Confidences : pourquoi est-ce que je m’obstine ?

Souvent je m’interroge : mais pourquoi je m’obstine ? A quatre vingt six ans alors que l’argument par lequel on prétend disqualifier ma vie, mes combats et le miraculeux bonheur de vivre qui est le mien est celui de l’âge… Vieille folle va dans un epahd est l’argument de ceux qui me traitent successivement d’antisémite, d’espion du mossad, de suppôt de melenchon et pour clore la série de vieille nazie stalinienne… Moi qui jouit d’une miraculeuses santé, d’une mémoire et d’une capacité de raisonnement à peine entamée et d’une véritable capacité à jouir également de la solitude et des rencontres les plus cocasses, pourquoi est-ce que je m’encombre de débats et combats dans une période d’une telle confusion ? C’est simplement parce qu’il y a eu des instants privilégiés dans lesquels l’Histoire, celle des êtres humains, de l’espèce mais aussi des peuples avec leur héros ont bizarrement coïncidé avec ce qui demeure le sens de ma vie. Et parfois une chanson réveille ce moment, ce “point de capiton” où tout est authentique, vrai et beau comme une oeuvre d’art qui vous dit que c’est ça et rien d’autre. comme ma douce france, celle de Matisse et Aragon, la perfection dont je ne saurais me passer..

Je serai éternellement reconnaissante à l’Union Soviétique qui m’a sauvée du nazisme. Cette fidélité conditionne ma vie et c’est ce qui me vaut d’être définie comme “stalinienne” alors qu’il est clair que si le stalinisme est cette manière de courir toujours derrière le dirigeant pour lâcher les chiens contre ceux qui posent une question je suis mille fois moins stalinienne que les gens qui m’insultent… J’ai au contraire la manie de douter et de voir ce que les autres veulent ignorer. Aujourd’hui plus que hier et bien moins que demain… J’ai le coeur serré et exalté quand j’entends A l”appel du Grand lénine… il y a le bolchevisme et le romantisme russe, cette bravoure messianiaque qui n’est pas aussi insupportable que celle des féodaux polonais parce qu’elle s’offre en sauveur de l’humanité… Certes je trouve les Chinois plus calmes et rassurants, encore que… il faut ce mélandge de raison et de conscience d’une mission pour être communiste… mais paradoxalement ma disposition à penser et à être convaincue me rend encore plus proche des communistes allemands et de ceux qui ont résisté au nazisme comme Brecht et le chant du Kommitern me met en marche… Ma petite enfance d’enfant gibier juif a été réunifiée en dépassant la peur aux côtés de ceux qui ont été l’épopée du XXe siècle et les communistes restent nettement moins antisémites que les autres tout en dénonçant le sort fait aux Palestiniens.. Bref ils m’ont appris à me sentir juive comme je suis française en dénonçant sans état d’âme les fascistes, les escrocs de mon peuple… La liberté de la lutte des classes… Cette manière de me sentir juive a fait que sans jouer les “anti-sionistes”, je n’ai jamais adhéré à la création de l’Etat d’Israël, j’en ai toujours vu l’enfermement, alors que je nous vivais, nous le peuple juif comme ayant la capacité à confondre notre territoire avec le ciel étoilé et la connaissance de l’univers. Nous les talmudistes, nous avions la capacité à faire le lien entre les êtres humains, dans l’espace et le temps et de toujours nous penser dans une ouverture, dans la contradiction…

La deuxième chanson est “commandante che Guevara“, j’ai vécu Cuba comme la possibilité de ne pas trahir mon idéal et j’ai traversé toute l’île avec un compagnon et on nous chantait partout “commandante Guevara” J’ai été initiée en arpentant “le crocodile aux yeux d’émeraude”, non seulement à la résistance fantastique de ce peuple cubain qui a sauvé l’honneur de l’humanité quand tous démissionnaient, mais à cette rencontre avec la force du sud, esclave libéré, pacte de Cespedes, cela a donné sens à tous mes voyages en Afrique et sur la planète. Ce qu’en tant que sociologue, historienne, anthropologue je savais d’un point de vue livresque et sur le terrain… Cuba m’a appris la chair de l’humanité et a donné une profondeur historique à mon savoir ethnologique, ne jamais momifier les origines, les saisir dans le présent de leurs aspirations. Note identité est déjà multiple et nous avons tant en commun.

Enfin la troisième chanson est “douce france” , quand je restais dans un pays, fut-il comme Cuba le plus aimé, il y avait toujours un moment où je chantais “douce france“, quelque chose en moi s’effondrait et réclamait la “douceur angevine ou à la rigueur le soleil marseillais et la montagne de Cézanne… et j’avais le désir de retrouver mon pays, sa diversité, sa beauté, sa douceur et sa langue la seule que j’ai jamais pu parler correctement .. Alors je crois que si je m’obstine avec le PCF c’est parce qu’il correspond à cette nostalgie, à ce lien si fort qui fait que je ne pourrais jamais avoir d’autre berceau que celui de Diderot et Robespierre, si je me sens pourtant humaine, internationale avant tout. C’est cet amour de la France que je retrouve chez Poussin, dans ses ciels, chez Matisse, chez Aragon, qui m’a empêchée d’être trotskiste et cette vision unit le prolétaire à l’artiste pour façonner cette France.

Voilà pourquoi je m’obstine et je ne le regrette pas parce que ces trois chemins sont les seuls qui m”ont protégée de la souffrance que d’autres pourraient éprouver à être censurée, diffamée, parce que ce qu’ils apportent est l’infini… et la plénitude d’être en accord avec soi-même alors que l’on va vers la fin en demeurant si fortement en vie. C’est une confession mais aussi un conseil et il n’a rien d’élitiste .. Chacun trouve les chemins de son accomplissement…

Il faut encore que j’ajoute que la chose qui m’est le plus difficile commence à naitre chez moi, c’est l’âge mais dans l’expérience d’une contrerévolution, d’une insécurité, de peurs provoquées : je n’ai jamais cru qu’il pouvait y avoir des gens réellement incapables de penser, des idiots malveillants… Je savais qu’il y avait plusieurs formes d’intelligence, spéculative, abstraite comme la mienne ou concrète, en prise sur l’expérience comme d’autres, c’était aussi ce que ma sensibilité à l’art m’enseignait : le privilège accordé à la pensée abstraite, conceptuelle était une limite et j’ai beaucoup appris de ceux qui savaient penser et agir ensemble. Non avec la contre révolution, le conformisme, le primat du petit bourgeois, le “design”, j’ai découvert à quel point il y avait une épidémie de connerie malveillante, d’incapacité à sortir des idées reçues, d’art de faire payer aux autres ses propres insuffisances, l’exemple vient de haut… Quand la politique n’est plus que le fait divers… Alors j’apprends doucement à me dire qu’il faut me faire une raison, il y a des crétins malveillants et on ne peut pas grand chose pour eux, sinon les écarter… Comme il faut en finir avec le système qui les produit en masse sur le modèle de sa classe dominante.

Bref! je vais voter pas très éloignée de la boutade d’un camarade dessinateur et un tantinet anarchiste qui m’affirmait lors de mon adhésion à Aix : je suis communiste parce que c’est là où il y a le moins de fascistes et c’est encore vrai malgré tout ce qui a été mené contre eux.

Danielle Bleitrach