La création d’un marché financier autonome en Russie est l’une des principales missions du ministère des finances. C’est ce qu’a déclaré Anton Silouanov devant la Douma d’État avant d’être confirmé dans ses fonctions de ministre des finances. “Nous devons disposer de nos propres ressources pour financer les investissements et le développement économique”, a-t-il expliqué. Nous avons vu hier que Ziouganov ne faisait aucune confiance à Silouanov qui pour lui reste dans une logique antérieure décrite ici et ne pratique pas une véritable rupture avec les politiques financières. Mais le mécanisme décrit dans cet article a le mérite de nous faire comprendre pourquoi il y a pu y avoir sanctions et sous quelle forme, gel des avoirs et ce que représente de fait la proposition d’utiliser les fonds russes pour financer le gouffre ukrainien. (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop)
https://vz.ru/economy/2024/5/22/1268170.html
La création d’un marché financier autonome en Russie est l’une des principales missions du ministère des finances. C’est ce qu’a déclaré Anton Silouanov devant la Douma d’État avant d’être confirmé dans ses fonctions de ministre des finances. “Nous devons disposer de nos propres ressources pour financer les investissements et le développement économique”, a-t-il expliqué.
La Russie s’est engagée depuis longtemps sur la voie de l’intégration dans le marché financier mondial. En raison des différences de poids entre les institutions financières nationales et mondiales, une part importante des ressources d’investissement russes a été placée sur des places boursières étrangères. Les plus grandes entreprises russes ont procédé à des introductions en bourse sur les marchés étrangers (il était possible d’y placer un plus grand volume d’actions et à un prix plus élevé, c’est-à-dire d’attirer davantage de capitaux). Les banques et les sociétés de courtage russes proposaient à leurs clients russes de placer leurs fonds sur les marchés étrangers.
En conséquence, selon la Banque centrale, les sorties de capitaux de Russie ont dépassé 100 milliards de dollars certaines années. Le marché russe s’est retrouvé avec un nombre dérisoire de capitaux russes.
La croissance au lieu de l’effondrement
Or, l’argent est l’élément vital de l’économie. Sans investissement, il n’y a pas d’affaires. Par conséquent, la croissance économique de la Russie dépendait en grande partie de deux paramètres : premièrement, la part des bénéfices des entreprises russes prospères (telles que Gazprom ou Nornickel) qu’elles utiliseraient pour leur propre développement et, deuxièmement, la quantité d’argent qui resterait dans le pays après la fuite des capitaux à l’étranger.
La confiance de l’Occident dans le fait que les sanctions allaient faire chuter l’économie russe reposait sur ces circonstances. Les capitaux devaient quitter la Russie et le robinet des investissements étrangers devait être fermé. L’économie devait se retrouver sans argent et mourir.
Mais il s’est avéré que l’économie russe n’était pas entièrement dépendante des marchés financiers étrangers. La Russie a été aidée par l’excédent commercial et par le fait que le secteur réel représente une part plus importante du PIB russe et le marché des services (y compris les services financiers) une part moins importante.
Grâce à la croissance du secteur de la défense (et de ses fournisseurs de métaux et de composants), l’économie russe a commencé à croître à un rythme accéléré, se classant finalement au cinquième rang mondial. Cette croissance a été alimentée par l’augmentation des dépenses budgétaires.
Mais une telle stimulation de la croissance a ses limites. Il est nécessaire d’assurer la poursuite du développement économique de la Russie et, à cette fin, il est important de réformer le marché boursier russe. C’est ce que Silouanov a à l’esprit, entre autres. Cependant, la tâche va bien au-delà de la finance elle-même.
L’infrastructure financière de la Russie
Tant que la Russie faisait partie du monde occidental, il était possible de compter sur l’achat d’un certain nombre de biens et de technologies à l’étranger. Dans la situation actuelle, la question de la transition vers la souveraineté technologique s’est posée, ce qui signifie que le pays devrait disposer d’une gamme complète de toutes les technologies clés de sa propre production. La même approche est logique dans le domaine de l’éducation et de la science.
Le système financier de l’État doit également être indépendant des institutions de l’économie mondiale, telles que le FMI et la Banque mondiale.
Et bien sûr, il ne doit pas dépendre du centre d’émission mondial représenté par le système de réserve américain. “La question systémique est de renforcer la souveraineté financière de notre pays. C’est la condition la plus importante pour augmenter les investissements dans les entreprises de haute technologie, l’industrie, l’agriculture et de nombreux autres secteurs”, a déclaré le président Vladimir Poutine.
Une étape importante sur la voie de la souveraineté financière devrait être la création d’une infrastructure appropriée, un système qui nous permettrait d’accumuler l’épargne des citoyens et de la canaliser vers des projets de développement économique. Si nous avons été déconnectés du marché financier occidental, il est nécessaire de créer un analogue national qui fonctionne au moins aussi bien.
Investir en Russie
Les investisseurs russes ont été cruellement trompés par l’Occident : leurs capitaux placés en Europe et aux États-Unis ont été gelés après les sanctions antirusses. Aujourd’hui, un rachat des titres étrangers bloqués détenus par des résidents russes est en cours de préparation. En contrepartie, les fonds d’un certain nombre de sociétés étrangères placés sur des comptes C russes seront débloqués. Cette procédure rappelle les échanges occasionnels de prisonniers de guerre avec l’Ukraine.
D’importantes ressources financières devraient revenir en Russie et les citoyens russes pourront acheter des actions russes avec cet argent plutôt que des actions étrangères. Cela garantira la croissance du marché boursier national et le financement des entreprises nationales.
Cependant, les objectifs annoncés par Silouanov sont encore plus à long terme. Non seulement la confiance dans les institutions et les participants joue un rôle important sur les marchés financiers, mais la réforme de l’infrastructure des marchés financiers est également une tâche difficile. Cette infrastructure est extrêmement vaste et inertielle.
À l’heure actuelle, les banques russes gagnent de l’argent principalement en prêtant aux particuliers (prêts à la consommation, prêts automobiles, prêts hypothécaires), en effectuant des opérations d’import-export et en spéculant sur les devises. Les prêts à l’industrie sont une rare exception. En règle générale, ils sont liés à des programmes d’État préférentiels dans le cadre desquels l’État compense une partie du taux d’intérêt. Sans cela, au taux actuel, les prêts pour les projets d’investissement sont très coûteux.
Un marché boursier bien développé constitue un mécanisme efficace de stérilisation de la masse monétaire excessive, ce qui signifie qu’il réduit l’inflation. Si le marché boursier national peut remplir ces fonctions, la Banque centrale pourra assouplir sa politique monétaire, la pression inflationniste due à la hausse des salaires et à l’augmentation de la demande des consommateurs diminuera (rien que par le montant des investissements). L’assouplissement de la politique monétaire (réduction des taux d’intérêt) est toujours favorable à la croissance économique. Les banques pourront prêter plus activement à l’industrie.
La Russie manque d’investisseurs institutionnels, tels que les fonds de pension privés (FNP), qui, en Occident, sont tenus par la loi de mener une politique d’investissement conservatrice. La possibilité d’abaisser les exigences pour les entreprises qui placent des actions sur les marchés boursiers pour la première fois (IPO) est actuellement à l’étude, de sorte que les FNP auraient moins de restrictions à l’achat de leurs actions. En particulier, il est proposé d’abaisser le seuil du volume de l’introduction en bourse de 50 à 3 milliards de roubles. Selon les analystes de la Banque centrale, cette mesure pourrait entraîner, dès la première année, un afflux supplémentaire de 2 à 3 000 milliards de roubles sur le marché boursier.
Les investisseurs privés ne sont pas en reste. Des comptes d’investissement de type IIS-3 sont introduits pour eux, avec un système de privilèges qui les encourage à ne pas retirer de fonds du compte de courtage pendant plusieurs années.
Il n’est pas nécessaire de copier complètement les marchés boursiers occidentaux. Mais ce type d’infrastructure permet aux entreprises jeunes et actives, aux sociétés innovantes prometteuses de recevoir le financement nécessaire à leur développement.
L’argent des citoyens et des entreprises russes alimentera l’économie russe au lieu de partir à l’étranger. Cela accélérera le progrès technologique et la croissance économique. Cela signifie qu’une base financière indépendante pour la pleine souveraineté économique de la Russie est en train d’être créée.
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