Un article russe qui témoigne de ce que peut devenir la propagande en temps de guerre, cet article met en garde ses compatriotes russes contre des dérives homophobes qui tendent à voir dans les LGBT (et pas dans l’oligarchie ?) une cinquième colonne de l’occident. Ces dérives ne mènent nulle part. On ne peut que partager une telle mise en garde y compris chez nous où montent les conservatismes et les bellicismes derrière les masques commodes du sociétal. Déjà on assiste à des coexistences prétextes dans lesquelles l’alibi des mœurs couvre des réalités comparables à celles de madame Meloni en Italie. Faisons de la politique et n’oublions pas l’essentiel qui crée les conditions de la guerre impuissante actuelle et à qui celle-ci profite quels que soient les masques libéraux libertaires que la propagande peut prendre et ne laissons pas la propagande nous aliéner… (note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop)
https://vz.ru/opinions/2024/2/18/1254034.html
À Nijni Novgorod, une affaire aurait pu être qualifiée d’amusante si elle n’avait pas suscité un tollé général et si la protagoniste, une jeune fille ordinaire, n’avait pas dû passer cinq jours au poste de police.
La jeune fille a été menottée pour des boucles d’oreilles sous la forme d’une grenouille trônant sur un arc-en-ciel. C’est le comble de l’absurdité. Elle buvait tranquillement son café, mais quelqu’un a réussi à voir un symbole LGBT menaçant l’ordre public. Et c’est ainsi que tout a commencé. Police, témoins, commissariat, tribunal. Au final, cinq jours.
À propos, il se passe de drôles de choses avec les arcs-en-ciel dans notre pays. Il n’y a pas si longtemps, un festival de théâtre portant ce nom, autrefois tout à fait sympathique, a décidé de changer d’enseigne. Ses organisateurs ont jugé nécessaire de prendre des précautions pour ne pas être accusés de “propagande LGBT”.
Des choses encore plus drôles se produisent. Par exemple, tous les cinémas en ligne du pays recherchent assidûment les symboles LGBT et tentent de les neutraliser autant que possible. Le rédacteur en chef de l’un de ces services a avoué aux journalistes comment il avait passé sa journée de travail au début du mois de février : “Nous étions assis devant l’ordinateur avec nos collègues et nous comptions les rayures de la queue d’un poney. Ce poney s’appelle Rainbow Dash, l’un des personnages de la série animée Mon petit poney : l’Amitié est un Miracle. Sa crinière et sa queue sont teintes aux couleurs de l’arc-en-ciel et le drapeau arc-en-ciel est considéré comme un symbole LGBT international. Compte tenu des exigences de la loi, l’image originale de Rainbow Dash peut être considérée comme une démonstration de relations sexuelles non traditionnelles, ce qui, à son tour, oblige les cinémas en ligne à indiquer l’âge maximum “18 +”. Mais il s’agit d’un dessin animé pour enfants. Et les enfants ne comprennent rien aux symboles interdits. C’est drôle pour eux. Ils pensent au soleil.
En conséquence, le dessin animé a obtenu son 18+, bien que ses collègues aient argumenté : “Qui va compter le nombre de bandes multicolores sur une image fixe ? Ils ont toutefois décidé de ne pas prendre de risque. Et cela, même si “L’amitié est un miracle” a récemment été diffusé sur la chaîne de télévision “Carousel”.
Dans ce contexte, un appel a même été lancé : “Rendez l’arc-en-ciel aux enfants !
Même Dmitry Peskov a été interrogé sur l’arc-en-ciel, après les questions les plus sérieuses d’importance nationale. Le porte-parole présidentiel a déclaré que les arcs-en-ciel n’étaient pas interdits en Russie.
C’est alors qu’Alexander Khinshtein, membre de la Douma d’État [pour Russie Unie, NdT] et auteur de la fameuse loi, a dû s’expliquer. Il était nécessaire de confirmer que personne n’a retiré l’arc-en-ciel aux enfants et que dans le ciel, il est toujours permis de le considérer comme un heureux présage.
Le député a insisté sur le fait que l’arc-en-ciel classique à sept couleurs est autorisé et n’est pas blâmé. En revanche, l’arc-en-ciel édité à six couleurs, auquel il manque la couleur bleue – ce qui est ironique [le bleu clair se dit en russe “goluboï”, et c’est un synonyme de “gay”, NdT] – est considéré comme un symbole LGBT. La loi ne précise pas encore comment punir la pluie et le soleil pour avoir encouragé la perversion sexuelle.
Par ailleurs”, note M. Khinstein, “il existe en Russie de nombreuses entreprises et sociétés, et même des jardins d’enfants, qui portent le nom “arc-en-ciel”. Et personne ne les oblige à changer leurs enseignes. Il n’est donc pas nécessaire de pousser la loi jusqu’à la folie. D’ailleurs, a ajouté le député, le merveilleux dessin animé soviétique “Chiot bleu” ne constitue pas une menace pour l’application de la loi. Et bien qu’il existe une chanson “bleu, bleu, je ne veux pas jouer avec toi”, elle a été composée bien avant les lignes de division actuelles.
…Mais revenons à Nijni Novgorod. L’autre jour, la jeune fille qui avait souffert à cause de ses boucles d’oreilles a tenté de contester son arrestation et de prouver que ses boucles d’oreilles portaient l’arc-en-ciel classique à sept couleurs. Elle n’a pas réussi à le prouver. Le tribunal a refusé.
Cette histoire laisse une impression ambivalente. Peut-être les cinq jours étaient-ils une sorte de prévention, afin que d’autres ne soient pas tentés de s’engager subrepticement dans des actions LGBT. Mais d’un autre côté, plusieurs jours en cellule comme mesure préventive sont très douteux. La psychologie – à la fois celle des jeunes et celle des sous-cultures – doit être prise en compte. Cinq jours peuvent-ils sérieusement effrayer les fervents défenseurs de la mode du genre ? C’est peu probable. Au contraire, une fois libérée de prison, cette personne deviendra un nouveau héros dans son environnement étroit, et une telle punition ne fera qu’accroître sa popularité.
Nous savons très bien que de l’autre côté de la ligne de front, dans l’Ukraine d’aujourd’hui, toute manifestation de symboles soviétiques et russes, qui sont interdits dans leur pays, entraîne les conséquences les plus graves. Des gens sont en prison et en état d’arrestation, ils reçoivent des charges administratives et des peines réelles pour avoir porté un ruban de Saint-Georges et une faucille et un marteau, pour avoir chanté des chansons russes dans des lieux publics, y compris dans les rues, et même pour avoir porté des boutons avec le drapeau tricolore.
Alors, vaut-il la peine d’imiter l’ennemi et de calculer sérieusement le nombre de couleurs de l’arc-en-ciel sur les boucles d’oreilles ? D’autant plus de scruter avec autant d’attention les oreilles des filles et des femmes ? Nous ne sommes pas, après tout, les héros du célèbre roman de Haruki Murakami, où la beauté inassouvie des oreilles devient le moteur principal de l’intrigue. Nous ne sommes pas dans un roman, nous sommes dans la réalité, et dans notre réalité, nous avons suffisamment d’autres préoccupations.
Un pays fort ne doit pas être mesquin. Pas même à l’égard de ceux qui cherchent à provoquer par des foulards, des pantalons, des jupes et d’autres bijoux fantaisie. Et encore moins envers le cinéma pour enfants. S’il existe une mode pour les couleurs arc-en-ciel dans les sous-cultures de la jeunesse, vous pouvez la laisser tranquille. Qu’ils y ajoutent du bleu et qu’ils s’en aillent de leur côté.
Le sort des autorités de Kiev et des États baltes est de persécuter les gens pour des boucles d’oreilles, des rubans, des boutons et des pendentifs. Nous ne devrions pas ressembler à ceux qui nous haïssent.
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