Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Lire la lettre sur Dieu d’Albert Einstein en étant lucide sur l’état réel de notre entendement…

Commentaire du jour

Le journal de travail de Brecht aide beaucoup à percevoir l’homme Einstein. Brecht qui demeure incontournable pour une destabilisation utile (1), ne lui porte pas une grande estime politique, il le considère comme étant d’une naiveté redoutable en particulier quand Einstein plaide pour un gouvernement mondial, Brecht lui dit que vu les rapports des forces il serait dirigé par le patron de la Standard oil. Et il en est ainsi de la plupart des utopies dans lesquelles Einstein s’engouffre, comme d’ailleurs tous les “intellecctuels” réfugiés aux USA. Einstein, au plan personnel oscille entre la misanthropie et une tentative permanente d’aider à vaincre ce qui lui parait moralement insupportable… Au delà de la science, il est confronté à deux questions métaphysiques non résolues à savoir pourquoi les choses sont alors qu’elles pourraient ne pas être et le déterminisme des lois physiques. Il se fait une raison sur leur non élucidation, et il tente d’avoir des relations triviales avec ses contemporains, confronté à d’impénitents rêveurs, il ne renonce jamais à leur dire combien leur raisonnement ne mène nulle part mais que ce n’est pas bien grave on peut parler d’autre chose… Comme son interlocuteur comprend cette partie du raisonnement du génial physicien, il en déduit qu’il a accès à la théorie de la relativité et c’est ça qui fait le grand succés d’Einstein, et engendre la manie de citer ses aphorismes y compris ceux dont il n’est pas l’auteur. C’est fou d’ailleurs ce que mettre un nom sur des banalités voir des propos confus et amphigouriques est devenu un ersatz de la culture, la citation apocryphe d’Einstein relevant d’un usage plus général de la citation et de la référence prestigieuse pour justifier toutes les confusions… (noteet traduction de danielle Bleitrach)

(1) Brecht est plus qu’on le croit fidèle à Aristote qui distingue et privilégie “la poèsie” par rapport à l’histoire, l’histoire dit ce qui est ou a été, la poèsie ce qui aurait pu être. Ainsi si par la “distanciation” Brecht s’oppose à l’illusion dramatique et l’identification du spectaeur à cette illusion, il ne s’agit en aucun cas de transformer le théâtre en “foire à la morale” ou en une technique d’enseignement. La finalité de la “distanciation” doit respecter le plaisir du spectateur. Si la distanciation intellectualise le spectacle, ce n’est qu’en tant qu’elle médiatise, complexifie et enrichit le plaisir qui reste fondamentalement sensible. C’est ce plaisir auquel nous faisons appel souvent dans nos critiques et dans cette petite fable sur l’utilisation d’Einstein par l’inculture aspirant au savoir universel… Il y a le côté Bouvard et Pecuchet toujours touchant malgré la méchanceté de flaubert, cette ignorance à laquelle se résigne un Eistein face à une societe humaine dont la complexité dans l’art d’accumuler les catastrophes à une échelle minuscule (la famille, les relations de voisinage toutes choses qu’il fuit) et majeure (la guerre, y compris ncléaire) le laisse désemparé et c’est la banalité de ce despoir de l’entendement qui fait le succès d’Einstein avec un physique qui incontestablement attire l’attention tant il manifeste la même acceptation du vieillissement et du désordre . (note de DB)

Par Louis Menand25 décembre 2018

Albert Einstein est assis sur une chaise et regarde par la fenêtre.

La soi-disant lettre dsur Dieu d’Albert Einstein a fait surface pour la première fois en 2008, alors elle a rapporté quatre cent quatre mille dollars lors d’une vente dans une maison de vente aux enchères britannique. La lettre est revenue dans l’actualité plus tôt ce mois-ci, lorsque son ou ses propriétaires l’ont à nouveau vendue aux enchères, cette fois chez Christie’s à New York, et quelqu’un l’a payée 2,9 millions de dollars, un assez bon retour sur investissement, et apparemment un record sur le marché des lettres d’Einstein. L’ancien best-seller était une copie d’une lettre adressée à Franklin Roosevelt en 1939, avertissant que l’Allemagne pourrait développer une bombe nucléaire. Celle-ci a été vendue chez Christie’s pour 2,1 millions de dollars, en 2002. Si vous avez quelques lettres d’Einstein qui traînent, c’est peut-être le bon moment pour les soumettre aux enchères.

Bien qu’elle porte sa signature, Einstein n’a pas réellement écrit la lettre sur la bombe. Elle a été écrite par le physicien Leo Szilard, sur la base d’une lettre qu’Einstein lui avait dictée. Mais, si le prix d’enchère est relatif à l’importance historique, cette lettre devrait avoir beaucoup plus de valeur que la lettre sur Dieu. La lettre sur Dieu a été intelligemment commercialisée. « Non seulement la lettre contient les mots d’un grand génie qui sentait peut-être la fin approcher », a déclaré Christie’s sur son site Web, « mais elle aborde les questions philosophiques et religieuses avec lesquelles l’humanité s’est débattue depuis la nuit des temps : y a-t-il un Dieu ? Est-ce que j’ai le libre arbitre ? Le communiqué de presse l’a qualifié de « l’une des déclarations définitives dans le débat entre la religion et la science ». L’intérêt des journalistes a été suscité par la question de savoir si la lettre pourrait contredire d’autres commentaires qu’Einstein aurait faits sur Dieu.

Tout cela a rendu la lettre beaucoup plus fondamentale qu’elle ne l’est. Einstein avait des opinions sur Dieu, mais il était un physicien, pas un philosophe moral, et, avec une tendance à faire des déclarations gnomiques – « Dieu ne joue pas aux dés avec l’univers » est son aperçu le plus connu sur le sujet – il semble avoir eu une croyance standard pour un scientifique de sa génération. Il considérait la religion organisée comme une superstition, mais il croyait que, par le biais de la recherche scientifique, une personne pouvait avoir un aperçu de l’exquise rationalité de la structure du monde, et il appelait cette expérience « religion cosmique ».

C’était un choix de mots trompeur. La « religion cosmique » n’a rien à voir avec la moralité, le libre arbitre, le péché et la rédemption. C’est juste une reconnaissance de la façon dont les choses sont en fin de compte, ce qui est ce qu’Einstein voulait dire par « Dieu ». La raison pour laquelle Dieu ne joue pas aux dés dans l’univers d’Einstein est que les lois physiques sont inexorables. Et c’est précisément en constatant qu’elles sont inexorables que nous éprouvons ce sentiment religieux. Il n’y a pas d’entités surnaturelles pour Einstein, et il n’y a pas de cause indéterminée. Le seul mystère est de savoir pourquoi il y a quelque chose alors qu’il ne pourrait rien y avoir.

Dans la lettre sur Dieu, le sujet n’est pas la religion cosmique du scientifique. C’est la religion organisée du croyant, un sujet complètement différent. Einstein a écrit la lettre, en 1954, à un écrivain allemand émigré nommé Eric Gutkind, dont il avait lu le livre « Choose Life : The Biblical Call to Revolt » à la demande d’un ami commun alors qu’il l’avait tellement détesté qu’il s’était senti obligé de partager son opinion avec l’auteur. Un an plus tard, Einstein mourut. Gutkind meurt en 1965 ; Ce sont ses héritiers qui ont mis la lettre aux enchères, en 2008.

La lettre à Gutkind est remarquablement pauvre en métaphysique. Il s’agit essentiellement d’une plainte contre le judaïsme traditionnel. Einstein dit qu’il est heureux d’être juif, mais qu’il ne voit rien de spécial dans la judéité. Le mot Dieu, dit-il, n’est « rien d’autre que l’expression et le produit de la faiblesse humaine », et la Bible hébraïque est un recueil de « légendes honorables, mais encore purement primitives ».

Dans certains reportages, Einstein est cité comme qualifiant les histoires bibliques de « néanmoins assez enfantines », mais ce n’est pas ce que dit sa lettre. Cette phrase a été insérée par un traducteur, apparemment au moment de la première vente aux enchères. Einstein n’appelle pas non plus le judaïsme « l’incarnation des superstitions les plus puériles », ce qui est également une erreur de traduction. Le mot qu’il utilise est « primitif », c’est-à-dire « primitif », c’est-à-dire pré-scientifique. Il dit qu’avant que les humains ne développent la science, ils devaient rendre compte de l’univers d’une manière ou d’une autre, alors ils ont inventé des histoires surnaturelles. (Telle est la nature de notre propre époque super-scientifique, cependant, que si vous effectuez une recherche sur « Dieu enfantin d’Einstein », vous obtiendrez des milliers de résultats. Einstein sera éternellement associé à une caractérisation qu’il n’a jamais faite.)

Einstein avait ce que l’on pourrait appeler une théologie du ciel nocturne, un sens de la grandeur de l’univers que même les athées et les matérialistes ressentent lorsqu’ils regardent la Voie lactée. Est-ce trop impressionnant pour que l’esprit humain l’éprouve ? Un scientifique d’une génération antérieure à Einstein, William James, pensait que nous en sommes incapables peut-être , peut-être que nos cerveaux sont trop petits. Il se peut en effet qu’il y ait quelque chose comme Dieu dant tout ça ; Nous ne pouvons tout simplement pas le détecter avec le radar que nous avons. Dans la belle métaphore de James, « Nous pouvons être dans l’univers comme les chiens et les chats sont dans nos bibliothèques, voyant les livres et entendant la conversation, mais n’ayant aucune idée du sens de tout cela. »

Ce qu’il y a de mieux dans la lettre d’Einstein à Gutkind, ce n’est pas le rejet grincheux de la théologie traditionnelle. C’est le dernier paragraphe, où Einstein met tout cela de côté. « Maintenant que j’ai exprimé nos différences de convictions intellectuelles de manière tout à fait ouverte, écrit-il, il est toujours clair pour moi que nous sommes très proches l’un de l’autre dans l’essentiel, c’est-à-dire dans nos évaluations du comportement humain. » Il pense que si lui et Gutkind se rencontraient et parlaient de « choses concrètes », ils s’entendraient bien. Il dit que nos engagements religieux ou philosophiques n’ont pas d’importance. La seule chose qui compte, c’est la façon dont nous nous traitons les uns les autres. Je ne pense pas qu’il ait fallu un génie pour comprendre cela, mais c’est bien que l’on l’ait fait.

Louis Menand est rédacteur au New Yorker. Son livre le plus récent s’intitule « Le monde libre : l’art et la pensée dans la guerre froide ».

Vues : 188

Suite de l'article

2 Commentaires

  • Xuan

    Je voudrais relever un aspect particulier de cette lettre, sur l’indétermination :
    «… une causalité limitée n’est plus du tout une causalité, comme le merveilleux Spinoza l’a montré avec toute sa perspicacité. Et les interprétations animistes de la nature des religions ne peuvent pas, en principe, être annulées par ce privilège monothéiste. Avec de telles barrières, on ne peut atteindre qu’un certain auto-aveuglement, mais nos efforts moraux n’y gagnent rien. Bien au contraire ».

    L’expression « Dieu ne joue pas aux dés » faisait référence aux conclusions des théories positivistes de l’école de Copenhague qui prônaient, à partir des découvertes de la théorie quantique, mais surtout en s’appuyant sur leur caractère statistique, l’indéterminisme et un « libre arbitre » de la matière. “Libre arbitre” dont on devine le caractère anthropomorphiste et finalement religieux.

    Einstein qui avait été précurseur de la théorie quantique (depuis l’explication qu’il avait donnée de l’effet photo-électrique), n’était pas convaincu par leurs conclusions.
    Il écrivit :

    “L’affaiblissement du concept de causalité qu’implique la théorie moderne des quanta n’ouvre pas la moindre petite porte aux partisans du libre arbitre, ne serait-ce que pour la raison suivante : les processus déterminants pour ce qui se produit dans l’organisme, et qui ne sont pas reliés à la matière réversibles au sens thermodynamique, sont de telle nature que l’élément statistique que l’on attribue au processus de la sphère moléculaire est pratiquement éliminé”. L’argument est, de fait, sans appel. L’“indétermination quantique” est balayée dès que l’on passe au niveau macroscopique où interviennent de grands nombres de molécules et où joue l’irréversibilité.
    [Lettre d’Einstein à Lorentz du 17 juin 1927, citée par Pais, op. cit., n. 1, p 432 – voir : « Einstein et la complémentarité au sens de Bohr : du retrait dans le tumulte aux arguments d’incomplétude» Michel Paty]
    https://halshs.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/167298/filename/Paty_M_2000a-EinstPensMatie_B85D.doc

    Répondre
  • Falakia
    Falakia

    Il me semble que le génie créatif d’Albert Einstein , a été de ne pas se laisser impréssionner ni par la philosophie dominante ni par la science dominante .
    Ce n’est pas un séparatiste comme le fût Henri Poincaré et d’autres .
    Einstein accepte les influences réciproques entre métaphysique et expérience comme il le fera à propos de la physique quantique.
    Comme vous le souligniez Xuan , Einstein précurseur de la physique quantique en effet . D’ailleurs tout comme Thomas Hobbes précurseur de l’IA .
    Par contre Einstein est un humaniste et
    c’est au niveau des droits de l’homme qu’il faudrait comprendre son aspiration pour un gouvernement mondial tout comme sa méthode de travail en s’inspirant de Spinoza et du Dieu de Spinoza dont pour ce dernier ce qu’il appelle ” l’amour intellectuel de Dieu ” pour comprendre la nécessité divine et c’est un amour de Dieu parceque Dieu est identique à la totalité de l’être .

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.