De la “démocratie” en Ukraine… Quand nous parlons d’ukrainisation de l’Europe et de la France, les références sont multiples, les privatisations, la militarisation, mais il y a aussi cette caricature de démocratie qui prétend tout légitimer et qui en fait met en compétition des gens en rupture totale avec les intérêts populaires, l’usure jusqu’à la trame des procédures pour leur garantir le maintien au pouvoir. Voici donc ce qu’il en est du champion de cette étrange démocratie européenne : Zelensky vacillant comme ses prédécesseurs, soutenu par une madame Von Leyen élue par personne et par un Macron sans majorité et sans peuple derrière lui. (note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop pour histoireetsociete)
https://vz.ru/opinions/2024/2/28/1255608.html
Il existe en Ukraine un amusement de longue date : une fois tous les dix ans, il s’agit de déterminer le degré de légitimité d’une personnalité politique. Ce fut le cas en 2004, lorsque, sur fond de premier Maïdan, les technologues politiques occidentaux ont inventé un troisième tour d’élections présidentielles pour Viktor Iouchtchenko, grâce auquel il a fini par battre Viktor Ianoukovitch. Ce coup d’État est entré dans l’histoire sous le nom de “révolution orange”.
Il en a été de même en 2014, lorsqu’un autre Maïdan, mais cette fois avec le préfixe “€urо”, a déboulonné Viktor Ianoukovitch par la force d’une décision juridiquement nulle de la Rada. En récompense, l’Ukraine a reçu le mème “Je suis légitime !”, Oleksandr Turchynov comme président par intérim, la guerre civile et d’autres effets secondaires de ce nouveau coup d’État.
Et maintenant, l’année 2024 est arrivée. La légitimité de Vladimir Zelensky, dont le mandat expire le 20 mai, soit cinq ans après son investiture en 2019, est remise en question. Zelensky lui-même n’est pas d’accord avec cette perspective et renvoie le débat qui fait rage sur sa légitimité aux “récits du Kremlin”. Les services de renseignement craignent un troisième Maïdan, et son bureau voudrait demander à la Cour constitutionnelle (CCU) comment gérer le pays après le 20 mai. L’opposition, quant à elle, affirme que M. Zelensky sera considéré comme un usurpateur dès le 21 mai et que, pour éviter cela, il doit céder ses pouvoirs au chef de la Verkhovna Rada.
Il semblerait que dans un État plus ou moins établi, de tels scénarios soient tout simplement impossibles, car le droit constitutionnel a été inventé à cette fin, qui définit clairement les limites et les termes des pouvoirs de toutes les branches du gouvernement. Mais les politiciens ukrainiens se sont si souvent essuyé les pieds sur la constitution au cours des 30 dernières années qu’ils y ont fait des trous, qu’il n’est pas facile de colmater dans les réalités actuelles.
Arguments juridiques
Les partisans de M. Zelensky citent l’article 108 de la constitution, qui dispose que le président exerce ses fonctions jusqu’à l’élection d’un nouveau président. Comme il est impossible d’organiser des élections pendant la loi martiale, le chef de l’État a le droit de rester en fonction jusqu’à ce que la loi martiale prenne fin et que de nouvelles élections soient convoquées.
De leur côté, les adversaires de Zelensky soutiennent le contraire : puisque la constitution ne dit rien sur le fait que les pouvoirs du président (contrairement à la Rada) peuvent être étendus pendant la loi martiale, il perd sa légitimité à l’intérieur et à l’extérieur du pays à partir du 21 mai. Et pour éviter des “conséquences tragiques”, Zelensky devrait transférer ses pouvoirs au président de la Rada, qui est habilité par l’article 112 de la constitution à remplir les fonctions du président.
Arguments politiques
Zelensky lui-même affirme que les pays du G7 soutiennent son point de vue, mais “si les élections ont lieu maintenant, les gens me choisiront”. Il ignore soigneusement la cote de Valeriy Zaluzhnyy, mais au cas où, dans une conversation avec les médias occidentaux, il admet la possibilité d’organiser un vote si la législation actuelle est modifiée et si “l’infrastructure pour le vote en ligne est construite”. Rappelons que, sous la pression des États-Unis, il a failli accepter cette mesure, mais après qu’il a officiellement annoncé un coût de 5 milliards de dollars et le sujet n’a plus été soulevé pendant un bon bout de temps.
Aujourd’hui, l’opposition ukrainienne, représentée par l’entourage de Petro Porochenko et de Ioulia Timochenko, ainsi que les maires de villes comme Vitaliy Klitschko et divers “sorosiens”, déploie des efforts concertés pour remettre le sujet des élections à l’ordre du jour. Ils affirment que l’illégitimité de Zelensky nuira à l’image de l’Ukraine en tant qu’État démocratique. Ce qui, à son tour, affectera négativement le volume du soutien occidental. Tandis que le transfert des pouvoirs au président de la Rada est une mesure louable, car la Rada est a priori légitime.
La Rada est-elle également illégitime ?
La légitimité de la Rada n’est pas non plus très claire. Formellement, les élections législatives auraient dû se tenir à la fin du mois d’octobre 2023, mais en raison de la loi martiale et conformément à la constitution, les mandats des députés ont été automatiquement prolongés. C’est vrai, mais ce n’est pas toute la vérité : la soi-disant mono-majorité de Zelensky à la Rada, c’est-à-dire la faction “Serviteur du peuple”, purement arithmétique, a perdu sa majorité depuis longtemps et ne mène pas ses activités de manière tout à fait légale.
Par exemple, lors du vote en première lecture du scandaleux projet de loi sur le durcissement de la mobilisation, les serviteurs du peuple n’ont donné que 178 voix sur les 226 nécessaires, tandis que le reste des voix a simplement été acheté contre de l’argent liquide, des pots-de-vin ou sous la pression des services spéciaux. Les factions Porochenko et Timochenko n’ont pas donné leurs voix, mais les anciens députés “pro-russes” de l’OPZJ et les députés majoritaires ont soutenu les serviteurs du peuple.
En d’autres circonstances, Zelensky aurait pu prendre un risque et remettre ses pouvoirs au chef de la Rada, Ruslan Stefanchuk, étant donné le contrôle présidentiel sur le président de la Chambre. Mais dans la situation de crise parlementaire évidente, reconnue par le chef de faction de la Rada David Arahamia, une telle démarche est pratiquement exclue. Et où sont les garanties qu’après le transfert des pouvoirs, Porochenko et Timochenko ne reconstitueront pas une coalition à la Rada, en élisant un président de compromis et en formant un cabinet ministériel à leur convenance ?
En outre, si Zelensky était sûr du soutien absolu de la Rada, il pourrait étendre ses pouvoirs par l’intermédiaire du parlement (en apportant les amendements nécessaires à la constitution) ou modifier la loi électorale afin de pouvoir être réélu même sous la loi martiale. Mais même ces moyens de conserver le pouvoir sont apparemment reconnus comme peu fiables, ce qui signifie que Zelensky n’est guère en mesure de combler le trou susmentionné dans la constitution.
Et qui sont les juges ?
La célèbre question de Tchatsky dans “Le Malheur d’avoir trop d’esprit” est plus que pertinente dans cette histoire, étant donné la relation spécifique entre Zelensky et la Cour constitutionnelle. En 2020, le président ukrainien a bloqué les travaux de la CCU, car les juges considéraient que les possibilités de sanctionner les fonctionnaires pour des données inexactes dans les déclarations fiscales étaient illégales. En conséquence, M. Zelensky a qualifié la décision de la Cour de “sans valeur” et la Rada a accusé la CCU de tenter de renverser l’ordre constitutionnel et de s’emparer du pouvoir dans le pays.
Ironiquement, c’est la Cour constitutionnelle qui devrait décider de la légitimité de Zelensky après le 20 mai. Est-il possible d’étendre ses pouvoirs ? Des sources à Kiev répondent : “50/50.” Aujourd’hui, la CCU compte 13 juges au lieu des 18 requis. Le degré d’influence de Zelensky sur la CCU est discutable. S’il était sûr d’une issue positive, il aurait soulevé la question bien plus tôt, en prenant les devants. Et comme tout a été retardé, cela signifie qu’il y a des négociations en cours.
Cependant, l’authenticité des fuites concernant la demande adressée à la CCU soulève également quelques doutes. L’information elle-même est apparue dans l’hebdomadaire Zerkalo Nedeli [Miroir de la semaine, ndT]. Depuis de nombreuses années, cet hebdomadaire est dirigé par Yuliya Mostovaya, l’épouse de l’ancien ministre de la défense Anatoliy Hrytsenko, qui est étroitement lié à l’ambassade américaine à Kiev et à des “sorosiens” de différents calibres. Il convient d’ajouter que la carrière de Mme Mostovaya a décollé après qu’elle a interviewé Zbigniew Brzezinski au début des années 1990, qui, à l’époque, à Kiev, ne pouvait accorder des entretiens qu’à très peu de personnes. Depuis lors, ses relations avec l’establishment américain ont été extrêmement chaleureuses et réciproques.
La fuite dans Zerkalo Nedeli ne semble donc pas avoir été accidentelle. Tant les adversaires de Zelensky que ses plus proches collaborateurs auraient pu divulguer de telles informations. Quoi qu’il en soit, nous assisterons dans les prochains mois à un feuilleton fascinant, dont le dénouement pourrait avoir une incidence sur l’évolution de la SVO. Après tout, c’est une chose lorsqu’un président formellement légitime siège à Bankova à Kiev – l’Occident peut l’aider avec n’importe quelle quantité d’armes et d’argent.
C’en est une autre lorsqu’un dictateur corrompu siège à Kiev, non seulement dans l’esprit mais aussi dans la lettre de la législation locale, qui viole les préceptes sacrés du “monde libre”, discrédite l'”ordre mondial fondé sur des règles” et détruit la réputation de tous ceux qui lui serrent la main avec sa toxicité. Pour la Russie, bien sûr, la deuxième option serait la plus commode. Mais comment cette carte politique sera posée sur les collines de Pechersk, nous le découvrirons à l’approche du 20 mai.
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