie dans une société capitaliste ainsi que la correspondance éventuelle entre ce processus de socialisation et la monnaie digitale en question.
En effet, pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui en Chine avec la monnaie digitale, il est certes nécessaire de prendre en compte les objectifs pratiques qui lui sont explicitement assignés (par exemple réduire le coût des transactions, en augmenter la vitesse et la sécurité, rendre la finance «inclusive», économiser l’énergie…). Cette démarche, toutefois, me paraît insuffisante. Elle est importante au plan pratique et idéologique, car les utilisateurs d’une monnaie n’en font pas l’usage pour des raisons théoriques. Mais elle ne permet pas de comprendre le mouvement d’ensemble du phénomène.
Il lui manque la profondeur et la largeur de vues que la théorie seule peut lui donner. Aglietta, qui est sans doute l’un des meilleurs théoriciens actuels de l’économie académique en France, a fort bien compris cette exigence. L’ouvrage par lui cosigné avec Valla sur «le futur de la monnaie» comporte une substantielle partie théorique. C’est ce que je me propose de faire, en beaucoup plus court et en moins dense dans ce texte, sur la base de ce que j’estime être une interprétation philosophique et marxiste de la monnaie, laquelle relève d’une autre axiomatique que la sienne.
En simplifiant les différences de manière peut-être excessive, il semble que dans le monde des idées existent aujourd’hui trois grandes familles de théories monétaires. Pour celles de référence walrasienne et néoclassique, pour lesquelles la valeur est une certaine image de l’utilité relative des biens et services échangés, la valeur d’usage se suffit à elle-même pour expliquer l’échange, ainsi que la formation des prix, qui sont des prix relatifs. La monnaie, dans cette famille théorique, n’est qu’une simple commodité. Elle permet de transformer les prix relatifs en prix absolus (le prix des étiquettes). Elle aurait pour principale fonction de faciliter la comparaison des marchandises entre elles et les choix effectifs de consommation.
En réalité, cette conception de la monnaie s’est révélée d’une grande faiblesse lorsque le monde capitaliste est entré en crise au début du XXe siècle. Tout en considérant que la théorie néoclassique de la production était correcte, Keynes (années 1930) s’est efforcé de montrer que la monnaie, loin d’être un appendice de la vie économique, en était, au contraire, un élément de premier plan. Money matters, disent les Keynésiens et leurs héritiers. La monnaie est importante. Aglietta, a repris à son compte cette exigence, en développant l’idée selon laquelle la monnaie était «au cœur du lien social».[20] La monnaie, selon lui, serait fondatrice de la société, de la vie économique comme de la vie sociale en général. Cet auteur a voulu élargir, grâce à l’histoire, à l’anthropologie et à la sociologie, les approches keynésiennes strictement économiques et réduites de la monnaie.
Les marxistes peuvent être d’accord avec cet auteur, et les keynésiens en général, pour critiquer ce que les théories de référence walrasienne et néoclassique ont produit dans le domaine de la monnaie, même s’ils le font à leur manière. Ils sont certainement aussi d’accord avec la famille keynésienne de pensée sur l’importance de la monnaie dans le fonctionnement économique capitaliste. Suzanne de Brunhoff, par exemple, contribua vivement, dans les années 1970, à développer ce type d’argumentation[21]. La monnaie, c’est la monnaie, disait-elle. Mais elle chercha en même temps à montrer les différences pouvant exister à ce propos entre ses convictions, en tant que marxiste, et celles des keynésiens. Car les points d’accord que l’on peut avoir avec eux ne compensent pas ce qui en sépare et constitue l’originalité du marxisme.
Concernant la monnaie, je note, pour ma part, les différences majeures suivantes :
1) Sans doute la monnaie, dans l’apparence des choses, est-elle au cœur du lien social. Mais pour les marxistes, c’est le travail qui est au cœur de ce lien. La monnaie ne serait donc pas fondatrice de la société, comme les institutionnalistes en font l’hypothèse. Elle serait seulement, sous quelque forme que ce soit, une image quantifiée et plus ou moins fidèle du travail, sans, d’ailleurs, que cela soit perçu comme tel, car la monnaie, comme la marchandise, sont des formes dont la compréhension est mystifiée par les rapports sociaux d’exploitation.
2) Comment est-ce possible ? Quel rapport peut-il y avoir entre le travail et son image supposée, la monnaie ? Pour répondre à cette question, le marxisme dispose du concept de rapport social de production. Les sociétés seraient, depuis plusieurs millénaires, des sociétés de rareté des biens et d’exploitation du travail humain. Dans cet environnement, et grâce aux rapports sociaux mis en place, le travail aurait pris la forme valeur des choses produites et échangées. Puis, à un certain degré de complexité des forces productives, les rapports sociaux auraient été monétarisés. Les choses échangées, qui étaient jusqu’alors dotées d’une forme valeur, auraient développé leur forme valeur en forme prix et les forces de travail elles-mêmes, que ce soit de manière passive (esclavage) ou active (salariat) auraient acquis la forme prix. Cette monétarisation des rapports sociaux, en homogénéisant toutes les choses à l’aide d’un prix, aurait accru la capacité des classes dirigeantes de ces époques lointaines à mettre en œuvre du travail humain et à se l’approprier, bref, à exploiter le travail. La monnaie serait donc une image du travail ayant permis, bien avant le capitalisme industriel, et permettant, a fortiori aujourd’hui, de guider l’action des agents dominants de la société pour mettre en œuvre le travail, en étendre l’utilisation, s’en approprier les résultats. Cette capacité de la monnaie à permettre d’exploiter le travail aurait été tendanciellement croissante avec le temps et les modes de production. Elle aurait atteint son niveau maximal avec le capitalisme industriel.
3) La monnaie, dans son essence et jusque dans sa forme, reflèterait donc la contradiction fondamentale de tous les modes de production fondés sur l’exploitation privée du travail, entre la socialisation toujours plus profonde et étendue du travail qui les anime et la nécessaire tendance à la privatisation des résultats du travail, qui en justifie l’existence. La monnaie ne serait donc pas éternelle. Ce serait l’une des missions du socialisme que d’en organiser la fin dans le moyen et le long terme. La monnaie digitale en Chine serait à la fois le futur et le commencement de la fin de la monnaie en Chine et peut-être dans le monde.
4) Par contraste, les institutionnalistes français, pour lesquels la monnaie est fondatrice de la société[22], disent de manière implicite, mais tout à fait conforme à leurs convictions institutionnalistes selon lesquelles ce sont les institutions qui font la qualité ou la faiblesse des sociétés et non leurs structures, productive et consommatoire, que la monnaie comme le capitalisme en leur stade les plus évolués, sont éternels. Leur institutionnalisme les conduit à décrire avec précision les conditions et les formes du fonctionnement monétaire du capitalisme (les institutions). Mais ils demeurent enfermés dans cet institutionnalisme. Donnez-moi de bonnes institutions, disait déjà le baron Louis, et je vous ferai un bon capitalisme[23].
Tels sont les trois points majeurs qui me séparent radicalement de la théorie monétaire des institutionnalistes français :
1) le travail est fondateur de la société ;
2) La monnaie est une certaine image quantifiée (une relation chiffrée, dit Jacques Bichot[24]) du travail à l’aide de laquelle, depuis un peu plus de deux millénaires dans le bassin méditerranéen, les classes dirigeantes ont, à l’aide de structures productives différentes, mis le travail en branle, l’ont exploité et l’exploitent encore pour s’en approprier les résultats ;
3) L’une des missions du socialisme est d’en finir avec l’exploitation du travail et donc avec la monnaie. Mais cela suppose des interventions spécifiques qui avaient, pour diverses raisons, échappé aux révolutionnaires soviétiques.
Je ne prétends pas avoir raison. Je crois cependant que ma critique des théories de la monnaie produites par les économistes institutionnalistes français mériterait d’être prise au sérieux et développée, au moins par les marxistes, car cet institutionnalisme d’inspiration keynésienne, tout en étant critique de certains aspects du fonctionnement capitaliste, ne produira jamais la révolution de ce système.
Cet institutionnalisme est profondément réformiste. Or le marxisme n’est pas déclassé dans le domaine monétaire et il n’est pas remplaçable. C’est pourquoi il doit être préservé et enrichi pour ce qu’il apporte de rationnel dans l’interprétation des phénomènes monétaires au sein du capitalisme. Mais il doit être également développé dans le contexte du socialisme. Car le socialisme, c’est la transition vers le communisme. C’est le processus de la fin de la valeur, même si cela doit prendre du temps. C’est aussi celui de la fin de la monnaie.
Le problème est que, pour penser théoriquement, en termes marxistes, aussi bien la crise monétaire de l’impérialisme que la fin de la monnaie en général, encore faudrait-il qu’existât une théorie marxiste élaborée et solide de la monnaie. Je crains que ce ne soit pas le cas. Marx n’a pas écrit une théorie de la monnaie. Il a écrit une théorie du Capital. Pour ce faire, il procéda, comme il en avait l’habitude, à de nombreuses lectures, notamment dans le domaine monétaire. On en trouve la trace, par exemple dans sa Contribution à la Critique de l’Économie Politique. Il est allé au plus pressé et c’était déjà énorme. Mais ce qu’il a rédigé sur ce point doit être considéré comme un condensé de ce dont il avait besoin pour écrire Le Capital et mettre au clair l’exploitation capitaliste. Ce condensé concernant la monnaie doit être, à notre époque, réfléchi, relativisé, éventuellement disloqué, recomposé et enrichi non seulement des nouvelles questions soulevées après lui, mais des nouvelles réalités monétaires apparues depuis la fin du XIXe siècle ainsi que des travaux, marxistes ou autres, qui ont réussi à en rendre compte. J’indique ici l’ouvrage dont Fred Moseley a dirigé la publication il y a une vingtaine d’années, car il rassemble quelques noms et articles de chercheurs ayant contribué au renouveau de cette réflexion[25].
La discussion est ouverte. Voici deux points particulièrement importants, selon moi, pour conclure cette deuxième partie :
1) Le premier consiste à ne pas identifier valeur et monnaie et à considérer ce couple comme une contradiction dont les composantes sont unies et opposées. Car s’il est indispensable de lier valeur et monnaie, il est tout aussi nécessaire de les distinguer. La valeur, c’est la valeur, et la monnaie, c’est la monnaie. Les prix de production, par exemple, sont établis en prix à l’aide de la monnaie. Ils le sont directement. Ils ne sont pas d’abord établis en valeur puis ensuite établis en prix comme pourrait le suggérer le problème dit de «la transformation des valeurs en prix». Un autre exemple, sur lequel insistait Suzanne de Brinhoff est celui de la monnaie de crédit. Le crédit bancaire crée de la monnaie de manière immédiate même s’il ne crée pas immédiatement de la valeur. Bien sûr, monnaie et valeur ne sont pas étrangers l’un à l’autre. Mais ils ne sont pas non plus identiques. Voici une dernière illustration de mon propos : les formes primitives de la théorie quantitative, que critiquait Marx, reposaient en général sur l’identification quantitative de la valeur et de la monnaie. La monnaie se distingue de la valeur tant au plan quantitatif que qualitatif.
La monnaie a fait franchir une étape décisive au processus global d’exploitation du travail. Elle a facilité la quantification du fonctionnement des rapports sociaux. Elle a rendu beaucoup plus visible la rentabilité des différents processus productifs. Permettant de donner un prix aux produits ordinaires comme aux choses sans valeur, les comparaisons, avec elles, sont devenues plus aisées. Depuis l’antiquité, grâce à la monnaie, les forces de travail ont été dotées d’un prix, que ce soit celui de la force de travail des soldats ou de celle des esclaves. En donnant un prix à la force de travail, qui n’a pas de valeur au sens ordinaire et marchand du terme, même si l’on parle, avec Marx, de «valeur de la force de travail», la monnaie a permis la comparaison entre la production et les coûts de production. Elle est devenue «une chose» de premier plan. Pour les marxistes aussi, money matters, mais la raison en est son rôle dans l’exploitation du travail et non «l’incertitude» keynésienne.
2) Le deuxième point important est de rendre compte de la monnaie à l’aide de la série emboîtée des contradictions issues du déploiement de sa contradiction fondatrice, entre elle-même et la valeur. La monnaie pouvant être définie comme étant l’une des composantes majeures du processus global de l’exploitation du travail, il vient que la contradiction essentielle qu’elle forme avec la valeur peut être analysée comme contradiction entre d’une part la tendance à la socialisation du travail (étendre le plus possible la mise en œuvre du travail, la production de valeur), et d’autre part la tendance opposée à la privatisation de ses résultats. J’ai avancé et discuté cette approche contradictoire de la monnaie dans un article sur le rôle du dollar US dans le fonctionnement impérialiste [26]. Deux nouvelles contradictions peuvent alors être introduites.
La première a trait aux agents de la monnaie ainsi qu’aux institutions par lesquelles la monnaie est mise en mouvement. Ces agents sont d’une part l’État, la puissance centrale nécessaire d’émission et de gestion de la monnaie (sa dimension «socialisation»), et d’autre part les usagers de la monnaie (sa dimension «privatisation»), qui interviennent seulement par leur consentement mais qui ont finalement, le dernier mot. Dans ce cas encore, il s’agit d’un couple contradictoire, dont les pôles sont à la fois unis et opposés, et dont on ne saurait dire que l’un peut exister sans l’autre. On peut également montrer, me semble-t-il, que les formes revêtues par la monnaie au cours du temps des modes de production, furent des essais relatifs au fonctionnement concret de ces contradictions.
La deuxième est l’état nouveau de tension que la monnaie introduit ainsi dans le fonctionnement des sociétés entre la production et la consommation. Mise en mouvement par l’intermédiaire des agents individuels, la monnaie entraîne des productions qui doivent être socialisées, pour que le temps de travail social dont elles sont le témoignage abstrait puisse être à son tour privatisé. Si la socialisation n’est pas réalisée, il se produit une crise de l’ensemble.
Certes, l’approche dont je viens d’esquisser quelques grands traits, revêt un tour philosophique qui peut sembler suspect aux économistes, même si ce «tour» prend appui sur la matérialité des faits. Et il est vrai que son exposé doit être complété par celui des institutions et des mécanismes économiques, politiques, techniques, juridiques, culturels par l’intermédiaire desquels la monnaie fonctionne, ainsi que des résultats obtenus et des théories qui en sont données. La monnaie est un instrument social considérable. Ce n’est pas un discours philosophique à consonance hégélienne[27]. Le marxisme permet cependant d’en comprendre plus aisément l’évolution.
Il permet non seulement de comprendre que la monnaie soit un rapport dialectique entre les deux tendances liées de la socialisation et de la privatisation du temps de travail. Il éclaire le fait que ce processus dialectique s’est accompli historiquement comme mouvement général de socialisation croissante de la monnaie, aboutissant à la privatisation, elle aussi poussée à l’extrême, des résultats du travail. Aujourd’hui, la monnaie est totalement socialisée, et le monde, c’est-à-dire l’impérialisme à direction nord-américaine, et les peuples cherchant à se développer, offrent le spectacle de deux formes contradictoires de sa socialisation.
D’un côté, l’impérialisme a fait franchir au fait monétaire un degré nouveau de socialisation en faisant du dollar US une monnaie mondiale pour le bénéfice de quelques-uns. D’un autre côté la Chine et ses alliés mettent en place des systèmes de monnaie nationale qu’ils voudraient bien faire fonctionner mondialement et pour le bénéfice de l’ensemble.
Pour l’impérialisme, la socialisation extrême de la monnaie, en réalité d’une seule monnaie, est réalisée en force. La privatisation des résultats qu’elle permet est également obtenue par la force, que ce soit celle des mécanismes marchands ou celle des armes. C’est une privatisation prédatrice.
Pour les pays cherchant à se développer, toutes les monnaies doivent avoir le droit à l’existence. Il s’agit d’en organiser la coexistence, de les socialiser, de leur donner un contenu, de faire en sorte que tous ces pays se développent. Car c’est du développement de tous que dépend la richesse de chacun.
MONNAIE ET SOCIALISME
L’e-YUAN DE LA CHINE SOCIALISTE
Définir la monnaie par une structure de contradictions n’est pas une coquetterie hégélienne si l’on cherche à en comprendre le rôle et l’évolution dans une société socialiste à partir de ce que l’on sait d’elle dans une société capitaliste.
Une société de ce type, à notre époque, est généralement issue du sous-développement. Elle est donc monétaire parce qu’elle met en œuvre des rapports marchands pour de nombreux secteurs. C’est encore une société de rareté, comme toutes les sociétés qui l’ont précédé. Elle utilise une partie des mécanismes économiques élaborés et mis au point par le capitalisme industriel. Par exemple, elle investit et grâce à la monnaie, c’est-à-dire grâce au crédit qu’elle s’accorde, elle met en branle des productions dont l’utilité devra être prouvée sur le marché intérieur ou mondial.
La grande différence est qu’une société socialiste, même sous-développée économiquement, fait face à la rareté avec des rapports sociaux socialistes. Parce qu’il est socialiste, le gouvernement d’une telle société agit, théoriquement, de la manière la plus économe et coordonnée possible, pour reconnaître et satisfaire au mieux les besoins de la population, à la fois dans le détail et dans son ensemble. Il ne s’agit plus, comme dans le mode de production précédent, d’enrichir éternellement quelques familles. Le socialisme est, par définition, le système qui socialise la société antérieure, laquelle était à la fois bi-polarisée et, dans sa masse, individualisée et fragmentée. Tel était d’ailleurs l’état de la société chinoise il y a une centaine d’années. C’est aussi le système qui porte la société en question vers l‘abondance matérielle, la démocratie intégrale et la connaissance comme système de vie.
Est-ce que la monnaie digitale est particulièrement bienvenue pour le fonctionnement général actuel de cette société encore marchande ? Je me propose d’esquisser quelques éléments de réponse positive à cette question. Mais avant de procéder à cet examen, il convient de savoir de quel type de monnaie digitale une société socialiste a besoin : cryptomonnaie ou monnaie digitale de banque centrale ?
1) Dans un essai au titre provocateur, Mark Alizart s’est fait le défenseur des «cryptomonnaies» comme étant la préfiguration d’une ère nouvelle, le cryptocommunisme[28]. Il voit dans ces monnaies, qui sont aussi des monnaies digitales, l’annonce de ce régime de liberté absolue dont Marx aurait été l’annonciateur. C’est généralement la qualité qui est leur reconnue, à savoir exister grâce à la collectivité de ses usagers, en dehors de tout pouvoir central.
Il a déjà été indiqué, dans la première partie de ce texte, que la Chine était hostile à ces monnaies et que leur usage y était prohibé. Je ne vais pas chercher à me demander si, un jour, les cryptomonnaies seront la monnaie du cryptocommunisme. En revanche, il est possible d’expliquer sur la base de quels arguments le gouvernement de ce pays, sans faire preuve d’autoritarisme, refuse aujourd’hui globalement les cryptomonnaies et met déjà en œuvre une monnaie digitale de banque centrale. À mon avis, il agit ainsi conformément aux exigences du socialisme.
Dans l’ouvrage qu’il a cosigné avec Valla, Aglietta reprend ses thèses favorites et fournit à ce propos d’importants éléments techniques et théoriques d’appréciation[29]. La monnaie est pour lui un attribut de la souveraineté et il n’existe pas de monnaie qui n’ait le support d’un État souverain. Aussi, dans cet ouvrage, est-il énoncé qu’une solution partielle des difficultés soulevées par le libéralisme de la technologie blockchain, à savoir sa possible pénétration par des groupes criminels, «…est une blockchain gouvernée par l’autorité monétaire, solution adoptée par la Chine… une autorité centrale est réintroduite… il est impossible de se passer de tiers de confiance.» (p. 84). Il note également que ces cryptomonnaies ont principalement fonctionné depuis leur création, comme réserves de valeur et objets de spéculation. Ces jugements sont partagés par Philippe Ordonneau. S’il est vrai qu’une société socialiste a pour mission de réduire et dépasser, au sens hégélien du terme, la contradiction constitutive de la monnaie dans une société d’exploitation, il paraît conforme à cette mission que les cryptomonnaies soient écartées du fonctionnement d’une telle société, puisqu’elles font courir à son économie les risques du crime et de la fraude d’une part, et que, d’autre part, elles semblent être surtout des instruments de spéculation individuelle (dimension de privatisation) dans un contexte de crise économique prolongée. Le socialisme développe la dimension «socialisation» de la monnaie et réinterprète la dimension «privatisation» en faveur du peuple et de la nation et non en faveur d’un groupe restreint.
Celles et ceux pour lesquels la monnaie va de pair avec la souveraineté des nations dans lesquelles elle est émise et la capacité de leur État à en assurer la gestion pour le bénéfice de la société et non pour celui de quelques-uns, sont favorables aux monnaies digitales de banque centrale[30]. C’est également ce que la théorie marxiste de la monnaie permet de conclure. Selon cette théorie, la monnaie n’est pas étrangère à la valeur mais elle n’est pas la valeur. C’est d’une part une image approximative de la valeur permettant d’agir sur sa production, sa consommation, son évolution. C’est d’autre part un droit de tirage immédiat et quantifié sur la valeur. Il est conforme à l’idéal socialiste que l’action menée grâce à la monnaie sur la valeur le soit pour le bien-être du peuple par l’intermédiaire de ses mandataires, agissant dans l’État à son service, et que les propriétés de la monnaie comme droit de tirage soient préservées dans l’intérêt de la nation et non de quelques-uns.
Une monnaie socialiste est une monnaie nationale, visant des objectifs de développement de l’économie, ou encore de développement socialisé de la dépense de temps de travail, pour le bien-être de tous et non pour la satisfaction prioritaire du désir d’enrichissement d’un petit nombre. La monnaie digitale de banque centrale (MDBC) et la technologie aménagée de la blockchain répondent à ces orientations. Elles n’impliquent pas que la société qui les utilise soit socialiste mais elles sont adaptées à des rapports sociaux de ce genre.
2) La monnaie digitale de banque centrale ayant reçu un commencement d’application en Chine, il est possible, en observant ce qui s’y passe, d’en déduire quel pourrait être l’intérêt d’une telle monnaie dans un pays socialiste en général. Le champ des observations que l’on peut y faire est encore limité et concerne uniquement pour l’instant, la société chinoise et sa population. Les relations monétaires extérieures sont encore en voie d’exploration. Au plan intérieur, la portée révolutionnaire de la MDBC peut être appréhendée à l’aide des quatre points suivants :
A) Le premier concerne les ménages. Il est souvent fait mention qu’environ 10% à 15% de la population chinoise n’a pas de compte en banque. Cette population, qui possède le plus souvent un téléphone mobile, n’est donc pas en mesure d’utiliser la monnaie électronique actuelle. La MDBC, qui nécessite seulement l’ouverture d’un compte auprès de la banque centrale et un téléphone mobile, permettrait d’inclure ces ménages, souvent pauvres et intellectuellement démunis, dans le flux de la modernité. Il permettrait d’en suivre précisément les besoins, de développer à leur égard une politique continue de lutte contre la pauvreté, d’accorder les micro-crédits nécessaires à leurs activités[31].
L’élargissement du cercle des ménages utilisateurs de la MDBC aurait lieu en même temps que la rapidité et la sécurité des paiements serait améliorée pour tous. Par exemple, l’argent reçu sur un compte par un ménage serait immédiatement porté à son crédit sans les délais actuels d’attente dans les banques commerciales ordinaires (jours de valeur). Par ailleurs, les escroqueries très nombreuses qui se produisent sur Internet seraient, avec la monnaie digitale, sous contrôle et dissuadées.
Ces aspects sont en cours de concrétisation. Le paradoxe de la monnaie digitale en Chine est que la population ne perçoit pas très bien sa différence avec la monnaie électronique. Elle le perçoit d’autant moins que les plateformes de paiement électronique, comme Alipay ou WeChat, essaient de trouver des moyens légaux pour résister à la MDBC, que ce soit, par exemple, en accordant des «cadeaux» (des bricoles dont les Chinois raffolent car ce sont des «cadeaux»), voire en payant des intérêts, alors que la BPC refuse, à juste titre, de payer des intérêts aux détenteurs de comptes.
La méthode suivie par la Banque centrale est donc une méthode souple. Les banques commerciales ordinaires ne sont pas écartées de l’activité monétaire même si leur rôle est repensé. Les plateformes privées sont sollicitées et intégrées dans la progression de l’opération. Les craintes exprimées par certains Chinois de voir leur vie personnelle étalée au grand jour sont prises en compte et la législation en assure la protection. La PBC n’a aucun désir de contrôle systématique des petites opérations. Les achats d’or par les particuliers sont permis ainsi que le change de devises dans certaines quantités. En revanche, il est légitime qu’elle veuille contrôler les opérations importantes auxquelles elle apporte par ailleurs sécurité, rapidité et réduction des coûts. Ce genre de contrôle n’a rien à voir avec la bureaucratie. C’est du bon fonctionnement global de la société que dépend la liberté de chacune et de chacun et non l’inverse.
B) Le deuxième point a trait aux entreprises. Elles peuvent être, plus encore que les ménages, favorables à la MDBC, génératrice de rapidité des opérations et de réduction des coûts. Il est clair que certaines d’entre elles ne vont pas apprécier que leurs activités deviennent plus transparentes. Mais en tendance, la MDBC va réduire le coût social du fonctionnement monétaire de la société marchande socialiste, ce que Marx appelait les faux frais de production d’une telle société. C’est autant qui est dégagé pour les productions utiles et pour le bien-être des entreprises.
Les sociétés marchandes d’exploitation nourrissent quatre grandes catégories de faux frais de fonctionnement : 1) les faux frais de criminalité et de délinquance, 2) les faux frais monétaires, 3) les faux frais d’armement et de guerre, 4) les faux frais écologiques.
Le socialisme a notamment pour mission historique de réduire et d’éliminer ces dépenses sociales, impliquées par les rapports sociaux marchands d’exploitation, dépenses parfaitement inutiles, voire nuisibles, sous l’angle du bien-être individuel et collectif. Le jour où les activités induites par ces dépenses deviennent inutiles, les forces de travail qui étaient employées à les produire sont aisées à reconvertir et les ressources qui servaient à les réaliser peuvent être utilisées autrement. Il paraît clair que la Chine sera en mesure de contrôler et réduire tant ses faux frais de criminalité que de monnaie bien avant ses faux frais écologiques et d’armement.
C) Le troisième point important est la planification nationale du développement économique, qui est une forme normale et régulière de fonctionnement d’une société socialiste. Le socialisme est un mode de production qui socialise la société. Celles et ceux qui ont la charge de la gouverner s’efforcent d’anticiper, on peut du moins le supposer, globalement, de manière cohérente, dans l’espace et dans le temps, tant ses productions que ses consommations. La monnaie en est une composante majeure puisque c’est elle qui permet d’exprimer la valeur des biens et services concernés et de les faire circuler. Elle est un moyen de la planification socialiste mais nécessite à son tour d’être planifiée. Au sein même du processus de planification, un équilibre doit donc être trouvé entre les activités réelles et la monnaie. Les institutions permettant d’atteindre cet équilibre doivent être mises en place.
Les concepteurs de la planification socialiste de type soviétique avaient considéré que la planification des matières était prioritaire. C’était même sur elle que reposait la planification de l’ensemble économique. La monnaie, selon eux sorte de voile posé sur la valeur, devait s’y adapter de manière quasiment mécanique.
La planification chinoise, en raison de l’insertion de l’économie de la Chine dans le marché mondial et du rôle, dans ce pays du marché ainsi que des entreprises privées, a sorti la monnaie de cet état de dépendance complète. Dans une société socialiste en développement, plongée dans le marché mondial, money still matters. Le gouvernement a donc redonné au système bancaire une grande capacité d’intervention. Les banques chinoises ont grandi en taille, et sous la contrainte de taux d’intérêt fixés au niveau central, elles ont mis en œuvre une politique active du crédit. Elles ont crée de la monnaie. Elles ont alors eu tendance, quand bien même elles était publiques, à devenir «des puissances». Or une société socialiste ne peut pas tolérer que certains de ses agents deviennent des puissances, cela pour au moins deux raisons.
La première est que la puissance confère des degrés de liberté pour pratiquer la corruption. Qui pourra démontrer que tel ou tel crédit fut accordé tout en sachant qu’il ne serait jamais remboursé ? La deuxième est que la puissance, une fois acquise par un agent, doit être par lui préservée et étendue. Telle est la loi aveugle des systèmes, de quelque taille qu’ils soient. Les banques chinoises ont, par exemple, pu avoir tendance, sans s’occuper de l’utilité sociale des opérations qu’elles finançaient, à ne consentir des crédits qu’aux agents dont elles savaient qu’ils rembourseraient à coup sûr, par eux-mêmes ou grâce à l’État, parce que too big to fail. Les petites et moyennes entreprises chinoises se sont souvent plaintes de ce comportement, dont le shadow banking, c’est-à-dire le prêt d’argent par des agents non bancaires, ne recevant pas de dépôts, et donc hors contrôle bancaire, a su profiter.
C’est tout cet ensemble de défaillances comportementales et de défauts structurels, préjudiciables au fonctionnement socialiste de l’économie, que la monnaie digitale de banque centrale devrait permettre de corriger et de redresser en Chine. Grâce à la MDBC, la planification peut devenir une planification monétaire et financière, à la fois non dépendante des marchés financiers, et plus souple, plus rapidement applicable et contrôlable, et donc, au total, plus efficace, que celle réalisée à l’aide des «balances matières».
D) Le quatrième point concerne la stratégie de développement que la planification monétaire initiée par la PBC chercherait à réaliser. La «visite» qu’effectua récemment Janet Yellen en Chine (avril 2024) fut l’occasion, de la part des dirigeants chinois, de faire savoir que, grâce notamment à la MDBC comme composante et moyen d’action d’une société socialiste, ils ne parlaient pas le même langage que la Ministre du Commerce des États-Unis.
Le présent et le futur de la Chine reposent sur une stratégie de développement de moyen/long terme pour le succès de laquelle la MDBC est mobilisée. Voici ce que Pan Gongsheng, l’actuel gouverneur de la PBC, aurait communiqué à Janet Yellen lors de cette visite. J’emploie le conditionnel pour en rendre compte dans la mesure où je n’en ai pris connaissance que de manière indirecte, par le biais d’un article de William Pesek, article que je n’ai pas pu consulter à la source[32].
Selon ce journaliste, la PBC donne un tour nouveau «à la science monétaire». Le programme dont il est question porte sur 500 milliards de yuans (soit environ 70 milliards de USD au taux de change courant). Ces e-yuans seront redistribués par 21 entités financières («les Banques Politiques», les Banques commerciales d’État, certaines Banques par actions, la Caisse Postale de Chine). Elles seront, ou devront être, les assistantes intelligentes de la PBC, qui, tout en conservant un œil, et même deux, sur le suivi de l’opération, leur confie le soin d’agir sur le terrain. Ces remarques reprennent ce qui a été dit précédemment dans ce texte : les entités financières traditionnelles ne sont pas éliminées par la nouvelle monnaie mais leur rôle est repensé.
Le but de cette opération financière de très grande ampleur est de stimuler, de manière très ciblée, et à l’aide de prêts à bas taux (1.75%/an), pouvant être prolongés 2 fois, la production et la mise au point industrielle d’innovations par des entreprises petites et moyennes. Avec la double préoccupation, séparées ou jointes, de la numérisation et de l’écologie (les initiatives vertes), il s’agit, de manière efficace, précise, coordonnée et suivie au niveau de l’État avec l’aide «de maîtres-assistants», de tirer prioritairement la croissance par la Haute Technologie, et non plus prioritairement par le Bâtiment et les Travaux publics, sans que pour autant ces dernières activités soient négligées. C’est ce qu’on appelle «une politique économique de l’Offre», réalisée dans le cadre de rapports sociaux socialistes, avec les moyens structurels et institutionnels que la Cyber-Révolution permet d’utiliser. C’est une Nouvelle Politique Économique de l’Offre qui est en route. Elle vise l’accroissement systématique et équilibré de la productivité du travail pour le bien-être de la population et de la nation. Dix après le lancement du mot d’ordre de «La Nouvelle Normalité», les Chinois sont en train de la réaliser sur une grande échelle. Le projet de monnaie digitale, qui lui aussi a dix ans, permet cette réalisation. Il évoluera avec elle.
Au total, la MDBC est une forme de monnaie qui semble particulièrement bien adaptée au fonctionnement national de rapports sociaux socialistes. La technologie sur laquelle elle prend appui, la blockchain, n’étant pas de nature uniquement financière, le gouvernement de la Chine a pris l’initiative, en 2019, que son utilisation soit testée à propos de la santé, de l’éducation et de l’emploi. Pour l’instant, la société socialiste chinoise demeure une société monétaire. Mais on peut déjà imaginer, sans que ce cheminement soit précis, que la multiplication des bases de données et leur combinaison permettront d’augmenter la productivité du travail de manière inédite. Il sera alors temps de se demander si la valeur et la monnaie ont encore un sens dans ce genre de société.
3) Il est clair que la Chine ne vit pas dans un environnement monétaire et financier socialiste. Celui-ci est encore dominé par les monnaies des pays impérialistes, le dollar US, l’euro et le yen, et il fonctionne à l’aide d’institutions internationales à peu près totalement contrôlées par ces pays. Dans ce contexte, comment réfléchir au rôle international de la Chine en rapport avec sa monnaie ?
A) Pour répondre à cette question, je commence par préciser conceptuellement ce contexte. On dit souvent, de nos jours, que les États-Unis et la Chine s’affrontent. Cette façon de parler mérite examen, et la réalité est, à mon avis, un peu différente.
Après les décisions monétaires de 1971-1976, le très grand capital monopoliste des États-Unis, ayant pour centre nerveux le complexe militaro-industriel de ce pays, s’est, si ce n’était déjà fait auparavant, totalement emparé de son appareil d’État et de la direction de l’Impérialisme, de façon à en utiliser mondialement toute la puissance pour son exclusive survie. Il a construit ce qu’on pourrait appeler «un impérialisme global à direction américaine». En effet, la mondialisation du capital productif s’est d’abord effectuée entre capitaux des pays impérialistes développés. Ils se sont interpénétrés et fusionnés comme une bande de vipères au printemps. De cette base fusionnée, le complexe militaro-industriel désormais en possession de l’appareil d’État des États-Unis, a pris la direction. C’est ce que l’on observe, même si les contradictions entre «les vipères» n’ont pas totalement disparu.
La grande rivalité d’aujourd’hui n’est donc pas celle entre les États-Unis et la Chine. Elle est celle d’une part, entre le complexe militaro-industriel nord-américain, implanté dans l’État américain et en situation de commander tout le capital monopoliste fusionné ainsi que son personnel politique, et, d’autre part, la nation socialiste chinoise et ses alliés.
Cette minorité sociologique nord-américaine est devenue de plus en plus agressive. Cet impérialisme, en devenant «super-impérialisme» n’est pas devenu plus intelligent et plus pacifique. N’ayant manifestement pas accepté les analyses de Kautsky, il mène le monde vers la guerre, s’attaquant aujourd’hui quasiment ouvertement à la Russie tout en préparant de s’attaquer à la Chine. Ses dirigeants vivent sur l’idée que les habitants des États-Unis sont des veaux, qu’ils pourront manipuler éternellement comme ils l’ont fait jusqu’à présent, avec eux et avec «les veaux européens». Ils pensent également que le territoire des États-Unis est un sanctuaire, à peu près totalement protégé de la guerre. Que l’Europe et le Japon soient détruits ne les préoccupe pas. C’est leur survie en tant que système économique et politique qui est en jeu et ils estiment (telle est du moins l’interprétation rationnelle que l’on peut avoir de leur comportement de plus en plus belliqueux) qu’ils pourront survivre, sans trop de casse, même à une guerre nucléaire.
B) Il paraît clair, dans ces conditions, que les propositions que le gouvernement de la Chine pourrait faire, concernant une monnaie commune mondiale (reprise du projet de 2010), ou ayant trait à la réforme des institutions monétaires internationales, n’auraient aucune chance d’aboutir. Le monde est manifestement en train d’être divisé par l’impérialisme. On peut, sans hésiter, laisser tomber pour l’instant les rêves keynésiens d’une monnaie mondiale. Il appartient donc à la Chine, sur une base nationale et socialiste, de construire avec d’autres pays, en vue de neutraliser les effets de cette division, un système nouveau de relations internationales, commerciales, monétaires et sans doute aussi politiques, scientifiques, culturelles.
C’est ce dont on attend l’annonce à l’occasion de la prochaine grande réunion des BRICS, cette année à Kazan (Russie) en Octobre 2024. Il n’y sera pas annoncé au plan monétaire, comme on l’entend quelquefois (du moins je ne le crois pas), la création d’une monnaie commune, mais, plus vraisemblablement la mise en place, pour les pays du BRICS et leur extension de 2023 ainsi que leur extension future, d’une plateforme commune de monnaies digitales pour les paiements transfrontiers[33].
Chaque entreprise d’un pays donné pourra utiliser la monnaie digitale de son pays comme moyen de paiement et non le dollar US. Les entreprises chinoises, par exemple, pourront régler en e-Yuan leurs achats de pétrole auprès des entreprises d’Arabie Saoudite. Pour chaque entreprise, la MDBC présentera l’avantage, d’un règlement rapide, sécurisé, moins coûteux qu’auparavant. Pour l’ensemble des pays concernés par une telle plateforme, la dépendance à l’égard du dollar US sera réduite, en même temps que l’obligation pour leurs banques centrales de constituer des réserves de dollar US.
Il s’en suit que la capacité de l’État nord-américain d’émettre des USD sans compter, et sans conséquence apparente pour son économie, et cela pour vendre des armements et faire la guerre, sera elle aussi réduite. Enfin, et peut-être surtout, diminuera la possibilité, pour ce centre de l’Impérialisme global, de contrôler, grâce à l’usage forcé du dollar US, tout pays réfractaire à ses ambitions mondiales. Comme on le pressent, la MDBC, dans un contexte favorable à l’exigence, mondialement éprouvée, d’un développement économique indépendant, peut être un instrument de transformation révolutionnaire des rapports monétaires entre les pays comme des rapports monétaires dans chaque pays. Les agents du complexe militaro-industriel n’y sont absolument pas préparés.
C) Il faut se réjouir de cette initiative. Mieux vaut attendre, cependant, d’en connaître la composition, le détail, le calendrier d’application et la discussion qu’il suscitera avant d’en juger. Car d’une part, son succès dépendra de la vigueur politique avec laquelle elle sera reprise par les États concernés, et non de ses caractéristiques techniques. D’autre part, elle ne pourra produire tous ses effets que si d’autres problèmes que le règlement instantané des échanges commerciaux sont abordés et traités. Les niveaux de développement au sein de ce groupe dit des BRICS sont différents. Les structures sociales y sont très contrastées. L’ensemble est constitué de pays à la fois unis et opposés. Certains seront créditeurs structurels car on peut tout y acheter et d’autres, qui n’ont pour l’instant rien à vendre seront débiteurs structurels. D’autres catégories de problèmes devront donc être abordés, et d’abord celui du développement. Comment développer les économies des uns et des autres ? Un autre problème à résoudre sera celui de l’investissement. Quels seront les prêteurs et les débiteurs ? Quels nouveaux rapports entre eux ? Mais bien d’autres problèmes se posent et devront être résolus. Faudra-t-il être membre des BRICS pour bénéficier de cette plateforme ? Par ailleurs, dans une récente discussion, Hervé Poly soulignait l’importance que revêtait à ses yeux la création d’une nouvelle bourse des produits agricoles. C’est autant de moins qui sera coté en dollars US et soumis au contrôle du très grand capital de l’agro-alimentaire. Or les BRICS contrôlent environ 50% des ressources pétrolières et gazières actuellement prouvées. Ne seraient-ils pas en mesure d’imposer au monde entier, pour ces matières premières, d’autres cotations que le dollar US ? Enfin, il paraît clair que le rôle et le comportement des «poids lourds» au sein des BRICS sera déterminant. Tous ces éléments invitent donc à être prudent dans l’analyse de la dynamique monétaire et commerciale de ce groupe, même s’il faut en souligner dès à présent, et sans réserve, la très grande portée politique. Car il a déjà le sens d’un exemple à suivre et à prolonger par tous les pays socialistes et en développement, pour s’unir contre l’Impérialisme global.
*
* * *
En conclusion, je dirai simplement que la monnaie fut, pendant deux à trois millénaires, un moyen puissant, de plus en plus puissant, d’exploitation du travail à des fins privées. Le socialisme met fin à l’exploitation et à la monnaie. La monnaie digitale de banque centrale (MDBC) sera son étape terminale dans la société socialiste. Toutes choses égales par ailleurs, en espérant notamment que les luttes pour la paix empêcheront les psychopathes réunis, de Washington, de Londres, de Paris et d’ailleurs, de faire sauter la planète, la MDBC devrait, sur la base d’un combat politique déterminé pour l’établissement de rapports sociaux de paix dans le monde, unifier monétairement et financièrement les pays réfractaires à la domination qu’exercent sur eux l’Impérialisme global et assurer leur développement.
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[1] Cheng Enfu, China’s Economic Dialectic, The Original Aspiration of Reform, Foreword of John Bellamy Foster, 2019, International Publishers, New-York.
[2] Je remercie vivement Baran Dilek pour m’avoir aidé, de France, à rassembler la documentation utilisée pour écrire ce texte.
[3] «Pour les usagers, se servir d’un portefeuille de «yuans digitaux» ou des services de paiement offerts par une plateforme non bancaire telles que Alipay ou WeChatPay, est pratiquement la même chose. Ils peuvent charger sur leur téléphone portable le software (wallet app) leur permettant de stocker leurs fonds» (Wang Wen, «Digital Yuan Parads Its Strength», Xinhua, 28/01/2020).
[4] «…Digital Yuan wallet is very different from non-bank payment platform» (ibid.)
[5] Michel Aglietta et Natacha Valla, Le Futur de la Monnaie, 2021, Éditions Odile Jacob, Paris.
[6] «Knowledge Base : Digital Currency Research Institute (数字资币研究所) of the People’s Bank of China», DigiChina, Stanford University, posté le 8 mars 2022.
[7] Laurent Gigaud, «Yuan numérique : Où en est la Chine avec sa Monnaie numérique de Banque centrale (acronyme anglais : CDBC)?», mars 2024.
[8] «China’s Central Bank Releases a White Paper on Digital Yuan Development», Xinhua, 16 juillet 2021.
[9] Les «villes» chinoises sont des territoires administratifs étendus et non des lieux de densité de population d’un certain montant. Il s’en suit qu’une ville contient une population urbaine, au sens français du terme, et une population rurale. L’expérimentation de la monnaie digitale dans certaines villes ne laisse pas les ruraux de côté. Elle concerne à la fois des urbains et des ruraux.
[10] Yang Shuo, Lin Yinqi, Derek Su, «Digital Currency : Reinventing the Yuan for the Digital Age», 17 novembre 2020, Goldman Sachs (Equity Research).
[11] Jean-Paul Delahaye, Au Delà du Bitcoin, Dans l’Univers de la Blockchain et des Crypto-Monnaies, 2022, Dunod, Paris.
[12] «Aucune dépense d’électricité importante n’est nécessaire pour assurer le fonctionnement d’une blockchain; c’est par erreur qu’un élément du protocole Bitcoin appelé «Preuve du travail» a conduit le réseau Bitcoin à être follement et inutilement énergivore» (Jean-Paul Delahaye, op. cit., p.9), J’ai reproduit ci-après, une fiche technique sur cette technologie. Elle est, dans l’état actuel de sa mise en œuvre, extrêmement consommatrice d’énergie. Les scientifiques chinois et la PBC n’ont pas pu se lancer dans l’aventure d’une nouvelle monnaie sans avoir pris en compte ce «détail» tout en sachant qu’il serait résolu.
[13] Par exemple «Xi Stresses Development, Application of Blockchain Technology», Xinhua.net, 25 Octobre 2019.
[14] «China Explores Using Blockchain for Digital Yuan CDBC Issuance», U Ledgers Insights, 13 septembre 2021.
[15] Yvan Lavallée, Cyber-Révolution et Révolution Sociale, 2022, Le Temps des Cerises, Paris.
[16] Elgin Chan, «Renminbi Internationalisation : China’s Central Bank Digital Currency», 14 mars 2023. On trouvera plus de détails sur ces opérations internationales dans Pascal Ordonneau, Monnaies Numériques, la Chine en Tête…, 2023, Les Éditions La Route de la Soie, Paris, p. 94-95.
[17] Pascal Ordonneau, op.cit., p.11.
[18] Pascal Ordonneau, ibid., p.11. Le premier ouvrage de cet auteur sur la monnaie digitale chinoise a été publié en 2019, sous le titre Le Crypto-Yuan, chez le même éditeur (Les Routes de la Soie).
[19] Kubilai (qui régna de 1260 à 1294) et qui fut sans doute le plus remarquable empereur de la dynastie Yuan (une dynastie d’origine mongole), fut le véritable initiateur de la monnaie de papier en Chine, techniquement inventée sous la dynastie des Tang (618-907) (François Thierry, Les Monnaies de la Chine ancienne, Des origines à la fin de l’Empire, 2017, Éditions Les Belles Lettres, Paris. Marco Polo fut l’invité de Kubilai pendant 17 ans.
[20] Michel Aglietta (en collaboration avec Pepita Ould-Ahmed et Jean-François Ponsot), La Monnaie entre Dettes et Souveraineté, 2016, Odile Jacob, Paris.
[21] Suzanne de Brunhoff, La Monnaie chez Marx, 1973, Éditions Sociales, Paris, État et Capital : Recherches sur la Politique Économique, 1981, Maspero, Paris; Ricardo Bellofiore, Daniel Cohen, Cédric Durand, André Orléan (sous la direction de), Penser la Monnaie et la Finance avec Marx, Autour de Suzanne de Brunhoff, 2018, Presses Universitaires de Rennes, Rennes.
[22] Michel Aglietta et André Orléan, La Monnaie entre Violence et Confiance, 2002, Éditions Odile Jacob, Paris.
[23] En réalité, le baron Louis ne s’exprimait pas de cette manière. Mais chacun aura fait le rétablissement. Ce qui me semble intéressant est de noter que l’institutionnalisme est, au plan économique, ce qu’est au plan politique, la conviction qu’il suffit, pour améliorer le sort du plus grand nombre, de voter de bonnes lois sans changer le système. C’est un réformisme. L’expérience que l’on a faite en Europe au cours du dernier siècle, montre que le réformisme est une impasse sociale et qu’il laisse subsister de grands dangers.
[24] Jacques Bichot, Huit Siècles de Monétarisation, De la Circulation des Dettes au Nombre Organisateur, 1984, Economica, Paris.
[25]Fred Moseley, Marx Theory of Money, Modern Appraisals, 2004, Palgrave MacMillan, London.
[26] Jean-Claude Delaunay, «Des États-Unis, du Dollar, de la Théorie de la Monnaie et de l’Impérialisme Contemporain, un Point de Vue Marxiste», Droits, n° 77, 2024, Presses Universitaires de France, p.3-37.
[27] Pour une approche différente, et plus institutionnaliste que la mienne, de la monnaie, cf. Cheng Enfu, Feng Jinhua, Ma Yan, Ding Xiaoqin, Modern Political Economy, A New Coursebook, 2023, Canut International Publishers, London (en particulier le chapitre 2).
[28] Mark Alizart, Cryptocommunisme, 2019, Presses Universitaires de France, Paris.
[29] Michel Aglietta et Natacha Valla, opus cité, chapitre 2.
[30] Joseph Huber, The Monetary Turning Point, From Bank Money to Central Bank Digital Currency (CDBC), 2023, Palgrave MacMillan, London. Cet auteur (un économiste allemand) discute lui aussi, et pas seulement pour la Chine, du futur de la monnaie comme monnaie digitale de banque centrale.
[31] Selon Mark Alizart, la MDBC est particulièrement bien adaptée à ce genre de crédits (op. cit., p.108).
[32] Ces informations sont extraites d’un article de William Pesek, journaliste économique basé à Tokyo, spécialiste de l’économie des pays d’Asie, article paru le 8 avril 2024 et publié deux jours plus tard par le site Histoire et Société, sous le titre «Pourquoi les appels à la reflation, de Janet Yellen, tombent à plat». Je n’ai pas pu me rendre à la source. Je note l’importance du travail d’authentique information effectué par Danielle Bleitrach et Marianne Dunlop grâce à ce site.
[33] La légende raconte que l’acronyme de BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) fut forgé au début des années 2000 par un journaliste de Goldman Sachs pour désigner un groupe informel de pays en développement peu satisfaits du fonctionnement des institutions monétaires internationales : le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. En 2009, ces quatre mousquetaires tinrent leur première réunion annuelle. En 2011, ils s’adjoignirent un cinquième pays, l’Afrique du Sud. L’acronyme évolua et devint BRICS. Mais le groupe lui-même était en pleine évolution, se dotant de règles de fonctionnement, alors que sa notoriété ne faisait que croître. En 2015, fut créée la New Development Bank (ou Banque des BRICS). En 2023, six nouveaux membres furent formellement intégrés au groupe des cinq (Arabie Saoudite, Iran, Émirats arabes unis, Égypte, Éthiopie, Argentine). Mais en 2024, suite à l’élection présidentielle ayant eu lieu dans ce pays, l’Argentine revint sur sa décision. Aujourd’hui, les BRICS comprennent 10 pays, représentant 46% de la population mondiale et 36% du PIB mondial. Une vingtaine de pays sont en attente d’intégration dans ce groupe. Les BRICS sont l’objet d’une présidence annuelle tournante. En 2024, c’est la Russie qui assure cette présidence. Plusieurs réunions ont déjà été convoquées cette année. La réunion d’octobre 2024 à Kazan sera une réunion de Chefs d’État (note établie à partir de Clara Loïzzo, GéoConférences, 09/11/2023 et divers).
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Daniel Arias
“La monnaie est une certaine image quantifiée du travail” cette affirmation me parait être la plus juste pour décrire ce que devrait être une monnaie socialiste y compris internationale, commune à défaut d’unique.
Si nous sommes dans une telle relation le travail dans des économies développées, informatisées et normalisées juridiquement permettent déjà de connaître la quantité de travail horaire fournit par la feuille de paye, à défaut de la qualité et utilité du travail fourni.
L’évolution d’une telle monnaie si j’ai bien compris devrait suivre l’évolution de la quantité de travail fourni.
Dans une analyse sectorielle de la productivité par secteurs l’agriculture comme l’industrie et cette dernière accélérant la première la quantité de travail par unité produite tend à la baisse. Dans l’industrie elle n’est compensée que partiellement par une timide complexification apparente du produit, mais chaque élément du produit semble suivre la même loi de baisse tendancielle du temps de travail nécessaire.
Dans ce cas pour les secteurs agricoles et industriels cette relation monétaire ferait tendre la masse monétaire vers 0 si l’on observe les ateliers des usines 4.0 et que l’on considère que la production de ces usines suit également la même loi d’augmentation de la productivité que celle des produits qui y seront fabriqués.
Si l’on observe la monnaie dans le système capitaliste la masse monétaire semble folle est suivre une loi contraire à celle de la productivité et semble s’accompagner de productions et de marchandisation de services ou de valorisations artificielles s’éloignant des réalités des besoins et des conditions de production.
Dans une société socialiste je présumes qu’il faudra tout de même un certain mécanisme de régulation de la consommation, par exemple pour prendre l’avion, aller au cinéma,… ne serais ce que pour réguler et rendre juste l’accès à des équipements qui ne sont pas forcément raisonnablement extensibles à l’infini.
Peut on imaginer que la monnaie soit comme aujourd’hui un instrument régulateur mais au service de tous ?
Avec les usines 4.0 et l’évolution peut être caricaturale de la tendance à la disparition du “travail humain” déporté dans les machines. Comment ces nouveaux producteurs, les robots et les ordinateurs des usines 4.0 vont ils gérer leur affectation des ressources matérielles, la logistique,….
Le développement cybernétique de nos sociétés dispose déjà des outils matériels pour une telle régulation, ordinateurs, IoT, 5.5G advanced,…
La conception logicielle d’un système d’optimisation automatisé nécessite des données de qualité sur la production et la consommation de tous les acteurs.
La monnaie numérique (digitale et non digitale) est un moyen fiable de tenir une traçabilité quasi complète des activités économiques, affectation de la monnaie, vitesse de circulation, saisonnalité, circulation géographique, profil des utilisateurs,…
La monnaie comme image quantifiée du travail dans un tel avancement ne deviendrait elle pas une image quantifiée des ressources à mesure que le travail humain s’objective de plus en plus dans les machines qui en assurent leur auto réplication ?
Les cryptomonnaies actuelles sont fortement consommatrice d’électricité car anarchiques et non “communistes” elles nécessitent pour éviter l’inflation de faire une “preuve de travail” qui ne génère un bitcoin que si la clé de hachage contient un nombre autodéterminé par le système de 0 en début de chaîne, c’est cette stupidité qui consomme énormément d’énergie sans que cette énergie ne soit en relation aucune avec la production de bien et service, ce qui est une aberration pour une monnaie.
Le contrôle par quelques banques centrales permet d’utiliser la BlockChain sans forcément une consommation électrique disproportionnée nul besoin que chaque utilisateur de la monnaie dispose d’une copie il suffirait qu’une copie soit disponible dans chaque banque centrale et chaque nation pourrait ainsi s’assurer l’inviolabilité de chaque pièce de e-monnaie.
Toujours si nous retenons la définition socialiste de la monnaie “La monnaie est une certaine image quantifiée du travail” tu évoques avec justesse la notion de créditeur et débiteur STRUCTURELS pour les nations dans une nouvelle mondialisation. Pour le cas de la France nous seront dans une telle définition de la monnaie forcément débiteurs vis à vis de la Chine tant que le travail est essentiellement une valorisation du travail humain.
Cela implique des relations qui mettent en question le marché. Quel types de sociétés accepteraient par ces caractéristiques de développement démographique et/ou technologique un déséquilibre structurel permanent ?
De chacun selon ses besoins, à chacun selon ses moyens.
Xuan
Jean Claude, toujours aussi modeste et prudent, traverse la rivière en tâtant les pierres du bout du pied. Bravo et merci pour ce travail de Romain. Je n’ai pas encore digéré ce document, je dois le relire quelques fois, en profiter pour revoir le livre I du Capital, mais il me donne à réfléchir sur plusieurs points.
C’est vraiment un sujet ardu, on voit que la monnaie est un élément du profit (qui dépend aussi de la vitesse de rotation du capital), mais aussi un élément du développement des forces productives (ou de la thésaurisation financière), mais encore un élément de la mondialisation qu’elle soit unipolaire ou multipolaire, et un élément de la guerre mondiale hors limites, (i.e. l’exclusion de la Russie du système SWIFT). La monnaie est à la fois nationale et internationale.
C’est dire à quel point l’indépendance nationale et une monnaie numérique sont liées.
Nous verrons par curiosité comment pourra évoluer le bitcoin du Salvador. Qu’il grimpe ou qu’il dégringole, il reste très limité à une caste d’agioteurs (5748 bitcoins pour 360 millions de dollars en mai 2024).
C’est vrai que Marx a utilisé la monnaie de son époque dans la théorie du Capital, c’est-à-dire une monnaie possédant en soi une valeur-or ou une valeur-argent pouvant évoluer d’ailleurs.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui, la valeur de la monnaie peut évoluer mais on ne manipule plus des pièces d’or ou d’argent. La valeur d’échange de la monnaie est déjà abstraite, purement nominative, ça simplifie le passage au numérique. Mais la valeur or existe aussi en parallèle. Dans un premier temps la monnaie numérique est adossée à la monnaie existante. Après, sera-t-elle encore plus abstraite ? Dans tous les cas elle reste relative au travail social, à l’échange, à sa vitesse de circulation et de transformation en marchandise.
Les précautions dont la Chine s’entoure –justement dans l’environnement de la guerre hors limites – montrent que le développement à grande échelle d’une monnaie numérique demande aussi une direction unique, et que le risque de corruption ou de spéculation nécessite une direction sans faille, au service des intérêts du peuple, la direction d’un parti communiste.
Pour ce qui nous concerne, la perspective n’est pas nationale mais européenne.
La thèse d’une monnaie numérique a été lancée en Europe fin 2020, c’est-à-dire deux ans avant l’étude de la monnaie digitale centrale des USA. Le 14 juillet 2021 la BCE prévoyait un lancement autour de 2026 et démarrait une phase d’étude « pour le projet qui vise à instaurer une monnaie numérique adossée à l’euro ». Elle serait un complément à l’euro physique.
https://www.banque-france.fr/fr/strategie-monetaire/moyens-de-paiement/leuro-numerique
D’ores et déjà, et bien que le projet lui ressemble avec une direction unique la BCE, on se doute que le chemin pris est très différent de l’e-CNY, très en retard par rapport à lui, partant du global vers le particulier et non du local au général, sujet à des tergiversations et à des divisions internes, et piloté par de grandes bourgeoisies dominées par l’hégémonisme US. Dans le conflit entre mondialisation multilatérale et unilatérale, voire découplage, l’euro numérique sera entre le marteau et l’enclume. Quelle sera sa souveraineté ?
Question subsidiaire : une monnaie numérique fiable pourrait-elle être mise en route dans le cadre d’un frexit, c’est-à-dire avant la prise du pouvoir et l’établissement d’un état socialiste ?
Il sera indispensable de suivre la mise en place de l’e-CNY et l’évolution du rapport entre le dollar numérique et lui, la mise en place de l’euro numérique, son rapport avec le dollar numérique et avec l’e-CNY.
LEMOINE
J’ai des diplômes professionnels bancaires. J’ai lu et relu les monétaristes. J’ai disserté et fait un mémoire sur la question. Et pourtant je ne comprends rien aux monnaies numériques. S’agit-il d’une forme nouvelle de monnaie qui vient s’ajouter à la monnaie scripturale, la monnaie papier, la monnaie métallique ? ou s’agit-il d’une nouvelle monnaie qui s’ajoute alors au dollar, à l’euro etc. Dans ce cas qu’elle est la masse monétaire émise, quelles sont les contreparties de cette masse monétaire ? Comment peut-on décrire le cycle d’émission, de circulation, et de destruction de cette monnaie ?
Daniel Arias
@LEMOINE Les monnaies numériques ne sont pas forcément toutes des cryptomonnaies.
Les cryptomonnaies sont en théorie indépendantes des systèmes bancaires et gérées par des algorithmes puis stockées sur des réseaux sécurisés et cryptées sous forme de BlockChain ce qui rend les transactions immuables, infalsifiables.
Pour le Bitcoin (BTC) la création se fait par la résolution d’une énigme via un calcul très coûteux en calcul et donc en énergie. Quand le mineur découvre une valeur d’une clé de hachage qui correspond aux règles définies dans l’algorithme le mineur valide un bloc de plusieurs transactions qui sera ensuite enregistré dans la base de donnée distribuée de la BlockChain BTC et en récompense il est payé en BTC.
Ces transactions au sein d’un bloc validé représentent la circulation du BTC entre les utilisateurs.
Par contre je n’ai pas connaissance d’un système de destruction de BTC et de ce que j’en ai compris le BTC ne semble pas suivre une logique économique en lien avec les investissements.
Son avenir en dehors de la spéculation et de la mafia me semble limité.
Le mineur ici est une analogie au chercheur d’or. Son travail est d’effectuer une preuve de travail pour assurer le consensus. C’est la forme de consensus de technologie BlockChain la plus énergivore connue sous le nom de PoW Proof of Work. C’est une erreur y compris dans des sites institutionnels d’associer BlockChain et minage.
Par contre ce qui est vrai c’est qu’une BlockChain soit être validée par consensus et il existe d’autres méthodes moins énergivores basées sur la réputation et le risque ou encore le vote: PoS et PoV.
Une monnaie comme le BTC repose comme nous le voyons sur des ressources énergétiques et matérielles des fermes de minages, ordinateurs ou cartes graphiques ou encore Rigs de minage extrêmement coûteux ainsi que sur l’infrastructure Internet.
Toute l’infrastructure du BTC repose sur des investissements matériels massifs fianancés en Dollars, Euros, Yuans,…
L’utilisation du BTC reste confidentielle et de plus en plus spéculative y compris avec des bourses qui jouent entre les diverses cryptomonnaies et qui sont échangées entre elles ou avec les monnaies bancaires classiques. Ces intermédiaires sont les brokers ou les exchanges qui permettent d’entrer et sortir du domaine monétaire des cryptomonnaies.
La faillite l’an dernier d’une banque californienne spécialisé dans ces opérations démontre que les cryptos sont finalement un moyen de faire circuler de la monnaie émise par les état.
La principale caractéristique de ces monnaies et d’être aussi anonyme que votre billet de banque en papier mais de circuler partout entre deux ordinateurs et à grande vitesse. Le rêve pour ceux qui ont besoin de discrétion et qui trouvent les valisent trop lourdes où les contrôle bancaire lors de retraits massifs trop indiscrets.
À la différence d’une cryptomonnaie, une monnaie numérique émise par un état sur technologie BlockChain pourrait permettre de stocker des informations sur l’usage de ce qui serait l’équivalent du billet de banque dont sous la forme papier on ne sait rien de son utilisation.
La BlockChain est avant tout une base de données immuable dans laquelle ont peut stocker n’importe quoi, des diplômes, des photos, des contrats, des échanges de messages, les étapes de fabrication d’un produit, son parcours dans la chaîne logistique, le suivi d’entretien d’un véhicule,…
Son avantage est de garantir la validité des informations et son inviolabilité ainsi que la transparence si tous les acteurs détiennent la clé de cryptage ou que les informations sont en clair.
Ce billet de banque dans lequel circulerais des informations de son usage permettrait d’établir non plus des statistiques sur des échantillons mais sur la réalité complète de son usage. Peu avant l’an 2000 des systèmes informatiques capables de traiter des milliards de ligne de données étaient déjà disponibles. L’intérêt ici pour lutter contre la criminalité et la corruption est manifeste.
Une telle monnaie mais sous contrôle des banques centrales avec un système de consensus par vote (PoV) permettrait d’effectuer un bon colossal dans la compréhension de l’économie mondiale et une surveillance en temps réel de son état.
C’est révolutionnaire et d’ailleurs le champs d’application de ces découvertes est lui même un sujet de recherche très actif..
Couplé à l’IA des corrélations pourraient être proposées automatiquement à l’examen des experts eux bien humains afin de tirer des conclusion de causalité entre les phénomènes économiques.
Liens:
Comment est créer un Bitcoin ?
https://www.coinhouse.com/fr/bitcoin/#creation
Un article “LEBitcoin est-il une monnaie ?”
https://opee.unistra.fr/IMG/pdf/bulletinopee_37_final_article2-2.pdf
LEMOINE
Alors, si je comprends bien, la monnaie numérique serait une monnaie marchandise, comme la monnaie or. A la différence que la marchandise est virtuelle et que sa teneur en “or pur” est vérifiée en continu et anonymement via un processus complexe et couteux (cette affaire de mineurs!). Le problème est alors, comme pour l’or, qu’on passe facilement de l’or réel à un or papier. L’émission monétaire échappe alors à sa validation par l’économie productive. La crise monétaire est l’issue finale quasi inévitable de ce processus d’échappement au réel. Comme il arrive fatalement que la monnaie papier est trop abondante pour pouvoir se convertir en or, il arrivera que la masse monétaire numérique ne pourra plus se convertir en monnaie réelle (dont la création anticipe une création de valeur et dont le destruction se fait sous la forme du remboursement des avances (de la création) par la production de marchandises validées par le commerce.
Daniel Arias
@LEMOINE Les monnaies numériques reposent surtout sur une technologie particulière qui n’empêche pas d’avoir des monnaies numériques contrôlées par les banques centrales ou même les banques commerciales, ce sont des choix politiques.
Le Bitcoin qui est le plus célèbre actuellement est selon certain une monnaie qui correspondrait aux idéaux libéraux d’Hayek, une monnaie échappant à tout contrôle.
Le BTC se définit effectivement comme n’ayant pas de lien avec l’économie productive, tu as très bien saisi l’image de l’or “virtuelle”, le terme minage a été choisit pour ça.
Dans le cas du BTC le fondateur, un seul homme ou un groupe, dont le pseudo est Satoshi Nakamoto, a fixé volontairement pour l’an 2140 une limite de 21 millions d’unités de BTC qui sont divisibles à la 8ème décimale.
Ce qui interroge pourquoi 2140 ? Sachant qu’au plus un BTC peut être produit toutes les 10 minutes seulement si j’ai bien compris.
Ces monnaies marchandises qui ont été les premières monnaies stockées sur une BlockChain ont le mérite de démontrer la faisabilité technique et de populariser la BlockChain, mais comme monnaies elles sont une régression, un far west sur lequel aurait été posée une sorte de “loi divine” elle aussi immuable.
Par contre la monnaie numérique stockée sur BlockChain privée sous contrôle de plusieurs banques centrales pourrait permettre une monnaie commune multinationale qui contournerait les risques que représente une monnaie centralisée comme le Dollar avec son système d’échange électronique SWIFT qui curieusement est basé à Bruxelles siège de l’OTAN.
Pour compléter j’ai découvert ce petit article qui explique vu du droit les différences (avec quelques approximations techniques).
Il est clairement fait une distinction entre monnaie électronique, actifs numériques et monnaie digitale de banque centrale MDBC qui est un actif numérique émis par une banque centrale, dans ce cas nous trouvons toutes les possibilités de contrôle de cette monnaie d’un banque centrale qui sera souveraine sur ces actifs.
Les cryptomonnaies et les systèmes de paiement en ligne de PayPal à WeChat ou AliPay introduisent un risque pour le fonctionnement de l’économie facilement contrôlable par la concurrence d’une monnaie MDBC qui elle a le mérite d’avoir cours légal et rendra inutiles tous les concurrents et potentiellement substituables par l’État tout en conservant le confort d’utilisation pour les usagers sauf pour les trafics illégaux.
Avec un monopole de MDBC dans un État il serait relativement facile de mettre fin au trafic de drogues, si les paiements anonymes sont interdits, mais aussi entraver le financement de mouvements de résistance.
https://www.lettredunumerique.com/P-2246-489-A1-cryptomonnaie-vs-monnaie-digitale-de-banque-centrale.html
Xuan
La monnaie numérique fonctionne un peu comme un chèque numérisé, de sorte que le vendeur d’une marchandise se retrouve en possession d’un équivalent de monnaie versé sur son compte.
A partir de là l’équivalent de monnaie peut être réutilisé pour un autre achat de même valeur, ou associé à d’autres équivalents, pour un achat d’une autre valeur. Et la monnaie numérique redevient marchandise. Evidemment l’innovation ne supprime pas les crises capitalistes, ce sont des rapports sociaux socialistes qui peuvent les éviter. Si on se surendette avec une monnaie numérique, le résultat sera le même qu’avec des billets.
Sauf qu’en principe la surveillance de la monnaie numérique peut surveiller son utilisation.
On trouve une étude du e-CNY sur le site du Rubicon
“Le yuan numérique : nouvelle arme dans la guerre du droit chinoise ?”
indiquant que l’e-CNY permettrait à la Chine de contourner des sanctions US.
https://lerubicon.org/le-yuan-numerique-nouvelle-arme-dans-la-guerre-du-droit-chinoise/
Xuan
Une question se pose à propos de l’équivalence entre la monnaie, la marchandise et le travail social.
D’abord comme dit Jean Claude, la monnaie et la valeur ne sont pas identiques.
Et puis dans l’utilisation de monnaie matérielle, la même monnaie sert plusieurs fois.
Le passage de la marchandise dans la forme monnaie fait que, nous dit Marx, « La même valeur, c’est-à-dire le même QUANTUM de travail social réalisé, reste toujours dans la main du même échangiste, quoiqu’il la tienne tour à tour sous la forme de son propre produit, de l’argent et du produit d’autrui. Ce changement de forme n’entraîne aucun changement de la quantité de valeur. Le seul changement qu’éprouve la valeur de la marchandise se borne à un changement de sa forme argent. Elle se présente d’abord comme prix de la marchandise offerte à la vente, puis comme la même somme d’argent exprimée dans ce prix, enfin COMME PRIX D’UNE MARCHANDISE EQUIVALENTE » [Le Capital – livre premier – première section – chapitre V]
Quantum est souligné par Marx. Je souligne « comme prix d’une marchandise équivalente », ceci veut dire que la monnaie, servant à la transformation de la marchandise en argent puis de nouveau en marchandise et ainsi de suite, la même pièce de monnaie ou le même billet peut représenter plusieurs fois la même valeur.
En d’autres termes, s’il est vrai que « La monnaie est une certaine image quantifiée (une relation chiffrée, dit Jacques Bichot) du travail » dans chaque transaction, par contre la masse monétaire en circulation ne représente absolument pas l’ensemble des marchandises ni l’ensemble du travail effectué pour les produire, puisque si la valeur d’une marchandise est réalisée dans une transaction, la valeur de la même monnaie peut être réalisée plusieurs fois dans des marchandises différentes mais de même valeur.
Si nous prenons le cas d’une monnaie virtuelle que se passe-t-il ?
La transaction est enregistrée comme une data, pouvant contenir une somme plus ou moins complexe de renseignements, comme la marchandise, sa valeur, la date, l’identité du vendeur et de l’acheteur, etc.
D’ores et déjà nos comptes bancaires enregistrent une partie de ces données, et comme l’écrit Lemoine « Ce billet de banque dans lequel circulerais des informations de son usage permettrait d’établir non plus des statistiques sur des échantillons mais sur la réalité complète de son usage. Peu avant l’an 2000 des systèmes informatiques capables de traiter des milliards de ligne de données étaient déjà disponibles. L’intérêt ici pour lutter contre la criminalité et la corruption est manifeste.
Une telle monnaie mais sous contrôle des banques centrales avec un système de consensus par vote (PoV) permettrait d’effectuer un bon colossal dans la compréhension de l’économie mondiale et une surveillance en temps réel de son état».
L’intérêt pour les organismes de prêt bancaire, pour le capitalisme commercial ou pour la police de la bourgeoisie pourrait être évident aussi.
A la différence de la monnaie matérielle, chaque transaction peut être identifiée, c’est-à-dire chaque transformation de la marchandise en sa valeur monétaire.
D’une certaine façon cette monnaie numérique paraît plus abstraite que la monnaie réelle puisqu’elle n’a pas d’existence matérielle sauf sa trace numérisée.
Mais en fait elle est beaucoup plus matérielle puisqu’elle symbolise l’ensemble des relations propres à chaque transaction, et non plus simplement la valeur de la marchandise.
Mais cela ne permet pas encore de voir l’équivalence entre le travail et la marchandise tant que la monnaie matérielle existe encore en parallèle.
Daniel Arias
Le lien avec le travail puis production et consommation me semble central dans la réflexion autour de la monnaie.
Comment dans cette réflexion intégrer les luttes en cours pour le pouvoir d’achat ? En France en particulier où les revendications d’une augmentation des salaires sans forcément avoir une réflexion sur la productivité ou les prix sur le marché mondial risque d’aboutir en fin de compte à une illusion monétaire.
Il y a certes des marges de manœuvre importantes dans la répartition des produits (au sens comptable) mais sur le marché international il me semble nous allons être confrontés rapidement à de profonds déséquilibres liés à la quantité et la qualité des forces productives avec lesquelles nous entrons en compétition combinés avec le développement de nos propres forces. Ceci dans un marché où l’offre et la demande vont s’accroître dans les marchés émergents.
Dans le domaine des véhicules électriques nous constatons que l’avance prise par la Chine est irrattrapable.
L’UE et la totalité de la classe politique propose comme solution le protectionnisme qui ne règle rien, au contraire à nos débouchés sur les marchés émergents, de plus l’interdiction proche de la production de véhicules thermique est maintenue.
La Chine après avoir constaté un retard dans les moteurs à combustion a choisi de se positionner sur le marché émergent des véhicules électriques et se positionne déjà sur la propulsion et le stockage par le biais de l’hydrogène.
Sur la plupart des technologies émergentes la Chine se retrouve en position avantageuse et propose des produits hautement compétitifs tant en qualité qu’en prix.
Quel est le sens de demander des salaires à 2000 euros ? Sans modification de notre potentiel industriel et sans analyse des impacts sur l’emploi des innovations arrivant à maturité aussi bien en quantité qu’en qualité.
Il semble que nous soyons dirigés par des équipes tétanisées incapables de faire face aux transformations qui sont à l’œuvre autour de nous et de plus en plus sans nous.
Certains pays en Europe continuent à obtenir des résultats industriels tels l’Espagne et même la Hongrie, des pays avec une population relativement faible que la Chine n’hésite pas à choisir comme lieu d’investissement.
Le SMIC en France est à 1539 euros mensuels, le SMI en Espagne est à 1134 euros après une négociation à la hausse de 5% cette année sans que la qualité de vie en Espagne ait grand chose à envier à celle des travailleurs français.
En 3 ans seulement les loyers des studios pour les jeunes sont passés de 300 euros à 450 euros dans ma ville pendant que la Ville PS/PCF/EELV a connu une destruction de centaines de logements HLM influant directement sur les prix tout comme les politiques sur l’efficacité énergétique des bâtiments.
Demandez 2000 euros sans régulation des prix, sans positionnement de nos productions à l’international n’a pas de sens.
À l’international nous serons obligés de baisser nos prix si nous sommes concurrencés dans tous les domaines techniques et sur des importations que nous ne sommes plus en capacité de remplacer.
À moins de parier sur une hausse des salaires chez nos principaux concurrents qui n’affectera qu’à la marge les prix tenant compte des économies d’échelle dont ils sont capable et de l’accroissement de la productivité.
Il serait intéressant de voir comment la Chine envisage ces déséquilibres structurels et quelles forces politiques françaises en discutent avec les chinois.
Au niveau syndical et politique envisager des hausses de salaires comme si nous étions une grande puissance impérialiste me semble hasardeux et porteur de grandes désillusions.
Ne nous sommes nous pas endormis sur des revendications trop faciles ?