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Le déploiement d’une unité de la Légion étrangère commandée par des officiers français déclenchera-t-il une guerre européenne plus large ?
Par STEPHEN BRYEN 4 MAI 2024
La France a envoyé officiellement ses premières troupes en Ukraine. Ils ont été déployés à l’appui de la 54e brigade mécanisée indépendante ukrainienne à Slaviansk. Les soldats français sont issus du 3e régiment d’infanterie français, qui est l’un des principaux régiment de la Légion étrangère.
En 2022, la France comptait un certain nombre d’Ukrainiens et de Russes dans la Légion étrangère. Ils ont été autorisés à quitter la Légion et, dans le cas des Ukrainiens, à retourner en Ukraine pour rejoindre les forces ukrainiennes. On ignore si les Russes sont rentrés chez eux.
La Légion est aujourd’hui dirigée par des officiers français, mais les soldats sont tous étrangers. Dans le cadre du curren anonymat (être anonyme), un volontaire qui s’engage dans la Légion peut décider de garder son prénom ou d’en adopter un nouveau. Les légionnaires sont nommés pour un mandat de trois ans, après quoi ils peuvent demander la nationalité française. Si un légionnaire est blessé, il a le droit d’obtenir la nationalité française sans délai d’attente. Il n’y a pas de femmes dans la Légion étrangère.
Le premier groupe de troupes françaises compte environ 100 hommes. Il ne s’agit que de la première tranche d’environ 1 500 soldats français de la Légion étrangère qui doivent arriver en Ukraine.
Ces troupes sont postées directement dans une zone de combat chaude et sont destinées à aider les Ukrainiens à résister aux avancées russes dans le Donbass. Les 100 premiers sont des spécialistes de l’artillerie et de la surveillance.
Depuis des mois, le président français Emmanuel Macron menace d’envoyer des troupes françaises en Ukraine. Il n’a trouvé que peu ou pas de soutien de la part des pays de l’OTAN, en dehors du soutien de la Pologne et des États baltes. Les États-Unis s’opposeraient à l’envoi de soldats de l’OTAN en Ukraine (autrement qu’en tant que conseillers).
L’une des questions qui se posent immédiatement après la décision de la France d’envoyer des soldats de son 3e régiment d’infanterie est de savoir si cela franchit la ligne rouge russe sur l’engagement de l’OTAN en Ukraine. Les Russes y verront-ils le déclenchement d’une guerre plus large au-delà des frontières de l’Ukraine ?
La France elle-même n’a pas beaucoup de troupes à mettre sur les lignes de front de l’Ukraine, si le gouvernement français le souhaite. Selon les rapports, aujourd’hui, la France ne peut pas soutenir un déploiement à l’étranger d’une division complète et n’aura pas cette capacité avant 2027 au plus tôt.
La décision d’envoyer des légionnaires étrangers est, en soi, un compromis français particulier. La France ne déploie pas son armée intérieure et, outre le petit nombre d’officiers, les hommes envoyés ne sont pas des citoyens français.
La décision de la France a deux significations, au-delà de celle, évidente, de déclencher potentiellement une guerre paneuropéenne.
Tout d’abord, cela permet à Macron d’envoyer des troupes en Ukraine et d’agir comme un dur à cuire sans rencontrer beaucoup d’opposition intérieure. C’est parce qu’aucun soldat de l’armée française n’est envoyé et qu’il n’y a pas de conscription conséquente ou d’autres mesures en vue. Cela réduit clairement la fureur potentielle des opposants politiques de Macron.
La deuxième raison est la colère de Macron de voir des troupes françaises, presque toutes de la Légion, être expulsées d’Afrique sahélienne et remplacées par des Russes. Le contrôle de l’Afrique francophone, et des richesses qu’elle fournit aux politiciens français, a été brisé par la révolte et la révolution en Afrique et par une inclinaison décisive vers la Russie – soit directement, soit par l’intermédiaire de PMC Wagner (le groupe Wagner) désormais clairement sous le contrôle direct de Vladimir Poutine.
Cette « humiliation » est ressentie à l’Élysée et en particulier par Macron qui, selon ses opposants, est en colère d’avoir perdu l’influence de la France ce qui a nui aux intérêts miniers et commerciaux de la France à l’étranger.
Un coup particulièrement dur est porté au Niger, important fournisseur d’uranium de la France. La France tire 70 % de son électricité de générateurs nucléaires. L’offre mondiale d’uranium se resserre et les prix augmentent. Avec la Russie et le Kazakhstan, ainsi que le Niger, en tête du peloton en termes d’approvisionnement en uranium pour les réacteurs nucléaires, la France a un problème de sécurité économique intérieure. La décision des États-Unis d’interdire l’uranium russe (mais probablement pas de manière réaliste, dans les prochaines années) pourrait porter un coup sérieux à la France et aux États-Unis en coupant l’approvisionnement.
Compte tenu du risque de perdre l’accès à l’uranium, ou du moins à une quantité suffisante pour alimenter les réacteurs français, Macron doit espérer que ses déploiements de troupes en Ukraine ne déclencheront pas un embargo russe sur les ventes à la France.
Il n’est pas clair comment les légionnaires peuvent aider les Ukrainiens. Les Ukrainiens savent comment utiliser l’artillerie, et ils disposent d’un soutien sophistiqué en matière de renseignement, dont une partie est générée par leurs propres drones et espions FPV et une autre partie grâce aux moyens de renseignement et de surveillance des États-Unis et d’autres pays de l’OTAN qui soutiennent l’Ukraine.
Quoi qu’il en soit, la question ukrainienne n’est pas de savoir comment utiliser l’artillerie, mais d’où proviennent les munitions. L’Ukraine continue de se plaindre de ne pas disposer d’un approvisionnement suffisant en obusiers de 155 mm.
La décision de mettre les soldats de la Légion à Slaviansk est extrêmement provocatrice et va à l’encontre des déclarations de la partie française, y compris de Macron, selon lesquelles si la France envoyait des troupes, elles remplaceraient les unités de l’armée ukrainienne dans l’ouest de l’Ukraine qui pourraient donc être déplacées vers l’est pour combattre les Russes. Alors que Slaviansk est sur la ligne de front, cette image française d’un déploiement en douceur se transforme en guerre directe avec la Russie.
Une question clé est de savoir comment l’OTAN réagira à la décision française de se déployer. Comme la France agit seule sans le soutien de l’OTAN, la France ne peut pas prétendre au soutien de l’OTAN en vertu de son fameux article 5, le volet sécurité collective du traité de l’OTAN.
Si les Russes attaquaient les troupes françaises en dehors de l’Ukraine, ce serait justifié parce que la France a décidé d’être un combattant, et forcer un vote au titre de l’article 5 semblerait difficile, voire impossible.https://8fbd37c0f4579851b395a3b3ea0c04ec.safeframe.googlesyndication.com/safeframe/1-0-40/html/container.html
Bien sûr, les membres de l’OTAN pourraient individuellement soutenir les Français, soit en envoyant leurs propres forces, soit en soutenant les Français sur le plan logistique et dans les communications. Par exemple, il n’y a aucun moyen pour les soldats de la Légion étrangère d’aller en Ukraine sans passer par la Pologne. Les Russes vont-ils y voir la preuve qu’ils sont en guerre à la fois avec la France et la Pologne ?
À l’heure actuelle, personne ne peut répondre à l’une ou l’autre de ces questions avec certitude. Il est peu probable que les Russes tolèrent longtemps un renforcement des troupes de l’armée française, même s’il s’agit de soldats de la Légion étrangère. Ce que la Russie fera en réponse n’est pas certain.
Stephen Bryen a été directeur du personnel du sous-comité du Proche-Orient de la Commission des relations étrangères du Sénat et sous-secrétaire adjoint à la Défense pour la politique.
Cet article a été publié pour la première fois sur son sous-stack Weapons and Strategy et est republié avec autorisation.
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