Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La “réforme” de l’audiovisuel et le vrai visage de l’information comme celui de la “culture”…

La ministre de la Culture, Rachida Dati.

La ministre de la Culture, Rachida Dati.© Fournis par La Tribune

Tandis que les mêmes osent dénoncer la loi “liberticide” géorgienne qui propose en fait aux médias financés par l’occident et dont les “promoteurs” sont les mêmes qui en France et partout prétendent faire régner leur loi, celle du profit et du consensus impérialiste. La nomination de Rachida Dati n’a pas d’autre signification que cette mise au pas qui néanmoins s’avère plus difficile qu’il n’y paraît puisque même “la Tribune” appelle à revoir la copie. C’est comme le festival de Cannes, tandis que l’on prétend limiter le progressisme (sur fond de palmarès lié au marché) au droit des transgenres (ce qui est effectivement une noble cause pour une minorité stigmatisée), l’immense majorité des acteurs de la profession dénonce la manière dont la culture est sinistrée. On songe à la manière dont la République de Weimar a créé les institutions qu’Hitler n’a même pas eu à modifier pour installer le nazisme puisque déjà l’essentiel était là, sacrifier les travailleurs à la rationalité des “trusts” et des conservateurs à travers l’anticommunisme. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

L’agenda législatif, engorgé, retarde au minimum au 24 juin l’examen par les parlementaires du texte voté au Sénat en 2013 relatif à la fusion de France Télévisions, de Radio France, de l’INA – et, possiblement, de France médias monde (RFI, France 24). Un simple contretemps, regretteront ses artisans pressés d’aboutir, un simple sursis, conviendront les corps sociaux des établissements concernés et la vaste communauté des opposants. Un simple répit donc, pour une ambition qui n’a pourtant rien de simple. Et qui défie l’enjeu démocratique, à la fois exogène – pour l’ensemble de la société – et endogène – à l’égard des 16 000 salariés concernés.

Pour rappel, le projet prévoit l’unification des entreprises de l’audiovisuel public, par la création au 1er janvier 2025 d’une holding commune qui préparera la fusion (absorption) programmée un an plus tard. La mobilisation des salariés, toutes catégories professionnelles confondues, impressionne. Qu’elle prenne la forme de grèves ou de tribunes collectives, ils protestent contre la hâte, frénétique et irrationnelle, imposée par la ministre de la Culture Rachida Dati, et le déficit de concertation avec eux.

Ils dénoncent la grande faiblesse et même l’incongruité des arguments pro-fusion qui ne résistent pas à la force de frappe informationnelle et technologique de chaque entité. Ils insistent sur l’ineptie chronologique, puisque la suppression de la redevance décidée en août 2022 ne fait toujours pas l’objet d’un canal alternatif de financement pérenne. Ils fustigent l’illusion de produire de substantielles économies – le rapport de la Cour des comptes sur les « 40 ans de décentralisation » publié en mars 2023 démontre par exemple que l’objectif d’économie qui motivait la fusion des Régions en 2016 a échoué. Ils stigmatisent les déséquilibres organisationnels futurs inhérents à celui, actuel, des tailles des entités et aux disparités statutaires. Et bien sûr ils alertent sur l’appauvrissement de la proposition éditoriale : pluralité contractée, uniformité des formats promis à la rationalité économique, menaces sur la variété de l’offre culturelle – qui impliquent jusqu’à l’avenir des orchestres -, et sur les antennes de Radio France exposition aux pressions des annonceurs publicitaires bénéficiaires d’un déplafonnement des volumes. Autant de périls, qui d’ailleurs « sautent aux yeux » de tout observateur averti. L’ancienne ministre de la Culture Roselyne Bachelot peut le crier haut et fort : cette perspective « va mettre l’audiovisuel public à feu et à sang »

Giorgia Meloni, l’exemple

D’abord des périls pour la démocratie exogène. Outre l’affaiblissement de l’offre éditoriale et culturelle, la réunification-absorption provoquera la création d’un mastodonte à la tête duquel régnera une gouvernance par définition extrêmement dépendante de l’identité du pouvoir politique aux commandes. Imagine-t-on ce qu’il adviendra de l’audiovisuel public si Marine Le Pen siège à l’Élysée en 2027 ? Les précédents en Europe (Pologne, Hongrie…) sont symptomatiques : la dérive illibérale de régimes démocratiques « passe » par l’arraisonnement des médias publics. L’Italie de Giorgia Meloni sert de laboratoire. Le 25 avril, jour de commémoration de la libération du fascisme, l’historien Antonio Scurati devait lire un texte anti-fasciste sur les antennes de la RAI ; l’émission a été brutalement déprogrammée.

L’incompréhension et les inquiétudes que soulève la fusion n’affectent pas que la démocratie du pays ; elles questionnent en profondeur la légitimité d’une méthode qui écarte et discrédite l’opinion des salariés. En d’autres termes, la démocratie sociale des entreprises (ou démocratie endogène) concernées est agressée.

« Une fois fusionné, l’audiovisuel public sera plus fort  » : voilà en substance ce qui résume la motivation de Rachida Dati. Dans sa tribune publiée dans La Tribune Dimanche (26 mai), elle affirme que « (…) seule une entreprise unique, avec une équipe dirigeante commune, permettra de réduire substantiellement les lourdeurs liées aux coopérations entre structures juridiques différentes et de mettre en œuvre une stratégie plus dynamique coordonnée sur les investissements prioritaires ; les énergies comme du reste les moyens seront ainsi démultipliés (…) ». L’interrogation démocratique est cruciale : un(e) ministre peut-il(elle), dans l’extrême empressement et en catimini, décider du sort de 16 000 collaborateurs ? Du sort, c’est-à-dire du sens de leur métier, du sens de leur emploi, du sens de leurs responsabilités ? De leur capacité d’initiative, de leurs aspirations individuelles et collectives ? Des singularités culturelles propres aux entités qui les salarient ?

A l’aune de l’histoire des fusions-absorptions – surtout si elles sont « non souhaitées », contre-intuitives ou précipitées -, comment nier qu’elles ont pour effet systématique de verticaliser, de compartimenter et de « politiser » le pouvoir ? D’invisibiliser les individus et de décourager leurs dispositions à la responsabilité, à l’engagement, à la loyauté ? D’uniformiser process et management dans le déni des singularités antérieures ?

Illusion vs truisme

Certaines raisons avancées par Rachida Dati pour justifier son projet sont fondées. Transformations profondes et rapides liées au numérique et à l’IA, vieillissement des publics « téléspectateurs » et « auditeurs », concurrence des plateformes anglo-saxonnes… auxquels on peut ajouter des gisements de « gains d’efficacité » propres aux errements du service public. Mais pourquoi mépriser l’intelligence collective d’un corps social, par définition le plus au fait des réalités de son écosystème, et lui substituer l’intuition – et les intérêts personnels – d’un aréopage endogame de politiques et de cabinets-conseils ?

Rachida Dati imagine sans doute qu’une fois la fusion dictée, les salariés la mettront en œuvre, le sourire aux lèvres et la motivation intacte ? C’est nier un truisme : imposer une décision contre l’adhésion, contre la disponibilité à contribuer, contre le désir d’être entendu, contre le souhait d’être considéré, est voué à l’échec. Cette règle, universelle, est particulièrement prégnante dans les établissements publics où le sentiment d’appartenance à l’entreprise, à la marque, à l’histoire, à la culture, à la notion de « service », colmate le déficit endémique de management – et donc la fusion effacera l’identité de chaque structure à laquelle les salariés sont arrimés. Mais elle ne s’apprend pas sur les bancs de l’Assemblée nationale, de la mairie de Paris, du ministère de la Culture, ou des défilés de haute couture ; elle s’acquiert dans l’expérience entrepreneuriale ou managériale de l’entreprise.

Pas mieux que Bernard Arnault

Il faut relire Edgar Morin. Depuis des décennies, le sociologue et philosophe sensibilise aux vertus de la complexité. Laquelle, pour donner le meilleur d’elle-même, exige l’application de méthodes. Celles-ci ne se décrètent pas dans le salon feutré d’un ministère, mais mobilisent du temps. Le temps des consultations, des examens, des confrontations, des débats, à l’issue desquels se forment le compromis puis l’adhésion chers à l’un de ses admirateurs, l’ancien secrétaire général de la CFDT Laurent Berger. Mais le compromis figure-t-il dans le vocabulaire de Mme Dati ? L’agenda politique personnel de la ministre de la Culture doit-il dicter l’avenir de l’audiovisuel public ? Son besoin singulier de provoquer et de précipiter pour exister peut-il séquestrer l’intérêt citoyen et démocratique consubstantiel audit audiovisuel public ? Il est parfaitement légitime de blâmer certaines pratiques prédatrices dans le secteur privé. Personne n’a oublié les basses manœuvres déployées par Bernard Arnault (LVMH) pour déstabiliser l’actionnariat d’Hermès puis mettre la main sur la pépite dans le mépris absolu du corps social. Il était à espérer que ce genre de tour de force épargne le service public. Peine perdue.

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